Les troubles psychiques peuvent avoir de nombreuses répercussions sur le quotidien comme l’isolement social, ou des difficultés à trouver un emploi et à s’y maintenir.
Bien entendu, les symptômes des troubles psychiques peuvent restreindre au moins temporairement les possibilités qui s’offrent à l’individu. Cependant, il serait illusoire de croire que le fardeau de la maladie expliquerait tout. Une large part de la mise au ban, consciente ou non, des personnes souffrant de troubles psychiques trouve son origine dans la vision péjorative qu’a la société de ces troubles. Ces pensées excluantes forment ce qu’on appelle la stigmatisation. Et quand la pensée se traduit en actes, on parle de discrimination.
Le taux de chômage des personnes en situation de handicap est doublé par rapport à celui de la population générale, et il semble que les personnes en situation de handicap psychique soient encore plus affectées. Selon le Défenseur des droits, l’état de santé et le handicap sont la première cause de discrimination en France. Or, le travail peut être un puissant moteur du rétablissement : il contribue à l’inclusion sociale, à la construction de l’individu, mais aussi à son estime de soi. Tous ces facteurs sont à même d’améliorer la qualité de vie de l’individu et de favoriser son rétablissement personnel.
Pour évoquer ces sujets importants, je reçois aujourd’hui le Dr Nicolas Rainteau, psychiatre au CHU de Montpellier et au C2R Jean Minvielle. Il fait avec nous le point sur la situation et sur les pistes d’amélioration qu’il tente de mettre en œuvre en proposant une prise en charge personnalisée et humaine au plus proche des besoins de chacune et chacun.
[Musique de début]
Mickael : Bonjour Nicolas.
Nicolas : Bonjour.
Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission.
Nicolas : Avec plaisir.
Mickael : Donc aujourd’hui on va parler de rétablissement et de réhabilitation, principalement. Alors toi tu es psychiatre au CHU de Montpellier et tu travailles au C2R Jean Minvielle. Alors la première question, c’est une question qui revient assez fréquemment, c’est finalement en quoi consiste le métier de psychiatre, quel est le parcours pour y arriver et quelles sont les différences avec les psychologues ?
Nicolas : Alors ! Vaste question ! Alors pour faire, pour devenir psychiatre d’abord c’est les études de médecine, donc avec, bah les études de médecine classique qu’on connait avec un concours de première année… pas si classique que ça parce que le concours de première année va disparaître ! Tel que je l’ai passé… Donc on fait médecine, donc l’externat pendant six ans, le concours d’internat, dans ce cas-là on choisit après le concours la spécialité de psychiatre, et un internat qui dure quatre ans, pour finalement être thèsé et devenir docteur en médecine et psychiatre. Donc, et médecine ! C’est la première différence avec les psychologues, c’est que devenir psychologue c’est un parcours universitaire, donc licence, master, doctorat, où il y a un tronc commun en licence et ensuite les psychologues se spécialisent sur leur master 1, leur master 2, sur de la neuropsychologie par exemple, etc. Eux ont un parcours universitaire et du coup ne sont pas médecins, du coup ne peuvent pas prescrire de traitement ce qui est finalement la grosse différence, c’est que nous en tant que médecins psychiatres on peut prescrire des médicaments. Après dans la pratique c’est un peu binaire de séparer psychiatrie et… enfin psychiatre et psychologue parce que ça dépend de l’endroit, je pense, où on travaille. La pratique d’un psychiatre en libéral n’est pas la même que celle en équipe dans une structure, à l’hôpital par exemple, et pour les psychologues aussi. Alors c’est vrai que nous en psychiatrie on attend de nous aussi de pouvoir poser des diagnostics, qui sont des diagnostics cliniques à travers différentes évaluations à travers différents entretiens, et de pouvoir, en tout cas c’est comme ça que je le vois, de coordonner les parcours des personnes et coordonner s’il y a différents intervenants autour de l’usager, donc bah le psychiatre, un psychologue, un ergothérapeute s’il y a un ergothérapeute, un infirmier, un case-manager, essayer en tout cas d’amener de la coordination et du coup de la cohérence autour de l’usager, c’est important. Après du coup les psychologues en fonction de leur spécialité bah leur spécialité fait aussi leur pratique hein, par exemple les psychologues spécialisés en neuropsychologie font passer des bilans en neuropsychologie, font des prises en charge notamment des troubles cognitifs, certains sont aussi formés à la thérapie cognitivo-comportementale, qui est un DU qu’on fait en plus, qu’on soit psychologue ou psychiatre, d’ailleurs. Et font, voilà, plutôt des prises en charge psychothérapeutiques, soit en libéral aussi, soit intégrés à des équipes hospitalières comme c’est, moi c’est le cas, j’ai deux psychologues sur le centre Jean Minvielle, et surtout pouvoir travailler de manière coordonnée quand il y a plusieurs, plusieurs intervenants parce que sinon c’est vite le bazar pour l’usager s’il entend tout et son contraire d’une consultation à l’autre, ce qui est très possible entre deux psychiatres ou entre un psychiatre et un psychologue, parce que la façon de faire de la psychiatrie ou de la psychologie est vaste, donc l’idée c’est d’être cohérent autour de la personne.
Mickael : Donc comme je l’ai dit tu travailles au C2R, centre de rétablissement et de réhabilitation. Alors ce sont des mots qu’on n’a pas forcément l’habitude d’entendre au quotidien, notamment pour réhabilitation, rétablissement est un peu plus fréquent notamment quand on parle de santé physique, mais on a parfois du mal à se représenter ce que ça représente exactement dans la santé psychique. Est-ce que tu peux me dire ce dont on parle quand on évoque le terme de rétablissement en santé mentale ?
Nicolas : Ouais. Alors effectivement le rétablissement c’est ce qui fait écho à la… C’est redonner un peu le pouvoir à la personne, à l’usager, le rétablissement c’est vraiment le parcours de vie, la reconstruction de la personne qui affronte bah les obstacles de la maladie, de ses symptômes, et qui malgré tout se reconstruit bah un présent et puis un futur, en se, voilà, en essayant de surpasser les obstacles qui peuvent se mettre en elles et ses projets. Donc vraiment le rétablissement c’est un parcours de vie, en fait, qui est fait de hauts et de bas, mais vraiment ce qui est important c’est, qui appartient à la personne, qui est vraiment personnel et qui demande vraiment du sur mesure. C’est quelque chose qu’on ne peut pas copier-coller, être rétabli ne veut pas dire forcément… On peut tomber dans des trucs un peu bateau, bah, comme vous travaillez vous êtes rétabli ! Ce n’est pas parce qu’on ne travaille pas ou qu’on ne vit pas seul qu’on n’est pas rétabli, chaque personne a une vision de son rétablissement qui lui est propre et qui doit être respectée, ce qui est important c’est que… vraiment, d’avoir vraiment cette idée que c’est le parcours de la personne et le point de vue de la personne. Parce qu’on pourrait parler par exemple de rétablissement médical, versus rétablissement personnel qu’on a décrit là, et le rétablissement médical tel qu’il est décrit c’est plutôt ne pas avoir de symptômes pendant tant de temps, voir des gens différents de sa famille pendant tant de temps, et donc c’est… finalement c’est l’avis du soignant, quel qu’il soit, sur la personne. Et ce qui est un peu embêtant, et le rétablissement personnel s’oppose à ça, c’est quand on est dans une définition de rétablissement médical bah c’est… Nous autres soignants qui disons à la personne si elle est rétablie. Ce qui s’oppose au rétablissement personnel où c’est à la personne de dire si elle se sent rétablie ou pas, si elle se sent bien, parce que bah, déjà c’est la plus à même de savoir comment elle se sent, forcément c’est sa vie, et puis la plus à même de choisir ce qu’elle veut pour elle ou pour sa vie. Donc c’est vraiment le point de vue de la personne, de l’usager sur son parcours de vie, le rétablissement.
Mickael : Et ce concept de rétablissement en santé mentale, il a une petite histoire ? Est-ce que tu peux nous dire un peu d’où vient ce concept ?
Nicolas : Alors le rétablissement, bah alors, forcément ça pouvait pas être autrement, il vient de mouvements d’usagers, plutôt dans les années 70 dans les pays anglo-saxons, avec des usagers de la psychiatrie qui ont fait finalement entendre leur voix, avec cette idée que comme c’étaient les premiers concernés, par la maladie, mais aussi par leur projet de vie, que c’était important de faire entendre leurs voix et de mettre en avant qu’il fallait arrêter de tout décider à leur place. C’est le fameux mouvement des survivors qui avait cette phrase qui est souvent reprise, et à raison, le fameux « Rien à propos de nous sans nous », avec cette idée qu’il fallait s’éloigner quand même d’un certain paternalisme de la médecine en général, bien au-delà de la psychiatrie, avec voilà quand vous êtes guéri, voilà quand vous l’êtes pas, voilà ce qu’il faudrait faire et quand est-ce qu’il faudrait le faire, donc c’est vraiment un mouvement d’usagers qui a fait entendre sa voix et en disant, voilà, nous sommes les premiers concernés donc il faut nous écouter, il faut entendre ce qu’on a à dire, il faut respecter notre avis et que notre avis compte au minimum autant que celui des personnes qui nous entourent. Donc ça vient de là, et puis après petit à petit bah ce mouvement a pu s’appuyer sur des usagers de la psychiatrie qui ont écrit à ce sujet, la personne la plus connue étant Patricia Deegan, qui est une femme atteinte de schizophrénie qui est maintenant docteur en psychologie et qui était la première à écrire sur le rétablissement. Et ses textes sont encore largement utilisés parce que bah… Parce qu’elle en parle très bien, déjà, parce que étant concernée, et elle a pu aussi modéliser un peu les outils qu’on utilise actuellement. Donc après la diffusion du rétablissement elle est venue plus ou moins vite dans les différents pays, en France c’est sûr que ça a été un peu… un peu tardif, ça l’est encore même s’il y a des choses qui existent, déjà, et qui se mettent en place, mais c’est sur beh que c’est jamais… c’est jamais suffisant, évidemment. Petit à petit on y vient, mais c’est quelque chose de compliqué à amener parce que c’est un changement de paradigme total pour la plupart des soignants en psychiatrie, qui n’ont pas appris la psychiatrie comme ça en fait ! Et qui malgré tout veulent bien faire, c’est pas, quand on ne fait pas entre guillemets de la réhabilitation ou du rétablissement, c’est pas qu’on est un mauvais soignant ! C’est que déjà on n’a pas appris comme ça, qu’on est bousculés dans ses concepts et que, bah, ça se fait pas comme ça du jour au lendemain de changer ses pratiques, de se remettre en question dans ses pratiques et de se demander si ce qu’on a fait les dix dernières années… SI c’était si horrible que ça ! Donc euh, mais en tout cas voilà, c’est un mouvement d’usagers, je pense que c’est déjà ce qu’il faut retenir, et comme les grands changements en psychiatrie ça vient souvent des usagers et de leurs familles. Donc ça vient de là.
Mickael : Tu l’as dit, le rétablissement c’est souvent un parcours personnel, qui appartient donc à la personne, donc forcément on en arrive à des cheminements qui sont uniques et propres à chacun. Mais est-ce qu’on peut trouver des points communs qui favorisent le rétablissement des personnes ?
Nicolas : Oui, alors, je trouve que c’est des parcours très individuels, très personnels en fonction de la vie des personnes, et qui fait aussi bah que chaque personne est différente et que comme derrière chaque usager de la psychiatrie il y a une personne, évidemment, c’est pas que des diagnostics, évidemment c’est des parcours très individuels. Ce qu’on retrouve en commun, il me semble, c’est ben… Bah ce qui est de commun à toute personne ou groupe de personnes du même âge ou qu’on a les mêmes aspirations. Nous par exemple au centre Minvielle on s’occupe d’usagers atteints de schizophrénie, mais qui ont en moyenne, une moyenne d’âge de 24, 25 ans. Bah ils ont des envies, et donc des parcours de rétablissement, bah propres à n’importe quelle personne de leur âge, 24, 25 ans, un peu freinés par la schizophrénie dans leur parcours, mais du coup l’envie de l’autonomie, d’avoir un appart, d’avoir une vie sociale, d’avoir une vie amoureuse, d’avoir une vie professionnelle, de gagner du fric pour pouvoir voyager, pour faire ce qui leur plaît… Donc finalement moi là où on retrouve moi je trouve des points communs dans les envies et dans les parcours, c’est les points communs d’une personne à l’autre et euh… et qui ont finalement les mêmes aspirations que le groupe de personnes du même âge à qui ils appartiennent. On retrouve des demandes, après que ce soit tel ou tel logement, tel ou tel travail, évidemment que ça change, mais globalement on retrouve voilà, ces points communs là-dedans. Il y a aussi, moi je trouve, alors c’est pas vraiment étudié donc c’est seulement une impression et sur ma petite expérience sur ces sujets-là, mais euh… de façon assez logique les personnes aussi en tant que projet essaient vraiment de revenir bah un peu où la maladie les a bloqués ! Ce qui parait assez logique, moi demain si je suis en arrêt de travail bah quand je reviens j’essaie de revenir là où je m’étais arrêté, en fait. Donc quand il y a eu un blocage alors parfois au moment du bac, parfois au moment où on devait prendre son indépendance, parfois plutôt, les projets sont ceux de revenir au moment où la maladie a stoppé les choses et a stoppé le cours, alors j’aime pas le terme normal, mais en tout cas un peu comment ça aurait dû être. Donc on retrouve ça aussi et c’est important parce que souvent on a l’impression que, ou en tout cas les projets sont décrits, bah non, mais il dit qu’il veut revenir comme avait, ça veut dire qu’il a pas compris, qu’il a pas d’insight, etc. Ça, c’est pas vrai. Ça c’est pas de l’insight, c’est vraiment bah une réaction normale face à l’annonce d’un symptôme, d’une maladie quelle qu’elle soit, avec cette envie de reprendre là où ça s’est arrêté en fait, et c’est plutôt cool comme façon de voir les choses ! Donc euh, donc voilà moi je trouve que les choses en commun c’est de revenir là où ça nous a stoppé et aussi les choses communes à une personne lambda d’une tranche d’âge à qui ils appartiennent en fait.
Mickael : Et est-ce que tu identifies des éléments qui peuvent permettre d’aider la personne à s’engager dans une démarche de rétablissement ?
Nicolas : Alors il me semble… Il y a beaucoup de choses, il me semble que le point fondamental quand on veut pouvoir accompagner une personne dans ses projets, dans son parcours de rétablissement de manière globale c’est l’espoir. L’espoir d’abord chez la personne parce que c’est compliqué de réespérer en une vie épanouissante, dans une vie qui a tout à offrir quand… ben quand beaucoup de portes se sont fermées, quand on a été hospitalisé, quand on en sort tout juste… Quand on a vécu des choses très difficiles par rapport à ça. Donc déjà l’espoir de l’usager, mais déjà cet espoir il faut l’entretenir, et évidemment, entretenir l’espoir d’un usager c’est pas lui dire à chaque projet que c’est pas le moment, que c’est pas le bon, que c’est trop vite, c’est trop rapide, ça sera plus jamais possible. Quand on ferme les portes à des projets, on ferme les portes à la demande d’aide et on ferme les portes à l’espoir, donc clairement, déjà c’est important de jamais fermer de portes. Même si le projet sur le coup peut paraître… Bah parfois peu réaliste ou aberrant, mais en même temps moi j’ai des potes au quotidien quand ils me parlent de leurs projets, maladie ou pas… On n’est pas sûrs à 100 % que ça va aboutir ! mais l’enjeu n’est pas là, on n’est pas là pour donner notre avis sur les projets des personnes. On est là pour trouver ça cool qu’ils en aient ! Parce que ça peut vite, rapidement siphonné en espoir et en envie, la maladie psychique et la psychiatrie. Donc en avoir, des projets, avoir de l’espoir, quel que soit le moment, même s’il y en a plein, même si ça part dans tous les sens, c’est toujours positif. Après il y a l’espoir des soignants. Compliqué, hein, d’être soignant en psychiatrie, moi il me semble maintenant en 2021, si on n’a pas d’espoir pour nos usagers, si on n’a pas… Si on n’a pas d’espoir qu’ils puissent vivre la vie qu’ils souhaitent en fait. Donc ça demande vraiment, d’un point de vue de soignant pour le coup, bah voilà, de changer un peu le paradigme, d’accompagner quel que soit le projet, et d’y croire tout simplement, euh, de croire que c’est possible de pas douter, en tout cas le moins possible, et que même s’il y a doute, de faire confiance à l’usager. De dire bon, moi en tant que soignant avec mes compétences, avec mes connaissances sur la maladie, je doute, mais la personne en face de moi qui vit avec la maladie, qui vit avec ses obstacles elle ne doute pas, donc il faut que je lui fasse confiance, il faut que j’y aille. L’espoir des soignants est très important. Et puis le dernier espoir forcément, l’espoir de l’entourage, l’espoir des familles, parce que forcément… Alors c’est assez paradoxal, mais c’est vrai que concrètement, les familles, les proches et les soignants ont ça en commun que on a vu les gens aller pas bien, parfois êtes hospitalisés, parfois les familles avoir cette difficulté et cette épreuve d’hospitaliser quelqu’un parfois sans consentement, en se demandant si on fait le bon choix, etc., c’est pas simple pour les familles ! Et du coup soignants et familles dans cette peur que la personne, la fameuse peur de la rechute, euh, ont tendance à mettre un peu les usagers sous cloche, on se dit qu’en les protégeant de la vie on les protégera peut-être de la maladie et de la rechute, s’il prend son temps, si c’est pas trop difficile, s’il est pas confronté à l’échec ça évitera les rechutes. Moi je pense que ça, c’est pas vrai, je pense que protéger de la vie n’a jamais protégé de la maladie et que protéger des projets de vie ça éloigne plus des demandes d’aide et des soins, même. Et je pense que quand on est dans un projet de vie épanouissant je pense qu’au contraire ça protège de la maladie parce qu’on demande de l’aide, non pas au service de la maladie ou d’un symptôme, mais au service d’un projet qu’on a nous-mêmes construit donc euh… ça se veut bienveillant côté soignant, côté famille de protéger les personnes des projets, de les mettre sous cloche, mais à mon sens c’est là où il faut faire un effort, parce que c’est pas facile hein ! De changer de paradigme et juste, et au contraire d’ouvrir bien grand les portes, parce que sans espoir des familles, sans espoir des soignants, c’est compliqué d’entretenir l’espoir d’un usager quand souvent l’espoir il a un peu disparu derrière… soit des soins qui ne se sont pas bien passés, soit des hospitalisations à rallonge, ou répétitives, soit parce que par stigmatisation aussi, je pense qu’on en reparlera, mais on entend un peu partout qu’on est capable de rien, ou dangereux, ou pas fiable, etc. Donc l’espoir pour moi c’est un peu le moteur du rétablissement, quand il y a ça, ça roule. Quand il y a moins ça… Plus compliqué, mais ça roule, oui, quand même.
[Voix de Leila, extrait de l’épisode Le syndrome de l’imposteur : C’est peut-être un peu cliché de dire ça, mais moi c’est quelque chose que ma mère me répétait énormément, c’est qu’il y a toujours une lumière au bout du tunnel.]
Mickael : Donc on a parlé de deux notions qui sont le rétablissement, la deuxième étant celle de réhabilitation. C’est un mot qu’on a aussi parfois l’habitude d’entendre dans le cadre de la santé physique, par exemple pour la rééducation d’un membre. Qu’est-ce que ça veut dire la réhabilitation en santé mentale ?
Nicolas : Alors la réhabilitation en santé mentale, on l’a vu, le rétablissement c’est ce qui appartient à l’usager, c’est son avis à lui, c’est sa vie à lui, c’est son point de vue et ses projets. Je dirais que la réhabilitation elle appartient plus, bah du coup au soignant et aux proches. C’est en fait tous les outils qu’on va mettre au service des projets des personnes. Ce qui est sûr c’est que quand on parle de réhabilitation, les choses qui viennent de manière assez classique sur la psychiatrie, c’est les prises en charge qu’elles soient en groupe ou individuelle, d’habileté sociale, d’éducation thérapeutique, d’améliorer l’insight qu’on entend beaucoup, de travailler les troubles cognitifs, etc., c’est finalement tous les outils au service euh… au service des symptômes et des obstacles qui bloquent l’usager. Après je pense qu’en termes de réhabilitation, être un soignant dans des unités de rétablissement et de réhabilitation justement, ça demande d’être encore plus imaginatif que ça ! Il y a les outils classiques, connus, validés, donc ils marchent, hein, y’a pas de souci là-dessus, euh, après il faut que… c’est plutôt, c’est les projets des usagers qui font les outils, en fait, et pas l’inverse, donc parfois on se retrouve avec un projet, une demande d’un usager qui… bah pour lequel on n’a pas d’outil ! En fait, et pour le coup il faut aller les chercher ces outils là, dans la vie quotidienne, dans d’autres choses, parfois au-delà de la psychiatrie, souvent au-delà de la psychiatrie. Le bon exemple c’est le retour à l’emploi où il faut aller chercher dans la demande de l’usager ben des partenaires, le bon interlocuteur, la bonne entreprise, ou en tout cas quelqu’un qui… un outil entre guillemets qui ne rentre pas dans la liste des outils de réhabilitation en psychiatrie, on va dire classiques. Donc finalement les outils de réhabilitation il y a ceux classiques et ensuite ça peut prendre toutes les formes, toutes les formes d’aide en fait, le principe c’est d’accompagner les personnes dans tous leurs projets quels qu’ils soient, donc parfois il y a des outils qui existent, parfois il y a des outils communs entre usagers, et puis parfois pas du tout. Voilà j’ai l’exemple-là qui est arrivé au centre, un usager qui voulait devenir tatoueur. Et bon, avec son case manager ils ont fait le tour des tatoueurs de Montpellier pour voir un peu ce qu’il faut faire. Et puis ça a abouti bah qu’il faut passer une formation par rapport aux règles d’hygiène quand on est tatoueur, donc ça a abouti à ça, et petit à petit c’est comme une pelote de laine, on déroule la pelote de laine des projets et les projets amènent finalement et l’usager et le soignant qui collabore avec lui, ben, les amène à chercher le bon outil, qui est encore une fois parfois dans la psychiatrie parfois pas du tout. Moi je pense que travailler avec des outils de réhabilitation c’est ne pas se mettre de limite dans ce qui pourra aider, ne pas présumer de ce qui pourra aider, et souvent on a nos idées un peu toutes faites et c’est l’usager qui amène, j’ai lu ça, j’ai lu ça, je pense que ça pourrait être aidant, donc ne pas se mettre de limite et finalement n’importe quel interlocuteur peut être aidant ou peut amener un outil aidant pour le projet en fait, donc euh clairement les outils de réhabilitation ils sont multiples, ils sont variés, faire preuve d’imagination, ne pas présumer de ce qui pourra marcher ou pas, de tolérance aussi sur euh, sur les outils, euh, si un outil en tant que soignant on pense qu’il, voilà, pas validé, ou peu fiable, etc., mais qu’on a l’impression que l’usager, ça lui fait du bien ou qu’il y a quelque chose qui se passe ou qui lui apporte, il faut être ouvert aussi, ça veut pas dire qu’on peut plus avoir ce regard de soignant critique, ou pas d’évaluation sur les outils, il faut complètement le garder, mais en tout cas ça demande, au-delà des outils, ça demande pour les soignants en général, qui ont tous un métier, infirmier, assistant social, job coach, ça demande quand même un… alors j’allais dire un dépassement de fonction, mais ce n’est pas un dépassement de fonction pour moi, c’est reréfléchir aux frontières de nos métiers parce que on ne peut plus, il me semble, à ce moment-là, quand on accompagne les personnes dans des projets de vie et dans du rétablissement personnel et pas que médical, on ne peut pas se dire bah ça c’est pas moi ! On a le droit de dire ça je ne sais pas, et on va trouver ensemble qui aurait la réponse, mais de manière coordonnée, c’est pas envoyer l’usager comme ça, typiquement le classique, vous voulez déménager ou vous voulez travailler, bah vous verrez avec l’assistante sociale ! On pose le projet ailleurs. Non, vous voulez déménager, OK, quel est le projet, quel appart, dans quelle temporalité, avec quels moyens ? Bon voilà on peut aller rencontrer l’assistant social ensemble, on peut démarcher les structures du médico-social, on peut aller visiter les apparts ensemble… l’idée encore une fois de la réhabilitation et notamment du case manager, c’est de coordonner tout ça, c’est de pas aller poser l’usager avec une question face à un professionnel, c’est coordonner les choses et donc ça demande une connaissance du réseau, des autres métiers, et de ce qui peut être aidant bien au-delà des connaissances de nos métiers propres. Et ça, c’est vraiment important, je pense, c’est vraiment repenser les frontières de nos métiers.
Mickael : Et ces propositions de réhabilitation, est-ce qu’il y a un moment particulier qui est le plus adapté pour les proposer à l’usager ?
Nicolas : C’est la grande question et c’est toute… toute la difficulté de se mettre déjà d’accord entre les centres de réhabilitation, entre les soignants qui font de la réhabilitation. Si on s’en tient au concept de rétablissement et réhabilitation, bah, un conseil, un outil, une rencontre ne doit se faire qu’au service d’une demande en fait de l’usager. Tout simplement parce que si on impose les choses, ou si on décide à la place de, ou si on ne respecte pas la temporalité de la personne… Bah ça marche pas, tout simplement ! Parce que même si vous êtes très doué comme soignant ou très persuasif vous ne maintenez pas quelqu’un dans un soin ou un outil qu’il a pas choisi, et encore moins quand ce n’est pas au service d’un objectif qu’il a lui-même choisi. Finalement c’est logique, on fait tous ça ! Moi j’utilise pas d’outils qui me semblent inutiles pour moi, ou je ne favorise pas des outils ou des aides qui vont à l’encontre d’un projet que je me suis construit. Donc moi je pense que tous ces outils, quelle que soit la qualité de l’outil, il n’est bon que s’il est amené au bon moment, et le bon moment c’est quand la personne demande. Après c’est pas toujours aussi simple que ça parce que bah on l’a dit tout à l’heure, sur les outils de réhabilitation il y a des choses qui ont montré leur efficacité. On sait que bien connaître la maladie, bien connaître comment elle marche, le fait que nos proches sachent aussi comment elle marche ça permet de limiter les rechutes et donc les hospitalisations, on sait que travailler les troubles cognitifs et les habiletés sociales ça améliore aussi la réinsertion, qu’elle soit professionnelle, qu’elle soit sociale, etc. Donc euh la question euh principale de tout ça c’est qu’est-ce qu’on fait quand en tant que soignant on sait qu’un outil marche et serait bénéfique à la personne, mais que la personne ne demande pas d’aide. (soupire) c’est compliqué ! Certaines personnes prennent parti d’un entre deux, c’est qu’il y a quand même des choses et des évaluations un peu… pas obligatoires, qu’on amène au mieux, mais voilà en disant ce serait bien que vous fassiez ça ! Euh, moi je pense que la réponse à ça, en tout cas tel que je le vois et tel que nous on essaie de le faire au centre Minvielle en tout cas, c’est que… Je dis souvent aux infirmiers qui collaborent avec les usagers que s’ils sont persuadés qu’il y a un outil qui pourrait être bénéfique à leur usager et que l’usager refuse… Et ben je leur dis débrouille toi pour trouver la porte d’entrée, en fait ! Débrouille-toi pour trouver dans ses demandes, dans ses envies, dans ses projets quelle est la porte d’entrée pour amener l’outil. Clairement… ça, ça parlera à plein de gens, mais par exemple la question du cannabis et des toxiques plus généralement, dans la schizophrénie, et bah bien sûr quand vous êtes soignant ou la famille, etc., vous voyez bien que parfois ça peut entraîner de l’isolement social, ou la recrudescence de symptômes… Vous dites, bah évidemment, s’il arrêtait, ça serait mieux ! Sauf que comment vous faites quand la personne ne veut pas arrêter de fumer ? Vous pouvez toujours lui dire, mais tu sais, pour ta santé, etc., blablabla, mais ça marche pas. Par contre, créer l’environnement de la demande d’aide ou du changement autour de la personne, ça on peut le faire. Parce que quelqu’un par exemple qui fume ou qui a des symptômes négatifs, donc soit manque d’énergie, manque d’envie, qui est bloqué chez lui… Si le seul projet qui est travaillé avec la personne c’est de pas rechuter donc on est content qu’il soit déjà chez lui et pas à l’hôpital… Bah pourquoi changer, en fait, pourquoi s’emparer des outils. Par contre si la personne vous dit bah c’est chiant parce que là j’aimerais bien retravailler, mais comment je fais, j’ai du mal à me lever, je me traine, du coup je fume toute la journée, j’ai pas grand-chose à faire… Là, il y a une autre porte d’entrée. On amène plus le travail sur les toxiques ou autres au service d’arrêter ou de diminuer ses symptômes, mais on les amène au service de retravailler, par exemple, et ça change tout, parce que la personne, euh, bah vous amenez l’outil en disant moi l’idée c’est pas que tu arrêtes ou pas de fumer, mais qu’est-ce qu’on fait si du fait que t’ais fumé ou autre, tu rates un rendez-vous pro que tu as pris toi-même ? Bah là la personne dit bah oui, ça va être chiant. Et du coup on trouve dans les projets de vie les portes d’entrée pour le soin, tout simplement. Et ça parait logique. Les gens vont investir dans des outils qui font avancer leur projet. C’est pas un projet, d’être éloigné de l’hôpital, c’est la base en fait, ou de pas rechuter, c’est la base, ça peut pas être un projet de vie. Du coup la porte d’entrée pour les outils, quand on pense qu’ils sont bons pour les usagers, c’est les projets de vie. Moi je crois beaucoup en ça, notamment pour les plus jeunes, notamment quand il n’y a pas d’insight, peu de conscience des troubles, parce que notamment aussi on a vu le rétablissement c’est se reconstruire en tant que personne, mais quand vous êtes jeunes, la maladie vous a touché très jeune, c’est gentil de parler de reconstruction, mais la maladie vous a même pas laissé le temps de vous construire ! Tout court. Donc clairement là, encore une fois la porte d’entrée elle est dans les envies de construction, dans les envies de découverte de la vie même avec ses excès. Et en tout cas le bon outil et le bon moment c’est quand l’usager veut, et si on veut accélérer les choses en tant que soignant il faut trouver la bonne porte d’entrée, et la porte d’entrée elle est dans les projets et dans les projets de vie, ça, je suis persuadé de ça en tout cas.
Mickael : Alors tu as parlé d’aider la personne à aller vers son projet de vie. Mais on sait qu’il y a aussi des freins dans cette démarche. On parle beaucoup de stigmatisation. C’est un mot qui semble un peu barbare comme ça et qui n’est pas forcément connu de tous, est-ce que tu peux nous dire un peu ce que ça recoupe ?
Nicolas : Alors oui la stigmatisation, c’est un terme un peu barbare, qu’on utilise, qu’on entend beaucoup en tout cas, et à raison, pour les maladies psychiques ! Finalement la stigmatisation ça recouvre l’ensemble des croyances de la population sur le trouble psychique, et ces croyances, généralement erronées ! Du fait des films, des séries, des médias, beaucoup, de l’utilisation erronée des termes au quotidien, et des termes qui sont utilisés clairement à d’autres fins et dans d’autres thèmes que son, le thème de la santé. On va dire. Ce qui est intéressant moi je pense pour bien comprendre c’est pas tant comprendre les stéréotypes associés aux maladies psychiques, et que ces stéréotypes sont… sont aussi propres à chaque maladie, hein, les stéréotypes associés par exemple à l’autisme sont pas les mêmes qu’à la schizophrénie, aux troubles bipolaires et aux conduites alimentaires, etc. Mais ce qui est intéressant, je pense pour bien comprendre on va dire le processus et pourquoi on parle d’obstacles quand on parle de stigmatisation, c’est parce qu’il y a quelque chose de commun dans la littérature scientifique sur la stigmatisation, la démarche qui est commune c’est que ces croyances erronées entraînent une volonté de mise à distance sociale des personnes atteintes de maladie psychique. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est qu’au quotidien on ne veut pas d’une personne atteinte de maladie psychique comme voisin, comme coloc, comme locataire, comme collègue, comme ami, comme petit ami ou petite amie… En gros on veut que… ces gens ont le droit de vivre, mais pas trop près de nous ! En gros c’est ça. C’est particulièrement majoré quand un des stéréotypes associés est la dangerosité. C’est le cas de la schizophrénie. Le stéréotype, à tort ! de la dangerosité et de la violence est associé à la maladie. Donc forcément les gens ne veulent pas, si on caricature, à peine ! Le processus cognitif qu’il y a derrière, c’est que les gens ne veulent pas quelqu’un de violent à côté d’eux en fait. Ce qui du coup parait logique, hein, une fois qu’il y a ça. Donc le problème de cette stigmatisation et de cette volonté de mise à distance sociale, c’est, on l’a dit, le rétablissement c’est accompagner la personne dans son projet de vie et la vraie vie c’est dehors, hein, c’est pas à l’hôpital ! Donc on va être confrontés à une population au quotidien, pour accompagner la personne, stigmatisante en fait, ou en tout cas qui est pas à l’aise avec le sujet du handicap psychique, qui a peur, qui se sent pas du tout euh outillé… Et c’est valable pour plein de points en fait hein, c’est valable pour le retour à l’emploi par exemple, on en parlera plus en détail, c’est valable pour le logement, ou pour des activités physiques, culturelles, etc. avec cette idée que… l’idée quand même du rétablissement c’est de ramener les personnes encore une fois dans leur projet de vie, mais dans la vie ordinaire. Pourquoi refaire du sport qu’avec des gens suivis en psychiatrie à l’hôpital, dans un hôpital de jour ou autre, si on peut s’inscrire à un club de sport, en fait ? C’est vachement plus sympa ! Du coup euh la question c’est par contre, quand on accompagne dans ce processus-là, la personne va être confrontée alors soit au questionnement dans un CV quand on travaille, là y’a quatre ans de blanc. C’est difficile de dire qu’on a été hospitalisé et ça a des conséquences, quand on a une reconnaissance en qualité de travailleur handicapé et que sur un coup d’œil en nous regardant on voit pas trop où est le handicap, on se dit ouh la la ! Ça doit être un truc… Ça doit être psy, ça ! Donc c’est des galères, effectivement. Cette stigmatisation, pourquoi c’est un vrai problème, parce que c’est un frein, et c’est un obstacle majeur aux projets des personnes. Donc ça demande d’aller à la rencontre des partenaires en fait, pour expliquer, pour déstigmatiser, pour former. Parce que sinon on pourra toujours vouloir accompagner les usagers dans leurs projets de vie, si les partenaires, quels qu’ils soient, sur tous les projets possibles, sont stigmatisants en tout cas ne font pas comme… comme ils feraient avec n’importe qui bah on sera bloqués en fait. On parlait tout à l’heure de revoir les frontières de nos métiers de soignant, ça, ça en fait largement partie ! Que ça soit auprès euh de Pôle Emploi, Cap Emploi, des agences d’intérim, des agences pour trouver un appart, des politiques, etc. Il faut pouvoir agir à tout un tas d’endroits différents parce que les projets des usagers nous mènent à tout un tas d’endroits différents et à un tout un tas de personnes. C’est un vrai enjeu. Moi je prône plutôt une lutte contre la stigmatisation, mais comment dire… très ciblée, et très sur mesure en fait, un peu comme le rétablissement. On ne va pas attendre d’un patron d’entreprise la même chose qu’un soignant en psychiatrie, qu’un éduc dans le cadre d’une mission locale, par exemple, on ne va pas attendre les mêmes choses. Et souvent on a tendance à vouloir s’appuyer sur l’empathie pour lutter contre la stigmatisation, bah regardez, c’est quand même dur d’avoir une maladie psychique, vous pourriez être cool. Mais l’empathie ça fait peu bouger de choses en général. Alors tant mieux, quand il y en a c’est plus facile, et si les gens… Vous tombez sur un patron d’entreprise qui se prend d’amour pour les maladies psychiques et qui a envie d’être un mécène, on prend, hein, les bras ouverts ! Mais c’est plus complexe que ça. Encore une fois, comme pour les usagers, je pense que pour les partenaires il faut trouver la bonne porte d’entrée. Un patron d’entreprise, il a une boîte à faire tourner, l’empathie, même s’il en a pour la personne avec handicap psychique, il en aura jamais au point de mettre sa boîte en difficulté financière ou de rentabilité, etc. Donc il faut aller trouver d’autres choses, et dans ce cas-là on s’attaque à d’autres stéréotypes, notamment sur la capacité à travailler, la capacité à être concentré, la capacité à travailler en équipe aussi… Et en fait on déstigmatise de manière sur mesure en fonction de qui on a en face de soi et comment ça va pouvoir servir le projet de l’usager. Moi je crois beaucoup à cette déstigmatisation vraiment sur mesure. Une autre stigmatisation, on en a parlé tout à l’heure, alors c’est pas que la population générale hein, et qui peut être un frein au projet des personnes, bah c’est la stigmatisation des soignants ! On l’a dit tout à l’heure, il faut que les soignants aient de l’espoir, mais si vous avez un psychiatre, un psychologue, un infirmier, n’importe qui, qui vous dit que quand on a une maladie psychique on ne peut travailler qu’en milieu protégé, qu’en espace vert, ou qu’il faut attendre, attendre qu’on ait stabilisé les symptômes, attendre, attendre, attendre toujours, alors évidemment… C’est de la stigmatisation en fait ! Le stéréotype est pas le même, évidemment. J’ose espérer qu’à l’heure où on se parle, il y a peu de soignants en psychiatrie qui pensent que la schizophrénie c’est une double personnalité. J’espère ! Euh par contre euh est-ce qu’il y en a qui pensent qu’un patient atteint de schizophrénie ne peut pas travailler en milieu ordinaire… Ça oui. Et ça, c’est de la stigmatisation, c’est présumer d’un stéréotype associé qui est faux. Et qui a bah ses autres obstacles ! C’est-à-dire que là, quand il y a ces obstacles-là du soignant, et ben on arrive même pas à l’obstacle patron d’entreprise donc je parlais tout à l’heure, c’est de la stigmatisation et c’est pour ça que, comme on doit aller à la rencontre des partenaires quels qu’ils soient, on doit aussi aller à la rencontre des soignants pour entre guillemets arriver à changer encore une fois cette philosophie de soin, ces paradigmes-là, pour dire voilà, il faut tenter, et même si vous en tant que soignant vous pensez que ce n’est pas possible, quel est notre droit en fait de soignant à prendre la décision à la place d’une personne pour ce qu’elle devra faire de sa vie, bah la réalité c’est aucune, en fait ! On prend déjà suffisamment de place dans la vie des gens, et de décider à leur place… Encore une fois ça se veut bienveillant, mais c’est pour éviter qu’il rechute, mais il a pas conscience, etc. Mais les gens ont le droit de tester, aussi. Donc c’est la stigmatisation aussi des soignants, et de la famille, aussi ! Alors c’est pas vraiment de la stigmatisation, mais c’est de la peur de la rechute, il faut agir dessus. Cette stigmatisation on va dire publique, et des soignants, etc. il faut pouvoir lutter contre, l’autostigmatisation aussi, parce qu’on parlait d’espoir tout à l’heure, l’autostigmatisation c’est un vrai frein, l’autostigmatisation pour rappel simplement c’est quand on internalise un peu la croyance que les personnes ont de nous ou de la maladie psychique, on fait de cette vérité la nôtre, par exemple sur l’incapabilité à travailler, et c’est comme ça que de fil en aiguille quand la personne atteinte de maladie psychique lit tout ça, entend tout ça, elle finit par penser elle-même qu’elle est pas capable, en fait, qu’elle est pas capable de vivre seule, ou qu’elle est pas capable de faire autre chose que, dans un autre environnement qui serait un autre environnement que celui qui est protégé, un ESAT, un foyer, etc. Et cette autostigmatisation entraîne peu d’espoir, et donc plus de demande, plus de projet, ou des projets qui sont un peu plaqués, on sent que c’est pas vraiment leur envie, c’est plus dans ce cas-là l’impression que c’est le symptôme qui parle, ou l’autostigmatisation qui parle, que le projet de la personne, et donc ça aboutit à des projets moins épanouissants. Donc la stigmatisation, que ce soit celle des soignants, celle publique, l’autostigmatisation, c’est en tout cas quand on travaille en réhabilitation c’est un point majeur à prendre en compte, l’autostigmatisation des usagers et le travail avec tous les partenaires pour montrer que c’est possible, pour casser les stéréotypes et montrer que les choses sont possibles, et encore une fois si on ferme la porte des projets on a jamais accès à ces partenaires et on fait jamais ce travail de déstigmatisation. Nous c’est simple hein, au centre Minvielle, dès qu’on a un nouveau partenaire on propose à chaque fois de la formation et des échanges sur la maladie psychique parce qu’on a… Encore une fois par contre moi je jette pas la pierre aux gens qui ne savent pas ce que c’est que les maladies psychiques, je dis souvent de manière un peu provoc, la schizophrénie c’est pas un hobby, en fait, les troubles bipolaires c’est pas un hobby, soit on est concerné, directement ou indirectement, soit… soit voilà, soit on est un soignant, mais a priori c’est pas un hobby de s’intéresser à la maladie psychique. Donc on ne connaît de la maladie psychique que ce qu’on nous montre, et ce qu’on nous montre, bah malheureusement c’est faux. Donc c’est pas de la faute des gens si euh, s’ils ne savent pas voilà sortir le faux du vrai entre les lignes des articles, des séries, etc., donc il faut pas jeter la pierre aux gens parce que si on jette la pierre aux gens en plus ils nous écouteront plus, ils diront c’est quoi ces relous qui disent tout le temps qu’on n’utilise pas le bon terme, etc., par contre c’est de l’éducation très jeune, probablement dès l’école, la question de la maladie psychique, à mon avis moi je pense dès l’école primaire il faudrait parler de ça, alors évidemment avec des termes adaptés, des outils adaptés, mais primaire, collège, lycée… On parle beaucoup aussi de premier soin en santé mentale, c’est hyper important, surtout en agissant de manière très précoce chez les personnes, on réglerait aussi beaucoup de problèmes, beaucoup de questionnements de la psychiatrie en même temps, on favoriserait l’aide entre pairs, très jeunes, on favoriserait le, le dépistage précoce et donc l’amélioration du pronostic parce qu’on aurait autour de nous des pairs qui sont capables d’identifier que là on a des idées un peu à côté de la réalité, que là on a l’air déprimé, que là on a des idées noires, ça favoriserait l’accès au soin parce qu’on serait plus à l’aise de parler de ça, parce qu’aussi on peut en parler à d’autres gens et ça serait pas tabou, donc sensibiliser à la maladie psychique, et aux symptômes, sans parler de maladie, aux symptômes psychiques, dès le plus jeune âge ça serait en tout cas une bonne stratégie.
[Voix d’Alexandre, épisode Cinquante nuances de gris : Ça ira mieux. Ça ira mieux dès que vous en parlerez à quelqu’un de confiance qui peut vous tendre la main et qui peut vous aider.]
Mickael : Donc tu l’as dit, la stigmatisation relève essentiellement de processus de pensée, et ces pensées peuvent se traduire aussi par des actes qu’on appelle discriminations. Est-ce que tu as des chiffres et des éléments concernant les discriminations dont peuvent être victimes les personnes en souffrance psychique ?
Nicolas : Alors c’est compliqué en fait un peu d’avoir ses chiffres là parce qu’en tout cas moi je pense qu’ils seraient de toute façon un peu minorés, tout simplement parce que comme on l’a dit, pour être discriminé par rapport à l’emploi sur une maladie psychique il faudrait déjà qu’on ait accompagné l’usager à retourner à l’emploi. Donc déjà ça serait minoré. Ce qui est sûr déjà c’est que le taux de chômage quand on est atteint d’une maladie psychique, dans le monde, hein, qui est à peu près aux alentours de 80 %, énorme, il y a une part de la stigmatisation. Ce qui est compliqué dans les chiffres c’est que c’est assez multifactoriel, par exemple, la schizophrénie où on sait que l’espérance de vie est diminuée d’une douzaine à une quinzaine d’années par rapport à la population générale, la schizophrénie a sa part, par exemple, pas tout évidemment parce que dans cette espérance de vie qui est plus courte il y a les effets secondaires des traitements, les gestes suicidaires, mais il y a aussi l’accès aux soins. Par contre on sait effectivement, et c’est ce qu’on voit au quotidien, on a parlé que, le mot clé dans la stigmatisation c’est la mise à distance, et bien on sait que l’accès aux soins somatiques est plus compliqué quand on a une maladie psychique, le pourcentage de personnes avec une maladie psychique qui ont un médecin traitant il est très faible par rapport à la population générale, après on a l’habitude au quotidien, si vous venez aux urgences avec une plainte somatique, douleur, etc., et que euh, et qu’effectivement dans votre dossier on voit que vous êtes suivi en psychiatrie, on va appeler le psychiatre, on va pas prendre au sérieux votre douleur. Pas tout le temps, évidemment, il y a des endroits où les personnes sont très bien prises en charge, mais clairement c’est un peu insidieux, au quotidien notamment pour les soins somatiques, on a un scanner en tout dernier, ou, etc., parce qu’on a peur s’il croise les autres, mais le problème c’est que les problèmes associés aux maladies psychiques, dans la population générale, ils sont les mêmes chez les soignants, hors psychiatrie j’entends, donc ce travail il est fait là, après nous on le voit un peu au quotidien, moi je donne souvent cet exemple, assez marquant, qui ne peut pas être vu dans les chiffres, mais qui parle bien, c’est un usager du centre qui, qui voulait repasser le permis donc qui était, qui faisait ses heures à l’autoécole, et qui au bout d’une douzaine d’heures se sent à l’aise avec son moniteur et qui finit par lui dire tu sais, je suis suivi pour une schizophrénie, et le moniteur qui a arrêté la voiture, qui a arrêté la voiture, qui lui a demandé de descendre et qui a dit à son patron que plus jamais il montait en voiture avec lui, en fait. Ça, c’est pas palpable en termes de chiffres, mais ça, c’est la réalité. C’est la réalité pour avoir un appart, c’est la réalité pour accéder à l’emploi. Après c’est des choses encore une fois insidieuses, c’est, rarement sont les personnes suivies pour une maladie psychique qui ont pas une orientation RQTH, ou l’AAH, ou une orientation ESAT, c’est une espèce de package qu’on fait très tôt sans avoir demandé à la personne en fait ce qu’elle comptait faire, pour moi c’est de la discrimination déjà parce qu’on a beau dire qu’une RQTH c’est une carte à jouer, c’est pas toujours aussi simple que ça. Parfois la RQTH c’est votre carte pour passer de pôle emploi à cap emploi directement alors que votre demande est de travailler en milieu ordinaire. Donc c’est des discriminations moi je trouve difficile à quantifier de manière quantitative, plus facile et plus parlante de manière qualitative, mais effectivement l’idée globale c’est qu’il y a quand même un non-respect des droits, un moins bon accès au soin, un moins bon accès au travail, un moins bon accès au logement, un moins bon accès à la vie sociale, avec toujours cette idée de mise à distance sociale, avec des stéréotypes qui soient ceux des soignants, je vais lui donner une orientation ESAT au cas où il voudrait travailler, et finalement il n’y a pas eu cette idée de, bah peut être qu’il voudrait retravailler, mais finalement pas forcément en ESAT en fait, et puis après il y a l’autre bout de la chaîne ou effectivement comment vous justifier d’un trou dans un CV face à un employeur et qu’est-ce que vous faites pour… lui expliquer que vous étiez hospitalisé en psychiatrie, que maintenant ça va, etc., etc. Encore une fois tout à l’heure on parlait de déstigmatisation sur mesure, tous ces exemples que je donne un peu qui sont le quotidien hein ! au centre Minvielle et dans le parcours des usagers, et que les usagers à mon avis et leurs familles se reconnaitront largement là-dedans, et ben ça veut dire qu’à chaque fois c’est… C’est un interlocuteur à qui il faut expliquer, et qui euh… Mais c’est à chaque fois du sur mesure, pour toutes les situations, et c’est vrai que pour ça… C’est pour ça que moi je crois peu aux grandes euh… Comment dire, aux grandes démarches ou aux grandes choses qui sont faites pour lutter contre la stigmatisation de manière globale, je pense que encore une fois il y a des stigmatisations et que la réponse à ces stigmatisations doit pas être unique, mais doit être multiple et adaptée à l’interlocuteur vraiment et à la situation. Et que finalement encore une fois c’est les parcours des usagers et leurs projets qui nous permettent de rencontrer ces partenaires et de rentrer dans ces sujets-là, mais clairement il y a une mise à distance de tout, concrètement, qui est terrible, et qui ne facilite pas euh, le retour à la vie des usagers.
Mickael : Comme tu l’as dit, les discriminations envers les personnes qui souffrent de troubles psychiques concernent plusieurs domaines de la vie quotidienne, que ce soit le logement, l’emploi. Et justement cette question m’intéresse particulièrement, et est-ce que tu peux nous dire un peu comment il est possible d’agir pour le retour et le maintien dans l’emploi des personnes avec un trouble psychique ?
Nicolas : C’est déjà une question importante parce qu’encore une fois comme on l’a dit tout à l’heure le rétablissement c’est personnel et ça veut pas dire, être rétabli c’est pas une injonction à travailler, il y a plein de gens qui se sentent rétablis et ne travaillent pas, plein de gens qui font de l’associatif, etc., donc l’idée c’est pas une injonction à travailler, mais on ne peut pas nier que c’est une demande très présente chez les personnes atteintes de maladie psychique. Très présente… normalement présente, en fait, comme pour n’importe qui, parce que bah vivre de l’AAH c’est pas toujours suffisant, c’est pas toujours stimulant, c’est pas toujours grisant ou en tout cas c’est compliqué dans une soirée de dire « je vis de l’AAH », même si on a le droit et que certains le gèrent très bien, donc il y a de plus en plus de dispositifs qui sont mis en place autour du retour à l’emploi parce que bah c’est une demande des usagers tout simplement, bah comme on l’a dit il faut amener le bon outil au service du projet. La question de l’emploi, elle a beaucoup évolué ces derniers temps, je trouve qu’elle est assez représentative de comment on fait de la psychiatrie et comment on faisait entre guillemets de la psychiatrie. Le retour à l’emploi on va dire, avant, et malheureusement encore trop présent, c’est un peu le temps long, actuellement en psychiatrie, avec euh cette idée que c’est ce qu’on appelle le modèle, alors anglo-saxon parce que ça vient de là, de train and place, cette idée de vous voulez travailler, OK, commencez par venir à l’hôpital de jour trois fois par semaine, on verra si vous êtes motivé, si vous arrivez à vous lever, la fameuse motivation qui est finalement on se rend compte un peu aberrante, si on entend ça, parce que quel est le rapport entre une motivation à se lever pour aller à l’hôpital de jour et une motivation à se lever pour aller travailler ? Y’en a pas, en fait, voilà. Mais l’idée c’est pas ça, l’idée c’est que c’est – ce temps long, venez voir, donc déjà la personne demande à travailler et on repousse cette échéance. Venez vous préparer, en fait, venez voir si vous êtes prêt, et si vous ne l’êtes pas venez vous repréparer à pouvoir retravailler. C’est compliqué parce que quand est-ce qu’on est prêt en fait ? Déjà on l’a vu ça s’oppose au principe de rétablissement d’être dans la temporalité de la personne. De dire c’est pas le moment, c’est pas très agréable, on va dire. Donc le premier point c’est ça, ça a beaucoup bougé de ça. Et le nouveau modèle, à l’opposé du train and place donc d’attendre des années et des années d’entraînement et de faire passer le rétablissement médical avant le rétablissement personnel, le modèle opposé c’est le place and train, on met les personnes qui veulent retravailler, on y va, tout de suite, qu’ils soient sortis d’hospitalisation il y a deux minutes ou il y a deux heures ou il y a deux ans, on y va quand ils veulent. Par contre on n’est pas dupe, il y aura des obstacles, inhérents à la maladie, inhérents au monde du travail, à la compétitivité, à la concurrence, inhérents aussi à la stigmatisation, on en a parlé, donc il y aura plein d’obstacles. Donc la question du place and train c’est vraiment on met la personne en condition et dans la temporalité de son projet, par contre on se donne les moyens, et dans la recherche et dans le maintien. Et un des modèles qui est le plus défendu et qui a été le plus étudié et qui montre le plus d’efficacité c’est ce qu’on appelle le modèle IPS, pour individual placement and support, c’est cette idée, voilà, on fait du sur mesure et on aide la personne et dans la recherche et dans le maintien, pour le retour à l’emploi, mais en tout cas dans sa temporalité. Cette façon aussi de retravailler et de voir les choses vraiment dans la temporalité a forcément bougé sur… et a abouti au fait qu’il fallait d’autres partenaires. Concrètement, si on caricature un peu, encore, encore beaucoup trop en France sur la question du retour à l’emploi des personnes avec une maladie psychique, on a des espèces de dispositifs ou de parcours un peu tout faits. On a cette idée, bon voilà, on en a parlé tout à l’heure, mais le fameux dossier MDPH avec l’AAH, la RQTH, l’orientation ESAT ou milieu protégé, etc. On a le dispositif après, vous allez pas à Pôle emploi, mais en tout cas Pôle Emploi vous envoie vers Cap Emploi, parce que ce sera forcément du milieu protégé du fait de la maladie psychique, Cap emploi pas forcément formé à la question de la maladie psychique, parfois un peu perdu, et du coup renvoie vers d’autres dispositifs pour réévaluer le projet, etc., etc., et en fait on se rend compte que euh, que le modèle initial ait changé, et passer vraiment du train and place au place and train, c’est important, mais ça ne peut pas fonctionner si on ne change pas les structures et les dispositifs après d’aval, en fait. Donc le gros travail qui est à faire auprès de Pôle Emploi, de Cap Emploi, du médico-social des entreprises, et finalement bah c’est assez simple, le modèle IPS pour comprendre ça donne cet objectif-là d’avoir entre la première rencontre avec l’usager et… C’est d’avoir un premier rendez-vous, un premier contact sous les trente jours. Faut pas traîner, quoi, et ça demande de l’intensif. À l’heure actuelle, en France avoir une place en Esat c’est des mois, voire des années. Nos dispositifs actuels ne répondent plus moi à mon sens ni en termes de qualitatif à ce que demandent les personnes, ni en termes de temporalité parce que c’est des… C’est des réponses qui sont beaucoup trop longues par rapport à la demande des usagers en fait. Donc quand vous avez des dispositifs… Alors pour certains, faut pas caricaturer, pour certains ces dispositifs-là actuels répondent très bien, et tant mieux, et il faut les garder. Par contre pour ceux qui demandent autre chose, en termes de retour à l’emploi, plutôt qui demandent du milieu ordinaire, de la diversité et du rapide, il faut d’autres outils, en fait. C’est vraiment important, et ces autres outils, donc ben tu demandais où est-ce qu’on peut agir, bah je pense que déjà du côté soignant on l’a dit bah déjà être formé à ces modèles et d’être formé au rétablissement parce qu’avoir cette idée qu’on y va quand la personne demande, être formé aux conséquences de nos certificats, parce qu’il faut bien se rendre compte qu’une RQTH, une orientation Esat, c’est parfois plus un frein qu’un outil, même si ça ne devrait pas être le cas, se sortir d’une orientation Esat c’est parfois très compliqué même si ça devrait pas, donc les packages dès le début notamment chez les très jeunes il faut y faire attention, réfléchir, il faut demander ou est-ce que veut aller la personne, les mises en invalidité, etc., c’est… C’est compliqué de revenir en arrière, donc il faut que ce soit construit avec l’usager. Après moi je crois beaucoup et nous on essaie de le faire beaucoup aux interventions auprès de Pôle emploi et Cap emploi, sur la formation sur la maladie psychique, sur la formation sur le rétablissement parce que la psychiatrie prend un virage qui est celle de l’ambulatoire et de ces concepts de rétablissement et de réhabilitation, mais déjà il faut tenir au courant, que les partenaires euh autres, ben soient au courant de ce virage-là, le comprennent, comprennent tout ça, comprennent pourquoi on fait ça parce que pour l’instant les partenaires si on leur explique rien ils sont plutôt inquiets, comment ça, vous nous dites qu’il faut accompagner la personne quel que soit le niveau de symptôme et quelle que soit la temporalité. Mais s’il est pas près, il décompense ? Donc voilà, ça majore les inquiétudes, chez les soignants et chez les partenaires. Donc il faut agir à ce niveau-là, et l’autre point hyper important, qui est-on va dire à mon sens plus politique, mais à mon avis on a un rôle à jouer aussi à ce moment-là c’est qu’on se rend bien compte… On parle souvent du manque de moyens en psychiatrie. Évidemment on manque de moyens, mais moi je fais partie de ceux qui pensent qu’on a beaucoup de moyens, mais qu’ils sont pas toujours bien utilisés. La question du retour à l’emploi par contre elle est intéressante parce qu’il y a beaucoup de dispositifs qui se multiplient, de retour à l’emploi, alors… basés, mais du médico-social donc auxquels pourraient bénéficier les personnes avec une maladie psychique, c’est pas toujours le cas parce que stigmatisation, mais aussi on voit dans ces dispositifs, ben, ça montre bien comment sont menés les projets, c’est à dire c’est des dispositifs la plupart du temps financés sur deux, trois ans, pas pérennes, qui font doublon déjà avec des choses, voire plus que des doublons sur des choses qui existent déjà, donc finalement… qui sont peu lisibles pour les structures qui orientent en amont, et sur les entreprises aussi ou autres partenaires en aval, et finalement on met beaucoup de moyens sur des dispositifs peu pérennes, sans prendre en compte ce qui existe déjà, sans prendre en compte ce qui n’existe pas et là où il faudrait combler, et qui sont parfois des dispositifs qui prônent bah des mentalités et des philosophies… Enfin tout et leur contraire, en fait, du train and place, du place and train, etc., et donc finalement ça met beaucoup de moyens mis au service de la réinsertion pro en théorie, mais en pratique bah il y a très peu d’usagers de la psychiatrie qui ont accès, pour tout un tas de raisons dont on a parlé, et en plus c’est pas une offre cohérente donc c’est pas quelque chose qui peut petit à petit s’ancrer dans le territoire, s’ancrer dans les représentations des chefs d’entreprises, des partenaires et des soignants, et donc on n’avance que très doucement. Et c’est vrai que petit à petit… On en est à créer des métiers, c’est pour ça que des métiers comme les métiers de job coach sont apparus parce que du coup comme les dispositifs actuels ne répondent pas tant en qualité qu’en temporalité à la demande des usagers bah il a fallu trouver d’autres choses et créer nos propres chemins, et d’aller toquer directement à la porte des entreprises, de faire du réseau, c’est bien de faire comme ça, mais il y a aussi tout le reste où, les appels d’offre et tout ça qui sont pas pérennes ou en tout cas qui font tout et leur contraire, c’est un vrai frein aussi. Mais ça montre bien à quel point agir sur le retour à l’emploi, on ne peut rien laisser au hasard, que ce soit en amont sur les dispositifs, sur le pendant, sur Pôle Emploi/Cap Emploi, sur le après, sur les entreprises et les dispositifs, voir sur le côté politique de la question, ça demande vraiment à mon sens d’agir à tous ces endroits-là, sinon on a peu de chances d’aboutir. C’est déjà compliqué pour n’importe qui quand il est au chômage de retrouver un boulot, pour quelqu’un avec une maladie psychique pour tout un tas de raisons, ça, bah les obstacles sont encore plus nombreux, et ça demande vraiment de la précision et d’agir à tout un tas de… tout un tas d’endroits, et on parlait encore une fois ça montre bien qu’il faut repenser les frontières encore une fois de nos métiers parce que bah voilà par exemple la semaine dernière on a rencontré avec notre job coach tous les psychos de Pôle Emploi, pour discuter des questions de réhabilitation, pour discuter des dispositifs ou chemin un peu tout tracés quand une personne vient et dit qu’elle a une maladie psychique et finalement, ou… finalement l’avis des autres finit par passer avant le projet initial et l’avis de l’usager, ce qui n’est pas possible, donc petit à petit c’est à tous ces niveaux-là, on travaille énormément aussi avec la MDPH, enfin MDA maintenant maison de l’autonomie, mais parce que, c’est hyper important, des fois il y a des orientations d’un dossier professionnel qui dépend de la MDPH, la rentrée est dans quinze jours, le dossier met six mois à arriver, ça, c’est des choses pas possibles aussi, on se rend compte que l’enjeu aussi d’accompagner l’usager au-delà de surmonter les obstacles c’est encore une fois de coordonner tout un tas de gens et de dispositifs qui ne sont pas habitués à travailler ensemble, qui pour la plupart ne se connaissent pas. Et ça, c’est un vrai enjeu aussi de mettre en lien déjà toutes les choses qui existent, pour, et amener une cohérence et amener cette, ce réflexe de réhabilitation et ces réflexes de rétablissement à toutes les personnes qui graviteront, qu’elles soient soignantes ou pas d’ailleurs, autour de la personne pour mener les choses à bien, parce qu’on est encore une fois trop bloqués dans des dispositifs tous faits, et avec cette idée, cette fameuse, mais c’est mon patient ! Le fameux c’est mon patient, et du coup, comme si une personne ne pouvait pas être suivie par plusieurs équipes en même temps, alors que ces équipes font des choses différentes, il faut juste quelqu’un qui coordonne, mais ça demande d’agir à plein de niveaux.
[Voix de Baptiste, épisode La prison de verre : Tu fais ton petit bout de chemin chaque jour, tu réussis à faire de plus en plus de choses, et c’est magnifique, et vraiment moi qui refusais de grandir dans cette vie… et ben cette vie elle vaut la peine d’être vécue !]
Mickael : On parle beaucoup aujourd’hui de la crise que traverserait la psychiatrie, quel est ton point de vue sur ce sujet, est-ce que tu identifies des carences particulières dans le système actuel de soins dans ce domaine-là ?
Nicolas : Alors c’est sûr que cette crise on en entend beaucoup parler, beaucoup plus que ce qui marche, aussi, en psychiatrie, ce qui est un peu dommage parce que le fait d’entendre… Tout n’est pas parfait en psychiatrie, loin de là, mais c’est important de montrer aussi ce qu’on fait et ce qui marche, parce que cette espèce de désaveu constante sur la psychiatrie on le voit à plein de niveaux, déjà bah les premiers concernés c’est les usagers pour l’accès au soin, même pour recruter en psychiatrie, à chaque choix d’interne par exemple il y a le doute de savoir si tous les postes de psychiatrie sont pris, les soignants aussi, quand vous sortez de l’école d’infirmier, d’assistant social et que tout ce que vous lisez sur la psychiatrie c’est que la psychiatrie, ça va pas, c’est la merde, c’est dangereux, y’a pas de moyens, etc., bah ça donne pas envie. Donc évidemment qu’il y a des carences, mais il y aussi des choses qui se font, des choses bien, il y a des gens qui savent aider, on sait aider des gens, je pense que c’est à valoriser aussi parce que tout n’est pas, clairement tout n’est pas à jeter. Après des carences il y en a. Alors on parle souvent des carences de moyens clairement de la psychiatrie, parent pauvre de la médecine. Oui, bien sûr c’est vrai qu’on manque de moyens, après moi je fais partie de ceux qui pensent que des moyens on en a quand même, mais que peut être euh ils sont pas mis au service des bonnes choses. Combien d’unités pourraient se transformer à moyens constants sur des principes de réhabilitation et de rétablissement dont on a parlé, déjà le faire à moyens constants ça changerait tout en fait ! Bien sûr qu’il y a des… Qu’il y a un manque de moyens, mais je pense que ça demande plus que ça, ça demande une réorganisation… de ce qu’on veut faire, comme type de psychiatrie, au service de quoi, avec quels outils. Et ça, c’est pas une question de moyens, c’est une question de poser les choses et de réfléchir, est-ce qu’on veut vraiment mettre les principes de rétablissement et de réhabilitation au centre, est-ce qu’on veut favoriser la parole des usagers, les droits des usagers, la prise en charge des familles, les médiateurs de santé pairs, etc., est-ce qu’on a vraiment envie de ça ou est-ce qu’on a encore envie de financer d’autres choses, qui il y a dix ans ou quinze ans répondaient aux demandes usagers, mais aujourd’hui la perception qu’on a c’est que nos structures actuelles répondent moins en fait aux demandes. Mais ce qui parait logique, et tant mieux, la psychiatrie a fait quand même des progrès, que ce soit sur les thérapeutiques, sur les outils non médicamenteux, sur les types de psychothérapie, sur le retour à l’emploi, sur plein de choses, donc c’est normal que les gens demandent autre chose que ce qu’ils demandaient il y a quinze ans avec les dispositifs d’il y a quinze ans et les traitements d’il y a quinze ans. Faut pas le voir comme une opposition avant c’était de la merde et maintenant c’est bien, c’est la question que comme toutes les spécialités médicales la psychiatrie on doit s’adapter aux demandes des gens pour être utiles aux gens, et les demandes des gens elles ont évolué, elles ne sont plus les mêmes, à tous les niveaux, en termes d’investissement, en termes de futurs, en termes de choix de vie, et donc il faut réfléchir à des outils qui répondent à ça. Donc moi je reste persuadé que les moyens sont là, pas tout le temps, mais ils y sont, et que par contre transformer les unités et changer les façons de faire, l’enjeu il est là. À qui on confie ça ? Pour la réhabilitation il y a par exemple des centres supports pour chaque région, est-ce qu’on leur confie ça comme mission ? Comment on vérifie aussi à qui on donne les moyens, est-ce qu’on a des indicateurs, parce que les ARS qui doivent gérer ça ont quand même peu de moyens moi je trouve pour évaluer qui serait un bon candidat à être nommé centre de proximité pour la réhab’, etc., il y a peu d’indicateurs, on n’aime pas trop ça en psychiatrie encore d’évaluer ce qu’on fait, alors que c’est important, moi j’ai encore, je suis parfois en lien avec des dispositifs de retour à l’emploi et quand vous leur demandez c (« est quoi vos statistiques en fait, il y a combien d’usagers qui vous ont demandé un retour à l’emploi, combien de pourcentage et quelle temporalité, combien vous en avez ramené, combien de temps vous les avez maintenus, il y a encore des gens qui vous répondent non, mais nous c’est pas notre philosophie de regarder ça. Ah bah super ! Si vous regardez pas combien, comment vous savez si votre dispositif marche ? Donc euh moi je crois beaucoup au changement de la psychiatrie, mais au-delà des trucs un peu qu’on entend, on fait beaucoup d’effets d’annonce, les plans territoriaux de santé mentale, c’est très inégal d’une région à l’autre, c’est un peu des fourre-tout de tout un tas de choses. Mais de manière pragmatique et concrète pour les gens, qu’est-ce qu’on fait, là, tout de suite ? On parle beaucoup des assises de la psychiatrie qui viendront, bon, je, je suis, voilà. On verra ! Ce que ça donne, mais je pense qu’on n’interroge pas forcément les bonnes personnes, que ce soient les bons soignants, les usagers, les familles sur, sur ces questions-là, je pense qu’il faut ouvrir un peu le débat et pas juste envoyez, vous pouvez amener votre contribution et écrire votre contribution, je pense que ça va plus loin que ça, et je pense qu’il faut vraiment se poser sur la question quelle psychiatrie on fait, avec quels outils, mais au service de quoi ? Et ce au service de quoi, comment on le récupère, et est-ce qu’on est bien d’accord que c’est une psychiatrie au service des usagers ? Je pense qu’on n’est pas déjà tout à fait d’accord entre nous sur ce qu’il faut faire et du fait qu’il y a tout un tas d’annonces, de dispositifs, de choses qui se mettent en place même d’associatif, mais qui finalement pour l’instant s’appuient sur beaucoup de choses très personnelles, ça dépend beaucoup des personnes et pas de dispositifs et donc bah ces personnes que ça soient des soignants, des familles, des usagers, sur de l’associatif, sur des podcasts, sur tout ce qu’on veut, elles essaient, elles y mettent de l’énergie, elles s’épuisent, beaucoup, mais parce que en fait tous ces outils qui seraient bons, au lieu de s’imbriquer dans un système, une philosophie qu’on a pensée en amont, on demande à ces outils de transformer le système. Et c’est trop compliqué, déjà de porter un outil, et d’en plus d’essayer de transformer le système avec cet outil, ça devrait pas être comme ça, on devrait avoir des choses claires, précises sur où on veut aller, et ensuite tous ces outils ils devraient s’imbriquer de façon simple en fait sur ce moule un peu commun qu’on a décidé en amont, et ça rendrait les choses beaucoup plus faciles, ça éviterait les doublons, et ça éviterait que les gens s’épuisent, parce que la réalité c’est ça, c’est encore trop personne-dépendant.
Mickael : Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?
Nicolas : Alors bah je pense que c’est toujours important euh je l’ai dit hein de conclure sur quelque chose de positif, clairement là on a décortiqué hein le rétablissement, la réhabilitation, les freins de la stigmatisation, c’est pas une lubie, ou une croyance un peu incohérente ou un peu tout ça, le rétablissement et la réhabilitation, moi je vois, moi je suis un jeune psychiatre, je suis psychiatre depuis quatre ans, ça fait quatre ans que je m’occupe du centre Minvielle, concrètement c’est des choses qui marchent, et ça m’a changé en tant que soignant, c’est-à-dire que c’est beaucoup plus simple d’être soignant quand on fait ces principes-là parce que c’est des collaborations, on est loin du paternalisme classique, et concrètement ça transforme des vies. Il faut bien se rendre compte que ça change des parcours de vie et pour les soignants et pour les usagers clairement. Et encore une fois on sait peu de choses en psychiatrie et du coup pourquoi présumer de ce qui pourrait être fait et pas fait plutôt que de tester et voir ? Et honnêtement je peux que encourager euh tous les soignants qui écouteront ce podcast, c’est d’essayer, parce que c’est une autre façon de faire du soin, qui est beaucoup plus épanouissante et qui à mon sens aide vraiment, et on est très surpris, en fait, et on est surpris très positivement et c’est vrai que nos idées reçues sur ce que peuvent faire les gens atteints de maladie psychique, et bah elles explosent rapidement, ces espèces d’idées, elles explosent ces idées reçues. Donc vraiment il y a de l’espoir, il y a toujours des demandes, il y a beaucoup, beaucoup à faire, et pas pour dans dix ans, pas pour dans quinze ans, là c’est pas une question de recherche d’est-ce qu’on trouvera un meilleur traitement, les causes, etc., là c’est pour du tout de suite en fait, on peut aider les gens tout de suite, ça marche, il faut y croire et se laisser surprendre agréablement. Je pense que c’est… C’est vraiment très important.
Mickael : On arrive au terme de cet entretien donc il me reste à te remercier pour tous ces éclaircissements dont tu nous as fait part, sur des notions dont on parle souvent pendant ce podcast, que ce soient le rétablissement, la discrimination, la stigmatisation, l’insertion, ce sont des choses dont on entend souvent parler et sur lesquelles on manque parfois d’éléments pour bien comprendre ce dont il s’agit, donc merci beaucoup de nous avoir apporté tous ces éléments et merci pour ton travail au quotidien, pour la promotion du rétablissement des personnes qui souffrent d’un trouble psychique.
Nicolas : Merci à toi, et j’en profite pour dire merci à toute l’équipe du centre Jean Minvielle, avec qui je travaille et qui œuvrent tous les jours à essayer de promouvoir ce type de psychiatrie.
[Musique de fin]
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