"C’est là que la vendeuse m’a apporté les sous-vêtements, et c’était pas le 38 mais le 34 qui taillait juste. En fait je n’avais pas remarqué avant ce moment-là que je flottais dans mes culottes..."

ANOREXIE— Les troubles du comportement alimentaire sont des troubles psychiques graves, caractérisés par une alimentation anormale, des comportements visant à un contrôle excessif du poids et une déformation de l’image corporelle.

Des attitudes ambivalentes à l’égard du corps, une faible estime de soi et la mise en place d’un régime amaigrissant classique sont souvent à l’origine de la mise en place des troubles ainsi que de leur maintien dans un véritable cercle vicieux guidé par un désir de contrôle, qui devient obsessionnel.

Ces troubles impactent à la fois le bien-être mental et la santé physique, mais également le fonctionnement social et ils peuvent entrainer de lourdes conséquences sur tous ces plans lorsqu’ils ne sont pas pris en charge. Les plus connus sont l’anorexie, la boulimie et l’hyperphagie, dont l’image d’Épinal est pourtant à 1000 lieues de la diversité des situations vécues par les personnes qui en souffrent et qui représenteraient environ 10% de la population, et majoritairement des femmes.

Je reçois Coralie, une jeune femme de 28 ans, qui souffre de troubles du comportement alimentaire, de type anorexique, avec des crises de boulimie intermittentes. Elle revient avec nous sur son parcours.

Bonne écoute !
Reflet dans un miroir brisé d'une femme debout de profil devant un ciel rosé et des fleurs, illustrant anorexie. Manon Combe, pour Les Maux Bleus.

Intervenant

Coralie

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Mickaël : Bonjour Coralie.

Coralie : Bonjour Mickaël.

Mickaël : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission sur les troubles du comportement alimentaire et plus particulièrement sur l’anorexie. Alors ma première question ce sera, très concrètement et avec tes propres mots, est-ce que tu pourrais nous décrire ce qu’est l’anorexie ?

Coralie : Bah pour moi et comment je l’ai vécu, la première chose qui me vient en tête c’est de dire que c’est une maladie de l’égoïsme. Parce que plus on avance dans ce genre de troubles et plus rien ne va compter autour de nous sauf le problème sur lequel on est focalisé à savoir la nourriture et le poids. Jusqu’à en fait oublier tout ce qui existe autour de nous, tout ce qui est nos amis, la famille, c’est un retrait sur nous-même et c’est vraiment faire du mal aux autres en se faisant du mal.

Mickaël : Si tu devais associer l’anorexie à un seul mot, ce serait quoi ?

Coralie : C’est catastrophique !

Mickaël : Comment est-ce que tu définirais aujourd’hui ton rapport à toi ? À ton corps ?

Coralie : Quand je suis sortie un peu de tout ça, parce que… pour moi ce qui a été vrai c’est que c’est quelque chose avec lequel on va vivre toute notre vie, qu’on ne pourra jamais oublier. Et aujourd’hui j’ai encore du mal à renouer avec mon corps et à l’aimer. Autant que ce soit dans ma vie personnelle que dans mes débuts professionnels ça a été assez dur de s’intégrer et de paraître normale par rapport aux autres, à mes collègues. Et d’un point de vue vraiment personnel, ça devient difficile quand on veut lier une relation avec quelqu’un, j’ai quelqu’un en qui j’ai confiance, mais il y a des moments où ça revient. Et c’est revenu il n’y a pas si longtemps que ça avec le contexte sanitaire qui nous a fait nous retrouver chez nous sans plus aucune activité. Et ça, au début ça a été assez dur.

Mickaël : Au fil des années, est-ce que tu as changé de regard sur tes troubles ?

Coralie : Par rapport à l’évolution de mon trouble, en fait c’est pas une… L’anorexie, je la vois toujours de la même manière et je vois comment elle peut attaquer les gens, et il faut se dire que, moi j’ai découvert que c’était une maladie qui était mentale, et c’est un trouble en fait… Ce n’est pas tellement lui qui va évoluer, c’est la personne qui va devoir définir où elle veut aller, et c’est pas une chose facile à faire, surtout quand on est dedans on n’a aucun recul sur la situation, on ne voit pas les corps qui changent, qui deviennent minces, décharnés, certains complètement osseux. En fait, tu vas te prendre une claque à un moment ou à un autre. Pour moi… Elle peut venir de ta famille, j’ai une sœur jumelle qui a joué beaucoup son rôle dans l’aide, dans mon aide parce que j’avais un reflet au final qui n’était plus identique, ma sœur qui me ressemblait toujours… Il y a quelques années, j’étais totalement différente d’elle, et c’était ma première claque. La première claque que j’ai prise c’est quand je l’ai vue me regarder, s’inquiéter et se dire que ce n’était pas normal. Et avec le temps j’ai aussi rencontré quelqu’un qui m’a donné envie de ne plus… de sortir de ce cercle vicieux et de dire qu’en fait non, ce n’est peut être pas la vie que tu as envie de vivre le fait d’être dans le contrôle. Parce qu’en fait il y a une énorme part de contrôle dans l’anorexie, c’est, la seule chose qu’on peut contrôler aujourd’hui, c’est nous, notre corps, nos mots, et au bout d’un moment quand tu veux tout contrôler tu perds le contrôle et tu exploses. Donc aujourd’hui je dirais que j’ai évolué en me disant moi que je n’ai plus envie de retourner dans ce genre de contrôle extrême qui me fait du mal à moi et aux autres. Et si j’étais restée là-dedans je n’aurais jamais pu construire une relation avec quelqu’un, ni même renouer des liens avec ma famille.

Mickaël : Dans l’anorexie il y a un concept central, celui du contrôle, notamment le contrôle de l’apparence corporelle et celui du poids. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur comment cette obsession du contrôle s’est installée chez toi ?

Coralie : C’est parce que j’ai été suivie psychologiquement que je suis capable de pouvoir mettre un peu des mots et un ordre sur ce qui m’est arrivé. En fait, les premiers symptômes sont apparus quand je suis partie vivre seule pour la première fois à l’étranger, en Italie, et je mangeais et je vivais normalement sauf que, je sais pas pour quelle raison, entre guillemets, j’ai perdu beaucoup de poids. Je suis revenue en France avec presque dix kilos en moins alors que je me souviens vivre… comme une adolescente qui profitait des apéros, de pizzas, de glaces, sans avoir un contrôle sur quoi que ce soit que je mangeais. Mais en rentrant, il a fallu que je passe mon master. Ça a été une phase assez stressante parce que j’ai eu du mal à trouver un sujet sur lequel travailler, ça ne se passait pas bien avec mes professeurs, j’avais une mauvaise entente. Et donc je suis rentrée d’Italie dans cette pression de diplôme et en même temps avec ce poids en moins qui m’avait changée, les gens regardaient, voyaient que j’avais perdu du poids, me trouvaient bien. Même moi je me sentais beaucoup mieux et j’avais un sentiment assez étrange de sécurité. Et je dirais qu’en fait tout a commencé ici. J’ai eu un côté qui était très stressant à l’école, un autre en fait, une pression familiale assez importante qui a eu sa part dans mon histoire, et cette perte de poids dans l’autre sens qui au contraire m’a donné un sentiment de sécurité, m’a donné l’impression que j’allais bien ou que j’étais mieux qu’avant ?. Et petit à petit l’idée m’est venue d’essayer de perdre encore un peu de poids, ou surtout de ne pas en prendre. Et comment ça se passe dans ma tête, c’est que bah, pour ne pas que j’en prenne, il vaut mieux que j’en perde ! : Comment ça j’ai toujours une marge de sécurité ! Et là ça s’instaure petit à petit, il y a des comportements qui se mettent en place. J’allais courir extrêmement souvent, pour pas dire tous les jours, le matin à jeun. Je calculais exactement ce qui allait être mangé dans la journée. Et dès que je pouvais courir au lieu de marcher je me mettais à courir, il fallait que je transpire et que je me dépense. C’est devenu des mois, et les mois sont devenus des années.

Mickaël : Il n’y a donc pas eu de début brutal, mais une installation progressive et insidieuse d’un cercle vicieux, qui s’inscrivait dans un cadre assez complexe au final.

Coralie : Bah c’est… C’est exactement ça en fait, c’est que… Et puis même moi, je suis allée voir un médecin parce qu’à un moment ça commençait à ne pas aller dans mon corps, j’étais faible, je me sentais mal. Il y a des jours où j’ai dû rater les cours parce que je ne pouvais pas trop me lever. Et même lui quand il m’a dit… Il m’a regardée, il a parlé d’anorexie, je l’ai regardé en disant vous êtes pas bien ! Une anorexique, elle est au bord du gouffre, elle est maigre, elle a la peau sur les os. Moi je suis pas comme ça ! Et en fait, c’est là que j’ai compris que l’anorexie elle n’est pas forcément que dans le physique. Et moi j’ai eu de la chance de pouvoir être tirée à temps de là parce que j’aurais pu je pense aller plus loin dans mes troubles alimentaires et dans la perte de poids. Et ça commençait à devenir dangereux, et j’ai eu la chance de pouvoir entendre et sortir de là avant d’être encore plus engouffrée là-dedans. Mais c’est vrai que ça s’est fait petit à petit, je n’ai pas vraiment senti le truc venir, je pensais juste à la sécurité, et au contrôle, et voilà.

Mickaël : Tu as décidé de consulter un médecin combien de temps après le début de tes symptômes ?

Coralie : Je pense qu’il a fallu quand même, peut être pas loin d’un an parce que j’ai commencé à avoir des problèmes au niveau de mes règles, j’avais plus, ça ne fonctionnait plus correctement. Et au niveau de mes humeurs aussi j’étais devenue très agressive avec les gens qui… notamment ma famille. Et je ne suis pas allée le voir pour un problème d’alimentation, je suis allée le voir parce que dans mon corps j’avais l’impression qu’il y avait des problèmes. Et j’avais de l’acidité dans l’estomac. Et j’ai appris que l’acidité dans l’estomac c’était dû au fait de ne jamais rien manger, et il y a même une fois où il est venu à la maison et je me souviens encore qu’il m’avait demandé si j’avais mangé, et il m’a dit ton haleine me dit que tu mens, je sais très bien ce qu’il se passe ! Et du coup il m’a suivie un petit temps en fait, là-dessus, de loin, mais c’est lui qui m’a orientée après, à se dire que peut-être il fallait consulter quelqu’un. Mais je ne l’ai pas écouté tout de suite.

Mickaël : Et après cette consultation après ce matin durant laquelle le diagnostic d’anorexie a été posé, il a fallu combien de temps pour que tu admettes que tu avais besoin d’un accompagnement psychologique ?

Coralie : En fait ce n’est pas tellement le médecin qui a eu de l’impact sur le fait que… j’étais devenue… j’étais une anorexique. C’était plutôt ma sœur et le fait de voir à quel point je perdais du poids et surtout à une… Je ne sais pas exactement dans quel ordre ça s’est passé, mais à une certaine époque, Laetitia ma sœur m’a demandé de regarder un film sur Netflix qui… qui s’appelle To the bone et qui parle d’une fille anorexique. Et en fait cette fille dans le film, par rapport… Certes elle est assez mince, mais tous les comportements qu’elle avait par rapport à son corps j’avais en fait les mêmes. Et c’est là que je me suis dit il y a peut être un problème ! Il m’a fallu encore, je sais pas, quelques mois, mais presque sur un an de comprendre tout ça, et aussi de voir, parce que j’ai perdu, entre guillemets j’ai perdu des gens autour de moi, je me suis fermée à des amis qui ne pouvaient plus supporter ça, j’ai eu du mal à rencontrer des gens parce que ça ne passait plus. Et tout ça dans la tête c’est assez difficile de prendre du recul sur sa propre situation, c’est une sorte d’autodestruction, il y a une petite étincelle qui s’éteint, on n’a plus envie de rire, on n’a plus envie de sourire, et tout s’accompagne… Les dents, les cheveux, la peau… Plus rien ne rayonne dans le corps, quoi !

Mickaël : Tu parles beaucoup du corps, de son image. Ce qui est intéressant dans ta situation c’est que tu as une sœur jumelle qui te ressemblait beaucoup étant jeune et de moins en moins au fur à mesure que le trouble s’installait. Est-ce que le fait d’avoir une sorte d’image miroir à laquelle te comparer t’a aidée dans la prise de conscience du trouble ?

Coralie : Bah ouais ça m’a aidée, mais encore une fois ça a mis beaucoup de temps parce qu’en plus c’était au moment où elle était partie de la maison. Elle était partie de la maison familiale, je me suis retrouvée qu’avec ma mère, et du coup je ne l’avais plus en face tous les jours, et elle non plus. Et du coup elle ne voulait pas forcément tous les jours ce qui se passait, même si régulièrement je l’appelais parce que je me suis un peu déversée sur elle quand ça n’allait pas et quand j’avais besoin de pleurer, ou de me plaindre… des sentiments très négatifs, en fait je me servais d’elle pour me soulager un peu. Une fois on était allées faire les boutiques pour acheter des sous-vêtements, je regarde la vendeuse, je lui donne mes tailles, ça c’était, je sais pas, un an après que les troubles se soient mis en place donc j’avais eu le temps d’avoir perdu encore un peu de poids, et en fait je lui dis bah écoutez j’ai besoin d’un bonnet D et en culotte vous me prendrez du 38. La vendeuse en fait m’a regardée et m’a dit je ne suis pas sûre que ce soit votre taille, peut être qu’il vous faut du 36, voire du 34. Puis je l’ai regardée avec des grands yeux, je lui dis je connais ma taille de sous-vêtements, ma taille de culotte en fait ! Et c’est là où c’est pareil, elle m’a apporté les sous-vêtements, c’était le 34 qui taillait juste et en fait je n’avais pas remarqué avant ce moment-là que je flottais dans mes culottes. Et en fait je ne sais pas ce qui se passe à ce niveau-là, je ne pourrais pas l’expliquer, on ne voit pas le corps comme il est en fait et encore aujourd’hui il y a certaines zones que je vampirise, que je ne vois pas comme la réalité. Et c’est vrai que le fait d’avoir une sœur jumelle où je me suis dit OK on commence à ne plus faire la même taille, on commence à être assez différentes, des choses qui nous séparent beaucoup physiquement, c’est à ce moment-là que j’ai pu remarquer qu’il y avait des problèmes. Mais ce n’est pas pour autant que j’avais envie de… de reprendre en fait les formes que j’avais avant.

Mickaël : Ce que j’entends c’est que ton désir n’était pas nécessairement de mincir, mais surtout de ne pas reprendre de poids. Notamment parce que cette nouvelle corpulence plus fine était valorisée socialement. Est-ce que tu te rappelles comment tu te sentais dans ton corps avant ta perte de poids en Italie ?

Coralie : Ben juste avant de partir je me sentais… Je savais que j’étais, que j’avais des formes, et que c’était… Si on peut dire qu’il y a une norme, parce que je déteste ces mots-là… En tout cas d’après les médecins et les courbes je n’étais pas non plus en surpoids. J’ai toujours eu depuis l’enfance un manque de confiance en moi. Quand j’étais jeune, j’ai eu des problèmes de surcharge pondérale, c’est le mot que le médecin m’a donné à l’époque parce que je faisais de l’asthme et qu’il fallait absolument perdre du poids. Donc en fait le traumatisme du poids, il s’inscrit vraiment là, sauf que pendant toute ma première partie d’adolescence j’en ai pas subi les conséquences.

Mickaël : Quand tu étais enfant, un médecin t’a qualifiée comme étant en surcharge pondérale. Comment est-ce que tu as vécu cette situation ? On sait aussi que les enfants peuvent être assez cruels. Comment as-tu vécu ce surpoids dans le milieu scolaire et au final dans le milieu familial ?

Coralie : C’est terrible. Les enfants sont plus cruels que les adultes en fait. Parce qu’ils n’ont pas de filtre, ils ne savent pas ce qui est bien ou pas bien à dire. Et quand j’ai eu cette prise de poids pour le coup ma mère a toujours été bienveillante avec moi, d’ailleurs elle me laissait manger ce que je voulais sous le conseil d’un médecin, un peu particulier d’ailleurs… C’est une phase un peu noire de l’histoire, c’est que j’étais assez jeune, j’avais quoi, une dizaine d’années… Même un peu moins quand j’ai eu ces problèmes de poids et je ne me souviens pas exactement, on avait un médecin de famille à l’époque et il avait dit à ma mère de me laisser manger ce dont j’avais envie et que pour les problèmes de poids c’était du genre vous verrez plus tard, quand elle va grandir… donc quand j’étais plus jeune le soir qu’est-ce qu’un gamin il a envie de manger, c’est du pain, du beurre, du coca, du chocolat, que des sucreries. Donc j’avais accès en fait à des choses qui étaient pas très bonnes pour moi, sous les conseils d’un médecin. À l’école ça a été… Bah j’étais la risée, déjà les cours de sport je ne pouvais pas les suivre parce que j’étais essoufflée au bout de cinq minutes, les gens savaient très bien que je ne pouvais pas rentrer dans une équipe parce que j’avais pas de cardio, j’avais pas d’endurance. Je ne me souviens pas avoir été isolée, c’est vrai qu’à certains moments ma sœur n’était pas forcément avec moi tout le temps. Et il y a eu des moments de solitude, je me souviens que je dessinais beaucoup, quand j’étais petite, je dessinais beaucoup mes peurs et mes tristesses en fait sur papier et je dessinais des bonshommes un peu gros, un peu… Je ne sais pas si c’était pour évacuer, mais… Dans la société dans laquelle on est, on n’a pas le droit d’être gros, on n’a pas le droit d’avoir des défauts sur le corps. Et je pense que ça a marqué mon enfance.

Mickaël : Si on essaie un peu de réécrire l’histoire, est-ce que tu penses que si tu n’avais pas connu cette période de surpoids étant enfant ces troubles du comportement alimentaire ne seraient peut-être pas apparus ultérieurement ? Ou est-ce que tu identifies d’autres facteurs qui ont pu contribuer à leur émergence ?

Coralie : J’ai vécu quelque chose déjà qui a… Qui a marqué, en fait, qui m’a marquée profondément par rapport au poids donc j’ai déjà eu affaire à ce genre de contrôle et de regard que les autres ont envers nous, envers toi, c’est quelque chose quand tu es petit qui t’aide à te construire. Donc forcément ça m’a accompagnée tout au long de mon adolescence aussi. Donc ça, ça a été un facteur, mais il aurait pu être minime. Parce que ça ne s’est pas déclenché tout de suite, quand j’ai grandi je n’étais pas obsédée par l’idée d’être mince ou de regarder les tops models. j’étais peut être un peu complexée, mais c’est des complexes que toutes les femmes peuvent avoir aujourd’hui. Un autre facteur qui peut se poser et que j’ai découvert du coup avec ma psy c’était que l’anorexie me permettait d’éviter les problèmes familiaux. Je pouvais me cacher derrière ça pour éviter d’avoir affaire aux problèmes que je subissais quotidiennement ou à la pression familiale que j’avais. C’est-à-dire que j’entendais ma mère souvent pleurer ou se plaindre, et en fait plus j’allais mal et plus on oubliait ces problèmes de famille. Donc en fait le lien entre ma mère, ma sœur et moi se resserrait. Et c’est quelque chose que j’évitais et en fait dès qu’il y avait une crise ou une colère c’est moi qui commençais aussi à piquer une colère, piquer une crise, devenir agressive et ça calmait les esprits. C’est quelque chose qui a joué aussi sur les troubles alimentaires, d’ailleurs aujourd’hui je pense que c’est beaucoup plus calme parce que j’ai pris du recul sur toute la situation et je ne me laisse plus envahir par tous les sentiments que je ressentais vis-à-vis des liens entre mes parents en fait.

Mickaël : Ce qui revient souvent chez les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire, c’est le poids des émotions et notamment d’un problème de gestion efficace de ces dernières. Plus jeune, pour te détendre, tu nous dis que tu dessinais beaucoup et que justement cette activité avait un véritable pouvoir de catharsis sur toi. Est-ce que tu as maintenu cette activité ou est-ce que tu as trouvé d’autres activités qui te permettent de décompresser aujourd’hui ?

Coralie : Disons qu’en sortant de ces troubles-là je me suis mise à faire du sport, et il est vrai qu’on a tendance au début à faire énormément de cardio et j’ai appris à mes dépens que ça pouvait être encore plus dangereux pour moi, mais je me suis dit que ça pouvait être une source de bien être. Il faut juste ne pas en faire une obsession comme je l’ai fait au début. Mais le sport c’est quelque chose qui me permet de me défouler, de me calmer, mais seulement s’il est fait dans le bon usage. C’est-à-dire qu’au début j’allais au sport pour ne pas grossir. Je faisais du cardio, je pouvais faire une heure d’escalier sans m’arrêter et me sentir bien après parce que j’avais encore ce sentiment de contrôle. Aujourd’hui parfois encore je le vois un peu comme ça… Mais oui, le sport c’est quelque chose qui m’aide à décompresser. Aujourd’hui je ne dessine plus, mais j’écris beaucoup, j’écris dans des carnets, sur mon téléphone, dans des notes pour essayer justement de sortir les mots de ma tête et de voir aussi si ça vaut la peine de les dire ! parce que surtout dans ma vie personnelle, je dis beaucoup de choses, je dis tout ce que je pense, je n’ai plus de filtre ! Et parfois c’est un vrai problème.

Mickaël : Dans ces troubles il y a souvent une grande part de déni. Tu as évoqué le cas de ce médecin qui s’est rendu compte que tu lui avais menti sur ton alimentation. Concrètement, à quoi ressemblait une journée type de repas lorsque tu étais au cœur de tes phases d’anorexie ?

Coralie : Bizarrement le seul aliment que je pouvais manger c’était de l’avocat, alors que c’est très gras hein ! Mais c’est le seul aliment que je considérais un peu fort et que j’acceptais de manger, donc on va dire dans une journée ça va être une moitié d’avocat. Et même l’eau, on n’ose pas la boire parce que l’eau, ça se voit sur une balance.

Mickaël : il y a quelque chose d’intéressant dans ce que tu dis et que j’ai pu voir à plusieurs reprises chez d’autres personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire c’est ce refus de boire de l’eau, pour la simple raison que boire de l’eau ça fait augmenter le poids sur la balance. Alors qu’au final tout le monde sait que l’eau, ça ne fait pas grossir, mais simplement gonfler artificiellement et temporairement un chiffre sur un instrument de mesure qui est la balance. Quel est ton regard aujourd’hui sur cette privation d’eau, liquide essentiel à la vie, qui peut avoir de lourdes conséquences ?

Coralie : Aujourd’hui je me demande en fait comment je faisais pour me passer de ça, pour me priver de ça. Je pense que quand on est dedans il y a une force, une volonté à toute épreuve pour réussir à contrôler ça, et bien sûr que c’est dangereux ! Je n’ai pas de photo parce que je ne laissais personne me prendre en photo, je n’avais pas envie de voir mon reflet. Un miroir c’était déjà trop de passer devant ! mais oui aujourd’hui je me rends compte que c’était complètement… presque fou en fait de me priver de tout ça ! et surtout j’ai conscience aujourd’hui que je détruisais mon corps. Malgré ça c’est quelque chose que j’ai encore… Le chiffre sur la balance c’est quelque chose que j’ai du mal à oublier.

Mickaël : On a finalement pas encore vraiment abordé la question du poids, qui pourtant est un des points centraux sur lesquels se focalisent habituellement les troubles du comportement alimentaire. Quel est ton rapport actuel avec ce chiffre ? Est-ce que tu te pèses encore régulièrement ?

Coralie : Trop souvent ! Trop souvent au goût de mon compagnon.

Mickaël : À quelle fréquence environ ?

Coralie : J’ai du mal à ne pas le faire une fois par jour. Mais euh… il y a du progrès parce que… Déjà le week-end j’évite un petit peu, j’essaie de ne pas trop faire attention à ça et de me faire plaisir, et j’y arrive. En semaine c’est un peu plus strict parce que cette peur à la sortie du week-end revient toujours un peu. Mais j’essaie d’écouter la personne qui vit avec moi, j’essaie vraiment de l’écouter et de faire le maximum. Mais il y a quand même une différence parce qu’avant, dans les pires moments je pouvais vraiment me peser dix ou quinze fois par jour.

Mickaël : Tu dis que tu parviens désormais à t’accorder des repas-plaisir dans les fins de semaine. Comment ça s’est mis en place ? Est-ce que ça a été difficile ? Et finalement mets-nous un peu l’eau à la bouche et dis-nous ce que tu as mangé le week-end, pour te faire plaisir !

Coralie : D’ailleurs c’est quelque chose qu’on n’a pas évoqué, que je n’ai pas toujours évoqué, dans les phases d’anorexie il y a toujours une phase boulimie derrière, ce sont des maladies qui sont liées, et quand on se prive énormément après il y a un moment où on craque et on mange tout ce qui nous passe sous la main, des choses qui ne vont pas du tout ensemble. Je dis ça parce qu’aujourd’hui je ne considère pas du tout que mes week-ends sont semblables à ça, mais j’arrive un peu à… j’arrive à lâcher la bride parce que je me dis que j’ai envie de profiter de la vie, et la vie passe par le lien avec les gens. Le premier lien qu’on peut avoir avec quelqu’un c’est de partager quelque chose. Et souvent c’est quelque chose à boire ou à manger. Et je me suis rendu compte qu’au début de ma relation avec la personne que j’ai actuellement, ça fait deux ans et demi, si j’avais pas ce lien avec lui je savais que je ne pouvais pas avoir de relation tout court avec lui. Ce que j’ai fait en fait c’est que je lui en ai parlé directement, de ce que j’avais subi, de ce que ça pouvait produire. Et petit à petit en fait j’ai appris à me voir complètement autrement, par les yeux de quelqu’un qui était complètement neutre à cette histoire et ça m’a fait tout doucement lâcher la bride. Petit à petit. Aujourd’hui ça va être un restaurant, ça va être un goûter avec des cookies ou de la glace, sans forcément penser à ce que j’avale. Par contre il y a forcément ce côté en début de semaine à me dire fais attention quand même !

Mickaël : On entrevoit quand même encore là un résidu de contrôle et de culpabilité suite à ces repas plaisir que tu essaies en quelque sorte de rattraper en mangeant plus léger le reste de la semaine ?

Coralie : Je ne le vois pas comme de la culpabilité, mais je me dis toujours qu’il ne faut pas que j’aille dans les excès, et en ne voulant pas aller dans les excès je peux retomber en fait dans certains travers. J’ai appris aussi que l’anorexie on pouvait comparer ça à des troubles du comportement tel qu’un alcoolique, pour un alcoolique il vaut mieux ne pas commencer à boire pour éviter de tomber dans l’alcool. Pour un anorexique, il vaut mieux ne pas commencer à manger pour éviter de trop manger. Là c’est un peu le cas, je me dis que je n’ai pas envie de commencer à manger tout et n’importe quoi tout le temps parce que j’aurais peur de retomber plus bas qu’avant et du coup de recommencer à vouloir contrôler mon poids. Donc j’essaie de me limiter un peu à la semaine, sans forcément réfléchir trop le week-end. Mais je ne veux pas cacher que je fais de temps en temps… je ne sais pas si on peut dire de temps en temps ! Je me plains encore de mon corps, que j’ai encore du mal à accepter. J’ai un peu tendance à vouloir le rejeter et toujours avoir cette image un peu de fille pas forcément parfaite et pas avec le corps dont elle rêve, pas assez mince, pas assez musclée… Est-ce que je veux vivre toute ma vie sous contrôle ? Non ! Donc le week-end on essaie de se faire plaisir, la semaine il y a le travail qui prend une grosse place donc c’est un quotidien qui se met en place chaque début de semaine, et c’est comme ça que je le gère. Mais je sais que je dois encore évoluer là-dessus, ne plus penser, vraiment ne plus penser à tout ça et juste penser à mon bien être à moi.

Mickaël : Souvent l’anorexie est associée à des crises de boulimie ou d’hyperphagie, si les crises ne sont pas suivies de comportements compensatoires. C’est une sorte de bascule entre un désir de contrôle extrême et une perte totale de ce contrôle. On pourrait faire un parallèle avec un élastique qu’on tend, qu’on tend, qu’on tend et qui finit par craquer. Est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur la manière dont s’opère cette bascule dans ton esprit lorsqu’une telle crise apparaît ?

Coralie : Euh alors cette crise moi souvent elle venait… peut être toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Forcément il y a un moment où on va priver notre corps, mais aussi notre cerveau. Donc tout est ralenti, les gestes, mais aussi la façon de réfléchir. On a aussi un sommeil très mauvais. Donc je ne sais pas vraiment comment ça se manifeste, mais il y a une volonté de lâcher prise vraiment avec un plaisir extrême dans ce relâchement, et il passe par la nourriture et engloutir tout ce qui se trouve. Mais ce n’est pas un plaisir de manger, c’est un plaisir de relâcher le contrôle. Parce qu’on ne va pas chercher à savoir ce qu’on a envie de manger, on va juste manger. Ça peut être des cornichons suivis d’une cuillère de Nutella, ça n’a aucun sens ! Ça n’a même pas la tête d’un repas, mais c’est juste évoquer un moment un sentiment de relâchement de contrôle. La crise se termine quand l’estomac est plein. Ça m’est déjà arrivé, mais sans le vouloir, mais de manger au point de vomir par la suite parce que je ne me suis pas rendu compte des quantités que j’avalais. Donc cette crise se termine à ce moment-là, et tout de suite après se dégage un sentiment de culpabilité à cause du relâchement du contrôle. Parce qu’on a perdu le contrôle, on revient à culpabiliser et on retourne au cycle de contrôle extrême, limiter les quantités qu’on absorbe. Ce qui se passe c’est qu’on veut tout de suite oublier la crise qui vient de se produire et on fait tout pour l’éliminer. Ça passe… il y en a qui vont utiliser des médicaments pour se faire vomir, moi c’était le sport extrême ou alors tous les moyens étaient bons pour aller aux toilettes.

Mickaël : Est-ce que tu peux nous parler de tes activités professionnelles et si les troubles ont un impact sur tes relations avec tes collègues ?

Coralie : Aujourd’hui je suis dans une agence de design, je suis graphiste dans cette agence. Et pour la première fois depuis que je travaille j’ai l’impression d’avoir trouvé une place, une place importante avec des collègues avec qui je m’entends très bien et qui dépassent les cadres du travail. J’ai l’impression vraiment d’être redevenue presque normale et que la période des troubles est assez derrière moi. Ce que je peux dire c’est que quand je suis arrivée dans cette agence ce n’était pas du tout le cas ! Je suis arrivée il y a maintenant presque deux ans et il y a deux ans j’étais encore assez renfermée sur moi-même et j’osais à peine manger devant mes collègues, qui sont toujours les mêmes aujourd’hui.

Mickaël : Il y a au cœur de ce que j’entends une volonté de destruction du corps qui se traduit souvent par un délitement des relations sociales, un isolement à proprement parler. Quand tu as pris ton poste au sein de cette agence, tu étais encore dans cette spirale infernale, et le traditionnel déjeuner d’équipe avec les collègues posait encore problème. Comment concrètement est-ce que tu as réussi à résoudre ce problème ?

Coralie : C’était assez difficile au début. Déjà je venais de sortir d’autres boulots où je n’ai pas réussi à m’intégrer. Par ma faute, pas à cause des gens qui m’entouraient, mais à cause de moi et de mes comportements. Quand je suis arrivée dans cette boîte en fait, déjà j’attendais, ça faisait quelques années que je voulais y entrer et je me suis dit il ne faut pas que tu donnes l’image que tu donnes habituellement. Parce que je savais que je donnais l’image d’une fille réservée qui ne partage rien et surtout qui ne rigole jamais. Mais… des fois c’est beaucoup plus fort que ce qu’on souhaite, et au début j’avais des touts petits Tupperware où j’essayais quand même de mettre un peu de riz et un peu de poulet pour paraître normale, mais j’avais cette peur incessante au moment du repas que mes collègues remarquent la quantité. Et c’est arrivé ! C’est arrivé qu’on me dise, mais tu ne manges rien, tu manges toujours la même chose, tu manges toujours très sec, tu manges jamais dehors ! Et là il y a deux choses qui se sont produites dans ma tête, soit je les rejetais, soit je faisais en sorte d’être acceptée. Du coup j’ai commencé à leur parler, je leur ai dit ce que j’avais vécu depuis quelques années et en fait ils m’ont écoutée, et ils n’ont pas cherché plus loin, ils ont compris. En tout cas je n’avais plus ce genre de remarques et il y avait un côté… de bienveillance. Et là je me suis dit… Plus je me sentais en sécurité en fait avec eux et plus… c’est pareil, c’est revenu un peu à la normale, l’envie de vouloir partager quelque chose. Le moment où je me suis en fait ancrée avec eux c’était après le premier confinement donc il n’y a pas si longtemps que ça. J’ai pris conscience que j’avais pas profité d’eux comme je pouvais, c’est-à-dire commencer à boire des verres après le travail, faire des restaurants… et le confinement en fait m’a appris que je pouvais reprendre du poids sans forcément que ce soit mauvais, sans forcément dépasser les limites, et me rendre compte aussi que je ne profitais pas assez de ce que j’avais envie de faire. Et à la rentrée de ce premier confinement, j’ai commencé à rester plus tard le soir, plutôt que d’aller au sport, à profiter d’eux, à commencer à vraiment bien les connaître. Et c’est là que ça s’est installé petit à petit.

Mickaël : Le premier confinement de 2020 a été en quelques sortes assez bénéfique pour toi, et plutôt assez salutaire puisqu’il t’a permis de te rendre compte que tu avais besoin et que tu avais surtout envie de plus profiter de ce que la vie avait à offrir ?

Coralie : Bah justement tout est lié au contrôle ! Pour moi il a été bénéfique parce que je savais déjà ce que j’avais vécu auparavant, je savais très bien avec tout ce suivi psychologique que c’était lié au contrôle et que… J’en connaissais les conséquences. Mais c’est vrai que ça a permis de se poser les bonnes questions, ça change les comportements. Plutôt que d’aller à la salle de sport je me suis rendu compte que si je n’y allais pas ce n’était pas si grave, mais parce que j’avais vécu ça avant. Moi je suis complètement consciente et d’ailleurs j’imagine que ça doit être difficile pour les personnes ! C’est une période de contrôle sur la vie et tout ce qui va nous rester à contrôler c’est notre nourriture, notre appartement, notre environnement en fait proche, et donc développer des troubles alimentaires pendant la période de confinement pour moi ce n’est pas anodin.

Mickaël : Tu as évoqué à plusieurs reprises la prise en charge psychologique dont tu as pu bénéficier. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

Coralie : j’ai une première expérience par rapport au médecin qui me suivait et dont on a parlé tout à l’heure qui m’a envoyée vers un premier psychiatre. Mais tout de suite j’ai eu un rapport où je me suis dit je n’ai pas envie d’être gavée de médicaments parce qu’un médecin me le dit et qu’il va croire que ça me calme. Donc je suis allée le voir, c’était un monsieur plutôt âgé, déjà je ne me suis pas sentie très en confiance, on s’est assis sur une chaise l’un en face de l’autre… Et tout ce qui est sorti de ce rendez-vous c’est qu’il trouvait que j’étais juste une gamine qui manquait de confiance en soi et que le problème allait être réglé. Ça me fait rire parce que ça a été bien pire après, les phases les plus horribles se sont déclenchées après. Pour moi, j’ai… pardon du mot, mais pour moi c’était vraiment un con, qui n’a pas voulu juste m’écouter. Mais en même temps je n’avais pas envie de lui parler, je ne me sentais pas assez en sécurité pour lui dire quoi que ce soit. Et il en a résulté que si ce n’était qu’un manque de confiance c’était pas très grave. Donc je suis allée de plus en plus mal et en fait c’était dans une ancienne agence, là où je bossais, que ça a commencé à se voir sur moi et sur mon travail. Les collègues que j’avais avant étaient aussi bienveillants et ils se sont demandés ce qu’il se passait dans ma vie et pourquoi je ne rigolais jamais. Et à un moment je ne pouvais plus le cacher donc j’ai dû en parler à deux personnes, mes responsables, et l’une d’elle m’a parlé d’une psychologue spécialisée dans les troubles du comportement addictif. Donc je me suis dit, avec tout ce qui se passait à côté avec ma sœur et les problèmes dans ma famille, je me suis dit OK c’est peut être… Là on te tend une main il faudrait peut être essayer de la saisir et voir où ça t’amène parce que là il y a ta sœur jumelle qui est en crise de nerfs, tu es passée en dessous des 50 kilos, ça va pas. Donc j’y suis allée, je me suis retrouvée face à une femme donc le rapport de domination est différent, et c’était une psychologue donc elle n’avait pas le droit de prescrire de traitement donc déjà je me suis dit qu’elle serait déjà plus dans l’écoute. Et comment ça se passe, la première, je me souviens de la première fois où je suis allée la voir, elle ne m’a pas parlé de troubles alimentaires, et je me suis dit qu’est-ce qu’il se passe, je viens te voir pour des troubles anorexiques et tu le sais, et toi tu veux me parler de mon enfance ! Donc en fait elle retrace avec toi tout le chemin que tu as pu parcourir en te demandant de poser des mots sur des situations. Elle me demandait par exemple le souvenir le plus heureux de mes cinq, six ans jusqu’à aujourd’hui, un par année. J’avais des exercices, me décrire physiquement, ou essayer de voir quelle partie du corps j’aimais, ça c’est des exercices que j’avais du mal à faire ! Et on n’a pas parlé directement de la façon dont on s’alimente parce que comme elle l’a expliqué c’est pas… En fait ce problème-là il est lié à d’autres choses beaucoup plus profondes que l’alimentation en elle-même donc en fait tu retraces un peu toute ta vie… toutes les choses que tu as vécues et surtout tout ce qu’il en est sorti. Donc on a creusé cette partie-là du manque de confiance et de l’absence du père… Parce qu’en fait le premier homme qui était censé m’aimer, il n’était pas là, il était parti. Et plus on discute avec elle, plus on la voit, la psy, et plus on établit une relation de confiance. Au point où même ma sœur jumelle est allée la voir exceptionnellement parce qu’elle avait trop de choses en fait qui se sont reportées sur elle et qu’elle ne pouvait plus maîtriser.

Mickaël : Et cette prise en charge psychothérapique, elle a duré combien de temps ?

Coralie : Un an à raison de… De deux à trois fois par mois. Mais j’ai arrêté de la voir parce qu’elle l’a décidé, elle pensait que j’étais prête, enfin, que j’allais mieux. Et j’allais mieux jusqu’à… je me souviens plus exactement, mais à un moment j’ai ressenti à nouveau le besoin d’aller la voir parce que j’avais l’impression de retomber dans mes travers et de me laisser aller. Donc je suis allée la voir quelques séances pour remettre les choses à plat. Et aujourd’hui, pour l’instant… Je me pose parfois des questions, voir si j’ai besoin d’aller la revoir, mais souvent je me dis qu’aujourd’hui j’ai envie de me tirer de tout ça par moi-même parce que je sais aussi ce qu’elle va me dire. Et même si parfois on a besoin de les entendre, j’aimerais faire le travail par moi-même.

Mickaël : est-ce que tu estimes qu’il est aisé d’avoir accès à une prise en charge adéquate lorsque l’on souffre de tels troubles ?

Coralie : Il y a forcément une difficulté à être pris en charge parce que la personne que je suis allée voir est donc un psychologue, du coup c’est non remboursé par la sécurité et c’est quand même un budget à avoir pour sa propre santé mentale. Et ça, c’est quelque chose que je ne trouve pas forcément normal. J’aurais pu être remboursée si… par mon.. . grâce à mon médecin qui m’a fait une prescription pour un psychiatre, mais ce n’est pas un psychiatre dont j’avais besoin, c’est plutôt quelqu’un qui savait aller chercher en profondeur sans forcément avoir besoin de traitement, en tout cas c’était ça dans mon besoin. Et là les problèmes se posent.

Mickaël : Sur cette question précise de la santé mentale est-ce que tu penses que notre société est suffisamment ouverte ? N’y a-t-il pas encore un certain tabou autour de cette question, notamment en contraste avec la santé physique dont on parle finalement beaucoup plus facilement ?

Coralie : C’est une évidence ! Simplement parce que rien qu’avant de le vivre… La représentation d’une anorexique c’est pas quelqu’un qui a des formes… C’est pas quelqu’un qui va peser 50 kg pour 1 min 50 s ! Et on va… notre société est tournée vers le physique, elle est tournée vers les corps beaux et pas… un corps malade on va le voir tout de suite, on ne sait pas, on s’intéresse beaucoup moins à ce qui peut se passer dans la tête parce que si en apparence on montre qu’on va bien on n’ira pas creuser plus loin. Et ça pour le coup… même si je pense qu’il y a une évolution au niveau des tabous, si j’estime moi pouvoir… Réussir à en avoir parlé à des gens que je connais à peine, et je parle de mes collègues ou même de la personne que j’ai rencontrée, c’est qu’il y a quand même moins de tabous à ce sujet. Mais on est quand même beaucoup trop tourné vers le physique, même dans cette crise sanitaire on est tournés vers le sport et pas… Bien sûr il y a un côté bien être, mais on est quand même trop tournés vers le physique pur et simple !

Mickaël : Tu ne caches pas ta situation autour de toi, tu en parles à ton entourage. Est-ce que cela t’aide à bénéficier d’un soutien dans des périodes difficiles ?

Coralie : bah je dirais qu’à partir du moment où j’ai accepté d’en parler autour de moi c’est qu’il y a une rupture aussi avec cette maladie. C’est que quand on l’accepte déjà il y a un premier pas vers la guérison. Et bien sûr aujourd’hui en fait si je me sens mal au niveau de la nourriture je vais me sentir en confiance, s’ils voient que je ne vais pas manger… Alors ils ne vont pas forcément s’alarmer, mais c’est quelque chose aussi qu’ils ne vont pas critiquer parce qu’ils savent et que c’est encore un peu dur pour moi, donc je n’ai pas à me justifier et quelque part ça me fait du bien aussi de savoir qu’ils sont là, qu’ils comprennent et ils n’ont pas besoin d’intervenir de manière générale pour souligner que ce n’est pas la meilleure façon de s’alimenter ou quoi que ce soit.

Mickaël : Est-ce que tu penses que certaines situations pourraient te faire replonger dans le cercle vicieux de l’anorexie ?

Coralie : Je l’ai déjà envisagé et quelque part je me pose quand même beaucoup de questions. Qu’est-ce qui pourrait me faire retomber dedans, je pense que c’est un choc émotionnel assez fort. Peut-être qu’aujourd’hui je ferais tout pour ne pas retomber dedans et penser d’abord à mes proches avant de penser à tout ça peut être que je serais capable de m’en rendre compte avant, mais… ouais c’est quelque chose qui me trotte un peu de temps en temps, mais c’est pas quelque chose… j’y fais pas forcément attention !

Mickaël : est-ce que tu aurais des conseils à donner à des personnes qui traversent des épreuves similaires à celles que tu as connues ?

Coralie : Bah la première chose c’est d’essayer de ne pas rester tout seul ! Parce qu’encore une fois moi je considère que là-dedans on a envie de laisser personne rentrer dans notre bulle, et c’est d’essayer en fait de parler à la bonne personne, de parler à quelqu’un en qui on a confiance et on aura toujours confiance. Je dirais qu’il ne faut pas se forcer à faire les choses, qu’elle ne se force pas si ça devient difficile par exemple de manger il ne faut pas se forcer, mais il faut essayer de se demander si la vie qu’on est en train de mener, si les choses qu’on est en train de faire subir à notre corps on ne va pas le regretter dans les années qui vont suivre.

Mickaël : Même si l’entourage peut représenter un véritable soutien dans les périodes difficiles, il est souvent compliqué de savoir comment réagir, de savoir comment en parler. Est-ce que tu aurais des conseils à donner aux proches de personnes qui souffrent de troubles du comportement alimentaire ?

Coralie : les choses qu’on n’a pas envie d’entendre en fait c’est tout ce qui va toucher au corps ou à la nourriture. Dans cette maladie on devient aussi parano, on a l’impression que les gens nous observent ou nous regardent de travers, et c’est jamais pour dire des bonnes choses. Même s’il y a un côté de bienveillance, ça peut-être tu ne manges pas beaucoup, ça va pas ? Moi je l’ai très mal, je peux très mal l’interpréter comme s’ils me jugeaient sur ma façon de m’alimenter, et ça renforce en fait le trouble. Et même entendre tu as repris du poids, c’est bien ! Moi je l’entends comme ah oui tu étais vraiment très maigre, ça va un peu mieux maintenant… et je ne vais pas forcément très bien l’interpréter non plus, donc c’est… C’est marcher sur des braises avec quelqu’un qui a ce trouble-là parce qu’en fait quoi qu’on peut dire la parano est trop forte pour qu’on puisse bien l’interpréter. Donc pour l’entourage ça devient très difficile de supporter ça, et c’est pour ça que j’ai du me faire aider parce que les personnes les plus proches de moi et même ma sœur pouvaient avoir tous les mots du monde, je ne sortais pas de là.

Mickaël : D’un point de vue plus personnel, est-ce que tu saurais te décrire en quelques mots ?

Coralie : je suis une rêveuse ! Je suis quelqu’un qui aime beaucoup m’évader, dans un monde un peu qui m’appartient. Je sais pas si je le suis, mais j’ai envie d’être une personne aussi drôle ! Parce que c’est quelque chose qui m’a manqué pendant des années. Je ne dirais pas que je suis drôle aujourd’hui, mais c’est quelque chose que j’ai envie de récupérer dans les qualificatifs de gens qui pourraient me décrire parce que quand j’étais petite j’étais un vrai clown pour les gens qui m’entouraient, et ça, c’est une des choses que j’aimerais retrouver.

Mickaël : Si on fait abstraction de la situation compliquée que nous vivons actuellement, comment est-ce que tu envisages l’avenir ? Quels sont tes projets de vie à moyen et long terme ?

Coralie : Je ne peux pas… Je ne sais pas où je serai dans cinq ans, mais je rêve à me retrouver à voyager, aller voir des pays que je ne connais pas. On a des envies avec mon compagnon de découvrir, d’aller voir un peu partout dans le monde ce qui se passe au niveau des cultures. Essayer aussi de faire de la photographie… Vraiment là il y a une envie un peu de s’évader, et tout ce que j’ai envie de faire c’est aller un peu voir ailleurs ce qu’il se passe.

Mickaël : Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose pour donner une note d’espoir à ceux qui sont aux prises avec des troubles du comportement alimentaire ?

Coralie : Ben en tout cas j’espère que ceux qui pourront écouter auront… prendront un peu conscience qu’il faut faire attention à eux !

Mickaël : Merci !

Coralie : Merci Mickaël !

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