"On lui disait que c’était pas une bonne idée de skier à nouveau. Il est retombé. Il s’est vraiment fait mal, mais je pense qu’il ne sentait peut-être pas la douleur dans ce moment de manie."

MALADIE ET FAMILLE— Avec Paula, nous avions interrogé la place des enfants dans une famille touchée par un trouble psychique. Qu’en est-il des frères et sœurs de personnes touchées ? Peu de travaux sont réalisés pour étudier la question de grandir avec un frère ou une sœur concerné par un trouble de santé mentale.

Aujourd’hui, ces deux angles seront abordés dans le témoignage, puis commentés par une psychologue. En effet, notre témoin nous permet d’aborder la place de la fille, sous un angle nouveau, mais aussi la place de la sœur.

Ainsi, nous recevons Chloé, dont le frère et le père vivent avec un trouble bipolaire. En deuxième partie, Chloé échangera avec Hélène Davtian, psychologue spécialisée dans la prise en charge des fratries qu’elle connait depuis plusieurs années.

Bonne écoute !
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Chloé & Hélène Davtian

Catégorie

Thèmes

Mickael : Bonjour Chloé.

Chloé : Bonjour !

Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission. Alors toi tu interviens aujourd’hui comme proche d’une personne avec un trouble psychique. Est-ce que tu peux nous dire un peu plus de détails à ce sujet ?

Chloé : Bah en fait j’ai mon père qui a un trouble bipolaire, et mon frère a aussi un trouble bipolaire, donc j’ai grandi au contact de la maladie depuis à peu près toujours.

Mickael : Donc tu dis depuis à peu près toujours, c’est-à-dire que tu as toujours su que ton père avait une maladie ?

Chloé : Il était malade avant ma naissance et bien qu’il ait été hospitalisé quand j’avais huit, neuf ans, on savait qu’il avait une forme de dépression qui a été pas diagnostiquée via cette hospitalisation qui effectivement a été le moment un peu officiel du début de sa maladie, on savait bien avant ça qu’il avait une forme de dépression et on vivait avec, même si mes parents se sont séparés quand moi j’avais… Autour de sept huit ans, à peu près, parce que la première hospitalisation il habitait déjà plus dans la maison familiale. Mais en tout cas on était déjà familiers de ses moments de sieste, qui n’étaient pas des siestes, familiers de ses coups de colère, on pourrait dire, et voilà, il avait un fonctionnement qui était quand même un peu différent du reste de la famille, il était par moments un peu plus isolé, et on était familiers de ce fonctionnement-là, et on savait que… bah c’était en un sens lié à ce que ma mère appelait la maladie maniacodépressive, on avait besoin de comprendre pourquoi il était pas toujours là aux repas, ou pourquoi il faisait la sieste en milieu d’après-midi, pourquoi il avait des accès de colère… Voilà.

Mickael : Et toi comme enfant, tu appréhendais ça comment quand ta mère te parlait de maladie maniacodépressive ?

Chloé : Comme moi j’ai grandi avec, ça m’a… Je voyais bien qu’il y avait une particularité dans le fonctionnement de mon père, mais c’est, c’était pas plus un problème que ça dans la mesure où c’était nommé comme oui, c’est une différence, oui, c’est pas facile, oui c’est difficile d’accepter qu’il ne soit pas toujours présent ou… En fait la grande médiatrice de la situation c’était ma mère, parce qu’elle était clairvoyante sur cette difficulté, et on pouvait en parler. Quand j’étais enfant j’étais parfois en colère contre lui qu’il ne soit pas présent, ou soit pas toujours à la hauteur de ce que je pouvais lui demander, elle… moi en tout cas elle me permettait de comprendre que c’était pas forcément possible pour lui de s’occuper de nous autant qu’on aurait pu lui demander. Je me souviens, la grande expression de ma mère quand j’étais petite c’était on ne demande pas à quelqu’un en fauteuil roulant de monter à l’étage, voilà, la métaphore du fauteuil roulant était assez bonne, elle me disait bah là en fait ton père il ne peut pas s’occuper de toi comme toi tu voudrais, parce qu’il a une difficulté, il a une forme de maladie, tu ne peux pas dire qu’il veut pas, en fait c’est qu’il peut pas dans une certaine mesure, donc c’est difficile à admettre, mais c’est pas forcément possible de lui reprocher parce que ça fait partie de sa maladie à lui au même titre que quelqu’un qui a pas l’usage de ses jambes on peut pas lui demander de monter à l’étage. C’était intéressant parce que ça permettait de, même si j’aurais voulu qu’il fasse lus et qu’il soit plus présent, et je pense que c’est important de dire que bah oui j’aurais vraiment voulu, et je lui en voulais vraiment de pas être plus présent, pour autant j’avais des éléments pour comprendre qu’il était pas en capacité et que voilà. C’était pas forcément qu’il voulait pas, mais qu’il pouvait pas.

Mickael : On grandit comment quand on est dans cette situation-là ? De savoir que son père ne peut pas s’occuper de soi autant qu’on voudrait, mais on se dit qu’on est quand même une enfant, et… On vit ça comment ?

Chloé : La colère. Moi j’ai eu très souvent un sentiment d’injustice et je pense que c’est bien de le dire et de pas faire comme si ça existait pas, parce que c’est clair que, moi je, enfin, moi encore aujourd’hui je peux très vite reverser dans ce registre de colère et de sentiment d’injustice. Ça m’a motivée pour avancer, pour travailler, ça m’a motivée pour mes études, ça m’a motivée pour trouver des solutions aux problèmes qui étaient les miens, et c’est un moteur formidable pour travailler, je dis pas que c’est un bon moteur ! (rires) Et je dis pas que c’est forcément la meilleure des choses à faire, mais en tout cas j’ai été très en colère, je pense que c’est quelque chose donc j’ai pris conscience quand j’étais ado ou jeune adulte, ouais, j’étais en colère, et je voulais trouver des solutions à des problèmes, j’en ai trouvé et j’ai quand même pu me construire, m’émanciper, apprendre ce que je voulais, avancer dans la vie, et elle me structure un petit peu aussi, même aujourd’hui, même si j’ai essayé de beaucoup réfléchir sur la situation, que je me suis fait accompagner, à partir de vingt ans j’ai fait une psychothérapie qui a duré quoi, quatre, cinq ans, après j’ai fait une thérapie comportementale qui a duré deux trois ans, et puis je suis retournée voir une psychothérapeute adorable avec qui j’ai encore travaillé quoi, cinq, six ans ? Et je suis plus apaisée aujourd’hui, mais ce serait mentir que de dire que la colère est pas facilement présente néanmoins dans mon fonctionnement. Même aujourd’hui.

Mickael : Et au niveau de tes relations, à l’école, ça se passait comment ?

Chloé : C’était pas tellement un problème parce que… B ah en fin de compte, voilà, globalement il était absent… Ça n’avait pas tellement de conséquences dans mes relations à l’école, il y avait plein d’enfants dont les parents étaient divorcés, c’était pas… Il était principalement dépressif, donc en fait il était dépressif, il était absent, donc…

Mickael : Tu nous as dit aussi que ton frère était touché par un trouble bipolaire. Est-ce que tu peux nous dire aussi quand et comment ça a commencé ?

Chloé : Il est tombé malade à grand fracas quand il avait dix-sept ans, moi j’avais quatorze ans, j’étais en troisième, dans des conditions assez violentes et assez surprenantes. En fait on était à la montagne, on dirait qu’il était excité, un peu survolté et qu’il avait un gros problème d’insomnie. Et puis au fil des jours en skiant il s’est cassé un poignet, ce qui était en soi pas très grave. Mais le lendemain avec son plâtre il a voulu remonter sur des skis ce qui était clairement pas une bonne idée, et il est retombé sur la fracture qu’il s’est fait la veille, alors qu’on lui disait que c’était pas une bonne idée de skier, il est retombé, il s’est vraiment fait mal en skiant à nouveau, je pense qu’il ne sentait peut être pas la douleur dans ce moment de manie qu’il était en train de vivre en fait, et donc là il est retourné à l’hôpital, je sais plus où c’était, en Savoie, et j’ai vu ma mère revenir sans lui pour nous dire bah non, là il restera, voilà. Parce qu’en fait il a pas que le poignet de cassé. Désolée, je suis un peu prise par l’émotion, je m’y attendais pas ! Mais c’est comme ça en tout cas que sa maladie s’est déclarée, de façon assez surprenante, il ruait dans les brancards de temps en temps, mais c’est vrai que ça allait pas plus loin que ça. Mais c’est vrai que cette fois-là ça a été très clair de la part de l’hôpital qui a dit à ma mère en fait votre fils il s’est blessé, mais il y a un problème psychique qui fait que là il va se reblesser, il a besoin d’être soigné, accompagné sur le plan psychique. Donc ça a été vraiment une douche froide, et ça a été le début d’une période d’hospitalisation à rebonds, qui a été très douloureuse pour lui, et puis ça a eu des impacts aussi au niveau de son… De sa scolarité, ça nous a quand même bien chamboulés.

Mickael : Et à ce moment-là, avec un père qui souffrait d’un trouble bipolaire, un frère qui en déclare un aussi, tu nous as aussi fait part du fait que tu avais d’autres personnes dans ta famille avec un trouble psychique… Est-ce qu’à ce moment-là on ne se dit pas, et si ça m’arrivait aussi ?

Chloé : Oui, évidemment, c’est peut-être pas une question que je me suis posée tout de suite, mais je pense qu’autour de la vingtaine c’est quelque chose qui m’a fait peur, ça m’a déstabilisée, à juste titre parce que je pense qu’on soit fragile ou solide psychiquement quand on est face à des personnes qui sont malades et dont on partage le quotidien un peu pathologique par moment des personnes qu’on aime, on est forcément troublé, déstabilisé, et on est mis à rude épreuve, aussi solide qu’on puisse être à mon avis ! Donc c’est une question que je me suis longtemps posée. De ma propre solidité psychique à moi, ou pas ! Je savais pas trop sur quel pied danser. Donc évidemment ça m’a complètement remise en cause. Je ne m’étais pas encore posé la question de savoir si moi je pouvais d’une façon ou d’une autre avoir hérité de la fragilité de mon père, mais c’est clair qu’avec la maladie de mon frère qui en plus se traduisait par des moments assez violents et assez troublants, et assez déstabilisants, avec des nuits blanches, beaucoup de bruit, et aussi pas mal de violences physiques et verbales, mais surtout physique, c’est clair que j’ai été ébranlée intimement à l’endroit de et moi alors ? En fait ! Dans tout ça, est-ce que je suis malade aussi, est-ce quand je suis triste je suis triste parce que je fais face à une situation difficile ou est-ce que je suis triste parce que moi aussi je fais face à une certaine forme de dépression, etc., etc. Donc ça m’a beaucoup remise en question et ma solidité ou ma fragilité ça a été aussi une question très importante par rapport à et si j’ai des enfants, alors du coup est-ce qu’ils pourraient aussi être dans le sillon de cette maladie-là qui est présente dans ma famille, est-ce que pas du tout ? Si je regarde les chiffres, qu’est-ce que ça dit ? Est-ce que quand on a des parents malades on peut être malade soi-même, pas si sûr, oui, non, tout est vrai. Est-ce que quand on est environné comme ça, statistiquement on est forcément à risque, bah on pourrait dire non parce qu’il y a plein de gens malades autour de moi donc statistiquement j’ai des chances de pas l’être, mais c’est clair que c’est tout un faisceau de questions que je me suis posées. Et très longtemps je me disais je veux pas avoir d’enfants parce que si j’ai un garçon, vu que ce sont souvent les hommes qui sont malades dans ma famille, il risque d’être malade. J’ai quand même pensé ça entre vingt et trente-cinq ans de façon assez importante.

Mickael : Du coup tu dis que tu l’as pensé pendant longtemps. Est-ce que tu le penses encore aujourd’hui et est-ce que tu as eu des enfants ?

Chloé : J’ai fait le constat qu’il y avait plein de parents l’un comme l’autre pas du tout malades qui avaient des enfants qui étaient malades. J’ai fait le constat qu’il y avait des gens malades qui avaient des enfants qui étaient pas du tout malades. Et ainsi de suite, et dans tous les sens, et je me suis rendue compte qu’il y avait quand même beaucoup de complexité et que le contexte, et aussi certainement tout ce qu’on porte en nous de possible et de potentiel fait que ce serait bien trop réducteur de penser qu’il y a un risque me concernant, et concernant les gens qui… Qui sont dans la même situation. En réalité je me suis rendu compte à quel point c’est complexe et à quel point on ne peut absolument pas prédire ni déterminer de ça, donc aujourd’hui je pense plus ça. Je pense plus ça, je pense qu’il y a vraiment trop de diversité, trop de complexité pour que ce soit vraiment vraiment si simple, et on le voit bien dans la réalité de ce qu’il se passe dans les familles. Et du coup oui, j’ai une petite fille qui va avoir deux ans, et bon, je suis pas du tout inquiète en fait, même si c’était un petit garçon en fait, je pense pas que ce soit… Aujourd’hui je pense que je mesure à quel point tout est possible en fait, et je le mesure parce que je le vois dans la réalité de ce qu’il se passe dans les familles, à tout niveau de génération.

Mickael : Contrairement à ton père qui est, que tu disais avoir été absent, ton frère était quand même beaucoup plus présent. Tu étais très jeune quand il a déclaré son trouble bipolaire. À ce moment-là, est-ce que tu avais quelqu’un à qui en parler en dehors du cercle familial et comment ça se passait ?

Chloé : En dehors du cercle familial c’est vrai que le lycée était pas un endroit où la question pouvait être abordée, simplement parce que le lycée c’est un endroit on va dire normal, au sens strict du terme, et donc mes copains eux ils comprenaient pas bien de quoi il était question donc non, en dehors de la famille j’avais pas tellement d’endroits pour avoir des informations objectives, pour avoir simplement un espace de discussion, un espace d’expression aussi, je pense que quand il nous arrive des choses, de toute nature qu’elles soient, on a envie d’en parler, ça fait partie de la vie. Donc j’avais envie de parler de ça, mais non, j’avais pas d’endroits où échanger sur la maladie de mon frère. Au-delà du fait que c’était violent ou douloureux ou quoi que ce soit, il y avait malheureusement pas de source d’information, pas d’endroit de discussion, ou alors dans un cadre thérapeutique, mais moi j’étais pas malade ! Donc c’était pas le cadre qui était adapté parce que j’étais face à la maladie, mais j’étais pas moi-même malade.

Mickael : Et est-ce que tu considères qu’aujourd’hui, avec quelques années de plus, les informations et les ressources sont plus facilement disponibles ?

Chloé : Je pense que la question des enfants face à la maladie psychique, c’est pas une chose dont on parle beaucoup, elle est pas connue. Et je pense que c’est un problème parce que c’est pas représentatif de ce qu’il se passe dans les familles, je pense qu’il y a beaucoup d’enfants qui sont face à ces difficultés-là, que ce soit face à la maladie des parents, ou de la fratrie, ou même des cousins dans un cercle un peu plus large, euh, non, je trouve qu’on n’en parle pas suffisamment et qu’il y a pas suffisamment de supports d’information, ou de lieu d’accueil, ou de lieu d’échange, et je pense que c’est très très dommageable pour ces enfants qui sont là maintenant tout de suite en train de vivre ça. Parce que les impacts, à commencer par l’isolement et tout ce que ça peut avoir comme suites dans la vie des adultes qu’ils sont amenés à devenir, les impacts sont grands et non, il n’y a pas assez d’infos.

Mickael : Justement aujourd’hui on est aussi avec Hélène Davtian qui est psychologue et que tu connais depuis quelques années. Bonjour Hélène !

Hélène : Bonjour Mickael !

Mickael : Est-ce que tu peux nous dire un peu comment, à quelle occasion vous vous êtes rencontrées ?

Chloé : Hélène je l’ai rencontrée à l’occasion d’une émission sur une radio qui s’appelle Vivre FM, elle venait parler d’un livre dont elle a coordonné la rédaction, un livre qui réunit des propos de frères et sœurs qui sont faces à la maladie psychique de leur fratrie. Ce livre il a été rédigé dans le cadre de l’Unafam, et c’est à la faveur de cette émission de radio que j’ai découvert l’existence d’Hélène Davtian et que j’ai remonté le fil jusqu’à l’Unafam parce que j’étais évidemment très intéressée par la lecture de ce livre qui me concernait. Donc c’est comme ça que de fil en aiguille je me suis rapprochée de l’Unafam et de diverses activités, notamment aujourd’hui de l’association qui a été montée par Hélène et par tout un ensemble de praticiens, qui s’appelle Les Funambules et qui est destiné à fournir de l’information et être un endroit d’accueil pour les non-majeurs qui sont face à la maladie.

Mickael : Et justement Hélène, est-ce que tu peux nous parler un peu de la genèse de cette association, comment ça t’est venu, et pourquoi c’est important aussi de proposer un lieu comme celui-ci ?

Hélène : Oui, c’est un sujet qui me trotte depuis longtemps dans la tête. Bon, la genèse elle est assez intime puisque moi même j’ai été confrontée à la maladie d’un frère et… Bon, ça reste quelque chose d’intime même si j’ai aussi travaillé en tant que psychologue sur ce sujet, je tisse un peu les deux. Mais disons qu’en tant que professionnelle c’est plutôt quand je suis arrivée à l’Unafam, donc union nationale des familles et amis de malades psychiques, que je me suis rendu compte qu’à l’époque en tout cas, on y voyait pratiquement essentiellement des parents de personnes malades. Et je me suis dit il faudrait faire vivre le f du mot Unafam, qui n’est pas un p. Pas uniquement pour faire vivre l’entourage familial, mais surtout parce qu’une personne malade ne doit pas être réduite à être l’enfant de ses parents. Je trouve qu’en termes curatifs, hein, là je me pose plus en termes d’accompagnement des personnes malades, voir leur entourage qui se réduit, qui se réduit et qui les réduit à une position d’enfant, comme s’ils n’étaient plus eux-mêmes membres d’une génération, ça ça me préoccupait beaucoup. Quand je travaillais à l’Unafam mon frère était décédé, mais je pensais beaucoup à lui et je me disais en fait il était membre de notre fratrie, nous on était six, et on était pas partis, donc on était là. La question de l’entourage, je dirais que mon propos il a bougé depuis que je travaille sur ce sujet ; parce qu’au début je réfléchissais plutôt sur les frères et sœurs de, ou sur les enfants de, et aujourd’hui, je pense beaucoup plus sur la relation en fait, soutenir la relation, soutenir le tissu relationnel dans lequel est la personne malade, et donc bien sûr les relations fraternelles, ses relations de parent, parent de ses enfants, ça me parait quelque chose de capital. Donc mon propos a un peu bougé parce que quand j’ai démarré le sujet à l’Unafam, c’est à peu près le moment où j’ai rencontré Chloé, je venais de faire une recherche-action auprès de 600 frères et sœurs de personnes malades. C’est vrai que cette recherche qui était la première avait mis en évidence le retentissement des troubles sur les frères et sœurs, puisque 54 % de mémoire de ces 600 disaient que la maladie de leur frère ou leur sœur avait des répercussions sur leur propre santé. Donc ça c (« était un premier élément, bien sûr, qui m’a incitée à creuser davantage. Et ensuite bien sûr je suis passée d’une recherche quantitative à une recherche qualitative, une thèse beaucoup plus clinique, où là je me suis vraiment beaucoup plus intéressée à la relation puisque j’ai intégré le point de vue de personnes malades en tant que frères, je les questionnais au même titre que les autres membres de la fratrie sur parlez moi de vos relations fraternelles.

Mickael : Et à l’occasion de ces travaux tu as recueilli quoi comme éléments de la part des personnes malades sur leurs relations fraternelles ?

Hélène : Moi je me souviens que quand j’ai fait mes études de psycho, j’entendais des propos qui à l’époque me troublaient beaucoup puisque moi je vivais ça dans ma famille, que quand on souffrait de psychose en fait on souffrait pas, ou qu’on n’avait pas conscience des autres. C’était des choses qu’à l’époque on entendait dans les cours… Ça me choquait beaucoup parce que moi j’ai jamais… j’ai justement senti l’inverse. En travaillant sur les propos des frères et sœurs malades et en les questionnant sur les relations fraternelles en fait je me suis rendu compte à quel point ceux que j’ai interviewés étaient soucieux, très soucieux, de ce que leur maladie pouvait procurer à leurs frères et sœurs et que… Du coup j’ai posé l’hypothèse que la position de repli dans laquelle ils sont souvent était en fait une position de protection du reste du groupe, et aussi de protection de la place dans le groupe, c’est-à-dire de la peur d’en être exclu. Du coup ça n’a rien à voir avec un repli autistique, on pourrait dire c’est plutôt relationnel. Ce qui change, je pense, beaucoup de choses. Et je pense que la question du relationnel, moi elle m’intéresse aussi parce qu’elle ouvre beaucoup de leviers thérapeutiques, si on commence à regarder les choses comme ça, on est moins dans quelque chose de passif, ça ouvre des choses.

Mickael : Et toi Chloé justement, la relation avec ton frère, est-ce qu’elle suivait un peu le même schéma de retrait de sa part pour préserver le reste de la famille ?

Chloé : Je saurais pas dire, parce que c’était tellement troublé dans les moments où il était malade que… Je pense que c’est une discussion impossible à avoir, il peut, enfin… Est-ce qu’il aurait essayé de s’excuser d’être malade, c’est absurde, je veux dire non quoi ! Je pense que pour lui c’est une discussion qui des fois a pu perler dans des discussions qu’on a eues après, après des moments difficiles. Je pense qu’il est très conscient que ça a changé beaucoup de choses pour nous, mais il en est tout autant conscient qu’il est victime de la situation, c’est-à-dire que de toute façon, on est, voilà, une famille, et puis on fait face à ce qui nous traverse et puis c’est comme ça quoi. Je pense que c’est très très difficile parce que c’est un impact très fort, et pour autant on ne s’excuse pas d’être malade, c’est impossible à penser ! Enfin ça me trouble en fait comme question, parce que c’est difficile d’y répondre. Mais ce que je sais c’est que… sa malade, elle est toujours, parce qu’il est parfois encore dans la difficulté, mais c’est très très riche en fait ce qu’on vit, parce que mon frère c’est quelqu’un de très sensible, donc le discours qu’il a pu avoir sur les choses il est très sensible, il est très attentif, il est très fin, et il est très conscient de sa position et aussi de sa maladie.

Mickael : Tout à l’heure sur cette question justement de peur de devenir malade quand on a un proche qui est malade, Hélène est-ce que c’est quelque chose que tu rencontres souvent avec des familles que tu accompagnes ou avec des patients ?

Hélène : Oui, je me souviens, hm… D’un des premiers groupes que j’ai organisés à l’Unafam où il y avait un jeune, je pense dis sept, dix-neuf ans, qui s’est levé… C’était un groupe, où il y avait une quarantaine de frères et sœurs, et il s’est levé, et il a dit moi je suis juste venu vous voir et voir comment vous étiez, et ça me rassure en fait sur moi. Et ça me suffit. Rencontrer d’autres personnes qui traversent le même type de situations ça permet en fait d’oser affronter cette question. Et je pense que c’est une des raisons que cette question est tue, que souvent les frères et sœurs mettent beaucoup beaucoup de temps à demander de l’aide, c’est que souvent on leur offre un regard d’inquiétude en fait, est-ce qu’il ne va pas être malade aussi ? Donc ce regard-là, en fait, bah ils l’évitent. Voilà, c’est justement dans cet esprit-là que je pense important, et Chloé l’a dit, de créer des espaces un peu différents, que des espaces qui sont un peu trop médicalo-centrés. On voit bien que dans cette histoire-là oui il y a la question médicale, mais il y a beaucoup plus une question existentielle, en fait, comment je vis avec mon frère qui ne partage pas le même espace-temps que moi en fait, qui vit dans le même lieu que moi mais qui l’habite autrement. Ça, ça peut être quelque chose de très troublant, avec les inversions de jour et de nuit, par exemple, le rapport à la nourriture complètement différent. Comment je vis avec mon frère ou ma sœur qui perçoit l’univers de façon troublée, qui parfois délire sur moi-même, c’est-à-dire que les frères et sœurs peuvent être très souvent l’objet du délire, et des supports de projection très très forte. Et peut-être ça, c’est aussi quelque chose que j’ai vu dans ma thèse, c’est qu’être en capacité de supporter ces projections pour pouvoir les renvoyer à l’envoyeur, ça quand ça a pu se mettre en place ce jeu dans les fratries, ça a aidé énormément la personne malade. Donc je pense que là, c’est pour ça que je dis que pour moi le fraternel est un levier thérapeutique très intéressant. Moi avec ces jeunes-là je ne parle pas de normal et de pathologique, je parle d’ordinaire et d’extraordinaire, parce que souvent on est beaucoup plus dans l’extraordinaire, est-ce que c’est pathologique ? C’est pas du tout évident à mettre des termes médicaux parfois sur des comportements qui glissent. En fait la familiarité du lien fraternel, le fait qu’on s’est construits ensemble depuis l’enfance, je prends un terme de Gutton qui parle de chair de fratrie, on est fait de la même pâte, la même pâte humaine. Finalement on peut se renvoyer des choses différemment que dans une relation enfant-parent, par exemple, il y a de la réciprocité dans le lien fraternel qui peut être très forte, et qui peut être très forte dans la toxicité, une contagiosité particulière, mais qui peut être très forte aussi de ramener au familier, de ramener celui qui s’en éloigne trop au familier. Un des frères qui me disait j’ai plus de mémoire, j’ai perdu tous mes souvenirs, mais j’ai mes frères et sœurs qui me servent de mémoire. Il y a vraiment du commun, c’est-à-dire qu’un frère ne peut jamais être un autre, il restera toujours du commun. Même pour les frères et sœurs qui partent loin, qui s’arrangent pour aller faire leurs études, ça, c’est très fréquent ! Mais même en étant loin, la dialectique du même et de l’autre elle est constante dans les fratries, elle résonne complètement avec la problématique psychotique en fait. Donc il y a beaucoup à faire là-dessus.

Mickael : Et comment est-ce que tu expliques justement que les fratries soient encore aussi absentes dans les discours sur les proches, les aidants, ou même dans les structures d’accueil ?

Hélène : Ben on est un peu embarrassés, je pense avec ces, ces histoires de fratries qui justement vont poser la question de l’horizontal. Alors, un parent, quand on s’entretient avec un parent il y a une responsabilité de la génération, intergénérationnelle, un enfant parfois pour son parent malade aussi on peut jouer avec cette ligne-là de la, qui est posée dans la loi d’ailleurs ! Alors que l’horizontal… Alors là on sait pas trop, il n’y a pas d’obligation. Il n’y a pas d’obligation à s’occuper de son frère, c’est justement ça qui est intéressant moi je trouve. C’est-à-dire que je vais pouvoir t’aider, à la condition que tu collabores. Et ça, ça peut devenir très intéressant. Je pense qu’il y a beaucoup de frères et sœurs qui ont une conscience très très vive, qui vont contribuer à un moment. Voilà, je pense à un jeune qui me disait mes parents sont au front et moi je suis réserviste, bon, il avait seize ans, il avait une conscience très aiguë de ça, mais voilà, qu’est-ce que ça veut dire d’être réserviste, j’ai travaillé ça avec lui, qu’est-ce que ça veut dire réserviste, donc ça veut dire prendre des forces ! Donc c’est pas du temps pour rien ça, c’est du temps justement où il faut être attentif à accompagner les frères et sœurs dans ce moment-là.

Mickael : Tu parlais aussi de l’obligation légale de s’occuper de ses parents, mais dans le cas d’enfants comme Chloé qui avait huit ans quand son père a été hospitalisé, il se passe quoi en fait ? Puisqu’on a en général des parents qui s’occupent de leurs enfants le temps qu’ils grandissent, mais quand on est une enfant et que justement comme elle disait son père ne pouvait pas du fait de sa maladie s’occuper d’elle comme elle l’aurait voulu… Ça se passe comment, à partir de quel âge on peut être un aidant, et ça veut dire quoi être un aidant ?

Hélène : Bah je pense que ça veut dire quelque chose en termes économiques actuellement, c’est un terme qui étonnamment est apparu en psychiatrie alors que pendant très longtemps on a pensé que plus on séparait les malades des familles mieux les malades allaient se porter, maintenant on pense exactement l’inverse, hein, je reprends les propos d’un sociologue qui s’appelle Normand Carpentier qui dit on est passés avec les familles d’un modèle pathologique à un modèle de compétences… Bon moi je pense que les familles n’ont pas changé, c’est les mêmes qu’avant, il y en a qui se débrouillent pas trop mal, il y en a par contre qui peuvent faire mal, parfois les séparations peuvent faire du bien, parfois la proximité peut faire du bien. Ce qui est compliqué c’est quand on voit les choses sous un angle strictement d’organisation des soins, et si on voit les choses sur ce sens-là alors oui, on a sacrément besoin des aidants familiaux vu l’état de l’hôpital et l’état de la psychiatrie ! C’est quand on se pose la question sur un plan strictement économique. Maintenant si on se pose la question sur un plan je dirais plus relationnel, la plupart des jeunes que je, que j’accompagne, ne se considèrent pas comme aidants. C’est un terme qui ne leur parle pas beaucoup. Je pense que déjà beaucoup font beaucoup d’efforts pour être tout simplement proches, pour être présents, pour ne pas s’enfuir. Et donc la présence on pourrait estimer que c’est une forme d’aidance. J’ai eu ce débat-là, en fait, parce que je me suis retrouvée au comité de pilotage de recherches sur les jeunes aidants, mais c’était beaucoup plus sur le handicap moteur, des handicaps visibles. Et moi je disais, mais par exemple une petite fille qui me dit quand mon frère est en crise, je monte dans ma chambre, je dessine et je pleure, est-ce que vous considérez qu’elle est aidante ? Versus ces formes de handicap là, ils me disent non. Mais versus nous ce que l’on sait de l’effort que peut faire cette enfant pour ne pas en rajouter, ce qui est vraiment pour moi l’effort premier de ces jeunes que l’on accompagne, que ce soient les jeunes frères et sœurs ou les enfants de malades, c’est ne pas en rajouter, prendre sur soi, essayer d’être le plus ordinaire possible, ne pas attirer l’attention sur la famille, c’est ce que font beaucoup les enfants de malades, il y a une espèce de lissage très important, et ça, si on les pousse trop, moi c’est ce qui m’inquiète, si on les pousse trop dans cette position ça a un effet délétère à l’âge adulte, et ça ça va faire… Ça va créer de la colère, enfin, Chloé a parlé de sa colère, mais oui ça peut mettre très en colère de pas avoir été reconnu dans cet effort-là et de craquer quand on a vingt-cinq, trente ans, ça je l’ai beaucoup rencontré. Donc ce terme d’aidant familial, et maintenant on parle de jeune aidant, moi je trouve que c’est quelque chose qui peut être dangereux de substituer une fonction à une relation. C’est pas des jeunes aidants, ce sont des enfants, ce sont des frères et sœurs, des enfants adolescents, des enfants enfants, enfin… Des enfants qui sont à l’âge de l’émancipation, ils sont dans le… Et ils ont à réussir ces passages pour devenir adulte, donc je trouve moi très préoccupant quand on supplante une fonction, en plus qu’on leur colle, à une question qui est d’abord relationnelle.

Mickael : Je vais vous adresser une question à toutes les deux parce que je pense que vous pouvez avoir un regard complémentaire. Toi Chloé de quoi tu aurais pu avoir besoin quand tu étais plus jeune pour en parler, pour gérer au mieux la situation ? Et Hélène de ton côté, avec les Funambules par exemple, qu’est-ce que tu mets comme actions en place aujourd’hui pour aider justement les jeunes à mieux comprendre la pathologie de leurs proches, à mieux vivre avec, et donc à être présents comme tu dis ?

Chloé : Je pense que adolescente j’aurais eu besoin d’un endroit d’échange et d’expression et que cet endroit-là ne soit pas nécessairement médical ou psychothérapeutique. C’est simplement ne pas être prise comme une personne en défaut ou en difficulté. Je pense que si j’avais trouvé, alors je sais pas trop quelle forme ça aurait pu avoir à l’époque, mais en tout cas la possibilité de discuter simplement, d’échanger sur la question, et peut être d’avoir des informations qui objectivent la situation et qui permettent de savoir où est le haut du bas, parce que c’est pas si clair par moment, ça m’aurait permis d’être moins isolée et simplement de vivre les choses avec un peu plus de clarté et de… Et peut-être avec des moments où j’aurais pu un peu me saisir de la situation et prendre du recul.

Hélène : Oui, ben je reprendrais les termes de Chloé, en fait, objectiver ce qu’il se passe, ne pas faire comme si on était pas là, ces jeunes-là n’étaient pas là. Pour l’instant les sorties d’hôpital psychiatrique on ne prend pas en considération qui est au domicile du patient et est-ce qu’il y a des enfants, des jeunes mineurs au domicile. Ça, c’est… Moi c’est vraiment quelque chose, je voudrais que ça change, ça. C’est effectivement ça qu’on essaie de faire aux Funambules, c’est d’une part objectiver ce qu’il se passe, oui il se passe bien quelque chose de compliquer dans la situation que tu vis, et on peut en parler, on peut répondre à tes questions si tu as besoin d’information, objectiver ce qu’il se passe, mais en même temps il y a un double mouvement, qui est subjectiver ce qu’il se passe pour toi là-dedans, qu’est-ce que tu éprouves toi là-dedans, qu’est-ce que cette situation te fait ressentir, te fait vivre ? On peut ressentir de la colère, Chloé a beaucoup parlé de la colère, et c’est troublant de ressentir de la colère alors qu’il s’agit de souffrance, c’est troublant de ressentir de la peur alors que c’est quelqu’un que j’aime. C’est pour ça que nous on travaille toujours ce double mouvement, d’objectiver ce qu’il se passe pour l’autre, et de subjectiver ce qu’il se passe pour soi. Comment on s’y prend, et bien déjà on a un accompagnement qui est différent suivant les âges, donc en gros on a les 7-11 ans, les 12-18 et les jeunes majeurs, 18-25, ça nous parait très important d’accompagner les questionnements et de ne pas amener de l’information toute faite. Donc on va dire qu’on est plus dans une approche psychopédagogique que la psychoéducation classique, psychopédagogique c’est-à-dire qu’on va individualiser, on va comprendre ce que vit l’enfant, les ressources qu’il a autour de lui, les fragilités de son contexte de vie… C’est à dire qu’on ne va pas répondre de la même façon à tous les enfants, on va vraiment individualiser et être attentifs aux freins, aux ressources. On peut dire que le dépistage précoce par exemple on est beaucoup plus sur la question du risque, et nous on est beaucoup plus sur la question d’augmenter ses facteurs de protection, qu’est-ce qui lui fait du bien ? Qu’est-ce qui l’aide ? L’aide ça peut être une prise de distance temporaire, parfois c’est ça qui est nécessaire, parfois ça peut être organiser une rencontre avec un psychiatre pour soi, parce qu’on est hanté par la question de est-ce que je ne suis pas malade moi aussi et parfois ça peut faire du bien d’aller poser cette question à un professionnel, donc on va vraiment individualiser les réponses, et puis bien sûr, et ce que disait Chloé aussi, c’est la possibilité de rencontrer d’autres dans la même situation que soi, dans les mêmes âges, et donc là c’est ce qu’on essaie de développer à travers la plateforme www.jefpsy.org, donc jeunes enfants fratrie, où là on s’est mis avec trois autres équipes, une équipe luxembourgeoise, le centre Kanel, une équipe belge Étincelles et une équipe suisse, le Biceps à Genève, grâce à cette plateforme en fait on peut aider ces jeunes à être en relation et à échanger. Et aussi à rencontrer facilement un professionnel, mais dans un espace qui n’est pas effectivement un espace de soin, on pense beaucoup plus à un lieu de reconnaissance, reconnaissance de cette situation de vie et de ta place dans cette situation de vie.

Mickael : Dans le domaine de la santé mentale il y a un sujet dont on parle assez souvent qui est celui de la stigmatisation, donc c’est tous les clichés un peu négatifs qui entourent les troubles psychiatriques. On se rend compte que ça touche pas mal les personnes directement concernées. Mais est-ce que cette stigmatisation elle est pas aussi poreuse et s’intègre de manière peut-être un peu insidieuse dans les relations avec les proches ? Est-ce que les proches sont pas finalement autant stigmatisées que la personne malade ?

Hélène : Oui moi je pense qu’il y a beaucoup d’autostigmatisation. Là j’essaie de lancer une recherche, mais j’ai… d’ailleurs j’en profite pour faire un appel, c’est une recherche sur les effets de la stigmatisation dans les fratries de jeunes patients atteints de schizophrénie. On essaie d’inclure des fratries complètes, le point de vue de celui qui est malade et le point de vue de ses frères et sœurs. Sur les quelques fratries que nous avons vues, on s’est rendu compte que… Je ne peux pas en tirer des conclusions plus que ça, mais que le ressenti de la stigmatisation est plus fort pour les frères et sœurs que pour la personne qui est malade. Donc dire je suis enfant d’une personne qui a des troubles ou je suis frère ou sœur d’une personne qui a des troubles c’est offrir une vulnérabilité aux autres, qui ne vont pas forcément être très bienveillants avec cette vulnérabilité. Donc c’est très difficile à assumer socialement encore.

Chloé : Je rebondis juste sur ce que dis Hélène, il y a un glissement facile et assez dommageable qui… qui est préjudiciable. Moi c’est vrai que dans le cercle du travail j’ai jamais, jamais… Il m’est arrivé de dire que mon père, dans des moments de grands soucis que je ne pouvais pas cacher au boulot parce qu’on se voit au quotidien… Il m’est arrivé de dire qu’il avait des problèmes neuro ! Comme ça c’est, en même temps dans la tête, mais c’est pas autant stigmatisé que des problèmes psychiques, et ça me permettait quand même de pouvoir dire que mon père avait une maladie neuro et je voyais un peu de compassion dans le regard de collègues qui n’en demandaient pas plus, mais qui du coup me laissaient un peu tranquille, et pour autant je ne prenais pas de risque parce que je n’ai jamais dit maladie psychique et je ne prêtais pas le flanc à une forme de malveillance qui peut exister, même un peu par hasard.

Mickael : On a parlé beaucoup du côté relationnel, et justement cette relation avec l’autre, la maladie peut avoir quel impact dessus ? Est-ce qu’il n’y a pas aussi un risque de vouloir à tout prix maintenir un lien et de se suradapter et donc finalement à dénaturer un peu le lien ?

Hélène : Ben c’est ça tout l’enjeu. Je pense justement quand on est plus sur la question d’être en lien et moins sur la question d’être un aidant qui vient compenser la maladie il y a moins ce risque-là. Et rester l’enfant de ses parents, rester le frère et sœur de son frère ou de sa sœur, je pense que ça l’aide beaucoup plus. C’est-à-dire, ben qu’est-ce qu’il se passe dans une fratrie, il y a de la compétition, il y a de l’émulation, il y a de la jalousie, il y a beaucoup de choses comme ça. J’avais vu dans un programme de psychoéducation, il y avait un module sur les fratries et en fait ce qui était enseigné c’était que les frères et sœurs devaient rester… Ne devaient pas avoir une émotionnalité trop forte, c’est quelque chose qui est impossible de dire à une fratrie d’adolescents, soyez calmes ! (rires) Donc voilà, c’est pas possible ! Je pense que la question c’est comment on transforme la relation fraternelle pour qu’elle demeure et surtout pour qu’elle ne rompe pas, parce qu’on parle toujours des familles qui n’en font pas assez ou qui font ceci ou cela, mais il faudrait qu’on parle de toutes celles qui n’ont pas pu tenir, et qui sont nombreuses, et pourquoi elles n’ont pas pu tenir. Donc oui, c’est sûr que ça met parfois très à mal les relations, mais justement quand ces relations on arrive à les transformer bah c’est là où je pense qu’on est sur le chemin du rétablissement. J’imagine assez peu une personne malade se rétablir si son entourage, quel qu’il soit, son entourage familial ou amical ne fait pas lui-même cet effort de transformation. C’est – à – dire que je pense que le rétablissement passe par le rétablissement du groupe.

Chloé : Oui, c’est vrai que c’est intéressant, moi il m’est arrivé plusieurs fois de dire à mon frère, éventuellement si t’es plus malade ça m’arrangerait et j’en serai vraiment heureuse sincèrement, et je serai peut-être même capable d’accepter d’être plus la sœur pleurnicharde parce que son frère est malade. Mais c’est intéressant de dire que nous autour de cette situation-là on s’adapte bon an, mal an, pour des bonnes et de mauvaises raisons. Et du coup il y a aussi effectivement, c’est difficile d’être attentif au fait que… Moi il y a des moments où pour un petit bourdon qui est le mien, ou une difficulté qui est la mienne, je pourrais de façon un petit peu inconsciente on va dire, ou peut être un petit peu malhonnête intellectuellement, remettre ça sur la situation familiale qui est difficile. La position que moi je peux avoir vis-à-vis la maladie de mon frère bah par moment il faut aussi que je puisse me dire et en fait, ça pourrait aller, et mon frère il pourrait aller bien, et moi je serais aussi en capacité d’exister autrement et différemment, et notre fratrie elle pourrait exister aussi avec une autre dynamique qui serait celle où mon frère va bien. Moi j’ai fait du chemin pour me rendre compte que ma position avait une importance par rapport à sa situation à lui. En l’occurrence nous on est quatre dans la fratrie, et c’est un chemin qu’on fait tous à des endroits différents, mais l’autoriser à ce qu’il ne soit plus malade intrinsèquement pour chacun d’entre nous je pense que c’est pas quelque chose de facile. Et justement je pense que c’est un levier de mieux être qui est important. Enfin j’ai un peu la même logique vis-à-vis de mon père, il y a des moments où il peut rentrer quand il est on va dire dans un moment de dépression, il peut rentrer dans une discussion et dans une relation de c’est affreux, aide-moi, il faut me sauver, je me blesse, etc. Et moi il y a un moment où je dis écoute Papa, là c’est toi qui peux te soigner, moi je peux vaguement contribuer à cette situation, mais en réalité je ne vais pas t’aider si on reste dans ce registre ah oui, mon petit papa il est malade, vraiment c’est très dur, j’en ai de la peine et j’ai de l’empathie vis-à-vis de lui, mais pour autant si je reste dans une position où il reste malade et que moi je ne me positionne pas à un moment en disant tiens en fait, tu sais, tu pourrais aller mieux et ce serait possible en fait, pour moi ce serait possible. Du coup voilà, c’est une attitude qui peut permettre à ce que réellement à un moment il aille mieux. Et que ça soit possible pour tout l’entourage.

Hélène : Ça revient à la question de la stigmatisation en fait, si l’identité que l’on se donne c’est enfant de malade, frère et sœur de malade, ou malade, c’est la même chose, hein, c’est vraiment cette question de l’autostigmatisation, il faut pouvoir être aussi dans d’autres identités parce qu’on est multiples, même si on est très malade.

Chloé : Oui, on est multiples, et les choses elles évoluent. C’est à dire que moi dans ma famille la situation n’est pas la même, et notamment celle de mon frère, il n’est pas du tout dans les mêmes difficultés qu’il y a dix ans. Et la dynamique de notre fratrie et de notre famille, parce que je parle beaucoup de fratrie, mais il y a quand même ma mère qui joue un rôle important dans notre fratrie et dans notre famille, la dynamique n’est pas du tout la même qu’il y a dix ans.

Mickael : On arrive au terme de cet entretien, Chloé, Hélène, merci beaucoup d’avoir participé à cette émission, merci Hélène pour tout ce que tu fais avec les Funambules, et merci Chloé pour ton témoignage qui est précieux.

Chloé : Merci !

Hélène : Merci à toi !

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