"C’est le sentiment qu’on a au moment des crises : un puits sans fin, et il faut le remplir... donc bon courage ! C’est vraiment un trou noir, énorme, un truc béant en moi qu’il faut remplir."

HYPERPHAGIE — Anorexie et boulimie sont sans doute les troubles des conduites alimentaires les plus connus. Le plus fréquent, pourtant, est l’hyperphagie. Comme son nom l’indique, l’hyperphagie se manifeste principalement par le fait de manger beaucoup. Beaucoup plus qu’une personne non concernée ne pourrait manger dans le même laps de temps.

Après une crise, des sentiments de dégoût de soi, de culpabilité et de honte pointent généralement le bout de leur nez. Contrairement à la boulimie, dans laquelle les crises sont suivies de comportements compensatoires visant à contrôler son poids, l’hyperphagie se caractérise par une absence de compensation et mène souvent au surpoids, voire à l’obésité.

Pour en parler, nous recevons aujourd’hui Assara, une jeune femme qui souffre de ce trouble méconnu mais pourtant fréquent, puisqu’entre 1 personne sur 30 et 1 personne sur 20 en souffrirait. Elle nous parle de son enfance, des relations avec sa famille et du poids qu’a joué le milieu de l’image dans l’émergence de son trouble.

Bonne écoute !
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Assara

Catégorie

Thèmes

Mickael : Bonjour Assara !

Assara : Bonjour !

Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission.

Assara : Avec plaisir !

Mickael : Donc aujourd’hui on va parler d’un trouble du comportement alimentaire qu’on n’a pas encore abordé dans le podcast. On a eu un épisode sur l’anorexie, un autre sur la boulimie. Aujourd’hui on va parler d’hyperphagie. Est-ce que tu peux nous dire avec tes propres mots ce dont il s’agit ?

Assara : C’est le terme que j’ai appris avec mes médecins, etc., et que c’était en gros de la boulimie sans purge. Sur la boulimie on a un peu l’aspect de binge, où on va manger, manger à se remplir, clairement, et bah y’a pas la purge derrière, clairement, donc que ce soit vomir ou laxatif, etc. Manger pour se remplir, enfin moi je le dirais comme ça, manger pour se remplir sans notion de faim. Clairement j’ai l’image de manger jusqu’à, jusqu’à mon cou, jusqu’à ce que ma bouche soit encore pleine, quoi ! Donc c’est vraiment cette image-là, c’est peut-être comme ça que je le définirais.

Mickael : Et si tu devais associer un mot ou une image ou une métaphore à l’hyperphagie, ce serait quoi ?

Assara : Je dirais une oie gavée, parce que mécaniquement c’est ça, et un trou, vraiment le trou noir, comme si… Et c’est vraiment le sentiment qu’il y a au moment des crises, c’est un puits sans fin, et il faut remplir un puits sans fin donc bon courage ! Mais c’est vraiment le trou noir, un énorme, un truc béant en moi qu’il faut remplir. Donc je dirais une oie qu’on gave et un trou béant.

Mickael : Et ça a commencé quand tu avais quel âge ?

Assara : J’ai eu une alimentation troublée pendant longtemps, je pense qu’il y avait toujours la notion de régime dans ma famille, que moi j’avais, j’ai grandi dans les années 2000, début 2000, et j’étais une fana, je suis toujours une fana de pop culture, etc., et donc forcément tous les magazines, tous les trucs là je les bouffais sans fin, clairement, et donc je voyais toutes ces images de régimes, de filles un peu… J’ai vraiment grandi avec des Lindsay Lohan, Paris Hilton, Nicole Ricchie qui était toujours très très très fine, qui souffrait elle-même de troubles alimentaires, et il y avait toujours cette notion du régime. Et je me souviens quand j’étais petite c’était sur les téléphones, on pouvait… il n’y avait pas vraiment d’Appstore ou de Google Store où on pouvait récupérer les applications, et il y avait des sortes de jeux régime, déjà un problème, un jeu régime, et c’était où t’apprenais le régime méditerranéen, etc., et ça j’étais en cinquième, sixième je pense. Et donc là je me rappelle cette obsession avec le régime, cette obsession avec la perte de poids, cette obsession, il fallait que je perde du poids, et donc du coup ça a continué, j’avais toujours cette notion il faut que je fasse attention, faut que… ouais, vraiment toujours faire attention. Et donc cette partie assez restrictive qui est vraiment importante dans l’hyperphagie, où on se restreint beaucoup, dans beaucoup de troubles alimentaires, je pense que c’est un point commun aux différents troubles cette partie de restriction, et le premier vrai souvenir d’hyperphagie il remonte à pas mal en fait après ces premiers moments de restriction, je dirais ma première année de BTS, ça devait être en 2014, quelque chose comme ça, où là entre guillemets le trouble alimentaire a pris une tournure différente. Avant ça il n’y avait pas encore l’hyperphagie, je pense, mais je me souviens de moments où en y repensant, j’avais une amie à moi très proche qui elle était hyperphagique quand j’étais petite au collège, c’était ma voisine, qui elle avait une situation familiale qui était vraiment pas top, et on avait toutes les deux une situation familiale pas top, et on s’en est rendu compte il y a un an en se disant moi j’étais au cinquième, toi tu étais au premier, et on vivait la même chose, mais on en parlait jamais parce que quand on est enfants on est bêtes, on parle pas entre nous. Et elle à chaque fois qu’elle rentrait de l’école elle allait manger. On allait à McDo, des trucs comme ça, et elle mangeait, elle mangeait, elle mangeait, et elle rentrait chez elle et elle remangeait, le secret c’est qu’elle avait mangé à McDo avant et après elle remangeait. Et des fois je l’accompagnais dans ces repas-là, mais où pour moi je me disais merde, tu as mangé McDo, tu vas grossir… Mais là j’étais plus jeune, j’étais au collège. Mais les premières vraies crises d’hyperphagie où j’ai un vrai souvenir de ça, c’était autour de 2014, un truc comme ça.

Mickael : Et donc avant 2014 tu nous dis que tu étais beaucoup dans la restriction. Cette restriction elle avait quel but chez toi ?

Assara : Je pense que c’était vraiment un but esthétique, et vraiment physique, il fallait que je sois pas trop grosse, il fallait que je sois toujours belle, ouais c’était vraiment purement esthétique, il fallait que je sois belle et qu’on se dise pas Assara elle est grosse, ou un truc comme ça. Et aussi c’était vraiment ressembler, coller à ce que je voyais partout en gros, euh, je me disais, mais attend, comment ça se fait que toi ton corps il ne ressemble pas à celui de Nicole Ricchie, c’était le nom que j’avais, Nicole Ricchie à l’époque où elle était au plus bas dans son anorexie, clairement, et je crois pas être en train de révéler un secret, elle en a parlé, etc., où vraiment je me disais bah je ressemble pas à ça, j’étais pas comme elle, je ressemblais plus à… Bah j’étais un enfant donc je ressemblais à un enfant, clairement. Mais j’ai grandi avec du côté, pas forcément que des médias, même avec mon père, des trucs comme ça, où c’était des personnes qui ne sont absolument pas grosses, qui ne sont absolument pas en surpoids, qui ont juste une morphologie différente, qui étaient qualifiées de énormes, d’hypergrosses, toutes ces choses là, et dans ma tête c’était, il fallait absolument pas ressembler à ça, et plus mon corps se transformait et plus mon corps ressemblait à ces femmes, entre gros guillemets, qui étaient citées comme grosses, plus je paniquais en me disant merde, il va falloir que je redouble d’efforts parce que mon corps, non, je serais pas grosse, je suis pas grosse, c’était tellement mal vu dans ma famille que je pouvais pas, et puis il fallait que je reste jolie, on me le disait tellement tout le temps ! Que j’étais belle, etc., c’est un peu le problème avec pas mal de filles, on leur dit tellement qu’elles sont belles qu’elles ont rien d’autres. J’avais pas grand-chose d’autre. Quand j’étais petite, j’étais jolie, et donc il fallait rester jolie. Clairement.

Mickael : Et le basculement dans l’hyperphagie s’est fait de quelle manière ? C’était plutôt abrupt, plutôt progressif ? Comment tu as remarqué qu’il y avait une rupture dans ce rapport à la nourriture ?

Assara : Je pense que la rupture on la sent quand on commence à en souffrir. Quand les gens me posent des questions, y’a des gens qui me demandent est-ce que j’ai un trouble alimentaire, Assara ? Bah, tu souffres, ça te fait souffrir ton rapport à l’alimentation ? Bah, non, bah je pense pas que y’ait quelque chose qui se passe. Parce que même si quelqu’un te dira non, il en souffrira quand même, mais là c’était bah non, moi je mange qu’à ma faim, je mange normalement, bah t’as pas de trouble alimentaire. Après je suis pas médecin, mais vraiment quand le basculement s’est fait c’est que je commençais vraiment à perdre la tête avec ça, tout le temps avoir… Être du coup dans la restriction et puis après dans la partie où tu lâches complètement les pédales et après ça part très loin, la partie où je pouvais engloutir, engloutir, engloutir, il y avait des moments où il y avait comme une dissociation, quoi, c’était même plus moi, et où il y avait une obsession vraiment très grande autour de la nourriture, et vraiment j’en souffrais parce qu’il y avait le côté où forcément physiquement tu en souffres, parce que manger ces quantités, ton corps il est pas fait pour ! Et puis la partie d’après où c’est de l’autoflagellation, t’es pas bonne, t’es pas bien, t’es bonne à rien, etc., et ça, qui fait mal énormément et la honte, quand tout ça se, s’ajoute juste à la notion de manger, qui est censée être une des notions les plus primaires et un des trucs les plus faciles qu’on aie à faire, en soi, hein, à la base ! Qu’on nous apprend dès tout petit, qu’on nous apprend pas en fait, c’est même pas un truc que tu apprends, tu manges et tu réponds à un besoin que tu as. Mais quand ça devient douloureux, ça devient un stress constant d’être devant une assiette, d’être devant des gens, bah y’a un petit problème qui se présente, et là c’était le cas. C’était vraiment d’engloutir, manger très très très vite tout le temps ! Même à la cantine, à table… Et là c’était le cas.

Mickael : Tu parles de cette souffrance à la fois physique et psychologique. À partir de quel moment cette souffrance est devenue trop intense pour pouvoir la gérer toute seule ? Est-ce que tu as eu cette prise en charge à un moment ?

Assara : Oui, alors la crise ultime, on va dire, c’était en 2015, et donc là j’étais à Lyon à l’époque, dans ma deuxième année de BTS, où… J’étais pas bien. J’étais à Lyon, Lyon c’est une ville dans laquelle j’ai grandi en partie, mais que… pour des raisons extrêmement subjectives, je déteste, j’ai trop de mauvais souvenirs là-bas, j’ai trop de trucs où je suis pas à l’aise. J’étais en couple à l’époque avec ma première relation où comme toutes les premières relations c’est jamais fou ! C’est du passionnel bullshit toxique chelou où t’es toxique l’un pour l’autre, clairement. Et mes cours, ça se passait pas très bien, avec ma mère ça se passait pas hyper bien, enfin j’étais vraiment à un trop-plein ! Et à cette époque-là, je pense que tout est ressorti, clairement c’était la dépression, l’anxiété, l’hyperphagie, je pense que tout est ressorti. Et il y a eu un soir où là c’était plus possible, et je me rappelle avoir mangé, mangé, mangé, avoir eu des pensées extrêmement suicidaires toute la soirée, et qu’on ait frappé à ma porte, et que j’ai eu extrêmement, vraiment beaucoup de chances, parce qu’à une heure près je pense qu’il y aurait eu quelque chose d’un peu plus grave qui se serait déroulé. Et c’était l’association qui s’appelle Apsytude, qui est dans plusieurs Crous de France, je pense qu’à Paris aussi, mais c’est une association qui va proposer des séances de psychothérapie gratuitement aux étudiants qui sont au Crous. Et donc elle faisait un sondage pour savoir quelle était la santé mentale des gens, et elle est tombée sur moi ! J’ai ouvert la porte j’avais les larmes aux yeux, je devais être toute bouffie de pleurer, je [imite un gémissement], comme ça ! Et donc on a fait le sondage, elle fait est-ce que je peux rentrer, je fais ouiiiiiii… C’est… En vrai quand j’y pense ça me fait rire, mais je les vois vraiment un peu comme mes petits anges gardiens, parce que pour le coup c’était vraiment ça, et que, on m’a aidée, y’a quelqu’un qui est là pour moi on va dire. Et donc on a parlé et elle a dit bah OK, je pense qu’il faut voir plus, et là j’ai été hospitalisée dans une clinique à Lyon pendant un mois, un peu moins d’un mois, je suis restée dans la clinique plus pour traiter l’anxiété et la dépression qu’il y avait derrière que pour l’hyperphagie parce que comme je dis toujours et comme on m’a toujours dit, le trouble alimentaire c’est l’arbre qui cache la forêt. Il fallait traiter déjà un peu ce qui était derrière avant la matérialisation de ces angoisses et de tout ce qui était dans ma tête, en fait.

Mickael : Et dans cette clinique, tu as bénéficié de quel type de prise en charge ? Ça consistait en quoi concrètement ?

Assara : Alors moi j’étais dans la partie jeune adulte, parce qu’il y avait une partie adulte également. En fait en jeune adulte on avait des rendez-vous réguliers avec psychiatre, il y avait une psychologue, mais elle c’était moins souvent, je crois que j’ai dû la voir, je suis restée trois semaines j’ai dû la voir trois fois, et on n’a pas particulièrement accroché. Donc il y avait mes rendez-vous psychiatre, un suivi médicamenteux, moi j’étais dans la partie… Vu que j’avais un trouble alimentaire je mangeais pas avec tout le monde, je faisais des petits repas avec, je sais plus comment ça s’appelait, repas thérapeutique, ou… Alimentation thérapeutique, voilà, c’était ça. Et donc on mangeait en petits groupes, donc ça, c’était cool, avec une soignante et on était là. On avait des activités, on pouvait faire, on avait du sport, on avait des cercles de parole… Mais j’ai un peu le souvenir que cette hospitalisation elle m’a pas particulièrement donné de clé en fait. Elle m’a permis juste de faire une pause, donc ça, c’était cool, parce que j’ai pu dormir, me reposer, juste prendre conscience qu’il y avait un problème, et c’est surtout la partie là en sortant, où la par contre t’es en mode, bon, y’a un problème, on va faire le taf, et on va travailler, on y va, c’est parti ! On va trouver une solution à ça. Mais pendant l’hospitalisation j’ai rencontré plein d’autres personnes qui au final avaient parfois des problématiques… ou des problèmes anxieux ou anxiodépressifs qui étaient plus graves que moi. Donc d’un côté ça m’a permis de relativiser sur quelques points. Mais surtout on était entre jeunes, enfin c’était un peu une colonie de vacances un peu Vol au-dessus d’un nid de coucou ! Mais c’était… C’était pas trop mal, il y avait des trucs que je n’avais pas du tout appréciés pendant que j’étais là, ils utilisaient beaucoup trop de médicaments sur certaines personnes, des médicaments trop forts parfois… Moi j’avais plutôt de la chance, on m’a pas trop… On m’a pas mis des doses trop lourdes, même loin de là, la fois où on m’a mis une dose trop lourde et qu’on s’est rendu compte, ma psychiatre a fait wowoh, on stoppe tout de suite, on change ! Mais il y avait un autre psychiatre qui était complètement con, qui lui mettait des doses de cheval à des gens qui erraient dans les couloirs donc c’était pas l’hôpital psychiatrique, c’était en clinique, il y avait une petite différence, mais j’avais pas vu autre chose à part le fait que oui on m’a donné des médicaments. Et voilà.

Mickael : Et après cette hospitalisation qui t’a permis un peu de gérer l’urgence, il s’est passé quoi ?

Assara : Je suis partie pendant deux mois aux États-Unis faire mon dernier stage que j’avais à faire. Mon ex était venu avec moi, ce qui a été un fiasco total, je ne voulais pas qu’il vienne, mais finalement ses parents me l’ont un peu mis dans les pattes et il est venu. Ça ne s’est pas très bien passé. Donc là-bas ça s’est très très mal passé donc c’était encore assez dur, et c’est vraiment au retour que là on a pris toutes les mesures. Là je me suis entourée de mes trois petites nanas, ma psychiatre, ma psychologue et ma diététicienne. Donc avec Apsytude j’avais un suivi psychologique avec une psychologue qui était très cool, que je voyais une fois par semaine, une ou deux fois par semaine. J’avais un rendez-vous par semaine avec ma psychiatre pour suivre le cours de la, des médicaments, et j’avais pris un, enfin j’avais un suivi également avec une diététicienne, parce que c’était vraiment important pour moi de réapprendre à manger en fait, parce qu’en fait je savais plus manger. Donc j’avais pris un rendez-vous avec un premier diététicien qui s’est avéré être un gros connard, qui m’avait dit que je ne faisais pas d’hyperphagie, que je n’avais pas de trouble alimentaire, parce que si je faisais de l’hyperphagie je voudrais manger du sable, et j’en mangeais pas. Donc j’étais là, OK, d’accord. Et qui m’avait foutue sous un régime, en fait, un régime restrictif à balle, enfin vraiment… quand j’y pense ce mec il devrait être… Enfin, c’est dangereux, c’est hyper dangereux ce qu’il a fait, il m’a mise sous un régime hyper restrictif, il a fait… Je pense le mec à la base il est juste là pour faire perdre du poids à des personnes en leur faisant manger deux biscottes et un bouillon de légumes, et il a fait… Moi j’avais prévenu dès le début, j’avais envoyé des mails avant pour être bien sûre, oui y’a pas de problème, pour au final qu’il vienne, qu’il me tâte le gras, en me disant bah vous avez plus de gras là, il va falloir perdre ici, il va falloir perdre là… Et j’étais en mode oui, en fait. Et moi vu que c’était des choses que je connaissais, j’avais pas vraiment percuté, et dès qu’il m’avait foutu sous son régime hyper restrictif j’étais là, mais je peux pas ! Parce que ça commençait à remonter en fait. Et là j’ai trouvé ma super diététicienne qui elle était spécialisée dans l’alimentation intuitive et dans les troubles alimentaires. Donc là par contre on était bon, on était au bon endroit, et on a avancé là-dessus avec mes trois petites nanas.

Mickael : Donc la psychiatre gère essentiellement la partie médicamenteuse, la diététicienne plus la partie apprendre, réapprendre à manger, et avec ta psychologue le travail consistait en quoi, tu travaillais sur quels aspects ?

Assara : Sur moi. Sur pourquoi j’avais ces troubles anxieux, pourquoi j’avais cette dépression-là, pourquoi tout ça en fait. Et en gros la dépression, elle était là depuis des années, mais vraiment très très très longtemps, les troubles anxieux pareil depuis très très longtemps… Et… j’ai toujours pleuré, pensé à la mort depuis toute petite, et je pense que ça c’est le fait d’avoir un papa qui est très âgé. On pense toujours à la mort, tout le temps, tout le temps, tout le temps. Avant c’était toujours mon secret, on va dire, et il y a un moment où c’est sorti, les crises d’angoisses on peut plus les garder, c’était en troisième. Et ensuite quand je suis arrivée au lycée j’étais chez mon père, j’ai pu un peu plus lâcher les rênes là-dessus et dire, je peux ne pas être bien. J’avais vu un psychologue, un premier, qui m’avait dit que je faisais ça parce qu’en fait j’avais un… Quand j’y pense ça me rend dingue, encore une fois, je sais pas par combien de médecins et de soignants complètement incompétents je suis passée, mais qui m’avait dit que je faisais des crises d’angoisse et de la dépression parce que j’étais noire, et que j’avais un gène dans les personnes noires qui faisait qu’on était dépressifs. Et j’étais là, OK. Mon père, il était outré. Et ensuite je suis passée par une dame qui faisait de l’EMDR, mais je crois qu’on n’avait pas complètement abordé ce sujet-là, enfin on n’était pas allées assez loin dans l’EMDR pour traiter les nombreux traumas qui m’animent. Et donc ouais, là on avait commencé avec la psychologue, bien après, à travailler sur tout ça, quoi. Sur les traumas, tout ce qui se passait, tout ce que j’avais vécu, comment j’avais appris à gérer mes crises, pourquoi elles arrivaient, ce qu’elles signifiaient. Vraiment, enfin, c’est… D’un côté il y a une partie vraiment introspective, et puis après c’était dire ben oui, accepter que je n’avais pas vraiment grandi de la manière la plus normale du monde, que j’avais le droit d’être pas très bien, que… Y’avait des angoisses qui étaient là pour telle ou telle raison, qu’il y avait des angoisses qui étaient là parce qu’il m’était arrivé ça, et bah après apprendre à gérer les angoisses, à gérer mes réactions, à apprendre à gérer au final au fur à mesure les crises.

Mickael : Ces crises, justement, est-ce que tu peux nous en parler ? Ça se déclare comment, ça commence comment ? Ça s’arrête quand ?

Assara : Alors déjà sur la partie ça s’arrête quand, je me rends compte que j’ai des crises qui durent longtemps, c’est pas juste un moment, un temps et je vais manger comme ça et ça va s’arrêter juste après que j’ai fermé le dernier, que j’ai posé la fourchette. Il y a des moments, je sens que je suis en crise pendant des semaines. Mais que soit maintenant je le sens parce que j’arrive à retenir entre guillemets, je sens que j’ai le sentiment, en fait, c’est un peu comme si je disais je sens que je suis en train d’ovuler, oui bah je sens que je suis en train d’avoir une crise qui dure, qui dure qui dure, et dans laquelle je suis pas forcément bien et il faut que je redouble d’efforts pour comprendre d’où ça vient, etc. Comment ça pourrait commencer, il y a un élément déclencheur, il va être différent pour tout le monde, on a chacun ses triggers et ses petits déclencheurs qu’on a chacun, j’arriverais même pas à te dire comment ça part, c’est il faut que je mange. C’est vraiment la nécessité, il faut que je mange. Parfois ça peut être juste je vais manger un petit truc, puis j’en mange un autre, et encore un autre, et encore, et on s’arrête pas, on s’arrête pas. Et parfois ça va être juste il faut que je mange, là il faut que je remplisse, parce que le trou béant il devient beaucoup trop douloureux et il faut que je remplisse, faut que je remplisse, faut que je remplisse. Et des fois, même souvent, je vois pas le temps, je vois pas ce qu’il se passe. C’est vraiment se goinfrer en fait. Et je vois pas. On avance, on… Et à un moment donné bah ça s’arrête. Et là… C’est la partie… Je pense que sur l’hyperphagie il y a le côté mécanique où on mange, et là ça va faire mal au corps parce que tu peux plus te lever, t’as hyper mal au ventre, t’as mal partout, tu pourrais en pleurer tellement t’as mal. Et une fois que ça s’est fini t’as la partie pas mécanique, en fait, la partie dans ta tête. Et la partie où tu vas pleurer, où tu peux pas te lever tellement t’as mal, mais par contre c’est parce que les pensées, ce qu’on se dit, et c’est surtout, ouais, la partie où tu te déglingues en fait ! où t’es la pire personne pour toi, où tu vas dire les trucs les plus méchants du monde, où tu te dégoûtes, où je me sens la pire femme du monde donc je vais dire putain, mais pourquoi ça fait ça ? Et c’est vraiment la partie de honte, mais hyper violente, en fait ! Et donc ça se découpe un peu en ces deux parties-là, tu te fais mal en mangeant, tu te fais mal après en parlant, et je pense que le point commun c’est que tu te fais mal, clairement.

Mickael : Tu nous parles justement de ces émotions négatives qui arrivent après la crise, le sentiment de dégoût, de honte, de dévalorisation de soi. Est-ce que pendant la crise, tu nous parles d’un côté très machinal, très automatique, est-ce que tu ressens quelque chose ?

Assara : Non, et je pense que c’est le but, c’est de pas sentir. Donc non, tu sens rien, t’avales. Vraiment là tu es un tube digestif, t’avales, t’avales, t’avales, t’avales, t’avales. Et du coup en gros ton corps il est là, Assara elle se met de côté un petit peu, ton corps il fait sa machine, il fait son truc, et après ça se rejoint et là, c’est là que la partie un peu plus chiante arrive. Mais non, t’es à côté en fait, t’es pas du tout là, et c’est vraiment machine, enfin, c’est vraiment la machine.

Mickael : Et est-ce que tu te rends compte pendant la crise que tu es en train de faire une crise ?

Assara : Ça dépend. Vraiment ça dépend. Ça dépend des moments, ça dépend des crises… Comme la majorité du temps on est tout seul quand ça arrive, il y a tellement, j’ai pas envie que mon mec me voie comme ça, voilà. T’es pas vraiment… Tu peux t’en rendre compte avant, voilà, et puis après tu t’en re-rends compte. C’est plus dans ce sens-là. Quand tu commences à prendre ton premier truc à manger, peu importe ce que c’est, tu sens que ça remplit un petit peu, que le vide il est là, tu sais pourquoi tu manges, hein ! Bah là tu sens que ça part. Et après une fois que c’est parti, c’est parti, quoi, t’es pas vraiment là. Donc je pense que avant tu sais, après… Merde, ça a encore eu lieu, merde, j’ai mangé comme ça, ouh la la les calories…

Mickael : Ces crises elles arrivaient, ou elles arrivent peut-être encore à quelle fréquence ?

Assara : Alors elles arrivent presque plus. Même, je dirais même qu’elles arrivent plus. Je pense qu’à mon plus grand pic ça devait être presque tous les jours, et après ça a diminué. Et je passais, je sais pas, six mois sans crise et puis après ça arrive. Et maintenant je les compte même pas parce qu’il y en a presque pas. Il y a des moments où je vais avoir le sentiment que la crise arrive, mais j’ai trouvé mes parades pour calmer, ou d’autres choses.

Mickael : Tu nous disais aussi que les crises interviennent essentiellement quand tu es seule, justement parce que tu n’as pas envie que quelqu’un te voie dans cet état, est-ce que ça a déjà eu des répercussions sur ta vie sociale quand tu étais plus jeune ou même encore il y a quelques années, ce fait de justement contrôler son alimentation quand on est avec des gens, est-ce que tu as déjà eu l’occasion d’éviter des repas entre amis ou en famille justement pour éviter toutes ces situations qui ont trait à la nourriture ?

Assara : Je pense que les fois où je ne voulais pas aller à des trucs, c’était pas particulièrement par rapport à la nourriture, je pense que c’était juste un dégoût de moi, j’avais pas envie qu’on me voie, tout court. Après, je déteste manger avec les gens. Maintenant ça va mieux parce que j’adore inviter des gens chez moi, faire à manger pour tout le monde, aller au restaurant avec des copains, etc., mais il y a des personnes avec qui je ne veux pas manger, ou j’ai beaucoup de mal à manger ou je suis très tendue quand je mange. Mon père par exemple, que j’aime tout mon cœur, mais qui a toujours été sur mon dos sur la nourriture, surtout sur la manière à laquelle je mange. Donc forcément, avec l’hyperphagie la vitesse c’est important ! J’aime pas manger avec certaines personnes et j’aime pas quand ça prend trop de temps. Je déteste manger des poissons entiers avec des gens parce qu’il faut mettre énormément de temps, faut le découper, faut faire ça, et je déteste ça parce que tout le monde te regarde, tout le monde est là, et je déteste ça. Manger avec certaines personnes, pas facile, mais avec… En fait si je sais que je peux faire confiance à la personne ça me dérangerait pas, et puis je peux prendre mon temps, vraiment manger, mais parfois… Il y a des gens avec qui j’aime pas manger, avec qui ça va me tendre de manger, je vais être mal à l’aise.

Mickael : Sur le travail avec ta psychologue, tu nous as parlé d’introspection, que c’était un gros travail d’introspection. Ce travail, est-ce qu’il est difficile à mettre en place ? Le fait d’entrer en soi pour réfléchir à ce qu’on fait, ce qu’on est, est-ce que c’est quelque chose qui est facile à mettre en œuvre ?

Assara : Oui et non. Je pense que ça dépend de chaque personne. Je dirais oui parce que j’avais moi l’envie très forte de m’en sortir. On se dit j’ai besoin d’aide, donc ça ça peut, c’est comme c’est, c’est oui ou non, certaines personnes c’est difficile de demander de l’aide, moi pas du tout, j’ai pas du tout de problème à demander de l’aide. Et après la partie où on rentre dans le dur, là par contre ! C’est pas facile parce que… Y’a tellement de choses qu’on enfouit et tellement de souvenirs qu’on ne veut pas du tout revisiter, mais qu’en fait il faut, où ça va être difficile, il y a vraiment des séances où tu en ressors, mais complètement rincée, parce que tu es allé retrouver des choses que tu avais pas envie de voir, parce que tu as parlé de sujets que t’avais pas envie, sur lesquels tu avais pas envie de discuter, parce que tu te rends compte de choses où tu dis ah merde, en fait ça c’était pas normal ! Il y a plusieurs étapes, je trouve, il y a eu… Au tout début c’était putain, mais c’est pas juste, c’est pas juste que moi je doive vivre ça, quand je vois mes copines qui vivent leur best life, qui mangent un burger si elles ont envie d’en manger, qui mangent tranquilles devant… Qui s’arrête quand elles veulent, enfin tout ça, qu’elles aient pas de crises d’angoisse, qu’elles aient pas de problème, même si tout le monde a un peu des problèmes un petit peu. De me dire c’est pas juste. Après il y a OK bon maintenant on travaille. Et tu oscilles entre c’est pas grave, c’est ma force, j’avance, avec OK bah on travaille et avec putain c’est pas juste pourquoi moi je dois vivre ça. Mais… Les séances, je pense que tout le monde devrait aller voir un psychologue dans sa vie, vraiment tout le monde. Et oui ça peut être fatigant, mais on peut tellement plus facilement voir la lumière au bout du tunnel qu’en étant tout seul, en fait ! Donc oui, c’était dur, mais je suis contente d’avoir fait certaines… de l’avoir fait, et je crois que j’ai pas fini ! Clairement ! J’ai pas fini du tout !

Mickael : Tu penses qu’il te reste quoi encore à approfondir ?

Assara : Hm… Ma confiance en moi, mon rapport au corps, toujours, ma relation avec les autres et mes parents, beaucoup de choses en fait ! Mais ouais, je pense que c’est les… les top trucs à encore, qu’on doit encore travailler. De toute façon je pense que personne sera jamais parfait, et que je serai jamais parfaite sur ces points-là, et c’est des petites failles que j’ai et que j’apprends à les gérer, j’apprends, il y a des exploits qui se font, il y a des trucs positifs qui arrivent, où j’arrive à dire non, où j’arrive à m’assumer moi… Donc il y aura toujours… C’est un peu mes petites failles, il y aura toujours un truc à travailler là-dessus, et je pourrais jamais être parfaite sur ma confiance, sur ma relation avec les gens, tout ça.

Mickael : Tu veux nous parler de ta volonté de travailler aussi sur ta relation avec les autres. Au début de l’entretien, tu nous as parlé pas mal du poids que ta famille avait aussi dans la représentation de ton corps, de ton image de toi et dans ta relation à la nourriture, finalement. Est-ce que tu arrives à parler de ces sujets-là avec ta famille, est-ce que tu en as déjà parlé ?

Assara : [rires] Oui. Euh avec ma mère non, parce qu’on n’a pas vraiment de relation. On est très rapide à dire oui, telle personne est toxique, telle personne est toxique… Et je pense qu’avec ma mère on est toxiques l’une pour l’autre, clairement. Donc on n’a pas forcément la relation mère-fille adorée blablabla, on s’aime de loin, et c’est très bien pour nous deux. Avec mon papa par contre c’est plus compliqué parce que là on a beaucoup de fusion avec mon père, et mon père a un gros problème avec la grossophobie, je pense. Donc lui on en a parlé, il a même fait une séance avec moi avec ma psychiatre il n’y a pas longtemps du tout, il y a un an ou deux. Mais pour lui, sa phrase c’est si je t’ai appris à marcher je peux t’apprendre à manger. Et même si ma psychiatre lui dit non, ça marche pas comme ça, parce qu’à ce compte-là il y a plein de choses que tu pourrais m’apprendre, mais que tu devrais pas m’apprendre ! Mais il entend pas, en fait, il entend vraiment pas. Donc il peut encore me faire des réflexions sur mon poids… Enfin, c’est vraiment une des personnes avec qui je suis le plus proche dans le monde entier, mais par exemple manger avec lui c’est compliqué, parce que ah, mais Assara tu manges trop vite ! Et même parfois on vous… C’est trop bizarre, mais dernièrement avec le covid et tout ça, j’ai pris beaucoup de poids, donc c’est compliqué ! Et mon père parfois je le vois me voir, en fait, et je vois le dégoût. Et je vois quand je me sers une assiette comment il va regarder. Il y a des fois il m’a déjà dit, hein, que bah il faut faire quelque chose, quoi, tu veux pas que… Là il y a pas longtemps il a perdu beaucoup beaucoup de poids parce qu’il est assez âgé et qu’il fallait qu’il fasse attention à sa tension et donc au final il était pas dans un bon, dans une bonne disposition, donc il a perdu beaucoup de poids dans un centre, je sais pas comment ça s’appelle… Moi j’étais pas hyperchaude la manière dont il perdait du poids, mais il fait ce qu’il veut… Et c’était, mais tu veux pas que je te le paye, si tu veux je te le paye ! Bah non, j’ai pas envie, mais merci de ce pique énorme pour dire que j’étais beaucoup trop grosse, etc. Donc mon père on en a un peu parlé, mais il capte pas, je peux lui répéter cinquante mille fois que c’est un truc pas cool à dire à quelqu’un qui a un trouble alimentaire donc je lui en ai un peu parlé… Mais non, mais t’en as pas ! Je t’ai jamais vue ! Je fais bah non, bah non tu m’as jamais vue, non, et donc il capte pas. Il entend pas, il m’en a entendu parler plein de fois, il a vu l’épisode d’Étiquettes qu’on a fait ensemble… Mais ça lui passe au-dessus de la tête vraiment très très fort. Des fois il se retient, des fois il se retient pas. Clairement.

Mickael : Et toi ça te fait quoi cette incompréhension de la part de ton père ?

Assara : [rire] C’est hyper hyper frustrant parce que justement c’est une des personnes avec qui je suis le plus proche du monde, et c’est hyper hyper frustrant en fait, parce que j’aimerais juste qu’il comprenne, et qu’il arrête de porter ce regard-là, de regarder comment je mange, de… c’est épuisant, de faire des remarques sur d’autres corps devant moi, des trucs que j’ai depuis toute petite au final ! Quand j’y pense je sais qu’il y a une bonne partie qui vient de là, de… Alors je suis une grande fan de Beyoncé depuis toute petite, et mon père a toujours dit qu’elle était grosse. Beyoncé ! [Rires] Pardon ! Qu’elle a des trop grosses cuisses ! Ou ouh la la, mais elle est trop grosse, elle est trop grosse, elle est trop grosse, et ta mère elle a quand même pris beaucoup de poids depuis qu’on est rentrés en France, et patati, patata, et donc c’était tout le temps, tout le temps-là, et c’est la première fois que je tilte dans ma tête, je me dis aaaaaah ! Peut être quelqu’un, que ça vient de quelqu’un ces choses-là. Il comprend que je suis malade, mais pour lui c’est pas ça, pour lui il y a un problème ailleurs, j’ai un problème hormonal, ou c’est ma thyroïde qui fonctionne pas bien… Tous les tests ont été fait, parce qu’à côté de ça forcément il y a des prises de poids qui ont été faites hors crise, hors tout ça et qui font poser des questions sur un problème de santé physique, mais pour lui c’est juste ça. Y’a rien d’autre. Il comprend totalement la dépression, il comprend totalement l’anxiété, il comprend très très très très bien. Mais il comprend pas le trouble alimentaire, tout ce qui se rapporte à la bouffe, non, comprend pas, pas possible.

Mickael : Donc tu as vingt-six ans aujourd’hui, tu fais partie de la génération qui a grandi au début des années 2000, donc avec les réseaux sociaux, la téléréalité, et toute cette concentration autour de l’image, l’image du corps, l’image qu’on veut se donner. Tu parlais aussi des magazines, tu voyais des célébrités qui étaient très minces, maigres. Est-ce que tu penses que tout ça ça a contribué aussi à tes troubles ?

Assara : À mille pour cent ! À vingt mille pour cent ! Déjà ces premiers magazines-là, début 2000, qui étaient à gerber clairement ! Je me rappelle qu’il y avait des rubriques qui avait le pire corps en été, ou qui avait le plus de cellulite, et plein de trucs comme ça. Et ça genre, mais roh ! Laissez les gens vivre, putain ! Donc il y avait ça, et ensuite il y avait les réseaux sociaux ! J’ai plus ou moins la chance d’avoir grandi quand j’étais plus vieille, hein, qu’il y a eu le mouvement body positive qui est arrivé, qui a démonté ça, mais clairement le mal était fait, clairement, il y avait déjà eu les journaux, il y avait déjà eu les magazines, il y avait déjà eu la mode, il y avait déjà eu… Photoshop, etc. Donc ça, il y avait déjà eu tout ça. Mais ça a à mille pour cent une part de responsabilité dans l’image que beaucoup de femmes et d’hommes ont actuellement. Et je vais dire un peu plus des femmes parce que malheureusement la société a un peu trop son mot à dire, en tout cas elle le pense, sur l’apparence de femmes dans le monde. Et c’est, c’est à gerber, clairement, ça me révolte, mais ça a totalement sa part, enfin quand j’en parle avec des copines de la même génération, du même âge, un peu plus vieilles, on a tous ce souvenir-là. On a tous ce souvenir où on se dit, mais elle, tu te rappelles on disait qu’elle était grosse ! Et je sais qu’en ce moment il y a une trend sur tiktok qui reprenait toutes ces personnes-là qu’on pensait grosse, donc je sais pas, il y avait Renée Zellweger dans Bridget Jones, où je pensais qu’elle était énorme ! Elle est pas grosse ! Elle est même pas midsize ! Enfin à un moment donné il faut quand même ! Elle, il y a avait une nana dans les Sorciers de Beverley place, enfin toutes les filles qui avaient le rôle de la copine grosse du personnage principal, qui était absolument pas grosse. Et on a grandi là-dedans. Et je me dis, mais c’est dégueulasse, c’est horrible, et je pense que ça a contribué à la dysmorphie de beaucoup de personnes, de beaucoup beaucoup de personnes, moi je pense que même actuellement je ne me vois pas clairement, et je pense que beaucoup de copines ne se voient pas clairement en fait. Et euh se voient toujours plus, pas assez, et puis après il y a eu les réseaux sociaux donc ça a été le corps Kim Kardashian, gros cul, petite taille, etc., donc des personnes qui ne se ressemblent même pas à elle-même en vrai en fait ! Donc on a été… On nous a bourré le crâne avec des corps retouchés, quand ils étaient pas retouchés c’est que c’était pas bien, et des corps qui se ressemblent même pas pour de vrai, en fait. On voit ça tout le temps, tout le temps, tout le temps, avec les réseaux sociaux, enfin maintenant… Quand tu as Instagram et que tu scrolles, tu penses pas grand-chose, tu scrolles, tu t’emmerdes, tu vas faire ça, en fait tu regardes des choses, et ton cerveau il prend aussi. Donc tu vas voir des corps, tu vas voir des nanas qui ont des corps particuliers, et au final tu vas te dire j’ai pas un trop petit, des trop petites fesses, ou j’ai pas une trop grande taille, ou j’ai pas trop ça, ou j’ai pas trop ci ? Et donc tu vas plus te remettre en question, plus facilement te remettre en question et te dire peut-être qu’il faut que je perde du poids. Or on a le droit de vouloir perdre du poids, ça c’est pas interdit de se dire là je me sens pas hyper à l’aise en portant telle taille, je suis pas hyper à l’aise dans ce corps actuellement, j’aimerais bien perdre du poids pour me sentir à l’aise. Sauf que de plus en plus c’est devenu pour ressembler à un idéal qui n’est même pas… enfin un idéal qui n’existe pas parce que la personne que tu penses être ton idéal elle se ressemble même pas, donc à partir de ce moment-là comment tu veux évoluer face à des… à des images, en fait. Donc avant c’était le papier glacé, maintenant c’est ton téléphone, et je pense que c’est pire parce qu’avant il fallait faire la démarche d’aller chercher le magazine, maintenant c’est au bout de ta main, quand je m’emmerde je vais sur Instagram, je sais que je suis pas la seule du tout ! Et là je dis Instagram, mais y’a tiktok, y’a tous les réseaux sociaux, c’est très grave, et ça pose vraiment problème. Là avec le confinement, j’ai pas les chiffres exacts donc je vais pas m’aventurer là-dessus, mais les admissions en hôpitaux pour anorexie de jeunes filles qui, moi j’ai ma petite sœur qui a quinze ans, parce que sur tiktok elles ont commencé à voir des régimes, une nana qui mange une pomme et de l’eau, ah, mais elle a perdu du poids, je pourrais faire ça pendant le confinement, et qui au final développent des troubles alimentaires encore, et encore, et encore ! Je trouve ça aberrant, ça m’énerve, mais une force ! Et y’a pas assez de… de contrôle sur les réseaux sociaux là-dessus ! Là sur les journaux, sur les magazines, ils essaient, il y a la mention photo retouchée… On sait que les photos sont retouchées, beaucoup plus maintenant on a la notion peut-être, et puis même il y a un dédain de plus en plus important envers les magazines, etc. Alors que les réseaux sociaux, alors oui y’a FaceTune, FaceApp, elles retouchent, elles photoshoppent, etc., on le voit tellement tous les jours qu’au bout d’un moment ça rentre. Et il y a des nanas qui vont demander à des chirurgiens de leur faire la tête de leur filtre. Les filtres, mais ça me rend dingue ! Ça me rend complètement folle parce que tu ne te ressembles pas, et le nombre de personnes qui ne vont plus mettre de filtres, on dit qu’elles sont moches, et elles vont mettre que des filtres après sur leurs stories en faisant passer ça pour la réalité, en faisant passer ça pour oui ah ben là je viens de me lever de mon lit, je ressemble à ça ! Meuf, t’as quatre filtres sur la tronche ! T’as le droit de le faire, parce que si tu te sens plus à l’aise à le faire, fais-le ! Mais c’est devenu tellement insidieux, et les filtres sont tellement plus discrets, on s’en rend pas compte, et puis tu as une plus grosse bouche, un plus petit nez, les yeux en amande… Ces filtres ils sont limite racistes, hein, clairement. Et ils sont partout, tout le temps, quand tu penses que c’est des images naturelles, ce n’est pas des images naturelles, quand tu penses que… Ah ! Je pense que ça te mindfucke complètement ! Par exemple moi je vois ma petite sœur, qui, je disais elle a quinze ans, et qui a encore plus grandi dans les réseaux sociaux, et il y a des moments où elle va mettre des photos et elle met des filtres, etc. Je lui dis meuf tu as quinze ans, tu m’enlèves ça tout de suite ! Oui, mais… Non ! En fait non, elle fait ouais, mais je me prépare comme ça, bah déjà on va travailler à te préférer tout court, avant de mettre un filtre en fait, parce que quand tu l’enlèves tu te trouves dégueulasse, forcément, le filtre c’est toi en mode plus belle selon la société, donc tu te trouves dégueulasse, parce que t’as un bouton, parce que t’as des cernes, parce que t » as pas la bouche qui est relevée, une bouche de moue ou je sais pas quoi je sais pas quoi. Et sauf qu’on a des gamines de quinze ans ou moins qui vont mettre que des filtres tout le temps, qui ne savent pas à quoi elles ressemblent, avec des études qui disent que maintenant les jeunes ils préfèrent… Ils font plus attention à l’image qu’ils ont sur les réseaux sociaux que l’image qu’ils ont dans la vraie vie, mais attend, mais on est où ? Et dans quelle direction on se dirige en fait ? Ça me rend folle ! Je pourrais en parler pendant des heures donc je vais me taire maintenant parce que sinon je vais pouvoir encore en parler, encore, encore encore et on va dévier du sujet !

Mickael : Je pense que c’est pas mal dans le sujet justement parce que ça contribue aussi beaucoup comme tu l’as dit dans ton cas personnel au développement de certains troubles liés à l’image de soi, à la volonté de se conformer à des modèles de la société, etc. Toi tu travailles aujourd’hui dans le milieu de l’image, de l’influence. Est-ce que tu penses qu’il y a des choses qu’on peut faire, en tout cas dans les agences de communication par exemple, pour essayer d’aller vers quelque chose de plus sain ?

Assara : En fait, je pense que y’a plusieurs problèmes qui se présentent. Il y a un premier problème avec les algorithmes que ça en agence on peut pas gérer. Je vais donner un exemple, ce sera plus clair. Je travaillais pour une marque de tenues pour enfant, on va taire le nom, ils nous demandent d’avoir des mamans qui sont dans le style de la marque, donc des mamans un peu bohèmes, très BCBG, mais quand même bohèmes, on adore, très bobo quoi. Donc ils vont nous demander ça, ils nous demandent ce style de maman il faut qu’elles aient un nombre d’abonnés particulier et un taux d’engagement particulier parce qu’évidemment il faut que ça transforme, il faut qu’on puisse vendre des vêtements derrière. Voilà. Donc moi je vais faire ma recherche en ayant toujours déjà en tête que je veux mettre de la diversité, parce que je veux pouvoir mettre des mamans de tous horizons sociaux, des mamans de toute couleur de peau, des mamans avec des enfants pas forcément, de tout horizon en fait ! Donc on va aller, OK, je vais sur les réseaux sociaux, je vais sur Instagram, je fais ma recherche, je fais mon casting ! Donc je vais trouver plein de mamans qui se ressemblent, avec le même taux d’engagement, avec tout ce qui rentre dans ma case. Déjà c’est facile, pourquoi j’irais me mettre dans l’esprit d’aller chercher autre chose ? On va dire que là on parle de moi donc j’essaie un peu plus, bah non, quand même, elles sont bien elles transforment mon argent, mais je vais essayer de trouver plus. Je trouve une première maman, elle pourrait rentrer dans le truc, mais elle n’a pas le nombre d’abonnés suffisant, pourtant elle fait exactement le même contenu que celle qui était blanche, fine, etc., elle fait exactement pareil, mais elle elle est noire, c’est une femme et elle a des enfants métis, gros exemple, mais elle ne va pas avoir forcément le même nombre d’abonnés et le même taux d’engagement. La marque ne veut pas en dessous d’un certain nombre, donc on ne peut pas prendre cette fille-là. En fait tu te rends compte que, au fur à mesure, les personnes qui vont être… dans la diversité ne rentreront pas dans le taux d’engagement parce que l’algorithme lui-même ne va pas pousser ces profils. Donc on se retrouve devant deux problèmes où un c’est des algorithmes qui ont été faits, notamment sur tiktok, qui a été fait par des personnes asiatiques qui vont valoriser les contenus des personnes blanches, donc la personne noire, arabe, peu importe, hein, la personne de couleur, racisée ou autre, son contenu ne va pas être mis en avant, donc elle-même ne pourra pas jouir d’autant d’abonnés, donc on ne pourra pas la prendre sur une campagne. Du coup c’est vraiment le serpent qui se mord la queue à de nombreux niveaux. Ça, c’est hyper énervant. Et ensuite il faut que les agences soient elles-mêmes diversifiées. Sans cracher sur la mienne que j’aime d’amour, on est trois filles noires, quatre… Sans dire que la diversité c’est que les personnes noires ! Mais euh, en diversité, il y a quatre personnes, quatre cinq sur une soixantaine de personnes. C’est pas normal, c’est pas normal du tout ! Parce qu’en fait ça va se refléter dans les campagnes, parce qu’on aura plus de facilité à aller chercher les personnes qui nous ressemblent, dans n’importe quoi, et c’est même pas, c’est pas raciste ou c’est pas méchant de le faire, comme moi je suis une femme noire, je vais avoir plutôt tendance à aller chercher des filles qui me ressemblent sur les campagnes. Et après je me dis bah la diversité c’est pas que les femmes noires, Assara réveille-toi ! Mais si t’es quelqu’un qui cherche la facilité, qui est pas dans un environnement qui est diversifié de base, qui n’a pas eu une éducation diverse, une éducation qui t’a ouvert à de nouveaux horizons, tu prends la facilité, tu prends les filles, ou garçons, qui vont bien, et on y va. Sauf que les personnes qui fonctionnent c’est les filles minces, blanches, qui représentent toujours la même chose. Donc je sais pas si c’est clair ce que j’ai expliqué parce que je suis partie loin, mais en gros on peut faire quelque chose, mais il faut juste qu’on travaille plus. Et je pense qu’il y a plein d’endroits qui sont pas hyper chauds à le faire, moi j’ai entendu plein de trucs dans mon agence qui étaient aberrants, il faut faire l’argent et il faut qu’on avance. Donc je pense que c’est aux agences, et aux marques évidemment, de pousser certains profils, de faire des castings où même si ça prend plus de temps d’aller chercher ces profils-là, qui peuvent être très bons, qui peuvent faire de super contenus, qui peuvent présenter de vraiment très belles choses. Et de faire ce taf-là, et aussi se dire que la diversité c’est pas que une seule chose, on a travaillé sur des campagnes où oui il y avait une femme âgée, oui il y avait une fille avec un handicap, etc., mais c’est toujours le même profil aussi ! Et que heureusement des personnes âgées y’en a pas qu’un seul type, mais si on cherche une personne âgée qui sera racisée, y’en aura pas, parce qu’elle n’aura pas suffisamment d’abonnés parce que l’algorithme va pas la pousser. Donc du coup c’est toujours un énorme problème et c’est le serpent qui se mord la queue tout le temps. Donc nous on peut essayer, dans nos recos, de mettre de la diversité dans nos recos clients, en disant écoutez-il faut aller plus là-dessus, et aussi accepter de un peu tenir tête, parce qu’il y a des clients qui ne veulent pas. Si on a un client justement qui lui a pu tenir des propos grossophobes, a pu tenir des propos homophobes, racistes, tout ce qu’on veut, et on travaille pour lui, bah essayer de le challenger là-dessus ! Parce que bien sûr chacun a droit à l’erreur, on n’est pas là pour canceller tout le monde… Enfin droit à l’erreur, je m’entends, mais s’il a essayé quelque chose après pour sortir de cette merde ou d’avoir un petit peu de bonté, bah essayer de le challenger, essayer, on pousse, on pousse les profils, on pousse ces profils-là, c’est aussi notre taf à nous en tant qu’agence de le faire, on peut pas juste attendre et dire bah ouais, mais elle a pas suffisamment d’abonnés ! Mais est-ce que tu as vu son contenu, elle est pas très loin du nombre d’abonnés qu’il faudrait, peut être que si on la poussait la marque serait en mode, allez, on écoute, on essaie. Et puis si ça fonctionne pas, ça fonctionne pas. Pas grave ! Mais il faut aussi essayer de challenger les marques, de challenger les clients, essayer aussi de challenger le nombre de profils qu’on prend, nous dans l’agence dans laquelle je travaille je travaille pas avec des… Je ne suis pas talent manager, on n’a pas de talents avec nous, mais il y a des agences qui ont des talents. C’est encore le même et même profil et encore le même et même visage. Challengez un peu ça ! Ce n’est pas le plus facile, c’est pas la facilité, ça, c’est sur ! Mais t’arrives à rien en étant que dans la facilité. Et c’est vraiment notre taf à nous dans les agences en général de proposer des profils diversifiés, d’y aller un peu plus, de challenger les marques qui veulent pas forcément. Et aussi aux marques parfois d’ouvrir un peu, de dire OK c’est bon, ma marque elle va pas juste à ces personnes-là, elle va à tout le monde, et on peut aller, on peut trouver des profils différents. Et que même si on se dit oui OK ma marque elle va pas qu’aux femmes blanches, si ton style je disais par rapport à la marque pour enfant c’est bobo chic, bah y’a pas que des femmes blanches qui sont bobo chic, mais malheureusement les comptes bobo chic racisés sont pas nombreux et ne fonctionnent pas bien en fait. C’est vraiment pfff…. C’est le serpent qui se mord la queue tout le temps.

Mickael : Est-ce qu’il y a des personnes aujourd’hui qui t’inspirent, des personnes vivantes ou décédées qui t’inspirent au quotidien ?

Assara : Oui, alors il y a Jameela Jamil, que j’aime d’amour, qui est une actrice, activiste géniale, qui a un super podcast aussi qui s’appelle I weigh, donc littéralement Je pèse, et qui est vraiment très très cool. Je pense que j’aurais toujours un peu d’affection pour Demi Lovato, parce que quand j’étais jeune iel était la seule personne à parler de son, de ses troubles de santé mentale et troubles alimentaires. Et c’était une des seules personnes où j’ai compris qu’on avait la même chose, j’ai pu mettre un mot sur le trouble alimentaire. Moi ce qui m’inspire à la limite c’est quelqu’un qui va être fort, mais pas dans la notion de faut être une femme forte du coup tu as aucune émotion ! Par exemple ce que j’aime avec Jameela Jamil c’est que bah elle évolue, elle a été du côté des personnes cons, elle a vécu aussi un grand trouble alimentaire, mais elle a été misogyne, elle a été conne ! Mais elle en est sortie, elle a appris, elle a développé tout ça, elle a avancé et maintenant c’est dans l’autre sens ! Donc ce qui m’inspire chez les personnes c’est des personnes qui vont reconnaître leurs erreurs, qui sont ouvertes sur leurs erreurs et sur leurs difficultés, et qui ont pas de problème à s’en sortir aussi, et surtout les personnes qui on peut être eu le même souci que moi et qui s’en sortent, parce que du coup c’est inspirant, on se dit bah elle l’a fait, je peux le faire ! Et forcément Beyoncé, quand même, elle m’inspire elle aussi. Mais non, sinon je sais pas. Il y a des gens qui m’inspirent, je pense que si je regardais mon compte Instagram je pense qu’il y a plus de personnes qui m’ont inspirée auxquelles je penserai là tout de suite. Mais Jameela Jamil elle est pas mal, je pense qu’elle est dans le top.

Mickael : Avec le recul que tu as maintenant et le travail que tu as déjà effectué, si tu devais donner un conseil aujourd’hui à des personnes qui traversent des troubles tels que les tiens, des troubles du comportement alimentaire, des troubles dépressifs ou anxieux, ce serait quoi ? Qu’est-ce que tu leur dirais ?

Assara : Déjà t’es pas tout seul. Moi je pense que dans ces moments là, c’est tellement introspectif, on pense qu’on est totalement tout seul à vivre ce qu’il se passe. T’es pas si incroyable que tu ne le penses ! [rires] Il y a beaucoup de personnes qui vivent la même chose que toi, donc c’est OK d’en parler, et c’est OK de chercher à tendre la main à quelqu’un, à demander de l’aide. Tu peux pas le faire tout seul. Et donc il faut pas avoir honte de demander de l’aide, il faut pas avoir honte d’aller voir un psychologue, il faut pas avoir honte d’en parler avec ton médecin, d’en parler à quelqu’un de confiance pour demander de l’aide parce qu’en fait tout seul tu y arriveras pas. C’est comme ça. Si tu te casses une jambe tu vas pas mettre un pansement dessus, tu vas aller voir le médecin, qui va te mettre un plâtre, tu vas avancer, tu vas te soigner. Et bah quand ton cœur est cassé, c’est pareil. Donc moi mon conseil c’est bah t’es pas tout seul, il faut avancer, tu vas trouver une solution, il y a toujours une solution pour toi. Et aussi le premier psychologue que tu vois, si c’est pas le bon, c’est pas le bon, tu peux changer de psychologue ! Parce qu’il y a beaucoup de personnes qui disent oui, mais je suis allé voir un psy et c’était nul ! T’es pas allé voir le bon psy pour toi. Il y a plein de personnes… Si t’as rencontré quelqu’un un jour, ah non, mais j’aime pas les dates parce que lui il était nul ! Bah tu changes de personne, les psys c’est pareil. Donc t’es pas tout seul, demande de l’aide, et tu as le droit de changer de psy s’il te convainc pas.

Mickael : Tu es en couple depuis quelques années maintenant. Est-ce que tes troubles du comportement alimentaire ont eu un impact sur cette relation ?

Assara : Je dirais pas… Je dirais pas que les troubles alimentaires ont eu un impact, les autres soucis de santé mentale, oui, les troubles anxieux, dépressifs… Ça oui, ça a eu un impact. Maintenant il sait comme un chef détecter, enfin pas détecter, mais voir quand ça arrive, et juste être un bon soutien, il va jamais pouvoir trouver la solution, mais juste être un bon soutien. Je pense que dans ma première relation, peut être que ça avait plus un impact, parce que là on était jeunes, et c’était pas du tout contrôlé, enfin il y avait rien derrière, c’était la flamme qui tournait dans tous les sens et qui me faisait du mal dans tous les sens, là maintenant je suis suivie… Après je pense que ce qui peut avoir un impact c’est ma relation avec mon corps et avec moi où jusqu’à maintenant je me sens pas bien dans mon corps donc bien sûr ça va avoir un impact un petit peu, où… Où il y a des fois je veux pas sortir, où je peux être très triste… Par exemple on était en vacances et on était au Mexique, on était bien, c’était beau. Bah Assara vas-y, je te prends en photo devant le temple… OK… Mais j’étais bof chaude parce que comme je disais j’ai pris pas mal de poids dernièrement et j’ai du mal à m’accepter avec ce poids en plus. Et donc il a pris la photo, et j’ai vu et j’ai fondu en larmes en plein milieu du lieu là… Et euh du coup ça m’a un peu… J’étais trop mal, et je pense que c’était juste de m’être vue, où là ça a été violent parce que justement depuis que j’ai pris tout ce poids-là, les miroirs, les photos on évite, ça fait trop mal, et là d’avoir vu et d’avoir vu justement à quel point j’avais pris du poids et à quel point ce corps ne me correspondait pas et à quel point ce corps n’était pas le mien, c’était, ça m’a brisé le corps. Donc là il était un peu genre merde, que fais-je… Il sait, il sait quoi faire dans le sens où il sait ce qu’il peut faire, ce qu’il ne peut pas faire, mais ça m’a un peu gâché ma journée, je crois, ça m’a gâché ma journée, clairement, et j’étais un peu d’une humeur massacrante pendant les deux heures qui ont suivi, donc je l’embrouillais parce que du coup on était tendus, tendus comme jamais, mais après ça redescend. Mais je pense que ça doit être aussi pesant pour lui de me voir, mais très très très très très dure envers moi-même, où il me le dit parfois, mais pourquoi tu t’infliges ça en fait ? Pourquoi tu ? Parce qu’il va m’entendre me dire ouais, je suis dégueulasse, être pas très cool envers moi-même. Je pense que c’est dur pour lui de me voir m’infliger certaines choses, parfois ça c’est dur pour lui. Il y a eu une fois où ça aurait pu un peu jouer sur le futur de notre relation, où l’année du covid, je pense que pour beaucoup de personnes ça a été très compliqué, mais vraiment très très très très dur, et il y a eu un moment où même moi je ne savais pas si j’allais m’en sortir. Et là on était encore en couple, et même lui il m’a dit, mais là je savais même pas si on allait rester ensemble, on en a parlé après et il m’a dit vraiment je savais même pas si on allait rester ensemble, et je lui ai dit moi je savais même pas si j’allais rester en vie, clairement, c’était horrible, c’était vraiment très très très très dur, et c’est un peu à ce moment-là où j’ai commencé à reprendre un peu beaucoup de poids et où vraiment ça… Ça rend les choses compliquées parce que forcément une fois que tu as réussi à apprécier et accepter ton corps, une fois… De le voir encore changer, c’est dur, et jusqu’à maintenant c’est encore très dur et… Je fais pas de crise, donc ça c’est cool, je sais que je veux perdre du poids parce que physiquement je me sens pas très bien, esthétiquement je me sens pas ouf même s’il y a des jours où je vais me trouver jolie, etc., y’a pas de problème. Mais je sais que je veux perdre du poids, mais je sais aussi que je veux le faire correctement, donc je vais pas m’amuser à… Donc c’est pour ça que ça prend peut être plus de temps et que je suis en mode je veux perdre du poids, je ne sais pas comment, et il me dit, mais tu peux faire ça, je dis nan, laisse-moi tranquille, je vais trouver ! Je vais réfléchir correctement comment faire, mais je sais que je veux pas faire ça, ça, ça, ça ça… Et il me fait, mais en fait c’est toutes les solutions ! Je fais non ! Je vais trouver, mais je veux pas faire mal, je veux pas retourner dans un trouble, je veux pas faire autre chose, je sais que c’est hyper négatif, qu’un régime c’est de la merde, et je veux perdre du poids parce que physiquement j’ai mal partout, parce qu’il y a plein de trucs qui rentrent en compte, parce que j’ai le droit de vouloir perdre du poids, c’est juste la manière dont c’est fait qui peut être, mais pourquoi on le fait ? Bah là c’est parce que je me sens pas hyper à l’aise, quoi. Donc il est là, il est à côté, il… il, c’est vraiment ça, c’est que dans ce, on est ensemble tout le temps, mais dans les moments dans les troubles, etc. il est à côté, mais que dans ses débuts il a fait l’erreur et je pense que c’est l’erreur de beaucoup de personnes qui sont les partenaires de personnes qui justement vivent ces troubles là où on aime tellement la personne qu’on veut lui enlever la peine, et donc on va se démener à faire en sorte de lui enlever la peine, sauf qu’on ne peut pas ! Le partenaire va être là en train de se démener, en train d’essayer, mais j’essaie, mais qu’est-ce que je peux faire ? Et après ça devient personnel donc ça pose encore plus de problèmes ! Mais la dernière fois on en avait discuté et je lui avais dit c’est quoi les conseils que tu donnerais à quelqu’un qui est en couple avec une personne qui a de l’anxiété, des troubles… Du coup les conseils que mon copain avait, un tu peux pas lui enlever et tu vas pas pouvoir trouver la solution et lui enlever toute la peine, même si ça t’emmerde, tu vas pas pouvoir le faire. Deux, du coup c’était de sortir avec la personne sans lui dire que tu sors parce qu’elle a pas l’air bien bien, bah là j’irais bien prendre l’air ! Parce que sortir et prendre l’air ça fait du bien. Qu’est-ce qu’il disait, d’être à côté, pas être dans la fusion dans ces moments-là, mais d’être à côté et de bien faire comprendre à la personne qu’on est là, mais pas d’être trop sur elle. Donc c’était des petits conseils, ça m’avait fait rire parce que c’est un petit expert, maintenant, mais c’était oui bah tu peux pas trouver une solution, il faut juste que tu montres que tu es là. Et je pense que ça, c’est pour la personne qui a le trouble, c’est que ton copain copine ou peu importe, c’est pas ton psy. Et je pense qu’il y a le début de la relation où il y a un peu de fusion, tout ça, donc on se dit je peux tout lui dire, etc., non, il y a des trucs il a pas besoin de le savoir, clairement, parce que ça peut lui faire du mal, parce que ça peut être dur pour lui d’entendre qu’il se soit passé ça, et peut être que d’en parler une fois que c’est un peu réglé je pense que c’est mieux, parce que ça peut… Ça peut un peu switcher les dynamiques de la relation.

Mickael : Est-ce que tu as un message à faire passer aujourd’hui ?

Assara : Je dirais déjà qu’un trouble alimentaire c’est pas une fin en soi, qu’on peut en sortir, je dirais aussi que c’est des choses qu’il faut apprendre et que la santé mentale en général il faut qu’on nous explique, il faut qu’on nous apprenne très tôt, plutôt que là parce qu’on nous apprend même pas. Mais qu’il faut qu’on nous en parle, il faut faire de la prévention dès très jeune. Pour moi c’est un truc qui devrait être dans l’éducation civique, et qu’on devrait en parler depuis… Enfin dès très jeune aux enfants, la santé mentale en général et les troubles alimentaires aussi. Parce que… C’est pas au moment où on perd des personnes qu’il faut en parler, et je trouve que c’est trop souvent à un moment où on perd des gens qu’on en parle, j’ai perdu quelqu’un d’un suicide et c’est énervant parce que un on va pas dire… Moi je le vois comme quelqu’un qui a perdu sa bataille, quelqu’un qui est mort d’une maladie, parce que c’est le cas, malheureusement c’est pas vu comme ça par les autres personnes, que c’est une maladie mentale, mais bref, ça c’est un autre débat, je pense. Mais les troubles alimentaires c’est quelque chose qui tue, c’est quelque chose qui fait du mal, et c’est quelque chose qui peut beaucoup bloquer la vie de quelqu’un et donc il faut qu’on puisse être au courant, et il faut qu’on puisse l’appréhender, il faut qu’on puisse déceler les premiers signes, il faut qu’on puisse faire quelque chose en fait. Et je trouve qu’en ce moment, au niveau de la santé publique, etc., c’est un peu trop passif, on n’en parle pas. On en parle pas et c’est un peu trop passif et il y a beaucoup de messages à la télé, dans la publicité, tout ça, tout ça, qui encouragent des comportements, pas forcément des troubles alimentaires, mais l’alimentation troublée, qui l’encouragent vraiment beaucoup. Et en fait je pense qu’on… On n’a pas de prévention pour les jeunes filles, les jeunes garçons pour expliquer ça c’est pas OK, fais attention à ça, si tu commences à sentir ça c’est pas bon, si tu commences à sentir un mal être dans ta nourriture c’est pas bon, il faut que le gouvernement se mêle un peu plus de ça ! Qu’il se mêle un peu plus de la santé mentale de ses… de ses concitoyens ! Et que les troubles alimentaires il y en a beaucoup plus qu’on ne le pense, et des personnes qui sont… Ou plutôt il y a beaucoup plus de personnes touchées qu’on ne le pense. Et je pense que c’est le cas de toutes les personnes qui ont des troubles alimentaires qui vont discuter de nourriture avec des gens et qui se disent oh ! Dis donc ! À des personnes qui sont genre ah non, pas du tout, mais je mange trois pommes parce qu’il faut que je maigrisse, j’ai pas le droit de manger là parce que… Des trucs aberrants, mais parce qu’on sait pas, on connait pas, on est trop passifs là-dessus, si tu n’es pas atteint de la maladie on t’en parle pas. Alors que c’est quelque chose que tout le monde peut avoir, ça, peu importe ton milieu social, peu importe ta couleur, peu importe tout ce que tu veux, tu peux l’avoir. Et je trouve qu’il y a pas assez de prévention, donc en fait pour l’instant on peut pas faire changer les choses à la vitesse à laquelle on voudrait, mais il faut continuer à prévenir les gens, il faut continuer à en parler, il faut continuer à faire de la prévention là-dessus, et si quelqu’un se retrouve dans les témoignages qu’il écoute, demander de l’aide, en parler à des gens de confiance, en parler avec son médecin, si on n’est pas à l’aise avec ses parents en parler avec son infirmière à l’école avec qui on est peut-être plus à l’aise… Mais il faut en parler à un moment donné, chercher de l’aide, et pas attendre que la situation s’enlise un maximum. Il faut avancer, trouver des solutions, il y a des solutions, on s’en sort, ça va bien se passer, tout est OK !

Mickael : Il ne me reste à te remercier Assara d’avoir participé à cette émission ! On conclura avec ce beau message que tout va aller, il y a toujours mieux qui est à venir. Merci beaucoup !

Assara : Merci à toi !

Vous avez des idées suicidaires ?

3114 ou 15