"Je continue à voir ma psychiatre, parce que je continue encore mon traitement aujourd’hui et encore une fois, je pense que prendre des médicaments sans psychothérapie c’est vraiment à proscrire !"

TROUBLES ANXIEUX— Vouloir être la meilleure, penser que la chance est la seule cause de sa réussite, ne pas se sentir légitime, ne pas trouver sa place, se trouver stupide et pas à la hauteur, on dit souvent que le mieux est l’ennemi du bien. Le mieux peut parfois aussi s’avérer être l’ennemi du bien-être.

Savant mélange d’anxiété de performance, de honte, de perfectionnisme poussé à l’extrême, d’une faible estime de soi et d’une dévalorisation de ses réussites, le syndrome de l’imposteur est relativement fréquent. Il touche notamment beaucoup d’étudiants, et en réalité plus de 60 % de la population à un moment ou l’autre de la vie.

Si le terme de syndrome de l’imposteur peut être critiqué dans la mesure où il ne s’agit pas d’une pathologie, ce sentiment d’être un imposteur n’en demeure pas moins une réalité. Quand faire au mieux devient une souffrance, les troubles dépressifs attendent souvent au tournant.

Je reçois aujourd’hui Leila, étudiante à Sciences Po et cofondatrice de l’association Stimuli, qui nous explique les difficultés qu’elle éprouve pour trouver sa place dans un milieu auquel elle considère ne pas appartenir. Elle retrace avec nous son parcours, de son enfance au Maroc jusqu’à sa prise en charge actuelle pour ce qui s’est avéré être un trouble anxieux généralisé, doublé d’une dépression, en passant par son engagement contre la stigmatisation et pour la sensibilisation aux troubles psychiques.

Bonne écoute !
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Leila

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Mickaël : Bonjour Leila.

Leila : Bonjour Mickaël.

Mickaël : Merci de t’être proposée pour participer à ce podcast. Comme moi tu considères que la santé mentale est un sujet très important dont on parle beaucoup trop peu et qui a tendance à être très stigmatisé dans notre société, et tu as voulu témoigner dans cette émission pour parler d’une situation que tu as vécue récemment. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

Leila : Donc moi je suis étudiante à Science Po, en master 1. Mon histoire est assez longue, je vais faire un peu la version courte ! J’ai grandi au Maroc, à Marrakech, puis je me suis éloignée de ma famille pour venir faire mes études en France, donc j’ai fait mes deux premières années d’étude à Menton, et c’est à partir de là que j’ai commencé à avoir des troubles anxieux. En fait pour moi je ne voyais pas que c’étaient des troubles anxieux, car j’ai toujours été un peu anxieuse au Maroc, mais avec les études supérieures ça s’est vraiment intensifié. Et puis donc ensuite j’ai un peu fait ma vie à Menton et je suis partie après en échange aux États-Unis, je suis revenue en France et en commençant un Master en droit je me suis rendu compte que ça ne me correspondait pas du tout, et en fait sur le moment je me rendais pas compte que c’était pas en phase avec mes valeurs, mais ça m’a un peu fait tomber dans une dépression, tout ça avec des troubles anxieux et dépression, c’était assez compliqué, voilà.

Mickaël : Donc tu nous parles de troubles anxieux, de symptômes que tu as pu avoir au moment où tu as commencé tes études et qui préexistaient déjà avant sous une forme un peu atténuée. Est-ce que tu peux décrire un peu quelles formes ça prenait ?

Leila : Alors il faut savoir que quand j’étais au Maroc j’ai toujours été une super bonne élève, j’étais la première de ma classe dès le collège et ensuite au lycée, et je me mettais énormément de pression dans toutes les facettes de ma vie, que ce soit au niveau social, que ce soit avec mes parents, au niveau des études, et j’étais extrêmement stressée tout le temps. Et en fait je dirais que c’était d’autant plus fort que ça concernait les études parce que ça catalysait un peu toute ma confiance en moi, et si… mon estime de moi, la manière dont je pensais que mes parents me percevaient, parce qu’avec le recul je vois bien qu’eux ne voyaient pas du tout la manière dont j’étais anxieuse. Donc en fait au Maroc je ne mettais pas les mots dessus, j’étais juste extrêmement stressée même hors période d’examen j’étais tout le temps, ça m’arrivait de pleurer pour de petits examens qui me paraissent totalement ridicules à présent, c’était très important pour moi, je stressais tout le temps en cours je me souviens que mon baccalauréat, ça a été une expérience horrible pour moi parce que mon baccalauréat de français en fait, j’adorais le français, et je voulais absolument exceller. Et en fait je me mettais énormément la pression, je me disais qu’il fallait que j’aie la meilleure note possible, et du coup je voulais tout apprendre par cœur et ne rien rater, et au final je n’arrivais pas à réfléchir convenablement, et je me trouvais toujours trop lente, je me trouvais vraiment trop lente quand je réfléchissais ça n’allait pas assez vite pour moi, il y avait beaucoup beaucoup de comparaison avec mes camarades, alors qu’en fait de l’extérieur je donnais beaucoup l’impression d’avoir confiance en moi, mais intérieurement, par exemple quand mes parents me félicitaient pour ce que j’avais fait, pour des notes, ou même que mes professeurs étaient fiers de ce que j’avais pu faire, j’avais l’impression en fait un peu comme le syndrome de l’imposteur j’avais vraiment l’impression de pas être à ma place et que si j’avais des bonnes notes c’était parce que je passais énormément de temps dans ma chambre et pas parce que j’étais intelligente, en fait ! Je me disais, en fait t’es complètement stupide, il va y avoir un moment où quelqu’un va finir par comprendre que c’est juste que tu bachotes beaucoup, et à ce moment-là tu seras un peu foutue quoi. Après, un peu plus tard dans ma vie, en fait à Menton quand je suis arrivée… À Science Po, il faut savoir que je suis arrivée à Science Po par la procédure internationale, il y a deux procédures à Science Po, la procédure par concours et la procédure internationale, et en fait la procédure internationale on ne passe qu’un… on a une sélection sur dossier et après on passe un oral d’admission. Et moi j’avais tendance à dire : ce n’est qu’un oral d’admission, ce n’est pas le concours écrit, c’était plus simple pour moi. Et je n’avais pas énormément préparé ce concours, je l’ai quand même eu, et en fait je ne me sentais pas légitime donc quand je suis arrivée sur le campus de Menton dans le Sud, je me suis retrouvée à me dire, mais en fait je comprends même pas, ce qui était très honteux pour moi, la différence entre la gauche et la droite, je ne comprenais pas de quoi on parlait quand on parlait de politique en général, tous les partis c’était extrêmement flou pour moi, et je me disais quand même, tu es à Science Po, quoi ! Donc il faut que tu le saches. Et je me mettais énormément la pression, et beaucoup de conversations tournaient autour de ça à Science Po et les premières années on voulait tous un peu montrer ce qu’on savait et ce qu’on savait pas, on cherchait à se mettre en valeur et à trouver un peu sa place… Et en fait c’était totalement ça, j’attendais le moment où on allait me dire en fait qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi tu es avec nous ? Ensuite mon année aux États-Unis ça a été vraiment une bouffée d’oxygène. Je suis partie pendant un an, j’étais loin de la France, loin de l’aspect élitiste de Science Po. Et j’avais eu une université qui était pas si prestigieuse que ça, qui était bonne, mais pas plus que ça, et en fait ça m’a libérée d’un poids parce que je me disais OK, je suis dans un espace qui est à mon niveau, que j’étais à ma place, qu’il n’y aurait pas de souci. En me disant ça, ça s’est super bien passé. Ensuite il y a eu le retour à Paris, dès mai je commençais à me dire ça va être horrible, je vais rentrer à Science Po, je vais stresser tout le temps… Et j’allais rentrer en Master de droit à Science Po et c’est un master qui est très, très demandant, et je me disais je ne suis pas du tout à la hauteur pour ce master, voilà, et c’étaient des pleurs toutes les semaines et puis petit à petit les pleurs c’était devenu des appels à mes parents pour tout simplement me plaindre et pleurer, et puis de là c’est ma mère qui est venue à Paris pour rester avec moi un peu, et ensuite j’ai eu une sorte de déconnexion totale où je n’arrivais plus du tout à étudier, j’étais complètement amorphe et je me renfermais beaucoup, surtout sur moi-même. Donc voilà pour l’anxiété ! C’est pas une partie de bonheur, mais je dirais que quand même je suis contente d’être passée par là parce que maintenant je me rends compte beaucoup plus de ce que je ressens, des ressentis des autres, et je prends beaucoup plus les autres en compte et leurs sentiments, et ça me fait beaucoup de bien en fait.

Mickaël : Dans ce que j’entends, il y a surtout une grosse part d’anxiété de performance, à vouloir toujours être la meilleure, à avoir la première place, et en même temps tu sembles nous dire que tu n’arrivais pas à trouver ta propre place. Est-ce qu’aujourd’hui tu as réussi dans le master dans lequel tu es actuellement à trouver ta place ?

Leila : oui, totalement ! Donc j’ai changé en fait de master pour t’expliquer un peu, j’étais donc en master en droit éco, j’ai fait un semestre, au bout d’un semestre c’est là qu’a commencé ma dépression. Le semestre suivant j’ai fait un stage de césure dans l’économie sociale et solidaire. Et ensuite… pour être tout à fait honnête j’étais totalement perdue, je ne savais pas ce que j’allais faire, j’ai beaucoup changé d’avis entre les masters, parce qu’il y en a beaucoup à Science Po et qu’ils m’avaient autorisée à changer de master… et puis au final je me suis dit pourquoi pas aller dans le marketing ? Et ce qu’il faut savoir c’est qu’à l’époque, avant d’aller dans ce master je jugeais beaucoup les gens qui allaient dans ce master-là. Parce que je me disais on est à Science Po, on n’est pas en école de commerce, et on étudie beaucoup les sciences sociales, on étudie des choses sérieuses, et le commerce c’est un peu… Alors que pas du tout, il y a de très grandes écoles ! Mais moi ça ne me semblait pas assez sérieux… Et en fait je me sens totalement à ma place et je ne regrette pas mon choix. Voilà.

Mickaël : Au niveau de tes symptômes anxieux, tu évoques des crises de pleurs, des manifestations anxieuses sous forme de plaintes auprès de ton entourage. Est-ce que tu as aussi eu des manifestations physiques ?

Leila : Totalement, et c’est très bien que tu en parles parce que souvent les gens n’en parlent pas suffisamment. Moi pour ma part ça a commencé en fait… En fait là où j’ai vraiment compris que j’étais extrêmement anxieuse c’est justement le moment où ça a basculé d’une anxiété plutôt légère à une anxiété où en fait j’avais des insomnies, des troubles du sommeil, je me levais plusieurs fois au milieu de la nuit, je n’arrivais pas à me rendormir. En général l’endormissement le soir était très rapide puis je me réveillais super tôt. Surtout pendant ma dépression, j’avais juste envie de dormir tout le temps et c’était impossible de dormir. Et après… De l’autre côté j’avais aussi, j’ai commencé à avoir des troubles du comportement alimentaire… Même si je ne sais pas totalement… oui, on peut parler de TCA, mais j’ai encore du mal avec cette terminologie. En fait, il y a eu plusieurs phases. Quand j’étais à Menton, quand ça n’allait pas je ne mangeais plus. Je pouvais rester toute la journée en mangeant… Quand je mangeais, je mangeais n’importe quoi, je mangeais des bâtonnets de surimi parce que ça me faisait plaisir ! Si on peut parler de plaisir… Quand je suis arrivée à Paris c’était un peu l’inverse, dès que j’étais stressée je mangeais parce que manger permet de ne pas penser, de penser à ce qu’on est en train de manger et de ressentir un minimum de plaisir. Parce que j’adore manger donc ça me faisait énormément de bien. Et j’ai eu, petite anecdote, je passais tout mon temps à manger des surgelés Picard parce que j’étais incapable de cuisiner, je connais vraiment toutes les recettes Picard sur le bout des doigts… Mais j’ai eu aussi récemment vraiment sentir l’anxiété physiquement, avec une boule dans la gorge… Je ne dirais pas que c’étaient des crises d’angoisse, je n’irai pas jusque-là, mais c’était plus je me sentais un peu oppressée, et puis… des pensées qui tournaient beaucoup en boucle.

Mickaël : Et sur ces pensées qui tournent en boucle, est-ce qu’il a des thèmes récurrents ou c’est tout ce qui se passe par l’esprit ?

Leila : Bah je dirais qu’à l’époque quand j’ai commencé ma dépression ça a commencé par des idées qui tournent en boucle parce que… je me sentais pas à ma place en droit éco, et je commençais à me dire je ne vais pas réussir, ça va être trop compliqué, je suis complètement débile. Maintenant je n’ai plus trop de pensées qui tournent en boucle. Dans les premières phases de rétablissement c’était surtout est-ce que ça va aller mieux, est-ce que je vais m’en sortir, est-ce que je vais vivre comme ça toute ma vie ? Donc sur mon état et comment ça allait évoluer au cours du temps, combien de temps ça allait prendre, ces questionnements-là.

Mickaël : Tu nous dis que tu avais du mal à trouver ta place à Science Po parce que tu ne te sentais pas légitime à y être. Mais est-ce que tu arrivais quand même à te faire des camarades, des amis, ou est-ce que tu étais totalement isolée par cette angoisse d’être dans un milieu que tu considérais ne pas être le tien ?

Leila : Alors j’ai eu extrêmement de chance parce qu’à Menton on est un petit campus, on est en tout au total trois cents. J’ai eu énormément de chance parce que le fait que le campus soit petit, on se connaissait tous, on était là que pendant deux ans donc on était d’autant plus proches, il y avait des soirées tout le temps et mon anxiété ne m’empêchait pas d’y participer. Et en fait j’ai eu la chance de rencontrer dès la première semaine une amie qui venait du Maroc justement comme moi, et ensuite j’habitais dans une sorte de villa qui s’appelait la villa jasmin, où il n’y avait que des filles de Science Po. Et cette amie a été très présente, on ne se connaissait pas, elle a monté des plateaux-repas dans ma chambre parce que je n’arrivais pas à descendre manger, elle a été présente, j’ai pu pleurer devant elle sans qu’il y ait de jugement. Et puis je me suis fait un groupe d’amis en fait avec lesquels je suis toujours très proche aujourd’hui et qui ont été très présentes quand je suis arrivée sur Paris et que j’ai eu de nouveau des problèmes d’anxiété et de dépression. Elles étaient vraiment au top, elles demandaient tout le temps de mes nouvelles, elles passaient me voir. J’aimerais que toutes les personnes qui passent par ces phases-là soient autant entourées que je l’ai été !

Mickaël : C’est un véritable problème ce que tu viens de mentionner, le fait que les personnes qui souffrent de troubles psychiques, anxieux, dépressifs ou d’autre nature, ont souvent du mal à faire comprendre à leur entourage parce que ce sont des troubles qui sont invisibles, qui sont méconnus, qui sont souvent médiatisés de manière spectaculaire parce qu’il faut que ce soit télévisuel, télégénique. Tu as eu cette chance d’avoir des amies qui t’entouraient, qui te soutenaient et qui avaient beaucoup d’empathie. Ça pose la question du regard de la société en général vis-à-vis de la santé mentale. Tu as grandi au Maroc… En France, la santé mentale, c’est un sujet totalement tabou, on connait peu de personnes qui parlent ouvertement de leur santé mentale contrairement aux États-Unis par exemple où beaucoup de personnes ont fait une sorte de coming-out psychiatrique où elles disent qu’elles souffrent de telle ou telle pathologie. C’est souvent plus ou moins bien accueilli, mais il y a moins de tabous. Au Maroc ça se passe comment ?

Leila : Je vais parler de ce que je sais. Je viens d’une famille où mes deux parents sont pharmaciens, donc j’ai grandi dans un milieu assez médicalisé. Et en fait autour de moi je ne connaissais pas énormément de personnes qui avaient vu des psychologues ou des psychiatres. J’avais une amie qui m’avait dit un jour qu’elle voyait une psychologue. Elle était franco-marocaine et c’était plutôt sa mère français qui l’avait poussée à aller voir une psychologue dans le cadre du divorce de ses parents. Après c’est vrai que moi avec mes parents on n’a jamais eu de conversation sur la santé mentale, je ne sais pas si c’est une chose qui se fait en France, mais au Maroc on n’en parle pas du tout. Pareil dans les médias c’est très stigmatisé. Je dirais que ce ne n’est même pas présent dans l’espace public, je n’ai pas souvenir d’avoir parlé de santé mentale au Maroc, je n’ai pas souvenir de campagne de sensibilisation, je ne sais absolument pas comment fonctionne le système, le parcours de soins… Et c’est encore très tabou d’en parler, c’est à dire que même moi là je viens témoigner et très souvent quand j’en parle avec des amis du Maroc je choisis beaucoup les personnes à qui j’en parle parce que je sais qu’elles peuvent porter un regard parfois stigmatisant ou qu’elles ne vont pas comprendre. Mais je dirais que ce n’est pas une problématique seulement du Maroc, parce qu’en France aussi c’est le cas encore, même s’il y a beaucoup de campagnes de sensibilisation mais je dirais que ces campagnes arrivent encore à capter l’attention des personnes concernées et par leur entourage, et pas des personnes qui n’ont personne de leur entourage touché par ces questions-là. Moi pour être sincère même mes amies qui ont été très présentes, j’ai eu une conversation récemment avec l’une d’entre elles, elle m’a avoué qu’à Menton elle ne comprenait pas ce qu’il se passait et parfois elle se demandait si ce n’étaient pas des caprices que je faisais parce que j’étais loin de ma famille. Je pense qu’il ne faut pas en vouloir à la société de ne pas être éduquée sur ces sujets-là. Pour moi il faut être proactif et justement faire des podcasts comme tu le fais, faire de la sensibilisation, en parler et quand on est touché par ces questions-là arriver à prendre le temps d’expliquer à ses proches. Ce n’est pas forcément simple. Moi j’ai eu peur avec mes parents, je ne leur ai pas dit que j’étais allée voir un psychiatre au début, j’avais très peur de ce qu’ils allaient penser même s’ils sont dans le milieu de la santé. Et quand je leur ai parlé je me suis rendue compte qu’ils n’avaient pas tellement de préjugés en fait, et que c’était beaucoup moi qui m’autostigmatisais. Et ça c’était un grand problème l’autostigmatisation, on va penser ça de moi parce que j’ai un diagnostic… Et si je peux aussi dire autre chose, c’est que en fait le diagnostic c’est important, mais très souvent on s’enferme dans des cases quand on nous parle de ce diagnostic-là, on s’autostigmatise soi-même, on s’enferme et on empêche un peu notre rétablissement à travers ces diagnostics.

Mickaël : Donc finalement ton anxiété était présente pendant de nombreuses années comme tu l’as dit, depuis que tu étais enfant. À quel moment elle t’est apparue comme étant suffisamment problématique pour aller chercher de l’aide ?

Leila : Je ne suis pas totalement allée chercher de l’aide, au début, parce que je ne me rendais pas compte forcément du problème. Au début ce qui s’est passé c’est que j’étais en master de droit et en fait j’ai commencé très tôt à m’isoler, j’étais angoissée par l’anniversaire dont on parlait, je me disais je vais perdre deux heures de ma vie, plus le transport, trente minutes aller trente minutes retour… Je me suis rendue compte petit à petit, en fait, c’est-à-dire que j’étais devenue très stricte sur le temps, je prenais le temps de rien faire pour moi-même et tout était centré autour de mes études. Par exemple, je me souviens qu’entre chez moi et ma station de métro j’avais sept minutes, c’étaient sept minutes que je mettais à profit pour réciter dans ma tête ce que j’avais appris. Pareil pour le métro je pourrais lire un livre, je me laissais pas du tout souffler. Et ce qui s’est passé c’est qu’à force de pas sortir, de pas s’oxygéner, j’ai commencé à vraiment ne pas… j’arrivais plus du tout à réfléchir. J’ai eu… Je me souviens, je me suis dit là tu commences à craquer, j’avais un cours d’espagnol et j’avais un exposé d’espagnol vraiment tu fais des recherches en deux minutes et tu as ton exposé d’espagnol… Je n’arrivais pas à comprendre ce que je lisais, vraiment des trucs tous simples, et je me souviens qu’à ce moment-là, il y avait ma mère qui était venue et je me suis mise à pleurer, j’arrêtais pas de pleurer toute la journée, elle m’a dit là c’est bon ça suffit, arrête de pleurer, calme-toi, ce n’est que tes études ! Et là j’ai dit à ma mère j’ai besoin d’aller voir quelqu’un, ça ne va pas du tout. Et ma mère, on était en France, elle vit au Maroc, elle connaissait personne en France, pas de psychologue, elle savait pas, même l’univers des psychologues ou des psychiatres elle savait pas du tout. On a demandé à une de mes amies qui connaissait quelqu’un qui avait vu un psy… j’y connaissais rien ! Je me suis retrouvée à aller voir une psychologue psychanalyste, c’était pas… Elle était bien, mais pas pour moi. Et j’ai continué quand même à la voir, parce que c’était la seule personne à qui je pouvais m’accrocher et qui m’écoutait me plaindre, j’avais légitimement le droit de me plaindre, j’y allais toutes les semaines, tous les jeudis. Et ce qui me faisait tenir d’une semaine à l’autre c’était de me dire cette semaine je vais voir ma psy, et je vais pouvoir lui raconter ce qui ne va pas, en fait je ne comprenais pas trop comment… je ne comprenais vraiment pas comment la psychologie fonctionnait à l’époque ! Et donc je me disais cette semaine ça va pas, mais peut être que la semaine prochaine ça ira mieux, et peut être qu’en lui parlant y’a quelque chose qui va se débloquer… Une vision très mystique de la psychologie, je me disais un peu baguette magique, elle va réussir à me débloquer ce qui ne va pas. Le semestre est passé, j’allais un peu comme un zombie en cours, je n’écoutais absolument rien… je faisais mine de prendre des notes pour donner l’impression que j’écoutais aux profs, qui en fait s’en moquaient un peu, eux venaient là pour donner leurs cours et moi je leur disais pas plus que ça que ça n’allait pas. Et au final il y a eu la fin du semestre, je suis rentrée au Maroc, là mes parents ont vraiment vu que ça n’allait vraiment pas parce que j’arrivais pas à suivre les conversations en fait, et je répétais tout le temps les mêmes choses. Et puis au final je me suis retrouvée en fait à revenir tout simplement en France pour faire mon semestre de césure. Et il y a eu une semaine où je me suis dit Leila, ça ne va pas du tout, le stage je ne vais pas pouvoir faire la comédie comme je fais actuellement en cours, il va falloir que je travaille et je suis incapable de travailler à l’heure actuelle. Donc j’ai fini par me dire OK faut que je vois un psychiatre, je me suis dit là c’est pas un psychologue qu’il te faut, là c’est médical, à l’époque j’étais un peu persuadée que biologiquement il y avait quelque chose qui avait capoté dans mon esprit. Et donc je me disais je vais aller voir un médecin et ça va se régler. Et j’ai pu avoir par le biais d’une connaissance le contact de ma psychiatre que je vois toujours actuellement. Et c’est à partir de là que j’ai vraiment pu poser un diagnostic et que j’ai pu commencer à avancer en fait. Mais avant le diagnostic c’était très compliqué d’avancer.

Mickaël : Et à partir de ce diagnostic, tu as bénéficié de quel type de prise en charge auprès de cette psychiatre ?

Leila : Ce qu’elle m’a dit c’est que j’étais, que j’avais un trouble anxieux généralisé et que petit à petit ça s’était transformé en dépression. Et en fait dès le début elle m’a conseillée de prendre des antidépresseurs et de faire de la psychothérapie. Moi j’étais plutôt partante pour les antidépresseurs parce que je sentais au plus profond de moi que la parole, ça ne suffirait pas et que j’avais besoin de quelque chose de chimique qui rééquilibrerait mon organisme. Et du coup j’ai aussi fait de la psychothérapie avec elle, parce qu’elle est psychiatre psychothérapeute. Et ça on en parle pas assez, je trouve, parce qu’il y a des psychiatres qui ne sont pas psychothérapeutes et les gens ne le savent pas, du coup ils vont juste voir des psychiatres qui vont leur prescrire des médicaments. Les médicaments seuls c’est juste pas possible quoi !

Mickaël : C’est vrai que ce que tu dis, c’est ce qui est recommandé dans la littérature médicale. Pour traiter ce type de troubles, il faut à la fois une béquille d’urgence quand les troubles deviennent trop pesants, qui peuvent être des antidépresseurs ou des anxiolytiques selon la situation. Mais qui doivent être accompagnés d’une psychothérapie de soutien ou d’autres types qui peuvent agir plus sur les symptômes en eux-mêmes, comme les thérapies comportementales et cognitives qui peuvent agir sur les troubles anxieux ou les troubles dépressifs. Et du coup le type de psychothérapie qu’elle t’a proposée, c’était de quel type ?

Leila : Alors moi du coup ma psychiatre a une approche plutôt intégrative, pour expliquer un peu c’est une approche centrée sur le patient où le psychiatre va un peu piocher de différents courants de pensée, de différentes techniques pour s’adapter au patient, et les séances chez le psychiatre je ne savais pas du tout, mais c’est assez court en fait ! Ça dure un peu moins de trente minutes, ce qui n’est pas non plus énorme. Je la voyais en fait toutes les semaines et ça m’a énormément aidée à avancer. C’était surtout, comment elle fonctionnait, elle me posait des questions auxquelles je ne pensais pas en fait. Je sais que certaines de mes amies ou connaissances ont pu voir des psychiatres qui n’avaient pas du tout la même méthodologie, qui eux leur donnaient des exercices à faire entre les séances. Moi c’était pas du tout le cas. En fait je ne me rendais pas bien compte que je changeais, mais à force de se poser les bonnes questions on finit par faire des choix. Et j’ai trouvé ça très adapté à ma personne et à ma personnalité parce que je n’aime pas qu’on m’impose des choses, j’aime prendre le temps de réfléchir, de comprendre le pourquoi du comment, de peser le pour et le contre, et elle m’a vraiment poussée vers ça et j’ai trouvé ça parfait pour moi.

Mickaël : Avant notre rencontre quand tu as pris contact avec moi tu m’as envoyé une version écrite de ton témoignage dans laquelle tu évoques justement ce traitement médicamenteux, antidépresseur que tu as eu. Dans cet écrit tu dis que tu as pas mal réfléchi avant d’aborder cette question parce qu’en général ces traitements sont assez mal vus par la société. Est-ce que tu as eu l’occasion d’aborder ce traitement avec tes amis, ta famille, et quelles ont été les réactions quand tu as dit que tu prenais des médicaments ?

Leila : Alors moi j’ai eu beaucoup de chance aussi parce que mes parents sont pharmaciens encore une fois, et donc il m’a semblé très logique de leur en parler. D’abord pour avoir leur opinion, avoir une seconde opinion que celle de ma psychiatre. Et parce qu’aussi je ne me voyais pas mentir à mes parents sur ce qui est le cœur de leur métier ! j’en ai parlé à mes parents qui au début étaient plutôt sceptiques sur la chose parce qu’ils voient beaucoup de gens prendre des antidépresseurs et ils ne voulaient pas que je rentre dans cette phase-là. Puis je leur ai expliqué que j’en avais vraiment besoin, ils ont compris et ils ont été très présents, ils m’ont demandé comment ça se passait. Ça, c’était vraiment génial. Après pour mes amis j’en ai parlé à certains de mes amis, et je l’ai fait petit à petit, je ne l’ai pas dit à tout le monde en même temps. À chaque fois que je trouvais le moment opportun, j’en parlais. Et en fait j’ai été plutôt agréablement surprise, quand on en parle tranquillement les gens accueillent plutôt bien la chose. Après il faut savoir que j’ai un entourage très bienveillant, je n’ai pas du tout d’amitié toxique ou voilà. Ça a été plutôt bien perçu. C’est plutôt du côté de moi où ça a été… Au début je le prenais parce que j’en avais absolument besoin. Et c’est au moment où tu commences à te sentir mieux, tu as envie de l’arrêter parce que tu te dis je commence à aller trop bien et tout, là à ce moment-là je me suis dit que c’était peut-être le moment d’en parler avec ma psychiatre pour voir un peu comment moi-même je percevais les antidépresseurs. Et je pense que c’est très important de parler de sa perception de prise de médicaments et ce que ça implique pour nous. Parce que pour moi ce n’était pas si évident que ça de me dire que je pouvais pas me débrouiller moi-même et que j’avais besoin d’une béquille pour pouvoir avancer.

Mickaël : Donc cette psychiatre tu continues à la voir encore aujourd’hui tu nous as dit, mais est-ce que tu considères que tu vas mieux ?

Leila : Alors oui, je vais mieux ! Mais je continue à la voir parce que tout simplement je considère ça un peu plus comme du développement personnel. Et je continue à la voir parce que je continue encore mon traitement aujourd’hui et encore une fois je pense que prendre des médicaments sans psychothérapie c’est vraiment à proscrire, à bannir, tout ça ! J’ai beaucoup moins de… je suis sortie de cette phase de boucles de pensée, et aussi… Ça m’arrive bien sûr d’avoir des moments où ça va moins bien, mais je pense que c’est un peu comme tout le monde, on n’est pas une ligne droite, on fait des petites vagues ! Mais globalement… Ça m’a pris un an quand même pour commencer à me sentir mieux. Et pourtant j’ai dit plusieurs fois à ma psy que je voulais arrêter de la voir parce que je me sentais mieux, mais en fait tous les deux mois presque je commençais à lui dire ça, mais en fait tous les deux mois j’allais mieux que les mois précédents. Donc je vois vraiment l’impact que cette psychiatre a eu sur ma vie et aujourd’hui je continue à la voir parce que… je suis vraiment heureuse d’aller la voir et je ne le perçois plus comme je suis malade, donc j’ai besoin d’aller voir un médecin, je le vois vraiment comme j’ai envie de prendre soin de ma santé mentale donc je vais voir un psychiatre et je lui parle de ce qu’il se passe dans ma vie pour éviter aussi, je sais qu’il y a des risques de rechute donc je fais très attention à ça, et aussi j’ai beaucoup à cœur les questions de santé mentale donc je fais attention. Je ne le fais pas uniquement pour moi, mais je le fais aussi pour m’informer et rester très sensible à ces questions-là.

Mickaël : Les questions sur la santé mentale sont des questions qui te tiennent beaucoup à cœur, et dans ce cadre tu as cofondé l’association stimuli à Science Po. Est-ce que tu peux me dire de quoi il s’agit ?

Leila : j’ai cofondé cette association en décembre 2020 et en fait ça tombait pile au moment où… il y a eu le Covid et ensuite il a commencé à y avoir beaucoup de médiatisation des questions de santé mentale en milieu étudiant. Et en fait c’était vraiment une coïncidence parce que j’avais commencé par lancer un groupe sur Facebook pour les étudiants de Science Po, qui s’appelait Brisons ensemble le tabou sur la santé mentale. Et c’était un groupe où je partageais énormément de questionnements, de références de livres à lire, ou de podcasts, ou de séries à regarder. J’avais aussi créé une petite newsletter que j’envoyais aux gens qui se sentaient concernés par ce sujet-là. Et j’avais beaucoup hésité à commencer stimuli tout simplement parce que j’avais très peu de commencer à parler de santé mentale, sachant que je ne suis pas encore rentrée dans le milieu professionnel totalement, et j’avais très peur du point de vue de mes futurs recruteurs, voir santé mentale et cofondatrice d’une association sur la santé mentale ce soit extrêmement stigmatisant. Je me suis dit je vais commencer par un groupe Facebook, c’est assez intime. Et au final, je me suis beaucoup posé la question, j’ai beaucoup parlé à des professeurs à Science Po qui chacun avaient leur avis, j’ai eu des avis très positifs comme des avis beaucoup plus prudents. Et au final, j’ai fini par me dire OK, si je ressens le besoin de créer cette association ce n’est pas pour rien et je sens que je peux faire de bonnes choses avec donc il est temps de se lancer. Et pour t’expliquer un peu ce qu’on fait chez Stimuli, donc on est une toute petite association à Science Po, on n’a pas encore été déposé en loi 1901 on va le faire en été. On est 5 personnes et on cherche à sensibiliser les étudiants de Science Po et les étudiants de manière générale sur trois axes, qui sont prévenir, orienter et informer. L’idée c’est d’être pour l’instant, vu qu’on est dans un contexte de différenciation sociale, très présents sur les réseaux sociaux, on fait beaucoup de contenu sur Instagram, on essaie d’être présents sur Twitter et sur Facebook, et à travers notre site internet. On essaie d’être très présents sur ces questions-là, partager des références, des podcasts, essayer d’interagir aussi avec la communauté Instagram, leur poser des questions, essayer de savoir ce qu’ils ne savent pas, ce qu’ils aimeraient savoir. Et idéalement ce qu’on aimerait faire, c’est vraiment essayer de faire rentrer beaucoup plus ces questions de santé mentale dans la normalité à Science Po. Moi c’est ce que j’ai connu, Science Po, je sais qu’il y a des associations autour de ça, mais je voulais vraiment quelque chose qui soit centré sur les étudiants et sur les étudiants plus précisément d’écoles considérées comme prestigieuses et où c’est beaucoup plus tabou de parler de santé mentale.

Mickaël : Comme tu le disais, on est dans une période où les étudiants sont invités à suivre les cours majoritairement depuis chez eux. Donc il y a très peu de présence sur les campus, ce qui est forcément défavorable pour le milieu associatif, qui ne peut exister que par les moyens numériques actuellement. Est-ce que vous avez des projets pour la rentrée de l’année prochaine quand les cours pourront, on l’espère, reprendre en présentiel ?

Leila : Alors dès à présent ce qu’on cherche à faire c’est créer des sortes d’événements en ligne. On fait un partenariat avec une plateforme de cercles de parole en ligne qui s’appelle Kalima. On cherche justement à introduire le concept de cercle de parole à Science Po et donc avoir des médiateurs qui sont formés pour permettre aux étudiants de venir s’exprimer sur des sujets qui leur tiennent à cœur, avec d’autres étudiants de Science Po ou d’autres générations, c’est très intergénérationnel. Après à la rentrée ce qu’on aimerait faire, on a plusieurs projets, d’abord en présentiel on aimerait beaucoup faire des conférences de sensibilisation à la santé mentale avec des professionnels, éventuellement des étudiants qui pourraient venir témoigner de leur expérience, essentiellement des étudiants du premier cycle de Science Po, qui arrivent en licence, ou des étudiants qui arrivent en master, parce qu’ils ne sont pas nécessairement venus de Science Po et je pense que parler aussi du syndrome de l’imposteur c’est quelque chose qui fait être abordé, et notamment l’idée d’être à Science Po qu’est-ce que ça signifie, et pourquoi il ne faut pas se mettre autant la pression par exemple. Parler d’anxiété, parler des handicaps psychiques, et j’aimerais beaucoup cet été travailler avec une consultante en santé mentale pour créer une sorte de brochure, d’outil en santé mentale, un annuaire en santé mentale. Et puis notre dernier projet, ce serait de commencer un podcast aussi sur la santé mentale, on ne sait pas encore totalement comment on va le faire, mais c’est un projet qui est en cours de maturation pour l’instant.

Mickaël : Au-delà des consultations avec ta psychiatre, est-ce que tu as eu recours à d’autres activités qui t’ont fait du bien, est-ce que tu t’es rapprochée d’associations, est-ce que tu as des lectures que tu pourrais recommander à des personnes qui traversent des périodes similaires à ce que tu as pu connaître ?

Leila : Oui, j’ai regardé énormément de sites d’associations et parmi celles qui m’ont le plus aidé sur l’information en santé mentale je citerais la Fondation FondaMental, Argos 2001 plutôt pour les troubles bipolaires, l’Œuvre Falret, et puis au-delà des associations les ressources que j’ai pu utiliser c’est pas mal de podcast notamment Spleen et le podcast qui n’est pas vraiment axé santé mentale médicalisée, mais plus sur les émotions, le podcast Émotions de Louie Media qui est vraiment extrêmement bien fait et qui permet de se poser des questions sur ça. Et en ce moment je suis en train de lire un livre qui s’appelle l’état d’urgence psychiatrique qui a été écrit par le Professeur Marion Leboyer qui est la directrice de la Fondation FondaMental et c’est un livre que je vous conseille de lire parce qu’il parle de comment a été construite toute l’idée de sectorisation en psychiatrie. Ça parle de stigmatisation, d’autostigmatisation, et aussi de la stigmatisation que peut subir le personnel soignant. Et enfin si je peux vous conseiller une série ce serait Mental, qui est une série sur France TV/, qui est une série extrêmement bien faite qui suit des jeunes en pédopsychiatrie et démystifie vachement les préjugés qu’on peut avoir sur l’hospitalisation.

Mickaël : À titre plus personnel, si tu devais te décrire en un mot ce serait quoi ?

Leila : Si je devais me décrire en un mot ! En ce moment, c’est pas pour me flatter, mais on me dit beaucoup que je suis un petit soleil parce que j’essaie justement de diffuser des bonnes ondes autour de moi. Si je devais me décrire ce serait le mot empathie. Et je ne l’ai pas été toujours, c’est récemment suite à mon histoire que j’ai beaucoup développé toutes ces questions d’intelligence émotionnelle, d’empathie, d’écoute de l’autre, de compréhension de l’autre.

Mickaël : Après ton Master est-ce que tu as des projets professionnels ou est-ce que c’est encore trop tôt pour y penser ?

Leila : Alors moi je suis en master marketing, et pour l’instant je suis encore, je commence mon stage de césure le semestre prochain, et je suis plutôt intéressée par les études marketing, les instituts d’études qualitatives, qui est plutôt le pendant psychologie du consommateur qui m’intéresse énormément. Mais après je me pose beaucoup de questions sur la recherche et notamment la recherche en neurosciences et sciences cognitives et comportementales. C’est une voie possible, mais je ne me mets pas trop de pression parce que c’est ce que j’ai eu tendance à faire ces dernières années et on a pu le voir avec le Covid, tout n’est pas sûr, il faut avoir des projets, mais il faut être prêt à être capable de faire preuve de résilience si on n’arrive pas à atteindre ces projets-là.

Mickaël : Tu mentionnes cette crise du Covid qu’on est en train de vivre depuis maintenant un peu plus d’un an, est-ce que ça a eu des répercussions sur tes troubles anxieux, sur ta dépression ? Est-ce que ça a eu des répercussions à ce niveau-là ?

Leila : Je pense qu’on ne peut pas nier l’impact du Covid sur la santé mentale, qui qu’on soit, ça a eu un impact sur nous parce que ça a totalement changé notre vision du monde, notre relation aux autres aussi. Mais après personnellement j’étais tellement plongée dans le rétablissement de ma dépression que je n’ai pas senti le Covid de la même manière que les autres je pense, parce que je… paradoxalement je suis un peu en train de vivre les meilleurs moments de ma vie parce que je me sens enfin consciente de moi-même et pas victime de mon anxiété. Donc je dirais que je ne suis pas tant que ça impactée par le Covid. Je n’ai pas l’impression que ça ait augmenté mon anxiété. J’essaie de voir des amis et même avec le Covid je fais beaucoup plus de ballades, justement, et ça, ça fait extrêmement du bien, je conseille vraiment à tout le monde de faire ça parce que c’est ce qu’on peut faire en ce moment !

Mickaël : Justement est-ce que tu aurais des conseils d’activité à donner qui te font du bien au niveau mental ?

Leila : Alors moi ce que j’ai fait, j’ai acheté un petit carnet en fait, je l’avais acheté à la Fnac, ça s’appelle, je crois, 5 années d’écriture, peut-être, c’est un petit livre rouge et or, c’est un livre qui chaque jour te pose une question à laquelle tu vas devoir répondre pendant 5 ans, et tu peux voir au fil du temps l’évolution de tes questionnements. Et ça me fait beaucoup de bien de voir la différence et l’évolution que j’ai pu vivre, les questionnements qui sont différents. Par exemple j’avais écrit à un moment la question du jour c’était qui admirez-vous, j’avais écrit toutes les personnes qui arrivent à s’exprimer en public. Aujourd’hui j’ai pris confiance en moi et je n’ai absolument pas de mal à parler en public alors qu’avant c’était une sorte de phobie, j’avais les mains moites. Donc voilà je vous conseille ça, l’écriture, et puis aussi le coloriage, je trouve que ça fait extrêmement de bien, j’ai commencé ça pendant le confinement et vraiment c’est un pur bonheur, je fais ça quand je suis trop stressée ça me permet de penser à autre chose et de vraiment me concentrer sur les couleurs que je vais utiliser, sur la manière dont je vais colorier… Ça fait vraiment beaucoup de bien !

Mickaël : est-ce que tu vois des choses qui seraient à même de faire évoluer le regard de la société sur les troubles psychiques ?

Leila : C’est une question compliquée que tu me poses là ! Je vais essayer d’y répondre… C’est ce que j’essaie de faire au travers de mon association, l’idée c’est vraiment d’essayer de parler de plus en plus de ces choses-là et de normaliser la chose comme les autres maladies, quand il s’agit d’une maladie parce que la santé mentale ce n’est pas seulement les maladies, ce n’est pas que les troubles psychiques, que le diagnostic, c’est aussi tout simplement trouver son équilibre au quotidien. Donc je dirais vraiment commencer à en parler en public, commencer comme on le fait là à en discuter, à parler vraiment de ce qu’on ressent. Aussi, viser les bons publics, voir quels sont les publics qui sont concernés par ces questions-là. Pourquoi je m’intéresse vraiment aux jeunes, évidemment parce que je suis jeune, que j’ai été touchée en étant jeune ! mais aussi parce que j’ai lu que la majorité des troubles psychiques arrivent entre début/fin de l’adolescence et ses vingt-cinq ans et que je me suis dit que c’était tout simplement scandaleux que cette information je l’apprenne seulement à vingt-trois ans parce que j’ai vécu une dépression et que tout le monde devrait être au courant de ces chiffres-là. Et enfin j’essaie justement de partager beaucoup de campagnes de sensibilisation autour de la santé mentale, si je peux vous en conseiller une ce serait d’aller voir la campagne de sensibilisation de 2018 de la fondation Pierre Deniker, qui s’appelle « Et toi, ça va ? », c’est un court métrage de dix minutes qui parle de la dépression et vraiment il est extrêmement bien fait et ça parle à la fois du sentiment de la personne, mais aussi de l’entourage.

Mickaël : est-ce que tu as un message d’espoir à faire passer à ceux qui traversent une mauvaise passe sur le plan de leur bien être mental ?

Leila : totalement ! D’abord parce que c’est quelque chose que j’aurai voulu entendre quand je suis passée par là. C’est peut-être un peu cliché de dire ça, mais c’est quelque chose que ma mère me répétait régulièrement, qu’il y a toujours une lumière au bout du tunnel, et c’est cette petite image quand on a une grande feuille blanche et on a un point noir, et notre vie c’est toute cette feuille blanche là et le point noir c’est le malheur qu’on traverse à ce moment-là. Et en fait surtout dites-vous que cette expérience que vous allez vivre vous ne la vivez pas pour rien et qu’elle va vous apporter énormément de confiance en vous et d’estime de vous, même si c’est compliqué de le vivre.

Mickaël : Est-ce que tu as des projets personnels dont tu voudrais nous faire part ?

Leila : Alors oui, en ce moment je me pose beaucoup de questions sur le bénévolat, notamment dans le secteur de la santé et plus particulièrement dans le secteur de la santé mentale, mais je ne sais pas totalement si je suis prête à être confrontée à ça, moi-même étant passée par là, et je ne sais pas à quel point je pourrais être utile à des patients ou à des personnes qui passent par des moments de crise, n’étant pas moi-même dans le milieu médical, ce qui me permet de parler justement de ce concept de pair aidant, qui n’est pas encore très connu en France voire pas du tout et qui se développe plutôt dans le monde anglo-saxon, et moi je crois beaucoup en cette théorie de la pair-aidance même si j’ai l’impression que dans le milieu médical on est plutôt réticent à ce que des patients ou des personnes qui sont passées par la dépression viennent aider d’autres personnes qui vivent des moments compliqués. Mais c’est un sujet qui est abordé aussi dans la série Mental, dans la saison 2 ils commencent vraiment à aborder ça à travers un personnage, et je pense que c’est très intéressant. Donc voilà, je ne sais pas trop si je veux vraiment m’impliquer dans le bénévolat parce que je ne sais pas si mentalement je suis prête à le faire, mais c’est un sujet qui m’interroge, car je veux donner à ce milieu-là, aux associations qui contribuent vraiment à aider les patients, à lutter contre la stigmatisation et l’autostigmatisation.

Mickaël : Et bien c’est encore un très beau projet ! Tourné vers l’autre, pour aider l’autre à se trouver, à trouver sa place à travers ce que tu as vécu, comment tu t’en es sortie. Je pense que ton expérience est très enrichissante et que tu pourras apporter beaucoup aux personnes qui ont vécu des périodes similaires. J’espère que tu continueras sur cette dynamique positive, parce qu’en tout cas ton parcours est très intéressant et tes projets le sont aussi.

Leila : Merci beaucoup Mickaël !

Mickaël : Merci à toi d’avoir participé à cette émission et je te souhaite tout le succès pour la suite de tes études.

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