"Le temps est passé et petit à petit j'ai pu voir que cette petite tache grandissait."

VITILIGO — Dans un autre épisode, nous vous parlions de notre rapport à notre corps. Qu’en est-il quand on prend aussi en compte le miroir que sont les yeux de l’autre ?

Si la maladie psychique est invisible, d’autres maladies sont dites affichantes. C’est notamment le cas de maladies de la peau. Cette dernière en porte visiblement les stigmates, jusqu’à ce qui nous représente le plus fondamentalement : notre visage.

Pour en parler, nous recevons aujourd’hui Charles, un quadra qui vit avec le vitiligo, une maladie auto-immune caractérisée par la présence de zones de depigmentation de la peau. Il nous parle des répercussions psychosociales de sa maladie.

Vous écoutez les Maux Bleus, en partenariat avec l’Association Française du Vitiligo.
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Charles, pour l'Association Française du Vitiligo

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Retranscription par Unt’ Margaria

Mickael : Bonjour Charles.

Charles : Bonjour Mickael.

Mickael : Merci d’avoir accepté notre invitation à participer à cette émission. Donc aujourd’hui, on va parler d’une maladie qui est finalement assez peu connue encore aujourd’hui, qui est le vitiligo. Est-ce que tu veux bien nous dire ce que c’est, avec tes propres mots ?

Charles : Alors avec mes propres mots, le vitiligo je sais que c’est ce qu’on appelle une maladie auto-immune, de mémoire, c’est une maladie où ton corps se retourne un peu contre toi, pour des raisons qu’on ne comprend pas toujours… La recherche a fait un peu des progrès là-dessus. Et c’est une maladie de peau qui se manifeste par une dépigmentation. Donc très concrètement, c’est l’apparition de taches ou de plaques sur le corps, qui sont évolutives, chroniques, un peu aléatoires dans le gré du quotidien et du temps. C’est ma définition.

Mickael : Tu as utilisé deux mots, tu as dit taches et tu as dit plaques. Lequel est-ce que tu préfères qu’on utilise ? Parce que finalement les deux ne sont pas forcément connotés de la même manière.

Charles : Alors pour ma part c’est plutôt des taches, mais parfois il m’arrive d’avoir des périodes pendant lesquelles les taches s’accumulent un peu et peuvent former des plaques, donc c’est beaucoup plus visible. J’aime bien le mot taches parce qu’on pourrait croire qu’il est connoté négativement, mais ça donne un petit côté artiste et artistique, donc je trouve que c’est connoté un peu esthétique. Et puis « plaque », je trouve qu’il y a une connotation peut être un peu plus médicale. Donc c’est peut-être pour ça que je préfère dire tache, et il y a peut-être plus cette notion de couleur avec le mot tache qu’avec le mot plaque.

Mickael : Est-ce que tu peux nous dire quand les premières taches ou les premières plaques sont apparues ?

Charles : Les premières taches ça a commencé vraiment par des… Par une petite tache, puis une deuxième. Donc c’est arrivé j’avais quatorze ans, j’en ai quarante. C’est arrivé vraiment par le tout petit bout de l’annulaire, le petit bout de l’ongle, une tache comme ça qui est arrivée. Quand on est jeune, très jeune, je pense qu’on n’a pas forcément la notion du temps, donc peu de temps après, je ne serai pas capable forcément de dire combien de temps après, j’ai commencé à en avoir un peu sur une partie de mon intimité. C’est quelque chose que j’ai un peu gardé pour moi, je n’ai pas pensé que c’était nécessaire, je pensais que c’était temporaire, et puis je n’ai pas osé en parler à mes parents de peur qu’on me reproche certaines choses. Parce que comme je viens d’un milieu populaire, je sais que j’étais toujours un peu sur la défensive dès qu’il fallait annoncer un peu des choses. Et puis finalement ma mère en me coupant une fois les ongles a pu voir que j’avais quelque chose, et là j’ai compris qu’il y avait quelque chose d’un peu anormal. Ma mère a cru que c’était une sorte de manque de vitamines, de carence, et qu’il ne fallait pas se faire de souci. Et puis le temps est passé et progressivement, j’ai pu voir que cette petite tache s’agrandissait.

Mickael : Entre la première tache et finalement la deuxième, la troisième, il s’est passé combien de temps ? Ça a pris finalement combien de temps pour évoluer ?

Charles : Alors j’ai eu un début de vitiligo qui a été plutôt lent, en regardant ça rétrospectivement, de mémoire en tout cas dans mon historique à moi j’ai eu une première période autour du vitiligo qui a été un petit peu la découverte, entre la cinquième et la classe de terminale, donc on va dire environ cinq, six ans. Et c’étaient vraiment les prémices, donc je pense que j’ai eu un vitiligo qui était vraiment très très lent, ce qui fait qu’il n’y a pas eu forcément ce sentiment d’urgence, j’ai presque eu l’impression que les choses allaient revenir, que c’était réversible. Mais il y a quand même eu des questionnements beaucoup plus propres, beaucoup plus internes à mon niveau que chez les autres, et avec du recul je vois aussi, ma mère est une personne qui a été victime d’un accident domestique toute petite, elle a été brulée au visage. Donc je pense que du côté de ma maman il y avait aussi cette empathie autour de, d’avoir quelque chose qu’on n’a pas vraiment décidé. Ce qui fait que c’est une maladie, je pense que du côté de mes parents, même à l’heure actuelle mes parents ont toujours été dans une forme de déni, on n’en a jamais parlé, ce qui fait que c’est quelque chose que j’ai porté un peu seul et qui a toujours été un petit peu mis sous le tapis. Sur la durée, il y a eu, il y a eu cinq six ans dans un premier temps, et il y a eu des… Pour aller consulter un généraliste à l’époque, on était au milieu des années 90, je trouve rétrospectivement que je n’ai pas forcément eu beaucoup de prise en… De considération autour de ça, le généraliste, je me souviens… Et pourtant, c’était un médecin de famille, on faisait confiance… À mon niveau, je trouve que le généraliste… Alors je ne veux pas faire de généralités, hein, mais que le généraliste a… Avait un certain poids familial, était écouté par les familles, il y avait moins ce rapport au spécialiste autour, même en allant voir une dermatologue en classe de première, le rendez-vous a duré une minute trente express, et le généraliste avant, le généraliste que j’avais vu avant m’avait dit c’est forcément un champignon, c’est un champignon, je crois que c’est un champignon, donc était un petit peu obstiné à… Il avait ressorti son, je crois que c’est le Vidal, son gros livre, et puis il m’a dit c’est un champignon, je me souviens, un pityriasis versicolore, je me souviens, le nom m’avait marqué ! Il m’a dit vous avez attrapé quelque chose, c’est un champignon, il faut le traiter. Et puis l’ordonnance, c’était une ordonnance à rallonge, avec des produits qu’il fallait se mettre sur le corps, il fallait attendre sans se rincer pendant quinze minutes avec des odeurs de produits très très fort… Ça a été des périodes où j’ai testé des choses et je sentais que physiquement, mentalement, je n’allais pas pouvoir continuer à prendre ce genre de traitements sans être sur que le diagnostic soit bon et puis que je puisse me sentir bien dans le sentiment de me dire que ça servait à quelque chose, donc j’ai finalement décidé d’arrêter. Et quelques années plus tard j’ai pris un rendez-vous chez une dermatologue, un peu par hasard, et j’ai dû, voilà, j’ai dû un petit peu insister auprès de mes parents, parce que mes parents voyaient bien que concrètement ça s’arrangeait pas. Et la dermatologue m’avait reçu en région lyonnaise et m’avait dit c’est pas grave, c’est juste un préjudice esthétique, il faut vivre avec. Et puis je peux rien pour vous, et donc la consultation, faut régler puis faut s’en aller. Donc je trouve qu’avec du recul, les professionnels que j’ai pu rencontrer… Alors peut être que c’était l’époque, que c’était la période, ou peut être que j’étais pas tombé sur des, sur des médecins qui avaient connaissance, alors je leur jette pas la pierre ! Mais je veux dire que quand vous êtes un adolescent et que vous avez pas un soutien familial… Et puis moi, alors peut-être il faut le préciser pour les personnes qui écoutent, je suis d’origine asiatique, je suis originaire de l’Inde, j’ai été confronté au racisme aussi très tôt, donc vous êtes à la fois dans une forme de rejet de qui vous êtes avec votre couleur de peau, les adolescents, les écoliers sont pas toujours très tendre, et puis en plus vous avec quelque chose sur votre peau que vous avez pas demandé, donc une sorte de double peine, et que quand des adultes vous disent ça… Alors quand ça vient des enfants, on est à l’école, ça fait partie des règles du jeu, mais quand des adultes vous disent ça devant vos parents on se sent pas forcément très soutenus ou très compris. Et ça, ça a eu un fort impact. Alors je l’ai pas forcément montré, j’ai vécu avec, mais j’ai eu toute une période de mon adolescence où je me suis senti moins légitime, plus réservé. J’ai le souvenir que sur les photos, alors j’avais à l’époque que sur les mains, donc sur les photos, dès qu’il y avait des photos c’était les mains dans le dos, les poings fermés… Et ça vous oblige à être, moi ça m’a obligé à être dans une forme de vigilance et d’hyper vigilance, dans ce que pouvaient me dire les gens, comment les gens pouvaient me regarder… Peut-être ma manière aussi d’interpréter certains regards, que ce soit dans les transports en commun, que ce soit des regards qui sont pas forcément négatifs, mais cette vigilance accrue fait qu’on devient un peu susceptible… On n’est pas sur le moment présent, on est en train de penser à la place des autres. Donc ça a été une période un peu délicate parce que c’est un moment où j’ai senti que ce qui m’avait fait le plus peur c’était de ne pas savoir à quoi j’allais ressembler. Parce que j’avais conscience que c’était une maladie qui était évolutive, mais que les médecins m’avaient pas donné de conseils sur comment vivre avec au quotidien, des choses qui allaient peut-être me permettre de réduire, d’avoir un peu de… de pouvoir sur tout ça ! J’ai eu la chance après de rencontrer au lycée, d’avoir des camarades… Le lycée je pense que c’est toujours une période où on arrive à, peut être à rencontrer des personnes qui nous ressemblent un peu plus. L’époque de la socialisation, donc on a, j’ai vraiment senti une phase de tolérance avec les camarades de lycée, au contraire je me suis senti plutôt soutenu, parce que j’étais même plus victime de racisme au lycée très honnêtement, mais d’avoir des gens qui acceptent la diversité, j’étais dans un lycée, plutôt dans une commune avec beaucoup de diversité sociale, culturelle, ça a été une période pendant laquelle… Les autres me faisaient pas ressentir le vitiligo, mais c’était moi qui mettais encore beaucoup de, d’interrogations, de pas savoir. C’est une période aussi pendant laquelle on se construit, on essaie de se projeter dans les études, dans les relations amicales, sociales, amoureuses… Et sur le plan sentimental ça a aussi beaucoup joué, parce que le regard de l’autre c’est aussi ce qui nous construit, et que si soi-même on n’est pas très au clair sur son propre regard, c’est difficile de faire une sorte de moyenne dans laquelle on pourrait trouver un petit peu ses aises et avoir le sentiment qu’être juste soi, ça suffit. Ça amène surtout cette question de savoir qui on est vraiment, et qui on sera, et comment les autres nous percevront, et comment on va vivre avec la maladie, parce que dans les faits… C’est plutôt une approche assez inconnue. Et à l’époque on n’avait pas les réseaux sociaux, il n’y avait personne autour de moi qui avait du vitiligo, et donc vous êtes assez alerte, c’était l’époque aussi où les traitements… On parlait pas du tout de traitements, quand un médecin vous dit il faut vivre avec… On n’a pas forcément d’horizon sur est-ce que la recherche s’y intéresse, est-ce qu’on est beaucoup ? Les seules statistiques que j’avais à l’époque, c’était au début d’internet, les années 2000, c’était ça touche 1 % de la population mondiale… Et avec du recul, rien que de savoir que ça s’appelle du vitiligo, c’était déjà quelque chose ! Concrètement j’ai su en classe de première que ça s’appelait du vitiligo, donc entre la cinquième et la première, j’étais avec une, j’étais avec des taches. Et je savais pas si c’était une carence alimentaire, j’étais même pas informé de l’origine de tout ça, si j’avais fait quelque chose de mal, si c’était génétique, ou… Et après j’ai eu la chance un peu par hasard de rencontrer mon professeur de SVT, qui pour le coup lui avait du vitiligo. Et puis j’avais même pas forcément remarqué qu’il avait du vitiligo, et il m’avait donné ce conseil à l’époque, Charles, évite le rasoir électrique, la tondeuse électrique, parce que moi, ça a été mon erreur de jeunesse. Et quand je l’avais regardé de plus près il avait effectivement tout le bas du visage assez décoloré.

Mickael : Entre la cinquième et la première donc tu n’avais pas forcément d’étiquette diagnostic, tu ne savais pas forcément de quoi tu souffrais. D’ailleurs est-ce qu’on peut dire qu’à cette époque tu en souffrais, ou est-ce que c’est quelque chose avec lequel tu vivais, quelle était ta relation un peu émotionnelle avec ces taches alors que tu ne savais pas forcément ce que c’était ?

Charles : Avec du recul, j’en souffrais, j’en ai souffert. J’étais assez seul face à la maladie, seul avec la maladie, j’en parlais même pas avec mes camarades. À la maison c’était quelque chose qui n’existait pas, mes parents… Je me souviens même en étant rentré de ce rendez-vous médical avec la dermato, on avait fermé la porte, la vie reprenait son cours. Tous les matins je me réveillais avec l’espoir de me dire que c’était qu’un cauchemar. Le matin, je me souviens, pendant très longtemps, j’ouvrais mes mains, je regardais… Elles sont là, c’est pas un cauchemar. Progressivement, il faut du temps pour les accepter, et ça a été quelque chose qui a beaucoup joué dans mon estime. Et je priais pour une chose… Quand je dis prier, c’était pas forcément religieux, mais j’espérais que… Je finissais par les regarder mes taches et à me dire j’espère qu’elles sont en train de s’effacer. Alors parfois quand on a le moral on a l’impression que ça repigmente, alors qu’il n’y a rien qui a changé. Et quand on n’a pas le moral, on a l’impression que ça s’est agrandi. Ce qui fait que ça crée des biais dans la manière de percevoir ça au quotidien. Et comme c’est une maladie qui parfois évolue plus vite que votre mental, il suffit que vous traversiez une période un peu de fatigue ou de baisse d’estime de soi pour que tout de suite on s’autodiagnostique au quotidien, donc on est à la fois le patient et le médecin. Vous avez un drôle de rôle parce que vous êtes en train de vous ausculter, et en même temps vous devez vous rassurer comme on rassurerait un patient, ce que les médecins, les médecins que j’avais rencontrés n’avaient pas réussi à faire, il fallait aussi apprendre à s’aimer et apprendre à être tolérant là-dessus, en se disant il y a un lâcher prise à avoir. Ce qui fait que ça m’a amené à être un observateur assez neutre, mais être conscient que j’avais des biais, et que ces biais, plus je les connaissais personnellement, mieux je pouvais vivre avec. Et ce qui s’est passé avec le temps c’est que j’espérais juste que mon vitiligo ne se propage pas ailleurs. Ce qui n’a pas été le cas. Donc après je suis rentré, j’ai fait mes études à l’université, je suis rentré dans la vie professionnelle et lors d’une après-midi devant le Louvre on était avec des collègues, et sur des, il y a des photos qui étaient prises devant la pyramide du Louvre, et sur l’une des photos je ferme les yeux, accidentellement. Et puis en regardant sur mon ordinateur je me dis elle est ratée, cette photo, y’a une tache là… Et puis je me dis qu’est-ce qu’il se passe, je zoome, je me souviens, et sur ma paupière fermée j’ai vu que j’avais une tache blanche sur ma paupière, que je ne pouvais jamais voir parce que quand je me regarde dans le miroir j’ai les yeux ouverts ! Donc j’ai commencé à voir que dans les faits j’avais une dépigmentation du visage qui commençait à arriver sur la paupière. Quelques années plus tôt, j’ai oublié quelque chose, c’est que j’avais du vitiligo, une tache qui a commencé à apparaitre sur les narines. Étant allergique au pollen j’ai réalisé que le fait de me moucher avait créé de la dépigmentation, alors qu’avant, les années précédentes, moucher était un, se moucher était un geste anodin, je me suis rendu compte que ça avait eu un effet. Donc ce qui fait qu’on apprend aussi à vivre avec la maladie, moi j’ai appris à vivre avec la maladie avec des petits gestes du quotidien. Faire attention à se moucher, pas appuyer trop fort. Donc pour accepter il faut apprendre à vivre avec, et vivre avec de façon pratique, pas du tout médicale, apprendre à pas se blesser, apprendre à pas se couper, apprendre à faire attention à ses gestes, apprendre à pas se cogner… Eviter certaines activités qui, je pense, le ménage, quand on fait le ménage est-ce qu’il faut mettre des gants pour éviter certains produits… Et je pense que quand on n’a pas cette maladie, on réalise pas à quel point le corps fait des choses géniales, c’est à dire s’autoréparer, cicatriser, repigmenter, c’est pas une charge mentale. Quand j’étais à l’université j’ai fait un peu d’escalade, parce que je trouvais ça super le côté technique, mais au bout de quelques semaines d’escalade j’ai réalisé que finalement travailler les, s’agripper, tenir des baudriers, chuter… Ça avait des impacts sur la peau, ça avait des impacts sur la peau donc ça m’a amené aussi à me dire attention, le vitiligo s’accélère parce que tu as certains types d’activité. Donc il fallait faire des choix… Peut-être qu’avec le recul je ferais les choses un peu différemment. Mais c’est tout un apprentissage autour de son corps, de son environnement, de son côté… Psychologique entre guillemets, mais aussi lié à ses émotions, à ses humeurs… Surtout dans une époque, surtout dans une période où on apprend à vivre avec soi, et on apprend à se connaitre. Et une époque, une période pardon, au cours de laquelle le regard des autres est important parce qu’on se construit à travers la socialisation. Ce qui fait qu’on fait des rencontres aussi très intéressantes et que ça apprend aussi à être très très tolérant avec les autres, parce que quand on est soi-même parfois victime d’un manque de tact avec les autres, on apprend… C’est d’apprendre à pas pointer les différences aussi ! Et pas que médicales, mais aussi tout type de différence, donc… C’est aussi une maladie qui m’a également apporté beaucoup sur une forme de tolérance aussi, parce qu’en étant tolérant avec soi on apprend aussi à être tolérant avec les autres, en tout cas à titre personnel.

Mickael : Le premier contact que tu as pris avec un professionnel de santé par rapport à ces taches est-ce qu’il a été initié par toi ou par tes parents ?

Charles : Par moi. Par moi parce que je sentais que ça progressait à mon niveau, que ce que pouvaient me dire mes parents, de façon un peu naïve, mais peut-être de façon un peu protectrice, ils essayaient de me convaincre que c’était passager et que ça allait revenir. Et moi j’avais le sentiment aussi que plus vite j’aurais une réponse plus vite il y aurait une solution à tout ça. Parce que je sentais au fond de moi que c’était comme un point de départ, un peu comme une mèche qui s’allume, mais on ne sait pas quand il va y avoir un boum, alors la métaphore est un peu, peut paraitre un peu extrême, mais je sentais qu’il y avait un compte à rebours qui s’était enclenché, c’était plutôt ce sentiment-là. C’est moi qui ai pris un téléphone et qui ai appelé un dermatologue. J’ai le souvenir que quand je demandais à mes parents un, qu’on prenne un rendez-vous, je sentais que ça ne viendrait pas d’eux, ça viendrait pas d’eux. Mais aussi peut-être parce qu’ils étaient dans une forme de déni en disant ça va s’arranger, ça va s’arranger. Et aussi peut-être, je suis peut-être en train de le réaliser maintenant, qu’ils avaient peut-être aussi peur du regard que les médecins pouvaient porter sur ce type de maladies. En tout cas en 2025 j’en suis là, on va dire, sur… rétrospectivement ce que j’ai pu ressentir vis-à-vis de la prise en charge.

Mickael : Au moment où tu as eu ta ou tes premières taches, tu te sentais comment, en termes de santé mentale ?

Charles : J’ai quand même eu un sentiment de culpabilité au départ, j’avais l’impression d’avoir fait quelque chose, j’essayais de réfléchir… Comme j’avais déjà un esprit scientifique, je suis issu d’une formation scientifique, j’aimais déjà les sciences à l’époque, j’ai essayé de comprendre l’origine de tout ça. Donc je pense qu’émotionnellement je me suis, j’étais triste, j’étais triste, mais malgré la tristesse j’étais plutôt dans une logique de pourquoi, je pense que j’étais vraiment dans du pourquoi, ce qui fait que j’ai eu une approche presque déconnectée de la maladie, parce que j’avais, j’étais un peu dans une approche diagnostic. Mais la vie étant ce qu’elle est, on a des relations sociales, on est exposé à des gens, on a une vie, quoi ! Et je pense que j’étais plutôt dans une forme de dissimulation, voilà, je pense que j’étais vraiment dans ça, j’essayais de masquer, j’essayais de me fondre dans la masse. Émotionnellement, à part de la tristesse, j’ai pas un panel plus large que ça. L’interrogation, l’incompréhension, un sentiment d’injustice très fort, un sentiment d’injustice très fort, pourquoi moi, pourquoi pas quelqu’un d’autre… Ça au départ pour l’accepter… Je pense que ce que je dis là, c’est peut-être assez général à différentes maladies. Pour ma part il y a eu toute une période où il a fallu vivre avec pour l’accepter, parce que pour vivre avec il faut finir par accepter assez longtemps pour plus remettre en question cette injustice là. Et on peut avoir des périodes pendant lesquelles on a accepté et puis finalement au bout de quelques mois on réalise que pas tant que ça. Ce qui amène cette question de savoir jusqu’à quel point on arrive à se convaincre ou pas qu’on est ok avec des choses. Et je pense que le vitiligo est passé à un second plan, je dirais des années plus tard, parce que je pense aussi qu’avec le temps, on finit par entrer dans la vie active, on finit par avoir une autre identité que le regard des autres, on fini par avoir des compétences professionnelles, on fini par avoir des amis, on fini par avoir un rythme de vie, on fini par avoir des passions, une vie culturelle, faire des choses, rencontrer du monde. Et je pense que finalement le fait de… commencer à construire sa vie ça permet de couper un peu le cordon ombilical par rapport à soi même. Que… de passer de un à moi et les autres. La question de comment on se sent, pour ma part y’a eu des yoyos, y’a eu des yoyos… Mais de savoir pour ma part que je commençais à développer d’autres compétences, notamment professionnelles, ça m’a permis de gagner en confiance dans la maladie parce que le regard des amis c’est une chose, mais le regard des inconnus, c’en est un autre ! Quand je suis arrivé en région parisienne, je me souviens, c’était au début des années 2010, j’étais en région lyonnaise précédemment, euh j’avais pas de taches sur le visage, en région lyonnaise j’avais pas de tache sur le visage, à part sous le nez, et même sous le nez je me souviens que quand je prenais des photos, j’essayais de me tenir un peu droit pour pas que mon petit museau montre une tache, et quand je suis arrivé en région parisienne, c’est pas forcément parce que c’est la région parisienne, mais j’ai vu des taches à ce moment-là sur mon visage, et dans les transports en commun j’étais beaucoup plus exposé au regard des autres, ce qui fait que je pouvais croiser des regards, parfois sentir que des gens me montraient discrètement, et parfois pas du tout discrètement, et pas forcément des enfants, hein, des adultes ! Je pouvais entendre regarde, il a du vitiligo, la personne se rendait pas compte qu’on en avait rien à faire de savoir ce qu’elle disait vraiment. Y’a des périodes où je me disais bon ben, voilà, on m’a remarqué. Et étonnamment, c’est quand j’ai commencé à avoir mes premiers cheveux gris, blancs, pardon, que je me suis dit tiens, je commence à faire une fixation sur autre chose ! Parce que très naïvement, moi j’ai toujours trouvé que les cheveux blancs c’était quelque chose de très élégant, mais quand on a les premiers cheveux blancs qui arrivent… Pour ma part j’avais pas forcément intégré le fait que c’était un processus progressif ! Ce qui s’est passé c’est que je me suis dit, mais Charles, toi dans le métro, tu fixes pas les gens qui ont des cheveux blancs, tu fixes pas les gens qui sont chauves, tu fixes pas les gens qui ont des particularités, tu les dévisages pas, pourquoi les gens feraient la même chose avec toi ? Si toi t’en as rien à faire de ce qui… Enfin si t’en as rien à faire, si tu fais pas forcément attention à ce que les autres ont, pourquoi les gens auraient un regard plus important sur toi ? Et c’est ça qui m’a détendu, le fait de prendre les transports en commun et de me dire que moi j’avais pas cette attitude, je me suis dit, mais y’a pas de raison que les gens ils l’aient avec toi… Et ça a fait baisser ma vigilance aussi sur ça, ce qui fait que finalement… Parfois je pouvais sourire, et puis des fois je me rendais compte que les gens, les personnes que je croisais… cette hypervigilance que je pouvais avoir, c’était moi qui devait aussi me détacher du regard des autres, donc la susceptibilité que je pouvais avoir c’était plutôt un état de vigilance, et une fois que j’ai commencé à comprendre ça je me suis dit Charles, il faut baisser la vigilance, parce que les gens ils vont pas… Ils vont te croiser, ils vont pas penser à toi toute la soirée, il a fallu que je rentre dans un processus un petit peu de… Faut que j’aille plus loin que l’instant, en me disant, qu’est-ce que les gens ils vont retenir de toi, ils vont pas parler de toi. Et d’un coup… Il fallait faire cette frontière entre les pensées que j’avais et ce qu’étaient vraiment les pensées des autres. Et puis progressivement j’ai commencé à me détacher de tout ça, et puis on gagne en confiance avec le temps, j’ai eu un métier… J’ai travaillé avec des publics adolescents qui pour le coup ne filtrent pas forcément leurs questions, et leurs questions sont très sincères, je me souviens ils me disaient c’est quoi ces taches, comment vous vous êtes fait ça, vous vous êtes brulé ? Les questions d’enfants sont très touchantes, et parfois elles peuvent être déstabilisantes parce qu’il y a cette franchise. On redevient un enfant quand un enfant pose une question, parce qu’on comprend qu’on ne peut pas lui dire les choses comme ça. Et il y a pas très longtemps j’avais des questions du type pourquoi tu as deux couleurs, ou pourquoi tu t’es gratté fort, et les questions quand elles arrivent elles sont toujours sincères. Et en tout cas le regard des autres, il faut aussi apprendre, enfin je ne suis pas là pour dire il faut, mais moi c’est ce que je me disais, il faut apprendre à s’aimer et puis progressivement la question de l’estime de soi sur le vitiligo c’est un vrai sujet. C’est un vrai sujet parce qu’on est des êtres sensibles, on traverse des périodes… Avoir une forme de stabilité autour de son estime c’est pas toujours évident. C’est pas toujours évident, mais c’est quelque chose que j’ai pu travailler grâce, en étant exposé à des publics d’élèves, d’adolescents, de collégiens, de lycéens… On est vu autrement que par… Je pense qu’il y a vraiment cette question de l’identité, qui je suis, qui je suis, est-ce que je suis une maladie avec une peau ou est-ce que je suis une personne avec des qualités, des défauts, qui est appréciée, qui s’inscrit dans du collectif, qui est reconnue… Et moi j’ai trouvé que ça m’avait beaucoup apporté ce contact avec les adolescents, parce que quand on gagne la confiance des adolescents on commence à se rendre compte, en tout cas pour ma part, c’est de me dire les adultes sont pas plus différents, ils ont des questions, ils ont des incompréhensions, ils ont envie de dire des choses, ils ont des ressentis, mais qu’on peut expliquer les choses et parfois on est aussi là pour recadrer certaines personnes, mais très honnêtement ça m’est arrivé très très rarement que des adultes puissent me, me pointer mon vitiligo. Ça m’est arrivé quelques fois, mais dans l’essentiel des situations, au regard de ce que j’ai pu vivre dans les années 90, je pense qu’on vit maintenant dans une société, alors je vais pas tenir des propos de comptoir, mais je trouve quand même que le vitiligo maintenant est… Les gens savent reconnaitre ce que c’est que le vitiligo, c’est une maladie qui est arrivée dans l’espace public, à travers des personnalités politiques, le monde de la mode… On a, on est aussi exposés à davantage de diversité sur tout le plan, sur tous les plans… Ça, je pense que ça a beaucoup aidé, parce que finalement, il y a peut être moins ce côté stigmatisant autour de la maladie parce qu’on sait de quoi on parle, on a des représentations, et on a plus forcément des représentations qui sont des représentations péjoratives. On s’attache à vraiment se dire on a une personne humaine, avec ses particularités. J’ai arrêté de me définir par rapport à mes taches. C’est plutôt que j’ai appris à vivre avec et à me dire que finalement il fallait apprendre un petit peu à les aimer, ces taches, et puis quand vous êtes entouré de personnes qui font que vous vous sentez bien, vous apprenez aussi à vivre avec la maladie, par exemple ce qui s’est passé avec le temps, je me souviens quand j’étais étudiant et que parfois j’étais face à mes livres, à la bibliothèque ou chez moi, parfois je prenais un stylo et j’écrivais au brouillon et puis d’un coup je commençais à dessiner les contours de mes taches, et je me disais ah oui, finalement j’ai des taches là, et puis d’un coup je me disais elle a une forme cette tache, on dirait un peu le drapeau de l’Afrique, et puis je commençais à leur donner des noms sympas, et quand j’avais par exemple à un moment sur les sourcils, au-dessus des sourcils j’avais des taches vraiment sur tout le bord, sur tout le long, au milieu du front et au-dessus des deux sourcils j’étais décoloré totalement. Et ça me faisait penser au film Batman, Dark Knight, je disais ah j’ai ma petite chauve-souris là ! Et c’était aussi une manière d’utiliser des mots positifs pour parler de mes taches et d’arrêter de les voir comme des anomalies. Et ce qui s’est passé aussi avec le temps c’est que j’ai pris aussi de l’assurance en étant exposé à des publics, à avoir plus d’aplomb, à exprimer aussi ma présence, à trouver des qualités, travailler ma prise d’oral, le fait de travailler sa prise d’oral, sa capacité à se déplacer, donc là j’étais passé de la personne qui bougeait pas à la personne qui occupait l’espace, une personne qui devait aussi fixer un cadre, à être respecté c’est-à-dire reconnu, et ça m’a donné confiance en moi parce que c’était presque, alors j’ai jamais fait de théâtre, mais j’ai l’impression qu’occuper l’espace ça m’a aussi permis de dire les taches ce sont des choses qui sont statiques, qui ne bougent pas, mais moi je peux impulser du mouvement autour de mon corps. Le fait d’être en mouvement c’était comme si je disais y’a autre chose à regarder chez moi. Voilà. Et ça m’a vraiment amené à une forme, j’ai pas envie de dire d’aura, mais d’assurance, voilà, j’ai travaillé l’assurance, et avec le temps j’ai commencé à me dire maintenant je peux développer un style vestimentaire, travailler mon look, me faire plaisir sur des vêtements… j’ai toujours porté des écharpes, c’est mon, c’est mon accessoire fétiche, j’ai toujours eu une écharpe autour du cou, et puis avec le temps j’ai commencé à porter des écharpes de différentes couleurs, de différentes textures. Et là depuis deux ans j’ai des taches au niveau de la gorge ce qui fait que.. Bah grâce au vitiligo je peux mettre aussi en valeur mes taches, j’utlise pas l’écharpe pour le masquer, mais parfois, si le moral est pas super, bah je me dis aujourd’hui mes taches je suis pas d’humeur à les montrer, je me sens pas super aujourd’hui donc je vais utiliser l’écharpe pour les masquer, et puis parfois je suis bien, je peux les montrer. Donc j’essaie aussi d’avoir le pouvoir sur moi-même de décider ce que je peux montrer, pas montrer, plutôt que de me dire je cache, je camoufle. Surtout que quand on est un homme… Enfin moi j’ai grandi dans une famille de garçons, eh je pense que si j’avais dit à mon père, je n’ai même pas forcément pensé au maquillage moi quand j’étais dans les années 90. Ma mère se maquillait pas parce qu’elle était brulée au visage, elle avait toujours un rapport aux cosmétiques, elle était très prudente avec les produits, donc elle disait toujours moi je mets rien sur ma peau, parce que… elle avait toujours peur qu’il puisse y avoir des réactions. Moi j’ai grandi un peu au naturel, on va dire ça comme ça ! Et que même si j’avais pu me maquiller ma mère aurait pas pu me donner des conseils maquillage, parce que très honnêtement ma mère savait pas faire. Donc sur les taches ça veut dire que j’ai, j’ai pas forcément eu de stratégie de camouflage très très flagrante, et comme mes taches au visage sont arrivées plutôt autour de 26, 27 ans… j’ai du faire avec, j’ai fait avec assez rapidement.

Mickael : Est-ce que tu as déjà rencontré du rejet à l’occasion de nouvelles rencontres, que ce soit amicales ou amoureuses ?

Charles : De la part de personnes que je pouvais côtoyer, non. Quand on a des personnes intermédiaires, ça crée déjà beaucoup plus de tact dans les relations. Plus jeune, j’avais peur de faire peur. Euh, déjà quand on est victime de racisme, on vous fait comprendre que vous faites peur aux gens. Sans faire de politique, on voit bien que la manière de porter des personnes comme des boucs émissaires très jeunes, c’est pas toujours agréable. Et quand vous êtes juste vous-même et que d’être vous-même on vous fait comprendre que ça peut, que vous pouvez faire peur à des gens, y’a toute une période où vous prenez, vous apprenez qu’il faut faire preuve de tact malgré tout pour pas faire peur aux gens. Je pense que c’était plutôt moi qui me mettais la pression en me disant que mes taches pouvaient faire peur, donc je pense que j’avais développé des pensées limitantes dans le fait de me dire que je pouvais être rejeté facilement. Ce que je pense que j’avais pu développer c’est cette capacité, peut-être, à voir les micro signaux. La surprise, par exemple, ça se joue à pas grand-chose, et je suis capable de détecter le petit moment de malaise où je peux surprendre quelqu’un. Mais très honnêtement les personnes qui ont pu me montrer des signes de rejet c’étaient des personnes qui avaient déjà des intentions assez méchantes, ou qui avaient besoin de vouloir se mettre en avant en dénigrant quelqu’un. Et ça je pense que… À la fois le vitiligo, mais à la fois le racisme pour une partie, ma jeunesse collégienne et un peu lycéenne, mais vraiment collégienne, école primaire, ça m’a permis de développer un peu de la répartie, apprendre à me défendre. Apprendre à me défendre ça veut pas forcément dire attaquer, mais c’est être capable de pas se laisser faire. Donc finalement on apprend à se défendre avec les mots, et je pense qu’après j’ai appris à me défendre avec mon corps, développer une forme de prestance aussi, pour se dire on doit aller chercher les gens autrement, parce que je pense que malgré moi j’ai compris, et quand je le dis c’est très modestement, c’est que plus j’essayais de combler des failles et je me rendais compte que plus je les exposais. Ce que j’essayais de faire maintenant c’était de me dire j’ai même pas besoin de montrer que je suis gêné. Le meilleur maquillage c’est une forme de confiance ! Si on arrive à montrer de la confiance comme maquillage, y’a pas de place pour ça ! Y’a pas de place parce qu’on permet pas aux autres de le faire, on se le permet pas à soi ! Et dès que les personnes comprennent que vous vous le vous permettez pas pour vous-même, vous ouvrez pas de brèche pour les autres, la personne qui pourrait le faire pourrait se retrouver dans une position délicate parce qu’on comprendrait qu’elle est mal intentionnée. Donc ma manière on va dire de, d’éviter ces situations, c’est de montrer que pour moi y’a… C’est pas un problème. Et si c’est un problème, c’est pas moi le responsable, c’est la personne qui a des intentions derrière. Ses intentions sont démasquées, et finalement c’est elle qui passe pour la méchante. Je le dis avec l’aplomb d’une personne de quarante ans, mais peut que j’en menais pas large il y a encore quinze ans là-dessus ! Donc peut être que j’ai moins conscience, et j’ai des biais maintenant d’âge et d’expérience et de confiance, mais je sais que quand on est plus jeune le regard de l’autre est beaucoup plus difficile, et quand on n’a pas confiance en soi c’est pas toujours facile de se dire il faut que je me préserve aussi parce que si je vis qu’à travers les mauvaises intentions de certaines personnes, c’est énergivore, c’est énergivore et ça construit pas le bien être aussi. Sur le rejet il y a pu avoir des situations, que j’avais pour le coup complètement oubliées, mais je pense que c’est important aussi de le partager, c’est dans les sports, dès qu’il faut tenir la main à quelqu’un, dès qu’il faut s’entraider, je me souviens il y avait des personnes qui voulaient pas me tenir la main ! Alors quand j’étais plus jeune, c’était à l’école primaire, mettre en rang deux par deux, tenir la main à une personne de couleur, parfois c’était… je… non non, tu tiens mon manteau, ou tu ne tiens pas ma main, moi je touche pas, y’a des… C’est des discours d’enfant que je tiens, mais je vais pas dire que j’ai été traumatisé par ça, mais je suis passé par ça. Passer du pain ou des choses comme ça, moi je pouvais comprendre que ça pouvait engendrer de la peur chez les gens, donc je me souviens au lycée, je m’occupais jamais du pichet d’eau. Je m’occupais jamais du pichet d’eau parce que même si certains de mes camarades en avaient rien à faire je savais que pour certains ça pouvait gêner que ce soit moi… C’est de la bêtise avec du recul, mais on va dire on va pas plonger la tête dedans pour être dans une position délicate alors que je suis en train de manger, donc je laissais les gens faire… Mais on va dire que j’étais dans une situation dans laquelle je pouvais me dire ça, ça pourrait poser problème à certains. Et ce que je dis là, c’est dans un contexte des années 2000, avec des lycéens qui pouvaient véhiculer des stéréotypes finalement autour de la maladie qui étaient pas du tout fondés. Accepter son corps, la période de l’adolescence c’est pas une période facile, se dévoiler quand vous avez une maladie que vous essayez de cacher, mais que vous comprenez que l’intimité vous amène à vous dévoiler, c’est aussi se dire quel sera le regard de la personne sur vous, euh, parce que vous avez beau essayer de prévenir les personnes, vous n’êtes jamais à l’abri de certaines réactions… Ce qu’on peut comprendre, on peut pas empêcher les gens d’avoir des réactions ! Donc ça a été une période je pense pendant laquelle je me suis pas mal fermé, pas mal fermé parce que je pense que je me suis fermé des portes, je pouvais pas prétendre à avoir une vie intime, que.. j’avais tellement honte, les personnes n’imaginent pas à quel point votre corps peut être impacté par la maladie, j’arrive pas à partager ça avec les gens qui me connaissent, comment je vais pouvoir faire confiance à quelqu’un qui m’accepte, donc ce qui était difficile pour moi ça a été de croire au sentiment amoureux. Jusqu’où l’amour peut aller si soi-même, son propre amour, alors moi qui me connait, j’arrive pas à l’accepter alors pourquoi quelqu’un d’autre l’accepterait plus que moi ? Donc c’est des relations de comparaison assez naïves, mais qui se… Qui arrivent assez naturellement parce qu’on est un peu sur des échelles d’acceptation. J’avais l’impression que c’était toujours plus facile pour les autres. Donc j’ai plutôt été un spectateur de la vie amoureuse, et, des autres, donc je me suis beaucoup renfermé dans les études, dans la scolarité, donc j’ai pu occuper mon temps dans un épanouissement qui était on va dire autre, mais je pense qu’indépendamment du sentiment amoureux, ce qui m’a le plus travaillé c’est la relation à l’autre en général. Et je pense qu’avec le temps, le fait de me détendre avec les autres ça m’a aussi détendu par rapport à moi-même. Ce qui me faisait le plus peur c’est d’avoir, c’était de me dire que si je pouvais faire confiance à un partenaire, si je pouvais me dire qu’en faisant confiance à quelqu’un et qu’à un moment je ressens un rejet, j’avais peur d’être déçu, j’avais peur d’être déçu, j’avais peur d’être triste, et j’avais peur de reculer sur mon estime de moi. Il faut avoir les mots parce que dire vous avez un vitiligo, c’est, on va dire c’est le diagnostic, mais derrière il y a une réalité, il y a une réalité, et puis quand les personnes vous voient au quotidien, elles ne voient qu’une partie de votre maladie, et l’intimité c’est se dévoiler, et de vouloir mettre de l’espérance dans le fait d’être accepté c’est comme si je disais finalement je donne à l’autre la capacité de m’aimer, mais il faut d’abord que je m’aime moi-même pour montrer à la personne que concrètement moi je peux rien faire et c’est comme ça. Le rapport intime qu’on peut avoir à son corps soulève aussi cette question de l’altérité, de l’altérité parce qu’on n’est plus seul à avoir un regard sur ce corps.

Mickael : Tu l’as dit, les premiers contacts avec le corps médical ont été compliqués, on t’a souvent dit que c’était finalement un malaise cosmétique avec lequel il fallait vivre. Est-ce que tu as quand même eu et est-ce que tu as aujourd’hui un traitement ?

Charles : Ce qui s’est passé c’est que moi j’avais un petit peu perdu espoir là-dessus, et comme j’avais accepté ma maladie entre temps j’ai pas forcément ressenti le besoin… L’énergie que j’avais au départ en me disant il me faut une solution, il me faut une solution, il me faut une solution avait fini par disparaitre. Et actuellement, la question du traitement, c’est une question que j’ai plus vraiment posée, et là récemment j’ai appris, ça fait peut être un an, un an et demi, il y a un traitement qui est arrivé sur le marché, alors c’est peut être pas le terme exact, mais il y a un traitement qui est arrivé. Et j’ai récemment participé à un atelier de maquillage avec l’Association française du vitiligo, j’avais beaucoup hésité à participer parce que je m’étais dit ça va être pour les femmes, est-ce qu’ils ont pensé aux hommes… Et puis je me suis retrouvé dans un atelier où il y avait trois hommes, donc j’étais pas seul. Et puis j’ai franchi le pas de me dire Charles, après toutes ces années, ce serait bien maintenant que tu puisses avoir un regard sur ton vitiligo, un diagnostic ! Et donc là j’ai prochainement rendez-vous avec une dermatologue, la semaine prochaine, donc on va dire que le vitiligo est un peu d’actualité là en ce début d’année 2025. Ce qui me surprend avec du recul c’est que je pensais qu’à l’époque, si on m’avait dit il y a un traitement, j’aurais tout fait pour l’avoir, et quand le traitement est arrivé j’ai pas eu cette réaction de me jeter sur le traitement. Donc j’y vais de manière assez posée, j’ai plutôt envie d’avoir un regard actualisé sur ma maladie, d’avoir un vrai diagnostic parce qu’à l’heure actuelle, à quarante ans, je n’ai pas eu de diagnostic officiel de mon vitiligo en disant vous avez un vitiligo de tel type, voilà, est-ce que je peux prétendre à un traitement, si oui de quelle forme, sinon pourquoi ? Donc je ne sais pas si je peux prétendre à un traitement, mais une chose est sure c’est que je vais voir prochainement une dermatologue et que je vais parler de ma maladie, avec une dermatologue qui s’occupe aussi du vitiligo, parce qu’on comprend que c’est un sujet aussi d’évolution de pratiques, de culture professionnelle… N’étant pas du milieu médical je vois bien que dans n’importe quel milieu professionnel il y a une question de vieille. Ne serait-ce que pour moi, j’ai envie de parler de ma maladie avec beaucoup de soin, de maturité, et de… Et puis avec une professionnelle qui va pouvoir aussi peut-être me conseiller sur des choses que je ne sais pas sur ma maladie, parce qu’à l’heure actuelle j’ai plutôt une approche plutôt autodidacte de mon quotidien avec le vitiligo !

Mickael : Justement si tu devais aujourd’hui parler à Charles d’il y a vingt-quatre, vingt-cinq ans, dans la peau d’un adolescent aujourd’hui qui se découvre des taches… Qui se questionne un peu. Tu l’as dit, le vitiligo est plus visible aujourd’hui, il y a des célébrités qui en parlent, mais on peut être comme tu l’as dit dans une recherche, un questionnement sur pourquoi moi, qu’est-ce que je peux faire, etc. Et on sait aujourd’hui qu’il y a beaucoup d’adolescents qui écoutent des podcasts de témoignage avant même d’en parler à leur entourage.

Charles : D’accord, je savais pas !

Mickael : Et donc aujourd’hui qu’il y a potentiellement des adolescents, des collégiens ou des jeunes adultes qui t’écoutent, avant même d’évoquer ce sujet avec un médecin ou leurs proches. Qu’est-ce que tu as envie de leur dire ?

Charles : C’est une question difficile, parce que je sais qu’on a tous nos parcours, on a tous nos sensibilités, on a tous nos fragilités, on a tous nos points forts. Je voudrais pas être quelqu’un qui va dire ce qu’il faut faire, parce que je pense qu’il faut rester humble et qu’il faut respecter le ressenti, les émotions. Quand on m’a dit c’est juste un préjudice esthétique et rien de plus, c’était comme si on m’avait dit cette maladie c’est pas une maladie, c’est pas une vraie maladie, ce que vous traversez vous savez y’a pire. Dans le milieu médical on sait qu’il y a toujours pire, c’est pas forcément une raison de, de se dire que ce qu’on a est pas grave ! Je pense que je serais assez, assez mesuré dans mes propos, en tout cas je vais essayer de l’être ! C’est une maladie, pour ma part, qui m’a beaucoup appris sur moi. Donc j’ai envie de dire aux personnes qui découvrent qu’ils ont du vitiligo, peu importe leur âge, c’est quelque chose qui va forcément vous apporter quelque chose que… Alors je vous le dis peut être avec un peu de prétention, que les autres n’auraient peut être pas ! Quand on a une peau qui est fragile, on est conscient de la fragilité de sa peau, donc on est conscient de la fragilité de notre corps. Je pense que c’est une maladie qui à travers sa fragilité nous fait comprendre que finalement il faut être fort. Il faut être fort sur différents plans. Si je réfléchis bien je dirais qu’il faut accepter que le ressenti qu’on a il est pas illégitime, la colère qu’on peut avoir, la peur qu’on peut avoir, le fait d’être désemparé, le fait de se sentir seul. À l’heure actuelle, grâce à l’Association française du vitiligo, les réseaux sociaux, on n’est pas vraiment seul, les podcasts comme tu disais, moi j’aurais adoré qu’on me dise Charles, ce que tu as, moi je l’ai, ne serait-ce que ça ! Par exemple pour la petite anecdote j’ai rencontré des personnes à l’atelier de maquillage du vitiligo des quatre coins de la France, de différents âges, avec des parcours professionnels différents, avec des rapports au vitiligo qui étaient très médicalisé, d’autres qui l’avaient depuis deux mois, d’autres qui l’avaient depuis vingt ans… Et je pense qu’il faut se dire que les personnes ne sont pas seules, vous n’êtes pas seul, vous n’êtes pas seul et même si les personnes qui vous entourent ne l’ont pas, vous êtes qui vous êtes. Cette maladie ne vous défini pas. Cette maladie ne vous définit pas, en tout cas moi ça a été mon travail, ça a été de me dire je ne suis pas une maladie. Comme la peau est un marqueur visible, c’est quelque chose qu’on ne peut pas cacher. Donc je dirais ne vous définissez pas par rapport à votre maladie, partez à la recherche de qui vous êtes, continuez à vivre votre vie, c’est une maladie qui va… Qui m’a appris à m’aimer, parce que pour le coup, même avec le traitement, je ne sais pas si je souhaite en bénéficier, parce que je ne sais pas si je suis éligible… Donc je dirais acceptez de ressentir les émotions que vous avez, vous êtes totalement légitime dans le fait de ressentir ce que vous ressentez. Le temps joue beaucoup, pour ma part ce que je n’acceptais pas il y a quelques années, ou ce que je n’aurais jamais osé accepter, finalement je me rends compte que je vis avec ! Il y a vingt ans on m’aurait dit Charles, t’auras le visage décoloré, j’aurais dit, je veux pas dire des choses graves, mais j’aurais pensé à des choses graves à l’époque, en me disant c’est impossible de vivre avec ça. Mais avec le temps on change aussi. Donc c’est toujours un peu difficile quand on a l’impression que le présent, c’est notre futur. On évolue avec la maladie, on fait des rencontres, on tombe sur des gens très bien, on rencontre des personnes qu’on n’aurait pas imaginé rencontrer, on gagne confiance, on apprend à s’aimer, on rentre dans la vie active, on évolue. Et j’ai envie de dire, faut aussi laisser le temps. N’hésitez pas, alors je dis ça évidemment à titre personnel, maintenant on a la chance de… Donc si vous sentez que vous avez besoin de discuter du vitiligo, n’hésitez pas à prendre attache avec par exemple l’association française du vitiligo, n’hésitez pas à écouter des podcasts, à vous documenter. Soyez aussi attentif ! À l’époque on pouvait vous faire croire sur internet qu’il y avait des entreprises qui avaient trouvé des traitements contre le vitiligo, donc on peut vite tomber dans le sentiment d’être pris en charge, donc… Je pense que c’est aussi important, et l’association française du vitiligo, elle a une action qui est très porteuse, c’est d’apprendre à comprendre la maladie. Quand on apprend à comprendre la maladie, finalement on s’outille autour de comment fonctionne la maladie. je peux rationaliser certaines choses et peut-être un peu mieux les vivre, ça veut pas dire qu’on les déshumanise, mais qu’on est capable de faire la part des choses entre ce qui relève de l’émotionnel et du traitement médical ou de la prise en charge. Avec du recul je me rends compte qu’il y a beaucoup plus de ressources autour de nous, et je suis content maintenant pour les personnes qui découvrent qu’elles ont du vitiligo, qu’on est beau, qu’on est belle, avec du vitiligo, on rencontre des gens qui nous trouvent très beau ! Même à l’heure actuelle, alors je le dis, qu’on est plutôt dans la confidence, que moi j’ai des personnes qui me disent si tu devais plus avoir tes taches, ça me ferait bizarre, Charles, parce que nous on les voit pas tes taches. J’ai des neveux par exemple qui m’ont toujours connu avec mes taches, jamais ils m’ont posé de question sur mes taches ! Et je me dis que si je les avais pas, est-ce qu’ils me regarderaient différemment, j’en suis pas sur ! Donc avec du recul moi ce qui m’aurait aidé à l’époque ça aurait été peut-être de purger toutes mes pensées, d’avoir quelqu’un à qui je pouvais dire les choses… La santé mentale on le sait c’est un sujet qui est, qui fait partie de notre société, parce qu’on a pris conscience de certaines choses. Donc ne pas hésiter à se dire j’ai besoin d’en parler. À force d’avoir des pensées qui tournent dans votre tête vous finissez par en faire des croyances, et je pense que c’est important de sortir de ses croyances. Faut se faire confiance, il faut avoir des activités physiques, sociales, faut pas se couper. Moi je pense que ce que j’aurais aimé qu’on me dise c’est Charles ne te coupe pas des autres, parce que c’est une maladie qui peut vite amener à l’isolement quand on a l’impression que les autres pourraient nous rejeter. Et maintenant je pense que c’est aussi la force des réseaux sociaux, de notre capacité à être connectés aux uns et aux autres, je sais que l’Association française du vitiligo a un cercle de jeunes, et ça c’est quelque chose qui peut faire du bien, de se dire que quand quelqu’un parle, ça fait écho. Ça fait écho, et quand ça fait écho, je me sens moins seul, et quand je me sens moins seul je suis reconnu. C’est peut-être les modestes conseils que je pourrais apporter à une personne qui découvrirait qu’elle aurait du vitiligo.

Mickael : Il me reste à te remercier d’avoir partagé ton parcours ici avec nous. On te souhaite tout le meilleur, et merci encore.

Charles : Merci beaucoup, Mickael pour ce temps d’échange ! J’ai beaucoup apprécié et j’espère que ça pourra apporter modestement quelque chose aux personnes qui, qui nous écouteront !

Mickael : Merci encore.

Vous avez des idées suicidaires ?

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