"Non, je ne pouvais pas manger dix croissants d’affilée et ne pas grossir ! On aime bien dans la mode faire croire ça, parce que c’est un idéal inaccessible, ça fait rêver tout le monde ! Physiologiquement ça n’arrive à personne.."

ANOREXIE DANS LA MODE— Mettre des mots sur ses maux est souvent une libération. Ce travail de catharsis, souvent difficile, qui consiste à revivre mentalement ses expériences douloureuses pour les coucher sur un support peut lui-même être désagréable, mais il est nécessaire. Parler, c’est un bon moyen d’évacuer ses souffrances. C’est aussi un moyen de transmettre, donner à d’autres des clés pour éviter de vivre les mêmes événements.

Cependant, des questions se posent. Que dire, que taire ? Où poser les limites du témoignage ? Comment ne pas dépasser son rôle et empiéter sur celui des professionnels de santé ? Témoigner, oui. Mais, surtout et avant tout, pour être la porte d’entrée vers une prise en charge professionnelle.

Je reçois aujourd’hui Victoire Maçon-Dauxerre, ancienne mannequin, aujourd’hui comédienne et future psychologue. Elle a mis le doigt dans l’engrenage de l’anorexie notamment après sa rencontre avec le milieu de la mode et ses critères irréalistes. Elle a publié il y a quelques années « Jamais assez maigre », un témoignage dans lequel elle revient sur son expérience. Avec elle, nous parlons du rôle du témoignage, ses avantages, ses limites et elle nous donne son point de vue sur les dérives du milieu de l’image.

Bonne écoute !
Femme tenue par des fils, telle une marionnette, représentant le milieu de la mode. Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale.

Intervenant

Victoire Dauxerre

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Mickael : Bonjour Victoire.

Victoire : Bonjour, merci de me recevoir !

Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission. Donc aujourd’hui on va faire un épisode un peu spécial puisqu’on va aborder plusieurs choses, tout d’abord ton histoire personnelle, ensuite on va aborder également le processus de réalisation d’un témoignage avec ses avantages et ses limites, et on va conclure un peu sur ta vision de la prise en charge et de la vision de la santé mentale dans la société en France et à l’étranger. Alors pour commencer tu as écrit un témoignage qui s’appelle Jamais assez maigre, qui traite des troubles du comportement alimentaire. Est-ce que tu peux nous dire un peu, parce qu’on a déjà eu plusieurs épisodes à ce sujet, quand chez toi ça a commencé ?

Victoire : Alors ça a commencé quand j’avais dix-sept ans, et je suis tombée extrêmement vite dans l’anorexie d’abord, l’anorexie mentale. Alors moi c’était assez particulier parce que c’était inhérent au monde dans lequel j’étais, qui était le monde de la mode, parce que j’ai été repérée en fait, j’ai été repérée pour devenir mannequin par une grande agence parisienne, c’est pas du tout un métier que je voulais faire parce que je préparais le concours de science po, mais il se trouve que j’ai raté ce concours et que c’était pour moi un échec immense, et du coup j’avais une peur aussi de décevoir et de rater à nouveau quelque chose et je me suis dit il faut que je sois la meilleure là-dedans ! Et le monde de la mode a des critères inhumains pour les femmes, il faut faire du 32 quand on fait 1m80, il faut avoir des mensurations maigrissimes ! Et donc quand je suis arrivée dans cette agence on a pris mes mensurations et au niveau de ce qu’ils appellent le tour de hanche, qui en fait est le tour de fesses, il fallait faire moins de 90 cm. Donc moi ils ont noté 88 cm sur le composite, qui est la fiche de présentation des mannequins quand tu te présentes à des castings, et je devais faire 92 ou 91, un truc comme ça. Et moi je me suis dit bah, trois centimètres, c’est trois kilos, j’avais dix-sept ans, je me rendais pas compte de ce que ça représentait. En fait ça représentait douze kilos. Et du coup en deux mois, les deux mois d’été avant de partir à la Fashion Week de New York, j’ai perdu ces douze kilos sans m’en rendre compte au départ parce que je me suis dit je vais commencer par faire un régime, mais en me disant dès que j’aurais perdu les trois centimètres, je vais me remettre à manger normalement. Et en fait la petite voix, que j’appelle la Salope dans mon livre, s’est installée dans ma tête à me dire t’es trop grosse, tu vas jamais rentrer dans les fringues, tu vas rater ! Et c’est devenu un stress monstrueux. Et puis il y a tous les, tous les mécanismes en fait de la maladie qui se sont installés avec la dysmorphophobie et puis les crises d’angoisse. Parce qu’au début effectivement j’avais faim quand même, mais j’étais angoissée, et puis c’est irrationnel, parce que je sais qu’il y a plein de gens qui ne peuvent pas comprendre ça de l’extérieur. Mais je me rendais bien compte que c’était pas normal, et puis mon père évidemment voulait que je mange. Et aujourd’hui je ne comprends même pas comment j’ai pu faire ça, parce que je ne peux pas ne pas manger ! mais c’était plus fort que moi, et puis c’était vraiment une bataille, comme si j’étais deux personnes, quoi. Et j’arrivais pas à… oui, à me forcer à ne pas manger, et puis ensuite du coup je me suis mise quand même à manger devant mon père parce que je ne voulais pas qu’il soit angoissé, et puis je me suis mise à prendre des laxatifs, et je suis entrée dans… dans le tourbillon de cette maladie, et puis en plus en fait on me félicitait ! Parce que l’agence, les designers me disaient, mais t’es tellement belle, c’est extraordinaire ! plus je maigrissais, on m’applaudissait, carrément ! J’ai fini à 45 kilos pour 1m78 quand même, mais j’entrais dans tous les vêtements de designer, donc j’étais prise à tous les défilés, c’était une réussite, parce que la mode renforce cette image-là, valorise quand même extrêmement la maigreur, et du coup ça… Ça m’encourageait à continuer dans cette voie-là. Et j’étais dans le déni total en plus, je me rendais pas du tout compte que j’étais malade.

Mickael : Et cette spirale elle a duré combien de temps ?

Victoire : Alors, ça, c’est une bonne question ! Parce la spirale vraiment comme ça de l’anorexie qui était liée au monde de la mode ça a duré un an, qui était ma période de mannequinat, mais j’en suis sortie parce que j’ai commencé à faire des crises de boulimie. Et puis j’ai fait une tentative de suicide et je me suis retrouvée dans une clinique psychiatrique, ça c’est ce qui m’a sauvée, en tout cas c’est ce qui m’a sauvée d’avoir des idées noires, c’est ce qui m’a sauvée de ce milieu-là qui ne voulait absolument pas me laisser partir, parce que quand j’ai commencé à manger, parce que vous avez des buffets pantagruéliques avec plein de choses à manger, mais qui ne sont normalement pas autorisés pour les mannequins, et donc quand moi je les mangeais on me disait, mais alors c’est vrai, tu as cette morphologie, tu peux manger ce que tu veux sans grossir, et ça, c’est ce qu’on fait croire ! De l’extérieur. C’est pire maintenant, en plus avec les réseaux sociaux, moi ça n’existait pas à l’époque. Mais non, je ne pouvais pas manger dix croissants d’affilée et ne pas grossir, c’est inhumain, ça n’arrive à personne, mais on aime bien effectivement dans le monde de la mode faire croire ça, parce que c’est un idéal inaccessible, ça fait rêver tout le monde, et moi la première, j’aimerais bien dire je peux m’enfiler trois pots de Nutella et ne pas grossir. Ce n’est pas possible ! Physiologiquement ça n’arrive à personne. Et donc c’est des… Tout le monde en plus était dans le déni, même si tout le monde était conscient de ça, personne ne voulait s’en rendre compte, personne ne voulait aider, et du coup c’était mon corps finalement aussi qui m’a sauvée à ce moment-là en tombant dans l’extrême inverse, parce que la boulimie est aussi un trouble du comportement alimentaire, sauf qu’à un moment ben j’ai dit moi je pars, et j’étais prise pour des super couvertures de magazines là aussi très reconnues, etc., mais j’étais aussi tellement maltraitée par ce monde-là à plein d’autres égards, parce qu’il y a des abus financiers, sexuels, émotionnels qui sont terribles, et donc j’ai dit j’arrête, ils ne voulaient absolument pas me laisser partir, et c’est à ce moment-là que j’ai dit, mais je ne vais jamais m’en sortir, et donc j’ai pris absolument tous les médicaments qui étaient chez moi comme un appel au secours effectivement pour tuer cette souffrance, et donc là c’est des médecins qui m’ont soignée, mais plutôt de la dépression que des troubles du comportement alimentaire, qui eux ont duré bien plus longtemps ! Je pense que ça a duré huit ans, ça fait deux ans seulement que ça va bien Et ça je m’en suis rendu compte seulement parce que j’ai participé à une étude, ayant repris des études de psychologie je suis très intéressée par la recherche, donc c’est pour ça j’aime beaucoup ce que tu fais ! [rires] Et en fait en faisant partie de cette étude à Sainte Anne, c’était très intéressant parce qu’on avait des tests psychologiques, cognitifs, etc., et un entretien voilà particulier à la fin avec un psychiatre, qui m’a dit, mais Victoire, vous n’avez pas souffert de troubles du comportement alimentaire il y a huit ans, ça fait huit ans que vous souffrez d’anorexie mentale ! Et alors là j’ai quand même eu l’impression de me faire écraser par un huit tonnes, je dois dire que c’était quand même assez violent, parce qu’en fait j’étais certainement là aussi totalement dans un… dans un déni, et qu’il y a plusieurs stades de la maladie, et que moi je n’étais plus à trier les aliments, et que les autres nanas qui étaient là pleuraient parce qu’il fallait manger une tomate et que moi ça allait ça quand même ! Donc je me disais bah pas du tout, moi je ne souffre plus de ça ! Même si effectivement j’avais des problèmes dans le sens où pour moi c’était terrible d’aller au restaurant avec des amis, il fallait que je checke le menu avant, euh, ou j’avais des périodes où je mangeais beaucoup et d’autres pas du tout, donc j’étais quand même dans le contrôle permanent, ou c’était beaucoup plus facile de manger dans mon coin que de manger devant certaines personnes parce que c’était beaucoup encore dans le regard des autres, mais ça faisait tellement longtemps que j’avais pas fait trois repas par jour que ça me paraissait plus anormal de manger comme ça, je m’en rendais plus compte ! Et ce médecin m’a dit si vous dépassez les dix ans ça va être très dur d’en sortir. Il m’a dit beaucoup de choses qui m’ont fait flipper, il m’a dit vous avez choisi le pire métier, parce que je suis comédienne aujourd’hui, pour l’instabilité émotionnelle, mais vraiment c’est le truc à ne pas faire, donc je lui ai dit ça va être compliqué quand même d’arrêter parce que c’est ce que j’aime. Mais du coup je me suis imposé une rigueur, en fait, je me suis vraiment fait violence à moi-même, de me dire effectivement bah maintenant je vais m’imposer trois repas par jour, je vais faire ce poids et cette taille de vêtements et ne plus me poser la question. Parce que je ne serai jamais contente. Voilà, je sais que c’est un truc effectivement qui peut rester, que je voudrai toujours être plus mince, que je vais toujours me comparer, que j’ai quand même un caractère un peu borderline, que je peux partir très vite dans beaucoup d’excès. C’est comme ça, c’est ma personnalité. Et c’est pour ça aussi d’ailleurs que j’aime le métier que je fais aujourd’hui parce que je peux partir dans des excès d’émotion sans me mettre en danger, parce que je suis protégée par un plateau, par une équipe, et donc ce n’est pas grave. Mais dans la vie… Je sais que, voilà, il faut que je sois très… Chiante, un petit peu ! Et que j’ai besoin de… Oui, de planifier beaucoup de choses et d’être dans une routine pour aller bien, mais c’est parce que maintenant je me connais et je sais que c’est comme ça, du coup cette très longue réponse pour te dire que ça a duré huit ans ! Et c’est pour ça que je dis toujours à tout le monde ne faites jamais de régime ! Parce que moi ça a commencé comme ça. Alors c’est plurifactoriel, évidemment, moi c’est parce que certainement j’avais une personnalité qui faisait que je pouvais tomber là-dedans, mais c’est aussi parce que j’avais cet environnement et ce déclencheur qui ont fait qu’à ce moment t je suis tombée dedans, j’aurais pu aussi avoir cette même personnalité et ne pas rencontrer le milieu de la mode, et du coup ça ne me serait pas arrivé. Après peut être que j’aurai eu un énorme chagrin d’amour et je serais tombée dedans ou quoi que ce soit. Mais le fait moi d’avoir entamé ce régime pour correspondre à ces critères de beauté qui… qu’on ne devrait imposer à personne ont fait que je suis tombée là-dedans et qu’ensuite ma vie a quand même été un enfer, sincèrement, pendant huit ans.

Mickael : Et tu parles de ce déclencheur, justement, qui a été ta rencontre avec le milieu de la mode. Ce milieu aujourd’hui tu en es sortie. Quel regard est-ce que tu portes dessus ?

Victoire : En fait j’estime que la mode a une responsabilité énorme au niveau de la santé publique, parce que c’est un média et un medium qui a tellement de pouvoir au final, il touche absolument tout le monde, de manière consciente ou non, et d’autant plus les jeunes filles, les jeunes hommes, quand on est adolescent on a quand même une sensibilité accrue à plein de choses, et le pouvoir de l’image est monstrueux. Maintenant il y a les réseaux sociaux en plus qui amplifient tout. Et je trouve qu’au nom d’une certaine beauté, ou d’une idée qu’on voudrait imposer parce que c’est… c’est une certaine esthétique ou quoi que ce soit, très bien, mais on ne peut pas se dédouaner de la responsabilité qu’on porte, surtout quand ça touche à la santé. C’est trop facile, sincèrement. Donc moi je ne porte pas beaucoup de respect aux gens qui se dédouanent de ça. Tout le monde ne le fait pas, il y a des… des femmes, d’ailleurs, que ce soit Agnès B. ou Vanessa Bruno qui emploient des jeunes femmes majeures, en bonne santé, donc c’est possible, c’était aussi le cas dans les années 8à, donc c’est quelque chose qu’on peut tout à fait atteindre, donc je… C’est quelque chose que je ne comprends pas en fait, parce que c’est tout à fait possible. Après je conçois que la mode fasse rêver, tout comme le cinéma, moi je ne suis pas pour un truc toujours tout social, il n’y a pas de problème avec ça, je suis totalement pour une idée de la beauté, mais jamais au détriment de la santé, un vêtement ne doit jamais être plus important que l’humain, surtout que c’est totalement compatible ! Alors la mode aujourd’hui il y a tout un mouvement sociétal qui prend de l’ampleur, avec des marques plus petites, beaucoup de marques de lingerie aussi qui ont décidé de représenter toutes les femmes, tous les corps, le seul problème c’est que ça reste beaucoup sur le physique, je trouve, les femmes sont constamment ramenées à leur physique, et c’est aussi très hypocrite, beaucoup dans la haute couture, où on va nous montrer une mannequin plus size, il va y en avoir une, quoi. Parce que c’est le truc marketing, regardez, je l’ai fait ! Mais ça ne reflète pas du tout les valeurs de la maison. Après heureusement sincèrement il y en a, qui le font sincèrement, et c (« est très bien, et il faut que ce soit de plus en plus ça, mais c’est dommage que ça ne soit pas plus le cas. C’est quelque chose qui me dépasse, en fait, je ne comprends pas, pour moi la mode est censée célébrer la femme, la plupart du temps, je dis la femme parce qu’il y a quand même beaucoup de marques qui sont là pour les femmes, et l’homme aussi, et je trouve que la plupart du temps elles maltraitent le corps féminin et qu’elle annihile toute sorte de féminité, et je trouve ça extrêmement destructeur pour les jeunes filles qui vivent dans ce milieu-là. Il y a quand même des jeunes femmes qui meurent de crise cardiaque à chaque Fashion Week ! Et ça on n’en parle pas. Parce qu’on meurt d’anorexie en fait, c’est une maladie mentale mortelle, mais y’a aussi toutes les jeunes femmes et les jeunes hommes qui s’identifient à ces modèles et à ces canons de soi-disant beauté. On parle d’anorexie infantile maintenant, parce que ça arrive de plus en plus jeune et c’est un véritable problème de santé publique. Et oui, je trouve que la mode a une responsabilité morale et publique, et que c’est dommage qu’elle ne s’en rende pas compte ou qu’elle ne veuille pas prendre l’ampleur de cette responsabilité.

Mickael : On est dans une société qui valorise comme tu l’as dit énormément l’image, donc ce qu’on voit de l’extérieur d’une personne c’est son corps, sa corpulence, ses vêtements. Qu’est-ce que tu penses de ce poids de l’image aujourd’hui dans la société ?

Victoire : Ah ben je trouve ça très triste ! Je pense qu’on en est beaucoup prisonniers, moi la première, d’avoir des réseaux sociaux, moi je n’en avais pas avant la sortie de mon livre en 2016, je les ai créés justement pour faire la promotion de mon livre, et étant une personnalité assez addictive je suis très facilement addict à ce genre de trucs, et c’est très anxiogène je trouve, et certainement d’autant plus pour les jeunes générations qui n’ont jamais vécu sans ça, je pense qu’on peut très vite perdre ses repères et devenir addict au fait d’avoir des likes, des messages, enfin, on est constamment sur nos téléphones ! Et on vit en plus dans quelque chose de faux, enfin moi, le nombre de jeunes gens que je rencontre qui ont dix ans de moins que moi, donc dix-sept, dix-huit ans, et qui me disent, mais oui, on a lu ton livre, mais tu nous dis que dans les backstages les mannequins elles mangent pas vraiment ça ou elles vont se faire vomir après, mais regarde, telle mannequin elle vient de poster une photo avec un plat de pâtes, ou un hamburger. Le pouvoir de l’image est considérable, on a beau expliquer, non. Et c’est plus fort que tout, et les publicitaires d’ailleurs le savent très bien, on est tous victimes de ça, on ne peut absolument pas y échapper. Quand on voit que ce sont même des psychologues qui ont participé à la création de tous les réseaux sociaux, ils savent très bien comment marche le système de la dopamine, etc. qu’on est tous addict à ça, et je trouve que c’est dommage d’ailleurs que ça ne soit pas intégré dans les cours de l’éducation nationale parce que ça fait partie intégrante de la vie des jeunes et ça peut être dangereux et anxiogène, même quand on voit le harcèlement scolaire, le harcèlement en ligne, ça peut créer des dommages absolument considérables, et dans le milieu de la mode c’est utilisé puissance dix mille, même avant que ça existe, avec Photoshop… Moi j’étais d’une maigreur extrême, ce qui était important pour les défilés parce qu’il fallait rentrer dans ces fameuses tailles 32-34, mais en revanche pour les photos dans les magazines on nous rajoutait de la poitrine, on nous rajoutait des joues, on nous gommait les os voilà au niveau de la poitrine. Ça pouvait même être le visage d’une mannequin, le buste d’une autre, les jambes d’une troisième, toute l’image est trafiquée ! Ce qui encore une fois peut faire partie d’un art, je ne remets pas en question ça, mais le problème c’est que les jeunes gens n’ont aucune idée et n’arrivent pas à concevoir que ce soit faux. Et maintenant sur les réseaux sociaux c’est démultiplié avec les filtres, enfin il parait qu’il y a même des jeunes femmes, des instagrameuses qui ne peuvent plus se voir dans le miroir le matin parce qu’elles sont tellement habituées à se voir avec des filtres… C’est terrible qu’on vive dans un monde comme ça ! Après faut certainement, voilà, vivre avec son époque ou se déconnecter de tout totalement, je suis pas en train de dire à bas la technologie, ça permet aussi d’avoir d’autres mouvements d’ailleurs, moi toutes les personnes que je suis parlent de santé mentale, de vivre tel qu’on est, de s’aimer, etc., donc on peut s’en servir d’une autre manière, mais je pense que c’est très important d’être conscient aussi des personnes qu’on suit, et on ne l’est pas forcément quand on est ado, mais dès qu’on éteint son téléphone et qu’on se dit ah, là je me sens pas top ! C’est peut-être qu’il y a des trucs à changer, on peut bloquer… Moi j’ai un minuteur, par exemple. Pour passer maximum dix minutes sur Instagram, parce que sinon je pense que je peux y passer trois heures et me dire ah bah là j’ai perdu trois heures de ma vie ! Ne rien apprendre.

Mickael : C’est bien que tu évoques justement ce minuteur qui exerce un certain contrôle quand même sur les comportements, et dans la même veine on a quelques petites politiques de santé publique qui ont été mises en place dans le milieu de la mode avec notamment l’interdiction de défiler pour les mannequins considérées trop maigres, sur le fondement de leur IMC, et l’apposition sur les affiches d’une mention « photo retouchée ». Est-ce que tu as l’impression que ces mesures aujourd’hui sont appliquées de la manière dont elles devraient l’être, et est-ce qu’elles sont utiles ?

Victoire : Alors c’est Olivier Véran qui avait mis en place ces mesures en 2015 et j’avais soutenu cette loi qui était totalement nécessaire, et il fallait bien que quelqu’un ose faire ça et qu’il y ait des premières mesures et… parce que personne n’ose trop s’attaquer à ce milieu-là parce que c’est tellement puissant économiquement que tout le monde en a très peur. Le problème c’est que comme ils sont très puissants économiquement, ils s’en fichent totalement des lois, et je trouve ça insupportable. Je trouve ça dingue qu’en France des gens se disent bah non, en fait, on va pas le faire. Donc oui je trouvais ça très bien comme mesure, le problème c’est que non, c’est absolument pas respecté par tout le monde. Alors de temps en temps on voit la mention photo retouchée en tellement minuscule qu’il faut une loupe pour le voir ! Et le problème c’est pas la mention photo retouchée, le problème, c’est prenez des filles saines dès le départ pour ne pas avoir à écrire photo retouchée ! Parce que sinon encore une fois c’est la puissance de l’image qui va s’imprimer inconsciemment dans la tête des ados, et ils vont dire il faut ressembler à cette image… Encore récemment je lui ai envoyé à Olivier Véran, il n’a pas le temps de faire ça, mais des photos d’une telle maigreur, enfin, c’est l’apocalypse, quoi, on veut donner cette image de la femme, je… Non, moi personnellement je n’ai pas envie de ressembler à ça et je pense que très peu de femmes ont comme idéal la maigreur extrême, la maladie, tomber en se levant… Qui a envie d’atteindre ça ? Ça m’énerve beaucoup comme tu peux le voir. Et ensuite l’IMC oui bien sûr c’est toujours important de se baser sur ça parce que ce sont des mesures médicales et c’est nécessaire, mais là aussi, moi par exemple, quand je suis entrée dans cette agence de mannequin j’avais un IMC sain et puis en deux mois seulement j’ai perdu douze kilos pour arriver à cette Fashion Week et on a recours à des techniques tellement extrêmes, et puis on sait très bien quoi faire avant d’aller voir le médecin, on va boire deux litres d’eau, les filles mangent des cotons, de la glace, des trucs qui sont quand même d’une violence aussi pour le corps, c’est monstrueux, donc il faudrait que ce soit bien plus régularisé que ça, qu’il y ait peut être aussi quelque chose au niveau de l’Europe, que ce soient les créateurs qui soient bien plus sanctionnés, parce que c’est quand même qu’une question d’ego, la vérité est quand même là, dans les années 80 c’étaient les mannequins qui étaient des stars, qui pouvaient s’exprimer, qui avaient une véritable personnalité et qui effaçaient totalement le créateur. Ça peut peut-être être les deux aussi qui parlent, et que ce soient des femmes aujourd’hui qui expriment véritablement un message, que ce soit des campagnes aussi justement sur le droit des femmes, sur la santé mentale, que ce soient véritablement des égéries. Alors heureusement il y a plein d’actrices qui ont ce… ce pouvoir entre guillemets là et qui peuvent véhiculer des messages super intéressants en même temps qu’être l’emblème d’une marque, et ça c’est super, mais c’était le rôle au départ des mannequins qui sont des « models », en anglais, donc c’est quand même censé être, oui, des modèles de quelque chose, et on a totalement enlevé ça aux femmes, qui ne devraient jamais être réduites à leur corps, et à un sac d’os, quoi. En plus c’est soit ça, soit l’hypersexualisation, euh, avec des petites nanas qui ont quinze, seize ans, et qu’on surmaquille… Donc oui, on a des efforts encore à faire là-dessus !

Mickael : Alors comme tu l’as dit tu as écrit un livre, Jamais assez maigre. Comment est-ce que l’idée d’écrire ce livre t’est venue ?

Victoire : Alors c’est grâce à mon éditeur, Jean Baptiste Bourrat, qui est quelqu’un de formidable, si un jour tu veux écrire un livre je te recommande cette personne ! En fait j’avais soutenu Olivier Véran quand il a souhaité faire cette loi en 2015 et je lui ai écrit une lettre qu’il a lue, je sais plus si c’était au parlement ou à l’assemblée, mais qui a permis de soutenir l’amendement, qu’il a diffusé ensuite dans les médias, et je suis passée sur BFM, juste pour témoigner. Et mon, celui qui allait devenir mon éditeur, Jean Baptiste, m’a vue et m’a contactée. Il se trouve que je vivais à Londres, que c’était la foire du livre ou un truc comme ça, qu’on s’est rencontrés, que je l’ai beaucoup aimé en tant que personne et il a dit vous avez pas d’autres histoires comme ça que celle que vous aviez écrite dans la lettre ? Parce que ça pourrait peut-être faire un livre… Et j’avais tout mon journal intime en fait, de l’époque, de mes dix-sept ans, parce que pour moi c’était dramatique de partir… si loin, ça fait terrible de dire ça, mais je n’étais jamais partie loin de ma famille, et à l’époque y’avait pas WhatsApp, tous ces trucs, donc ça coutait super cher d’appeler des États-Unis, et je pouvais pas appeler ma mère tout le temps, et j’étais vraiment un bébé moi à dix-sept ans ! Et elle me manquait énormément et ma mère m’avait conseillé d’écrire un journal comme si je lui parlais un petit peu à elle et puis pour me souvenir de ce qui m’arrivait, etc., et heureusement parce que d’avoir souffert d’anorexie il y avait plein de choses dont je ne me souvenais pas, mais tout était écrit dans ce journal, que j’ai donné à mon éditeur, grande confiance quand même, maintenant quand j’y pense ! Et il m’a dit bah écoute on peut en faire un livre, alors il faut quand même retravailler certaines choses, il m’a proposé que quelqu’un l’écrive, moi je ne voulais pas du tout parce que…. enfin étant donné que mon nom était dessus je trouvais ça un petit peu bizarre, mais je l’ai quand même pas écrit toute seule, je l’ai écrit avec une journaliste parce que j’avais jamais écrit avant et elle était quand même professionnelle pour faire ça, donc on l’a écrit à deux, et c’était très intéressant d’ailleurs comme expérience, parce que c’était… Enfin, c’était douloureux d’ailleurs quand même, parce qu’elle me posait plein de questions sur… ce moment-là de ma vie, parce qu’il y a des choses aussi dont je ne me souvenais pas forcément, donc voilà, et donc on a travaillé dessus tout un été, et ensuite j’ai travaillé moi avec mon éditeur, parce que je voulais inclure un cahier photos parce que je me disais que les gens voulaient surement visualiser comme c’était de l’intérieur, et puis c’était quand même destiné aux jeunes filles principalement parce que je me disais… Peut-être qu’au moins ça donnera du sens à ce que j’ai vécu si ça peut aider une personne. J’avais pas trop compris pourquoi ça m’était arrivé, dans ma vie, de faire ça, et ça m’avait quand même bien plus abimée que rendue heureuse, et je me suis dit bah au moins si ça peut aider quelqu’un et briser l’omerta de ce monde-là, parce que j’estime que quand on voit quelque chose qui est injuste il faut le dire, du coup voilà ça donnera du sens à ce que j’ai vécu, donc c’était assez égoïste, au départ c’était peut-être moi pour me libérer de ça, et me dire peut être que j’aurais bien aimé lire un truc comme ça, enfin, avoir lu ça quand j’avais dix-sept ans parce que ça m’aurait peut-être permis de pas tomber là-dedans, quoi.

Mickael : Donc tu l’as dit, tu as coécrit ce livre avec une journaliste et tu t’es rendue compte aussi qu’il y avait des souvenirs qui t’avaient échappé. Comment on procède dans ces cas-là pour être le plus précis possible alors qu’on sait très bien que des choses qui se sont passées des années auparavant peuvent avoir été oubliées ? Comment est-ce qu’on procède, finalement pour rassembler un peu toutes les pièces du puzzle ?

Victoire : Alors premièrement, sincèrement, heureusement que j’avais mon journal intime parce que je pense que 90 % c’est vraiment que ça. Et d’ailleurs quand je le lisais je ne me souvenais pas de ça. Et après c’est cette journaliste, Valérie Pérronet, on a passé quatre jours ensemble à Oxford, et elle m’a posé plein de questions sur mes ressentis de l’époque, même des odeurs, des choses que je faisais… Elle m’a poussée loin ! C’est-à-dire qu’à ce moment-là déjà je suis totalement retombée dans la boulimie, exactement d’ailleurs comme quand mon livre est sorti. Ça c’était très dur, parce que ça m’a replongée, vraiment une claque quand… Quand mon livre est sorti, j’ai bien regretté ! Parce que je pensais pas aussi que ça allait avoir autant de succès, vraiment c’est très bien, j’ai eu beaucoup de chance, et c’est triste aussi parce que ça touchait énormément de personnes, mais j’ai eu énormément de chance, tous les journalistes français étaient extrêmement bienveillants, et j’ai eu plein d’interviews, mais du coup j’ai dû parler de ça toute la journée pendant des mois, et j’étais un peu en mode robot, à sortir toujours le même discours, j’écoutais même plus les questions, je disais des choses de manière automatique. Et là aussi j’ai redécouvert plein de choses, d’ailleurs parce que la brigade de police des mineurs aussi m’a appelée en me disant… Parce que j’ai changé le nom des personnes privées, pas des designers et des personnes publiques, mais ils m’ont appelé en me disant est-ce que vous connaissez telle personne, que j’appelle Sébastien dans le livre, mon agent, parce qu’il a violé plus de cent jeunes filles. Dont une qui vivait avec moi à New York, et moi j’ai totalement des black outs de cette période-là parce que je prenais des somnifères et je pesais 45 kilos donc ils marchaient très vite, les somnifères, et lui il pouvait m’appeler à n’importe quelle heure en me disant, j’habitais à Chelsea donc au sud de Manhattan à New York, et puis il me disait tu as un casting au Nord, donc je ne sais plus combien de temps ça représente en taxi, mais je ne me souviens absolument pas. Je me souviens de l’arrivée au casting, mais pas du trajet, de comment je rentrais chez moi. Et lui avait la clé de notre appart, il allait fouiller les petites culottes de mes colocs pour voir qu’elles avaient des M&Ms… Et c’est vrai que quand j’ai eu toutes ces infos j’ai d’autres trucs aussi qui sont remontés à me dire OK, là j’étais pas du tout prête à me souvenir de trucs comme ça : ! Et bah oui, y’a forcément plein de choses à chaque fois qui… Je pense que quand on vit des trucs hyper violents on est dans le déni de plein plein de choses, et déjà quand j’étais avec cette journaliste il y avait plein de choses que je ne voulais pas forcément ressortir, pendant la promo avec les journalistes aussi il y a plein de choses que je disais pas. Parce que bah même aussi ça touche à des choses tellement personnelles de ma vie, de ma relation avec mes parents, etc., et j’estimais que ça ne regardait pas forcément tout le monde d’en parler. Maintenant je suis beaucoup plus à l’aise avec ça parce que ça fait longtemps, que j’ai revu une psy, qui est trop bien, et que après on fait la paix aussi avec sa vie et peut être avec l’image qu’on veut donner de soi. Maintenant je m’en fiche relativement alors que j’étais aussi plus jeune, et du coup je voulais beaucoup plus contrôler peut-être une idée de ce que je voulais dire, et je pense qu’au fur et à mesure on lâche aussi ça. Et je pense que c’est aussi en étant plus vulnérable qu’on invite quand même les autres à l’être. Et d’ailleurs c’est pour ça que je voulais écrire ce livre à la première personne, que je voulais l’écrire du point de vue de mon journal intime donc de quand j’avais dix-sept ans, même si j’étais très jeune quand je l’ai écrit, je devais avoir 23, 24, un truc comme ça, mais je voulais pas non plus l’écrire avec le recul d’après et dire voilà ce qui m’est arrivé, voilà le regard sur ce milieu, c’était pas un essai, enfin c’est écrit de manière hyper simple, y’a pas de… de style ou de prétention, enfin le but était vraiment de toucher et d’écrire les choses comme je les avais vécues et ressenties, oui vraiment sans aucune prétention, et d’ailleurs je saurais pas écrire autrement donc je ne dis pas ça en mode je pourrais faire un autre truc ! C’était vraiment plus on est… naturel plus on invite les autres aussi à s’ouvrir et à être OK avec ce qu’ils ressentent, quoi.

Mickael : Tu l’as évoqué brièvement aussi, c’est la question de savoir jusqu’où on peut aller, ce qu’on peut dire, ce qu’on ne peut pas dire. Et ce choix justement tu l’as opéré comment toi dans ton cas personnel ?

Victoire : [rires] C’est une bonne question, je pense que pendant très longtemps j’étais beaucoup dans le contrôle, je te dis ça c’est un petit peu hypocrite parce que je peux être encore beaucoup dans le contrôle dans ma vie personnelle, j’ai encore peur de plein de choses, mais euh… oui, publiquement, enfin pour tous ces trucs de santé mentale, etc., c’est vrai que je ne me pose jamais la question, je devais peut être plus me la poser ! Mais enfin… j’estime qu’on ne doit avoir honte de rien, en fait, sincèrement. Parce qu’on est tous humains et qu’on traverse tous plein de choses, qu’elles soient bonnes, mauvaises, y’a pas de mauvais, en fait, et on ne doit pas avoir honte d’aller mal, de traverser des choses qui sont considérées comme négative, où c’est beaucoup d’idées préconçues finalement et de stéréotypes de dire la faiblesse, c’est un choix, déjà ça c’est totalement faux, on n’est jamais faible ou ce n’est pas un choix d’être malade, c’est juste ne pas connaître de reprocher ça à quelqu’un. Et c’est très français, aussi ! Pour avoir vécu longtemps en Angleterre, c’est, on est très en retard par rapport à ça et on connaît malheureusement très peu de choses ou en tout cas on est bloqués dans beaucoup de stéréotypes sur la santé mentale, et c’est ça aussi qui rend beaucoup de gens qui souffrent de troubles psychiques très malheureux, alors qu’il n’y a aucune frontière entre ce qu’on considère être normal et pathologique, on peut tous tomber là-dedans à un moment de nos vies, et c’est pas pour ça qu’on va rester bloqués dedans, donc ce n’est pas grave ! On peut tous aller très mal à un moment de nos vies, très bien juste après, euh, et je pense que ça vient beaucoup de la peur, mais comme tout, comme le racisme, l’homophobie, et c’est quand on ne connaît pas qu’on se crée beaucoup une peur énorme comme ça, c’est pour ça je pense qu’il faut énormément libérer la parole, et en parler pour se rendre compte qu’il n’y a pas de problèmes, il n’y a pas de peur à avoir, tout va bien se passer ! Mais c’est vrai qu’il y a énormément de mauvaises informations là-dessus, quand on voit que le mot schizophrénie est mal employé six fois sur dix dans la presse généraliste, c’est ça qui est honteux ! La honte est de l’autre côté ! Mais comme beaucoup de choses, comme quand voilà on subit un viol et qu’on a honte, la honte est de l’autre côté, mais il faut le redire, le redire… Et moi c’est vrai que maintenant je n’ai plus aucune honte par rapport à ça parce que je « n’ai pas à avoir honte ! Et je le pense, en fait, et je le vis sincèrement, alors que peut être avant j’étais plus dans un truc de me cacher, un peu… Mais même pour plein de choses en fait dans ma vie, là je te fais un parallèle qui n’a peut-être rien à voir, moi je ne mange pas de gluten par exemple. Alors ça en France… Ou de ne pas boire du lait ! Tu vas dans un café, non, mais mademoiselle on a du bon lait de vache. Très bien, mais proposez aussi une alternative, tu vois, dans les pays anglo-saxons ça fait dix ans qu’il n’y a pas de souci avec ça les gars ! Alors je comprends, mais à force d’être ancré dans notre passé on avance pas aussi vers l’ouverture, les autres, je pense pas que sincèrement que ce soit incompatible. Après c’est aussi l’image qu’on donne de la santé mentale qui est… Là aussi si, je parle souvent de schizophrénie parce que malheureusement c’est le cas le plus flagrant, mais plein de gens pensent que si tu souffres de schizophrénie tu vas être un fou allié meurtrier accroché à ton lit derrière des barreaux, non ! La plupart du temps quand on souffre d’un trouble psychique on subit la violence des autres, on ne la commet pas soi-même ! Ça c’est quand même important aussi de se l’entrer dans le crâne, mais ce que je dis souvent aussi c’est les mots utilisés, moi je dis on souffre de, parce qu’on ne va pas dire à quelqu’un tu es cancer ! Et c’est important de refaire le parallèle entre la santé physique, la santé mentale… Et je pense qu’en fait plus on en parle et plus on déstigmatise parce qu’en fait ça va venir… Et du coup je me mets pas… Bah aucune, en fait, aucune barrière par rapport à ça, et c’est vrai que j’en parle très librement et il y a encore pas mal de personnes que ça déstabilise, du coup ça m’amuse un petit peu, donc j’en joue un petit peu, je dois l’avouer… Surtout dans les dîners, tu sais, quand c’est le truc un peu coincé, les gens te disent, ça m’est arrivé la dernière fois, je sais plus pourquoi c’était… Ou même pour les règles aussi ! Ça, c’est encore un truc, y’a plein de gens ils te disent pourquoi tu viens pas ? Bah en fait j’ai mal au ventre, là j’ai mes règles ! Et tu as un blanc ! Et je dis bah en fait ça m’arrive tous les mois, hein… Et je comprends pas pourquoi ça devrait être… Oui, honteux là aussi, y’a rien de… Ce n’est pas grave, là aussi, ça va bien se passer ! Ça devrait d’ailleurs mieux se passer parce que plein de médecins ne prennent absolument pas en compte cette douleur, et c’est vrai que… Là aussi y’a des inégalités de genre, y’a des inégalités aussi territoriales parce qu’il y a des déserts médicaux, des inégalités en fonction de ta couleur de peau, de tes revenus, donc il y a beaucoup de travail ! mais du coup oui j’ai plus du tout de contrôle par rapport à ça, même si j’en ai, hein, d’autres choses dans ma vie personnelle, de pas forcément dévoiler mes sentiments et plein de choses parce que… Comme, je pense, j’ai subi beaucoup d’abus, j’ai peur, une de mes grandes peurs c’est qu’on abuse de moi, et du coup si je suis très libre dans mon discours, je ne le suis pas forcément dans mes relations moi privées, donc ça, je pense, comme beaucoup de personnes, y’a toujours un clivage entre ce qu’on montre à l’extérieur et ce qu’on peut être… Oui, vraiment. C’est toujours plus facile de parler pour les autres que pour soi, quoi.

Mickael : et ça fait une belle transition justement avec ma question qui arrive, qui est bah quand on témoigne souvent on parle pour les autres, et ces autres ils t’ont donné quoi comme retours ? C’était quoi comme messages que tu as eus ensuite, c’était du positif, du négatif, de l’incompréhension, de la bienveillance, c’était quoi ?

Victoire : Ah j’ai eu énormément de bienveillance, j’ai eu énormément de… de la part des médias en France c’était assez dingue, j’ai eu énormément de chance, j’ai été reçue sur tous les plateaux, Les arènes aussi, ma maison d’édition qui était super parce qu’ils m’ont permis d’avoir une super promo, mais les journalistes étaient supers aussi avec moi et beaucoup… En France on est beaucoup sur la santé, on a un système de santé qui est quand même assez dingue, ça j’ai pu le comparer aussi avec l’Angleterre, c’est vrai qu’on a la sécurité sociale, on aime bien se plaindre en France, mais on a quand même beaucoup de chance, pour beaucoup de choses aussi ! Et après sur les réseaux sociaux c’est vrai que c’était… C’était fou, mais c’était très déstabilisant, le nombre de messages que j’ai reçus… C’était par milliers, quoi ! Des jeunes, alors beaucoup de jeunes femmes, mais des jeunes hommes aussi qui m’ont écrit suite à la publication de mon livre en 2016, j’ai mis deux ans à répondre à tous les messages parce que forcément je voulais y répondre de manière personnalisée, mais bon j’étais quand même super… j’étais jeune quoi, oui, j’avais vingt-trois, vingt-quatre ans, et j’ai reçu vraiment des appels à l’aide, des appels au secours en me disant vraiment vous êtes mon dernier recours, j’ai tout essayé, j’ai envie de mettre fin à mes jours, je ne sais pas quoi faire, aucun médecin ne m’écoute… Et c’était dur. Parce que déjà moi j’ai pris le truc en me disant si je ne sais pas quoi répondre ou si je réponds mal, ça va être de ma faute, donc oui j’ai, il y a quand même eu des trucs où, parce que je ne suis pas médecin ! Et c’est là où je me suis dit il y a quand même un problème et une rupture entre les jeunes et les médecins, et la psychiatrie fait trop peur en France, et je ne sais pas d’où vient ce problème, il y a quand même une grande responsabilité des médecins, qui savent certains, enfin là il y a toute une nouvelle génération qui est hyper cool, y’a plein de médecins je pense qui ne savent pas comment s’adresser aux jeunes, moi c’est vrai que quand j’ai fait une tentative de suicide, que je suis arrivée dans un hôpital que le médecin ne s’est même pas adressé à moi ! Et qu’il a dit à mes parents elle fait une crise d’ado ! Bah oui, moi je me suis dit c’est un gros con ! Forcément ! Et heureusement que, bah, j’ai les parents que j’ai, qui m’ont emmenée aussi dans une clinique parce que j’ai aussi la chance de venir d’un milieu aisé, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, et j’ai rencontré un médecin exceptionnel, là aussi j’ai eu de la chance, parce qu’il y a aussi des errances de diagnostic de dix ans ! Donc j’ai eu une chance dingue, et de rencontrer ce médecin, le docteur Vincent Jost qui était génial et qui m’a totalement sauvé la vie, mais je suis consciente de la chance que j’ai ! Et c’est vrai que… Ayant aussi beaucoup d’empathie je ressentais… Donc là j’ai bien replongé, quand même, on ne va pas se mentir. Et oui, j’ai mis beaucoup de temps parce que je savais pas quoi dire, et je voulais pas répondre quelque chose qui pouvait mettre en danger, et je ne voulais pas aussi répondre un message banal qui pouvait faire croire que je n’en avais rien à faire alors que c’était pas du tout le cas… Et du coup c’était assez euh… Compliqué de savoir quoi dire, parce que j’ai trouvé ça dingue d’en recevoir autant, et de me dire si toutes ces personnes m’écrivent à moi alors qu’elles ne me connaissent pas, bah ça veut dire qu’elles ne savent vraiment pas à qui parler, et y’a quand même un… Bah ça me donne envie de pleurer ! Oui, ça veut dire qu’il y a quand même un… Gros manque, et un gros besoin, et qu’il y a un gros problème. Et aussi en fait qu’il y a un manque d’accès même à l’information, même avant le manque d’accès aux soins, parce que je sais bien hein que dans les hôpitaux spécialisés même y’a des listes d’attente qui peuvent durer des années, mais avant ça y’avait des personnes qui m’écrivaient en me disant est-ce que tu peux me recommander un médecin, ou un hôpital, parce que je ne sais pas vers qui me tourner. Donc ils ne savaient même pas ça en fait. Et c’est vrai aussi que quand on est tellement mal on n’a même pas forcément la force de trouver l’information, et là bah moi on pouvait me voir une fois à la télé, on se disait ah bah c’est la personne qui va m’aider ! Mais il y a ce souci de régler effectivement l’accès à l’information qui n’est pas disponible tout de suite, et ça c’est un problème parce qu’il y a plein de personnes qu’on pourrait aider et qui ne savent pas comment faire ça, quoi !

Mickael : Suite à ton témoignage tu as eu pas mal de retours, notamment de pas mal de personnes qui se tournaient vers toi pour obtenir de l’aide, et du coup selon toi quel est l’avantage de témoigner pour les autres ? Quels sont les bénéfices qu’on peut apporter justement à des personnes qui peuvent traverser les mêmes épreuves ?

Victoire : Ah je pense que c’est essentiel, toujours, d’en parler, parce qu’en fait énormément de personnes se retrouvent là-dedans, et ça permet de sortir de l’isolement. Et je pense que ça, quand on souffre de choses, l’isolement c’est ce qui est fatal. Se dire je suis seul là-dedans, personne ne comprend, c’est ce qui tue véritablement, d’être dans l’incompréhension… Enfin je me rappelle que moi quand j’étais au plus mal je me disais, mais… Ouais, personne ne sait ce que c’est et du coup personne ne va pouvoir m’aider, et du coup je pense que de pouvoir se reconnaitre dans le parcours de l’autre, et d’être en empathie véritablement et de pouvoir se dire ah, mais cette personne s’en est sortie, ça donne de l’espoir ! Et du coup c’est la première marche, quoi, c’est la première étape pour se dire je peux demander de l’aide, je peux en parler à quelqu’un, je peux peut être sortir du déni de ce qui est en train de m’arriver. Ou ça peut alerter un proche aussi ! j’ai eu des messages de Mamans, de petits amis qui disaient ah je pense que ma copine, ma fille, mon amie est en train de vivre ça, je suis pas trop sûre, comment je peux en parler, qu’est-ce que je pourrai faire, et je pense que c’est un message d’alerte qui peut, oui qui peut être vraiment le premier pas pour apporter de l’espoir, pour apporter de l’aide, pour se dire je suis pas seul, et on est jamais seul, y’a toujours une solution, vraiment. Enfin moi j’ai été au plus bas à vouloir partir parce que ma souffrance était tellement intense, et aujourd’hui je suis hyper heureuse ! Et je pensais jamais quand j’étais si mal me dire que ça pouvait arriver quoi, enfin c’était… Et pourtant je peux à nouveau… Enfin je ressens les choses tellement fortement, en amour ou pour plein de trucs, que je me dis waoh, c’est… Je ressens bien, quoi, quand même ! Mais je sais maintenant que ça va aller parce que je me connais, que j’ai déjà vécu ça, et donc c’est… Bon, j’ai tous les outils maintenant pour aller bien. Et je pense que juste d’avoir quelqu’un qui comprend, qui l’a vécu, et qui nous dit ça, enfin moi j’aurais adoré que quelqu’un me dise ça. Et je pense que le problème c’est que j’avais un médecin… Pas celui qui m’a sauvée, mais le premier médecin que j’ai rencontré qui m’a dit tu fais ta crise d’ado… bah ça va pas m’aider en fait ! non, j’avais besoin de quelqu’un qui effectivement, peut-être l’avait vécu, alors qui en plus avait tous les outils, parce que c’est pas quelqu’un qui l’a vécu qui va nous sauver, c’est quelqu’un qui en plus a fait des études de médecine, ça, c’est très important à souligner quand même ! Mais oui, c’est quelqu’un qui se met en empathie pour comprendre et qui peut se mettre à notre place, en fait, tout simplement !

Mickael : Alors on arrive justement à ce point des limites du témoignage. Comme tu l’as dit ce ne sont pas forcément les personnes qui témoignent qui sont à même d’apporter une aide concrète aux personnes, et c’est ce qu’on voit assez souvent sur les réseaux sociaux avec des personnes qui créent des comptes, qui sont souvent assez influents, en prodiguant des conseils génériques qui ne sont pas forcément très adaptés, sans forcément rappeler qu’il faut, comme tu l’as dit, aller consulter un professionnel de santé, un médecin, un psychologue. Quel est ton point de vue, enfin, finalement sur cette manière de témoigner, mais de manière très très générale, sans promouvoir la recherche d’aide médicale ?

Victoire : Là effectivement je pense aussi qu’il faut être conscient de sa responsabilité quand on est une figure publique et quand on est un Instagrameur très influent. Et c’est super d’en parler, de déstigmatiser, plus plein de personnes le font, mieux c’est, et c’est vrai qu’il faut parler sans tabou de la santé mentale et je suis à fond pour ça, mais il y a beaucoup d’instagrameurs qui se permettent de donner plein de conseils sans peut être se rendre compte qu’il y a des personnes en fait qui sont très fragiles, et qui peuvent sincèrement avoir besoin d’aide, et qui boivent les paroles de ce qu’ils entendent en face. C’est très important d’en être conscient, parce que quand on souffre d’un trouble psychique, la personne en face qui peut nous aider c’est un médecin, ou un psychologue, quelqu’un qui a fait des études pour avoir les outils pour aider, et quand on a vécu ça, c’est super, on est, voilà une figure de résilience, ou voilà, quelqu’un qui l’a vécu, qui peut faire part de son expérience, mais qui lui est propre. Et moi c’est vrai que ce que je dis çà chaque fois sur mes réseaux sociaux, alors je ne me considère pas comme Instagrameuse, attention ! mais je dis que voilà, ce que j’ai vécu n’est propre qu’à moi, que je ne suis pas médecin, et je le répète quand même à chaque fois, et j’estime être juste le lien entre les deux, et je pense que c’est le rôle des personnes qui l’ont vécu, c’est de dire je comprends totalement ce que tu vis, j’entends, effectivement y’a aucun jugement et y’en aura jamais, mais sache que moi ce qui m’a aidé… Alors il y a plein de petits outils, et je peux te les donner, ça ne t’aidera peut-être pas parce que chacun a son propre parcours de guérison, mais ce qui m’a aidé c’est de voir un médecin. Il faut demander de l’aide, aller voir un professionnel de santé. Toujours ! On se casse une jambe, on va voir un médecin, on va pas voir son pote qui s’est pété une jambe, qui va nous dire bah moi j’ai, j’ai fait ça, et puis j’ai mis des feuilles de sauge, des machins… Oui, peut être que ça peut marcher et aider un petit peu et machin, mais on va quand même aller mettre un plâtre avec un médecin qui sait comment faire et voilà, on va chez le dentiste, on va chez le gynéco, bah on va aussi chez le psy, et d’ailleurs c’est quelque chose qu’on devrait faire tous et toutes, parce que déjà c’est hyper intéressant, et qu’on peut tous être bloqués dans des schémas cognitifs et qu’on a tous des choses, voilà, à changer, à améliorer pour être plus heureux. Mais oui, je pense que ça, c’est vraiment les limites des réseaux sociaux, c’est que le rôle c’est d’être un lien vers les professionnels de santé et pas du tout de prendre la place, parce qu’il y a beaucoup de dérives aussi qui peuvent arriver très vite, et peut être hein que des personnes sont totalement bienveillantes et ne se rendent pas compte de ça, mais là aussi comme la mode il y a une responsabilité publique, et sincèrement, il y a des jeunes qui peuvent être très vulnérables en face, et ils ne se rendent pas compte aussi peut être qu’ils sont… Voilà, susceptibles de boire ces paroles là, mais… Il faut aller voir un médecin !

Mickael : Alors pour toi qui as vécu dans plusieurs pays, quand tu reviens en France et que tu entends parler de santé mentale, tu as quoi comme impression ? Quelle est selon toi l’image de la santé mentale en France ?

Victoire : Euh… Vieille ! [rires] Je trouve qu’on est très en retard en France pour parler de santé mentale. C’est vrai que dans les pays anglo-saxons c’est beaucoup plus déstigmatisé. Tout le monde en parle, enfin, là tu vois pendant le confinement y’avait des immenses campagnes publicitaires dans le métro londonien, de dire tous les handicaps ne sont pas visibles, it’s okay not to be okay, soyez bienveillant les uns envers les autres, enfin c’est, tout le monde en parle très librement, les personnalités publiques en parlent aux États-Unis, les stars de la pop culture en parlent, c’est quelque chose qui n’est pas du tout tabou et nous ça reste quelque chose aussi sur lequel on rigole ! Et il y a une interview d’ailleurs qui m’a choquée du Dr Jean Victor Blanc, euh qui a écrit un super livre sur la pop culture…

Mickael : Et qu’on a reçu dans l’émission.

Victoire : Ah, c’est génial, il est trop cool ! Et c’est génial le bouquin qu’il a écrit, et justement tu vois il était interviewé sur un plateau, je ne dirais pas avec qui, et une personne était assise à côté de lui, il parlait de la bipolarité et du coup elle dit en rigolant ah, si c’est ça moi aussi je suis bipolaire ! Mais non ! Ce n’est pas ça la bipolarité, tu vois ! Et il y a toujours ce truc un peu de… oui, de le tourner en dérision, ou d’utiliser aussi la santé mentale ou les troubles psychiques en insulte. Mais c’est pas en faisant ça en fait qu’on va déstigmatiser les choses, parce que déjà c’est pas drôle, pareil moi je prends toujours cet exemple du cancer, mais on va pas dire à quelqu’un haha, t’as un cancer ! Bah non, en fait. Et puis c’est en mettant les mots réels sur ce que sont les choses qu’on va pouvoir en parler sérieusement et euh… Et donc je trouve ça dommage qu’on n’ait pas aussi des belles campagnes publicitaires là-dessus et que ça ne soit pas pris au sérieux, comme toute autre chose. Parce que ça nous concerne absolument tous ! Et toutes ! Enfin je veux dire ça fait partie de nous comme la santé physique, et puis on en prendrait bien plus soin aussi dès notre plus jeune âge, comme à l’école, c’est vrai que là aussi dans les pays scandinaves il y a des classes sur comment comprendre ses émotions, sur la méditation, dès la maternelle, le primaire, euh, c’est dommage ! Enfin en France on parle effectivement aussi des antidépresseurs, là aussi comme si c’était quelque chose de terrible ! mais pourquoi, enfin, si on a un manque de sérotonine dans le cerveau c’est pas très grave de prendre des antidépresseurs, on va pas dire ça pour prenez de la mélatonine pour dormir, ou de la vitamine C l’hiver ça ne pose de problèmes à personne, donc ça aussi je ne comprends pas. Mais c’est vrai que… Bah ça on les rembourse, par exemple, donc ça fait un trou énorme dans la sécu, mais on ne va pas rembourser les psychologues. Du coup c’est les généralistes qui se retrouvent totalement surmenés à faire des ordonnances d’antidépresseurs, mais les jeunes ne vont pas voir des psychologues parce que ça reste l’image de ah, t’es fou, tu vas voir un psy ! Donc il y a tout un parcours à déconstruire là-dessus, alors que c’est vrai que dans les pays anglo-saxons bah on va voir son thérapeute et on en parle… Bah au dîner, quoi ! Comment est ton psy, la mienne est super… Donc oui, on a des efforts encore à faire là-dessus.

Mickael : Et à ton avis, comment on pourrait justement en France opérer cette déstigmatisation et cette communication plus positive et bienveillante sur la santé mentale ?

Victoire : Alors je pense déjà en en parlant, et ça, c’est ce qui est en train quand même malgré tout de se passer, et sur les réseaux sociaux on peut les utiliser quand même à bon escient… Voilà, en demandant à ce que ça change ! Enfin c’est ce qu’on a vu tu vois je trouve malgré tout avec la mode, je trouve qu’il y a un élan vers ça, qui est certes trop lent, mais qu’on arrive petit à petit voilà, à voir des corps différents, et je pense que ça doit venir de nous, du peuple ! Enfin on doit demander comment on veut être représentés, comment on veut parler des choses, et ça ne doit dériver que de ça. Après je trouve que ça devrait être des mesures qui doivent être prises, justement au niveau de l’éducation nationale, on devrait avoir des cours pour les enfants justement au niveau de la méditation, de l’émotion, mais aussi au niveau du consentement, du rapport homme femme, du désir féminin, enfin c’est plein de choses qui devraient être instaurées pour parler justement de tout ça et que ça devienne la nouvelle normalité, et ensuite c’est les marques là aussi qui pourraient instaurer des campagnes publicitaires, mais c’est vrai que ça doit être du coup un élan collectif et une volonté, tout le monde en fait a sa petite pierre à poser, moi j’essaie de le faire de ma petite personne, c’est sûr que ça n’a pas un impact énorme, mais là toi tu le fais aussi avec ton podcast et ensuite on ne peut qu’espérer que ça devienne une vague collective. Et je trouve que les nouveaux médecins aussi sont quand même dans cet élan-là de vouloir parler autrement et sans tabou de la santé mentale, que les jeunes sont aussi beaucoup plus conscients de tout ça, mais après c’est des changements de société qui demandent aussi forcément du temps, et en s’inspirant des autres, même si je suis consciente que les Français sont très attachés à leur culture, mais je pense que quand on regarde ce qu’il se passe à l’étranger c’est important aussi de voir ce qui est bien, ce qui est moins bien, et de se dire, enfin de se demander ce vers quoi on veut aller. Et donc oui c’est chacun qui doit apporter sa petite pierre, je pense, à l’édifice.

Mickael : Et tu apportes justement aussi une autre pierre à l’édifice qui s’appelle Hello Psycho ! On a déjà reçu Macha qui est ton associée dans ce projet, est-ce que tu peux nous en parler aussi un peu aujourd’hui ?

Victoire : Oui bien sûr, alors Hello Psycho c’est le premier site français dédié aux treize/dix-sept ans pour parler sans tabou de la santé mentale, avec des fiches infos sur tous les troubles psychiques, mais aussi nos conseils, en fait comme une boite à outils, pour justement surmonter une crise d’angoisse, une crise de panique, une crise de boulimie. Parce que justement on a remarqué qu’il n’y avait pas cet accès immédiat au soin, euh, enfin et à l’accès pardon à l’information, parce qu’on dit bien qu’on n’est pas médecin et que les soins ce sont les médecins qui vont les apporter, ou des associations, et toujours, on voulait vraiment être ce lien entre le premier pas, l’information, et les médecins, mais c’était important pour tous les jeunes qui ont des questions de savoir que là y’avait absolument toutes les réponses à ce qu’ils pouvaient se demander, que ce soit les troubles bipolaires, les troubles du comportement alimentaire, la schizophrénie, et de pouvoir en parler sans aucun tabou parce qu’encore une fois y’a vraiment aucune honte à tout ça. Et on voulait que ce soit hyper joli parce que là aussi y’a aucune honte à avoir, et la santé mentale nous concerne tous, et comme Macha aussi vit au Canada et que moi je vivais à Londres, on voulait importer aussi un peu tout ce qu’on avait vu dans d’autres pays, bah pour que les jeunes puissent aussi avoir accès à ça en France, mais y’a aussi d’ailleurs heureusement de plus en plus d’autres sites qui créent ça, il y a la plateforme JefPsy qui est super, qui fait partie de la Maison perchée, aussi, et ça j’invite tous les jeunes s’ils ont besoin d’avoir un accès direct de pouvoir les appeler, Imhotep aussi qui est super sur Instagram, donc j’espère que les choses vont bouger aussi un peu en France et on parlait de cet élan, et je pense que c’est quand même une volonté aussi en France que les choses bougent, et y’a quand même de plus en plus de comptes sur les réseaux sociaux, et de sites, et de podcasts comme le tien qui essaient de faire évoluer les mentalités quand même.

Mickael : Et d’un point de vue plus personnel, tu as évoqué au début de l’entretien que tu avais entrepris des études de psychologie. Est-ce que tu peux nous dire comment tu as franchi ce pas, pourquoi, ce que ça t’apporte et ce que tu comptes en faire ensuite ?

Victoire : Oui ! Alors j’ai repris effectivement des études de psycho, là je suis en L3 du coup parce que j’ai dû recommencer de zéro, ayant fait avant du théâtre et de la philo, ce n’était pas, voilà ça ne m’a pas permis de sauter des années ! Ça me passionne, je trouve ça hyper intéressant, surtout les neurosciences, je trouve ça assez dingue de comprendre comment fonctionne notre cerveau, tu vois, la dopamine, le circuit de la récompense, moi je suis fascinée par les addictions, je trouve ça assez dingue. Et d’un point de vue de la recherche je trouve ça hyper fascinant. Et en fait j’ai repris ça parce que c’est vrai que ça m’avait quand même un peu secouée quand j’ai reçu tous ces messages, et je me suis dit j’ai aucun outil pour aider, concrètement, et bah je voulais en avoir, et moi je suis comédienne parce que ce qui me fascine le plus c’est quand même l’humain, et donc c’est la psychologie, et je trouvais ça hyper enrichissant d’un point de vue personnel de comprendre comment on fonctionne, et donc ça m’apporte énormément de toute façon d’un point de vue personnel, pour me comprendre moi, pour comprendre les relations aux autres, dans mon métier là de tous les jours pour comprendre mes personnages et peut être aussi jouer mieux, et puis ensuite euh comment poursuivre, c’est une bonne question, parce qu’il faudra effectivement que je me spécialise, là je vais faire un stage à Robert, à l’hôpital Robert Debré, dans l’unité du professeur Richard Delorme donc c’est euh… Sur le spectre autistique, ça, ça m’intéresse beaucoup, parce que ce qui m’intéresse le plus moi c’est la période enfance-adolescence, parce que… bah je suis assez fascinée quand même par la prévention et savoir comment… Oui pouvoir peut être agir en amont, et, parce que je pense que c’est mieux de… enfin si on peut quand même ne pas tomber dedans, c’est pas mal, parce qu’ensuite c’est galère, même si on peut évidemment en sortir, mais si on peut mettre en place des politiques de santé avant pour que ça n’arrive pas, je pense que c’est pas mal. Pour l’instant je peux mener les deux, là je joue dans Demain nous appartient sur TF1 et je fais mes études en même temps, et je verrai où la vie me mènera par la suite !

Mickael : Donc ces études de psycho te font beaucoup de bien, tu le dis, est-ce qu’il y a d’autres choses dans la vie qui te font du bien aujourd’hui ?

Victoire : Mes amis ! Sincèrement j’ai des amis assez exceptionnels. Je pense que j’ai appris au cours de mon parcours à virer beaucoup de personnes qui m’apportaient pas beaucoup de bien ou qui me correspondaient pas ou… Et du coup j’ai un cercle assez réduit de proches, mais de gens que j’adore, et j’ai vraiment beaucoup de chance de les avoir autour de moi, et c’est des personnes avec qui je peux être totalement entière, 100 % moi-même, et je sais que j’ai beaucoup de chance de ça parce que je ne fais plus du tout semblant en fait ! j’ai arrêté de vouloir qu’on m’aime, je pense, ce qui n’est pas évident du fait de mon métier ! parce que c’est vrai qu’être comédienne c’est quand même être beaucoup dans un désir d’être choisie, d’être reconnue, d’être aimée, mais comme j’ai déjà ça dans mon métier, j’ai arrêté de le faire dans ma vie personnelle, parce que je pense que ça m’épuisait beaucoup et ça me prenait beaucoup d’énergie, parce que du coup c’était toujours un peu porter un masque, et faire semblant, et vouloir plaire, et c’est épuisant ! De toujours vouloir être parfaite, en fait. Et du coup j’ai arrêté, du coup y’a beaucoup de personnes qui sont parties ou que j’ai totalement arrêté de voir, mais du coup les gens que je vois maintenant je peux être totalement euh, oui, moi-même, et aller très bien, ou pas du tout bien, et ça je trouve ça génial et c’est un premier bon truc, quand même, d’avoir un cercle avec qui on peut être vraiment soi, c’est assez génial. Et sinon comme je le disais effectivement au début, comme je peux vite… Ouais, partir quand même dans des excès, et que je le sais, je… j’ai un peu une routine, quoi, effectivement. Donc c’est vrai que maintenant je ne saute jamais de repas, par exemple, parce que c’est vrai que sinon je peux trop vite partir dans… D’un côté ou de l’autre, donc ça ça me permet de… Bah plus faire attention à mon poids, parce que là j’ai le même depuis deux ans, et du coup ça me permet de plus faire attention par rapport à ça et ça me permet de me faire plaisir, d’aller au resto avec mes amis, de pas y penser, et ça aussi c’est très reposant, et puis ça me permet aussi d’être en bonne santé, ce qui est quand même pas mal ! Je fais du Pilates tous les jours, et ça c’est vraiment mon truc qui me… Ah ! Qui me rend zen et qui me fait du bien, quoi, c’est le sport que j’ai trouvé, qui m’apaise, et puis c’est mon moment à moi ! C’est 45 minutes où euh… Bah c’est juste pour moi, j’ai pas de téléphone, j’ai, je fais pas un truc par rapport à quelqu’un d’autre, voilà, ouais, c’est le truc qui m’apaise et qui me fait du bien. J’adore marcher, mais ça ça dépend aussi où je suis, et puis euh… Là j’ai des amis justement qui m’ont conseillé de me mettre à la méditation, je pense que c’est une bonne idée. Je pense que ça peut m’aider justement au niveau de calmer mes émotions un petit peu ! Je me suis aussi acheté ces petites pierres-là, qui sont, euh, je crois quand même en la médecine hein ! mais je crois aussi beaucoup aux trucs spirituels et tout ça ! De l’aventurine. Et c’est censé, voilà, poser les émotions. Ça marche pas mal, hein, je vous le recommande à tous. Et sinon, ouais, je lis pas mal de bouquins spirituels type Deepak Chopra, Ekhart Tolle… Je n’écoute jamais les infos ! Donc tu peux me demander ce que tu veux sur ce qu’il se passe dans le monde, je ne sais pas, parce que… c’est terrible, hein, c’est quand même beaucoup d’ondes négatives et je sais que ça m’angoisse. Enfin je suis quand même, voilà, consciente un minimum parce que les gens me le disent, mais je ne vais pas moi toute la journée être sur les news, et sur le 20 h et machin, parce que je trouve ça euh… terrible, il faudrait inventer un journal positif, parce qu’il y a aussi des choses bien qui se passent dans le monde ! Et on n’en parle jamais ! Et donc du coup on est toujours à se focaliser sur des trucs terribles, donc bah non, moi je choisis de me focaliser… Là aussi c’est peut-être terrible de dire ça parce que j’ai la chance de pouvoir me focaliser sur les choses bien, mais quand on peut, je pense qu’il faut choisir d’essayer de se focaliser sur des choses positives. Quand on peut, quand on a cette chance.

Mickael : Et si tu devais te décrire en un mot, ce serait quoi ?

Victoire : Ouh là ! Compliqué ! Exigeante, je pense.

Mickael : Est-ce que tu souhaites porter un message aujourd’hui aux personnes qui nous écoutent ?

Victoire : Mon message d’espoir c’est qu’on peut toujours aller mieux. Sincèrement. Et que ce n’est jamais un choix ou une faiblesse d’être malade, donc il n’y a pas de honte, que c’est OK de ne pas aller bien et que tout peut se passer.

Mickael : On arrive au terme de cet entretien Victoire. Je te remercie une nouvelle fois d’avoir participé à cette émission et de nous avoir communiqué ta belle énergie très positive. J’espère que ton épisode aidera beaucoup de personnes et que tu seras, comme tu le souhaites, un lien entre la personne et le corps médical ou psychologique. Merci beaucoup d’avoir accepté cette invitation.

Victoire : Merci beaucoup à toi !

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