"La prise de conscience d’avoir besoin d’aide n’est pas forcément synonyme d’action de chercher de l’aide immédiatement. Il y a la question de pouvoir effectivement franchir le pas."

CONSULTER UN PSYCHIATRE — Selon une étude parue en 2021, 50% des Français auraient peur d’être jugés négativement s’ils parlaient de leurs difficultés psychiques à leur entourage, et 36% n’en verraient pas l’intérêt. Pourtant, il n’y a aucune honte à souffrir d’un trouble psychique.

Ce sentiment de honte est sans doute dû à l’association encore très présente entre santé mentale et « folie », terme fourre-tout sous lequel on regroupe à peu près tout ce que la société rejette. Parler de sa santé mentale, ou pire encore dire être suivi par un professionnel de santé mentale, reviendrait se mettre à la marge de la société. Les préjugés et clichés sont rudes et persistants autour de la prise en charge psychiatrique et psychologique. En parler et expliquer restent les seules manières de favoriser le franchissement de la porte d’un professionnel pour enfin accepter que la santé mentale ne vaut pas moins que la santé physique.

Je reçois aujourd’hui David Masson, psychiatre spécialisé en réhabilitation psychosociale. Il s’engage au quotidien pour la déstigmatisation de la santé mentale et la lutte contre les idées reçues qui entourent des troubles qui fascinent mais sont caricaturés à outrance, jusqu’à en perdre tout sens. Il démystifie avec nous la prise en charge psychiatrique, afin que celles et ceux qui en ressentent le besoin n’aient plus honte d’aller consulter.

Bonne écoute !
Homme courant dans la forêt au bord d'un lac. Manon Combe pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale.

Intervenant

David Masson (@psy_massondavid)

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Mickael : Bonjour David.

David : Bonjour Mickael.

Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission. Donc aujourd’hui on va parler de ton quotidien de psychiatre et de la prise en charge en santé mentale. Alors pour commencer, puisque c’est une question qui nous revient très souvent et à laquelle finalement Nicolas Rainteau a déjà répondu en partie, mais je pense que les approches sont plurielles dans la psychiatrie, est-ce que tu pourrais nous présenter avec ta propre vision ce qu’est le métier de psychiatre ?

David : Donc déjà être psychiatre pour mettre dans le contexte ce n’est pas être psychologue ou psychothérapeute, même si en tant que psychiatre on peut être psychothérapeute, car formé à une thérapie. Être psychiatre avant tout c’est être médecin. Nous avons réalisé des études de médecine, au total sur dix ans dont six sur un cursus général qui nous apprend les bases du métier pour prendre en charge un grand nombre de pathologies dont la psychiatrie, et puis à la fin du concours de la sixième année on fait le choix de choisir une spécialité, et par exemple bah j’ai choisi moi de me spécialiser en psychiatrie, euh sur un cursus qui a duré quatre ans, où en fait on passe en stage dans différents services et puis on apprend notre métier à la fois d’un point de vue théorique et puis dans la rencontre avec les patients. En quoi ça consiste le métier de médecin psychiatre, de ce fait ? Eh bah plusieurs éléments importants : prévenir le trouble mental c’est-à-dire aider la population à prendre mieux soin de soi du point de vue de la santé mentale et donc éviter des maladies, je reviendrai certainement tout à l’heure dessus, c’est la question du développement de l’intervention précoce, par exemple, ou de la question de la psychiatrie communautaire. C’est aussi la capacité, la compétence de pouvoir détecter des maladies c’est-à-dire de rencontrer des personnes qui viennent nous voir avec un problème, de pouvoir réaliser une évaluation de la situation de la personne, de pouvoir mener cette enquête qui nous permet de détecter s’il y a une maladie ou non, de poser un éventuel diagnostic et puis de proposer le traitement le plus adapté à ce diagnostic avec l’objectif que la personne puisse aller mieux par la suite. Qu’est-ce que ce n’est pas, aussi, être psychiatre ? Pare que c’est quelque chose aussi d’important ! Donc je l’ai dit ce n’est pas être psychologue, le psychologue n’a pas d’habileté à réaliser un examen médical, n’a pas d’habileté non plus à prescrire des médicaments, notamment les psychotropes, là on est sur une compétence strictement médicale. Le cursus de formation st aussi différent parce que les psychologues ont une formation plutôt fac, en faculté de lettres, avec des spécialisations derrière sur des thérapies. Après, au niveau psychiatrique on travaille en collaboration directe avec des psychologues parce que souvent on a aussi besoin dans les prises en charge d’un accompagnement conjoint avec une part médicale, médicamenteuse, et une part psychothérapie qu’il est absolument indispensable de pouvoir concilier. Alors, qu’est-ce que ce n’est pas non plus être psychiatre, il y a un certain nombre de clichés sur le métier ! Déjà on n’est pas mentaliste, on n’est pas télépathe, je ne sais pas lire dans les esprits, on a besoin que les gens viennent nous voir, viennent nous expliquer ce qu’il se passe, c’est vraiment quelque chose de très important. L’autre point aussi c’est que non, on ne passe pas notre temps à analyser tout le monde, on est psychiatre, mais on est humain à côté, non dans la rencontre avec n’importe qui c’est quelque chose qu’on ne fait pas tout le temps, et heureusement. Important aussi on n’a pas forcément une réponse ou une explication à tout comportement humain. Souvent on est sollicités là-dessus, pour expliquer la violence ou tout comportement dramatique, on peut avoir une expertise ou des hypothèses, mais on ne peut pas dire qu’on détient la clé de l’explication du comportement. Autre point souvent qu’on nous demande c’est de pouvoir prédire un peu l’avenir, on n’est pas voyant non plus, on peut faire des hypothèses, mais qui ne garantissent absolument pas d’un comportement futur d’un individu. Un autre point aussi on est souvent vus, c’est quelque chose qui revient souvent, psychiatre, comme un contrôleur social. Quelqu’un qui vient borner, si je puis dire, des comportements qui sont en marge de la société et de ce qui est acceptable à un moment donné, ça fait partie de notre métier de pouvoir être dans un cadre de réalisation de soins sous contrainte, c’est une spécificité de la psychiatrie, cela dit ça reste quand même un exercice marginal. La grande grande majorité de notre activité elle est sur des soins avec consentement et la grande majorité des cas dans la consultation et qui ne passe pas par l’hospitalisation, l’hospitalisation n’est pas la clé de voute d’une prise en charge en psychiatrie, c’est vraiment la personne dans son environnement, avec ses projets, et dans vraiment une question d’inclusion qui est absolument nécessaire. Et d’autres points aussi qu’on dit souvent, on dit souvent que les psychiatres sont aussi fous que leurs patients, euh, bah c’est vrai que parmi les médecins on peut souffrir de troubles psychiques aussi, on n’est pas immunisés non plus, mais tout un chacun, finalement, c’est pas différent de la population générale. Et puis aussi… Alors ça c’est plus dans le contexte médical, ça peut être vu par nos collègues comme une sous spécialité, on n’a pas une spécialité noble comme la médecine interne ou d’autres spécialités, cela dit les troubles psychiques ça concerne quand même douze millions de personnes en France, c’est une problématique de santé publique majeure, et c’est vrai qu’avec la crise sanitaire, ce que l’on voit et je trouve quelque chose de positif, c’est qu’en tout cas on prend conscience de l’importance de la prise en compte de la santé mentale et de l’entretenir. Et la psychiatrie a sa place pour ça, pour aider les personnes qui ont pu développer un trouble psychique par exemple pendant ces quelques mois que l’on a traversés.

Mickael : Et toi, à titre plus personnel, qu’est-ce qui t’a donné envie d’exercer la psychiatrie ?

David : Ce qui m’a donné envie d’exercer la psychiatrie c’est déjà d’avoir été confronté personnellement, familialement à ce problème-là. J’ai connu un drame en lien avec un trouble psychotique et je me souviens d’un sentiment d’impuissance totale, en ne comprenant pas ce qui s’était pas passé, et ne sachant pas quoi faire, me disant c’est pas possible de rester sur ces faits-là, et de ce fait là j’avais toujours cette idée dans le coin de la tête. Par la suite j’ai fait des stages pendant mon internat, j’ai découvert la psychiatrie adulte, la pédopsychiatrie. Ce qui m’a intéressé c’est le fait d’aller rencontrer les personnes, une intimité personnelle plus importante que les autres spécialités, on a besoin de connaitre les aspirations des gens qu’on rencontre. Il y a cet aspect aussi d’une temporalité qui est différente, on a besoin dans cette spécialité, de prendre plus de temps, d’observer, de pouvoir poser les choses, de pouvoir coconstruire, quelque chose qui est assez spécifique à la psychiatrie et qui est je trouve intéressant en termes de travail de réflexion. Je la trouve aussi intéressante par rapport à l’énorme champ d’évolution, aussi, c’est une discipline il y a tellement de choses à faire, à découvrir, à faire évoluer, c’est absolument vertigineux, et on en prend conscience à partir du moment où on y touche. Et puis il y a cet aspect aussi d’accompagner les gens dans un mieux-être, de faire ce petit bout de parcours avec eux que la psychiatrie nous offre.

Mickael : Et donc tu nous parles d’un parcours, démarche de co-construction entre l’usager et le professionnel, et ce parcours souvent il est un peu flou pour les personnes qui n’ont pas été exposées personnellement à la prise en charge en santé mentale. Est-ce que tu peux nous dire comment ça se déroule, à partir du moment où la personne prend conscience du fait qu’elle a besoin d’aide ?

David : Alors déjà peut-être un point au départ, prise de conscience d’avoir besoin d’aide n’est pas forcément synonyme d’action de chercher de l’aide immédiatement, hein, on sait que malheureusement il y a un temps où les troubles peuvent se mettre en place de manière souvent un peu insidieuse, qu’il y a une prise de conscience qui arrive et puis après il y a la question de pouvoir effectivement franchir le pas, et ça c’est assez commun aux patients qui franchissent la porte du CMP, c’est déjà une sacrée démarche, qui peut être des fois longue, trop longue, peut-être on peut parler de quelques freins qu’on peut identifier des fois, alors il y en a beaucoup, mais ceux qu’on peut retrouver souvent c’est des phénomènes de peur de la maladie mentale, si je vais en CMP c’est que j’ai un problème un trouble psychique, et si j’ai un trouble psychique comment l’accepter, pour soi ? Comment en parler aux autres ? Comment surmonter la peur d’être rejeté aussi s’il y a effectivement un trouble psychique ? Souvent ce qu’on retrouve c’est la peur même des services de psychiatrie en eux-mêmes, puisqu’on a une représentation quand même importante de modalités hospitalières et d’enfermement, qui est inhérente à l’histoire de notre discipline, et beaucoup de personnes qui viennent nous voir nous disent j’espère que je n’irai pas à l’hôpital… C’est vrai qu’on a cette démarche au départ de pouvoir reprendre ces clichés-là, et de pouvoir rassurer aussi. Sans compte également le phénomène de perte d’espoir, de motivation, si on prend quelqu’un qui a un état dépressif par exemple, un des signes cliniques de la pathologie c’est cette perte d’envie, de motivation, de perte d’espoir, finalement à quoi bon aller consulter puisque de toute façon je ne vois pas comment ça peut aller mieux. Donc, pourquoi aller chercher de l’aide puisque de toute façon il est fort probable que ça n’amène rien du tout ? Une fois que la personne a franchi la porte du CMP, parce que moi je travaille en CMP, les professionnels rentrent en jeu et c’est quelque chose qui est extrêmement important c’est cette rencontre qu’il y a entre l’usager et le professionnel puisque le préambule de la consultation quelle qu’elle soit, c’est déjà la rencontre entre deux individus, une personne qui vient avec ses souhaits, ses projets, ses peurs, ce qu’il souhaite faire ou non, et puis le professionnel, psychiatre par exemple, qui vient, qui amène ses compétences cliniques, à la fois d’évaluation, diagnostiques, thérapeutiques, son savoir expérientiel aussi dans le cadre de son exercice qu’il met au service de la personne qui vient voir, et de pouvoir accompagner l’objectif, dans une première consultation d’établir cette relation-là, d’établir la confiance, et finalement de pouvoir établir un accord. Un accord entre les deux personnes professionnel et l’usager. Alors comment peut se passer un premier accueil avec un professionnel ? Ça peut aussi être important de le décrire parce que c’est souvent un moment extrêmement redouté par les personnes qui viennent nous rencontrer pour la première fois. Alors un des points importants, nous en tant que professionnel, ça peut paraître une évidence, mais c’est hyper important, c’est déjà se présenter ! Qui on est, notre nom, profession, dans quel cadre on rencontre la personne. Soigner son attitude aussi, c’est sur qu’une attitude avenante, souriante, accueillante c’est hyper important, dès la salle d’attente d’ailleurs. C’est de pouvoir véhiculer l’optimisme dès le début. C’est de pouvoir prendre le temps nécessaire de pouvoir explorer, alors des fois pour pouvoir faire un diagnostic ça peut prendre plusieurs rencontres, c’est pas rare, mais ça il faut l’expliquer. C’est aussi normaliser, normaliser la peur de venir, normaliser le fait qu’il y ait des questions, normaliser le fait que c’est pas évident de voir un psychiatre, de reprendre tout ça, et puis aussi préciser dès le départ le cadre dans lequel on est, c’est un temps de consultation, qui est au service de la personne, qui est sur un temps donné, qui va aboutir sur une proposition qui va être discutée et une prise en charge qui va durer le temps que nécessaire, et pas plus que nécessaire. Et qui ne passe pas forcément par l’hôpital. Ni par les médicaments. Ça c’est quelque chose d’important, je trouve, que je vais à chaque fois, déjà, on pose les choses, et puis surtout il n’y a pas de question idiote, il faut poser des questions. Et c’est légitime qu’il y ait des questions lorsqu’on vient rencontrer un professionnel dans un lieu qu’on ne connait pas, sur une spécialité qu’on ne connait pas, je peux tout à fait comprendre que la personne soit mal à l’aise et soit anxieuse de cette rencontre. Quelque chose aussi qu’on fait, c’est de poser aussi les objectifs de la rencontre. Pourquoi est-ce qu’on se voit ? Ça peut être poser le fait que par exemple votre médecin traitant m’a demandé mon avis par rapport à votre situation, à votre traitement. Ou par exemple bah vous sortez peut-être de l’hôpital, l’équipe qui vous a pris en charge a sollicité peut être un rendez-vous dans le cadre de votre suivi, nous nous rencontrons pour la première fois dans ce cadre-là, quels sont vos souhaits vous, qu’est-ce que vous pensez de cette démarche-là ? Et puis ça peut prendre toutes les formes, ça peut être aussi des gens qui viennent aussi, qui franchissent la porte et qui viennent solliciter spontanément de l’aide, en tout cas ça permet aussi de poser les choses, ça permet aussi de poser le fait qu’on vérifie aussi si on a bien compris ! Et puis d’amener la personne à poser des questions si de son côté… Bah sur ce qu’on va proposer. L’objectif aussi de cette première rencontre bah il est déjà de notre côté, au niveau professionnel, de comprendre les raisons qui font que la personne vienne, ses besoins, ses souhaits, ses aspirations. En général je commence un peu toujours de la même façon, pour faire connaissance j’explique que je vais poser beaucoup de questions, certaines intimes, d’autres non. C’est des questions que je pose généralement à tout le monde pour bien explorer l’ensemble des éléments dont j’ai besoin pour poser un diagnostic, qu’elle n’hésite pas à me dire s’il y a des questions qui la gênent ou pas, et ce qui est important aussi, alors ça j’en ai besoin, c’est que je prends des notes parce que… bah parce que, pour pas oublier ! Donc ça je le dis, par exemple, bah voilà je prends des notes parce que vous savez, vous allez me donner beaucoup d’informations, et je veux être sûr de ne pas oublier. Donc c’est dans ce cadre-là que je me permets de prendre des notes. Et puis voilà, on passe sur un questionnement, donc la personne répond à nos questions, et puis ce qui est important à ce moment-là c’est de valoriser le fait que la personne nous réponde, de faire ce qu’on appelle de l’écoute réflexive, c’est-à-dire s’assurer qu’on a bien compris de notre côté parce que des fois on peut aussi se tromper sur la manière dont on reçoit l’information, et puis on mène notre enquête. L’enquête elle est essentiellement médicale, c’est-à-dire qu’on va explorer les problématiques somatiques, hein, les problèmes de santé physique, il y a plein de problèmes physiques qui peuvent prendre l’allure de troubles psychiques, c’est quelque chose qui n’est pas rare. Et puis on va recueillir l’ensemble des éléments nécessaires pour poser un éventuel diagnostic trouble psychique. Alors je dis éventuellement parce qu’il n’y a pas forcément de diagnostic trouble psychique, au final, on peut très bien être en souffrance, avoir un, être en mauvais état de santé mental si je puis dire, qui nécessite un soutien d’un tiers, sans forcément qu’on soit sur une maladie caractérisée comme un état dépressif ou un trouble anxieux bien défini. En tout cas ce temps-là est absolument important pour pouvoir élaborer au mieux le diagnostic, qui au niveau médical ait des bases pour pouvoir proposer après le plan de soin le plus adapté à la situation de chaque personne, sachant que pareil, chaque entretien est singulier, chaque rencontre est singulière, et c’est ce qui rend aussi le métier passionnant, c’est que finalement à chaque fois c’est une nouvelle situation, une nouvelle rencontre, de nouveaux enjeux, des nouveaux stimuli, un nouvel intérêt intellectuel qui arrive aussi et puis un désir d’aider qui se renouvelle à chaque fois, et ça fait partie des choses qui font que j’aime ce métier.

Mickael : Au cours donc de ce premier entretien tu reçois comme tu l’as dit beaucoup d’informations de la part du patient, toutes ces informations comment tu fais pour les mettre ensemble dans un tableau, pour établir un potentiel diagnostic ?

David : Alors déjà effectivement ma connaissance des catégories diagnostiques je dirais à absolument chercher, avec des questions ciblées sur telle ou telle problématique, et puis aussi l’exploration d’éléments plus d’urgence. Ça passe déjà, au niveau de ce premier entretien, par quelque chose d’extrêmement important, c’est déjà de l’observation. C’est de l’observation visuelle de la personne, dès la salle d’attente d’ailleurs, on va observer la posture, les expressions du visage, le regard, les échanges de regard sont très importants. On va observer quelle est la forme du discours, est-ce qu’il est fluide, quel est son rythme, la musicalité de la voix, quelque chose d’extrêmement important. Est-ce que le discours est riche en détail ou non ? La vitesse de parole, la cohérence globale du discours, et puis bah l’observation du contenu en lui-même qui est ce qu’il se passe au niveau des pensées de la personne, comment est-ce qu’elle analyse son problème, comment elle donne sens à ce problème-là, et c’est l’ensemble de ces observations-là qui vont permettre, qui vont nous aider à… À aiguiller, je dirais, aiguiller la démarche de l’analyse derrière. Par exemple un état dépressif caractérisé, qui touche quand même un cinquième de la population en prévalence vie entière, donc c’est pas rien, elle a un certain nombre de caractéristiques qui permettent d’éventuellement faire ce diagnostic si on retrouve plusieurs caractéristiques. Si on a une association d’un discours qui est plutôt difficile, voire monocorde, un visage peu expressif, des difficultés pour la personne de se concentrer, des difficultés à répondre aux questions, une posture plutôt basse, une voix faible, peu audible, qui s’associe à une tristesse de l’humeur, une douleur morale, et un ralentissement, ce qu’on appelle un ralentissement psychomoteur, c’est un ensemble d’arguments qui peuvent être par exemple en faveur de ce diagnostic-là. Mais on peut pas limiter un diagnostic à un symptôme, par exemple une représentation c’est la dépression égale tristesse. On a des dépressions où il n’y a pas de tristesse. La démarche médicale fait aussi qu’on puisse éliminer d’autres causes qui peuvent provoquer la dépression, je pense tout particulièrement à l’hypothyroïdie, qui est pourvoyeuse de dépression du fait de cette problématique-là, d’où l’intérêt de pouvoir aussi collaborer avec les médecins traitants, les médecins généralistes pour qu’on ait une approche globale aussi de la situation de la personne.

Mickael : Et une fois que tous ces éléments sont rassemblés en un diagnostic, comment est-ce que ça se passe quand on annonce le diagnostic à la personne ? Quels sont les avantages et peut-être les inconvénients aussi de donner ce diagnostic ?

David : Alors, en psychiatrie en tout cas, il y a quelque chose qui est assez caractéristique à la spécialité c’est que les diagnostics ils sont uniquement cliniques. Tous les examens complémentaires, les prises de sang, les examens radiologiques en fait ils sont souvent nécessaires, mais surtout pour éliminer d’autres causes. Ce qui fait que ce diagnostic il est objectif, mais il est à la fois subjectif, je dirais, il doit être réalisé avec précaution et il faut savoir prendre le temps nécessaire pour bien l’analyser, bien poser par la suite et qu’il y ait l’hypothèse la plus probable. Quelque chose aussi qui est important, c’est un diagnostic à un moment donné, c’est pas une étiquette, il faut absolument qu’il puisse être réévalué par la suite, voire qu’il soit corrigé, c’est quelque chose aussi d’absolument nécessaire en fonction de l’observation, de l’évolution de la personne au cours de sa problématique. D’un point de vue de l’annonce, ce que j’aime faire moi personnellement, c’est proposer à la personne de parler du diagnostic assez directement, c’est-à-dire pouvoir le nommer si elle le souhaite, à la fois le nommer, l’expliquer, et donner aussi la démarche clinique en termes de réflexion qui me fait aboutir à cette conclusion. Je pense que c’est un des points absolument nécessaires puisqu’il permet de pouvoir aider la personne à pouvoir s’approprier aussi le problème qu’il a, de donner les clés de compréhension de la problématique, et de pouvoir aussi normaliser. Si on prend l’état dépressif par exemple, c’est prendre des éléments d’épidémiologie, des éléments de pronostic, et puis aussi de pouvoir amener de l’optimisme, c’est à dire que ça se soigne bien, on peut faire quelque chose, on peut très raisonnablement espérer que la situation va s’améliorer pour elle et qu’elle puisse dépasser cet épisode, par exemple. Moi je dis souvent aux étudiants les diagnostics ça s’impose pas, par contre ça se propose systématiquement quelle que soit la pathologie, de l’état dépressif, mais aussi du trouble psychotique ou d’autres maladies mentales plus graves. Parler du diagnostic est extrêmement important aussi parce qu’il va donner sens au projet de soin, aux propositions de soin derrière, et quelle va être cette proposition, et qu’est-ce que la personne peut en attendre. Que ça puisse aussi prendre sens. Si on prend par exemple l’état dépressif, un premier état dépressif par exemple d’intensité moyenne, une des recommandations c’est d’associer un traitement psychothérapeutique, donc avec des consultations, registre de suivi psychologique, associé à un traitement médicamenteux d’antidépresseur. Pendant une période théoriquement d’au moins six mois pour un premier épisode. Et bah prendre un antidépresseur pendant six mois c’est quelque chose qui est tout sauf anodin, qui doit se présenter, qui soit préparé, qui doit être expliqué, pourquoi, pourquoi c’est pas quinze jours, pourquoi c’est pas sept jours, d’expliquer aussi les possibles effets secondaires qu’il peut y avoir, expliquer aussi que les effets d’un antidépresseur bah malheureusement il y a un temps d’attente entre le début du traitement et le début de l’efficacité, si on précise pas au départ, beaucoup de personnes bah on le prend le lendemain, et il s’est rien passé, donc il va pas continuer à le prendre parce qu’il n’en voit pas forcément l’intérêt. Donc ça implique derrière d’expliquer tout ça, et puis d’expliquer aussi qu’on est sur une proposition personnalisée, c’est une proposition que l’on propose puisque c’est celle qui nous semble la plus adaptée à ce moment-là, mais qu’évidemment on peut se tromper aussi, et on peut évaluer, changer, adapter. Ça c’est quelque chose aussi d’important, c’est d’avoir cette flexibilité, adaptabilité, de le présenter comme tel et de pouvoir personnaliser, toujours, la prise en soin en fonction de la situation de la personne et de l’intérêt de telle ou telle thérapeutique.

Mickael : Et donc tu l’as dit le diagnostic c’est pas quelque chose qui va être imposé, c’est quelque chose qui va être proposé si la personne souhaite l’entendre, et dans le cas d’une personne qui souhaite obtenir un diagnostic, comment est-ce qu’on peut l’aider à se l’approprier ?

David : Déjà il faut revenir dessus. Parce que dire une fois un diagnostic, ça ne veut pas dire qu’automatiquement il soit compris, intégré. Généralement poser un diagnostic ça entraine tout un ensemble de questionnements, qui doivent être repris derrière, d’explication de tel ou tel élément, ça implique de le reprendre sur plusieurs consultations, ça peut impliquer, et je trouve que c’est une démarche intéressante, de le partager avec les proches, avec la famille, qui sont généralement aussi impactés par l’apparition d’un trouble psychique, et que, si la personne le souhaite, c’est souvent recommandé, qu’ils puissent aussi être intégrés dans le parcours c’est-à-dire aussi pouvoir avoir les informations autour de la problématique et des thérapeutiques, évidemment toujours avec l’accord de la personne, mais c’est vraiment un plus. Et puis pour aller plus loin dans les démarches, notamment pour des maladies plus chroniques, comme les psychoses ou la schizophrénie, je trouve toujours intéressant de proposer des démarches dites de psychoéducation, d’éducation thérapeutique. J’y suis formé, j’anime ce type de groupes. Alors l’éducation thérapeutique, c’est pas faire rentrer dans le crâne à quelqu’un qu’il a une maladie, qu’il doit prendre son traitement. L’idée de l’éducation thérapeutique c’est qu’il puisse acquérir les compétences d’autosoin en termes de savoirs sur la maladie, de savoir-être vis-à-vis des médicaments de qu’est-ce qu’il peut faire, et de savoir-faire sur les leviers à sa disposition pour pouvoir activer tel ou tel dispositif en fonction de ses besoins, de quels outils il peut bénéficier par rapport à son trouble, et surtout par rapport à ses souhaits, ce dont il a besoin.

Mickael : Et une fois que le diagnostic a été posé et annoncé s’il est souhaité, comment se construit la prise en charge finalement, est-ce que c’est quelque chose qui est imposé à la personne, est-ce que c’est quelque chose qui est issu d’un travail à deux, une construction à deux ? Comment on fait pour proposer finalement une prise en charge qui soit acceptée par la personne ?

David : Un des aspects absolument capital c’est que poser un diagnostic, qu’il soit posé par un médecin, est une condition nécessaire, mais non suffisante à ce qu’il y ait l’acceptation derrière du plan de soin et des propositions de soin qui semblent adaptés à la personne. Il nécessite derrière un engagement des professionnels qui accompagnent l’usager, qui doit être spécifié comme tel. Puisque l’on sait que l’on doit accompagner euh la motivation aussi de la personne, qui souvent subit dans un premier temps une problématique qu’il aurait souhaité ne pas avoir, et c’est tout à fait légitime, à une acceptation finalement de ce problème qui est là, et comment il peut faire pour faire face, pouvoir le dépasser. Et c’est pas un mécanisme qui se fait comme ça d’un tour de main, ça prend du temps, et ça nécessite d’être accompagné et de pouvoir soutenir cette démarche-là. Ça, c’est la construction de l’alliance thérapeutique. Et notamment un des aspects bah c’est de pouvoir construire la confiance, c’est à dire justement être transparent, expliquer ce que l’on fait, pourquoi on le fait, comment on le réévalue, que ça dure le temps nécessaire, mais pas plus, et qu’on va partager ce que l’on fait et qu’on essaie de trouver un consensus dans la mesure du possible, c’est absolument capital, notamment pour une prise de traitement sur plusieurs mois voire plusieurs années, euh, ça me semble pas possible qu’il y ait une observance correcte si ce n’est pas travaillé tout au long du parcours de la personne. C’est un enjeu capital, ce n’est jamais acquis, et ça nécessite de reprendre systématiquement cette question effectivement autour de l’acceptation du traitement proposé, quand je dis traitement ce n’est pas que médicamenteux, c’est l’ensemble. Si on prend par exemple, l’exemple de premier épisode psychotique, par exemple, qui est une première problématique qui arrive entre quinze-trente ans, en moyenne. Un premier épisode psychotique ça implique deux ans de traitement antipsychotique. Deux ans c’est énorme. C’est énorme. Il faut absolument pour que ça prenne sens pour l’expliquer, que ça ait un sens à la personne, que c’est utile, et qu’on le fait, c’est pour éviter les rechutes, c’est pour permettre qu’il puisse reprendre la vie la plus satisfaisante possible, c’est pour éviter qu’il y ait d’autres problèmes, et ça, c’est quelque chose qui, qui est un engagement et qui est notre responsabilité aussi, je dirais c’est être à la hauteur des questions légitimes que les gens se posent, être à la hauteur des réponses que l’on peut amener.

Mickael : Une fois que le… un plan de soin est défini et accepté par la personne, le suivi se passe comment ?

David : Le suivi doit absolument être personnalisé, il dépend toujours de la situation de la personne, de ses difficultés et de ses besoins. Et ça, c’est un des avantages par exemple dans mon exercice en hôpital public c’est de pouvoir m’appuyer sur un ensemble de compétences, je pense par exemple au niveau infirmier, psychologue, assistant social ou ergothérapeute qui peuvent amener chacun sa compétence spécifique pour chaque problématique. Prenons par exemple un état dépressif d’intensité moyenne sans comorbidité, je prends un exemple simple, un des aspects de la place du médecin ça peut être justement de proposer le médicament le plus adapté, d’assurer le suivi de ce traitement-là, d’assurer qu’il soit le plus efficace possible et de proposer les adaptations nécessaires si besoin. À côté il peut y avoir également un suivi psychologique recommandé, alors je dis, les approches qu’on peut recommander dans ce type de problématique c’est la question du travail sur l’affirmation de soi, sur l’estime de soi, la question de la gestion des émotions qui sont souvent des problématiques rencontrées fréquemment, qui peuvent être assurées par le médecin s’il peut, mais souvent on va solliciter d’autres compétences comme les compétences infirmières ou psychologue, et puis peut être des problématiques autres d’un point de vue de l’emploi par exemple, ou d’autres éléments qui peut être peuvent justifier l’intervention de l’assistant social, ou pour une problématique par exemple financière ou toute autre. En tout cas voilà, d’où l’intérêt de pouvoir évaluer d’une manière assez large au départ, pas forcément se limiter à l’aspect médical, mais pouvoir rencontrer la personne à la fois dans sa problématique et dans le contexte dans lequel elle évolue, et les éventuels besoins qu’elle peut avoir en termes de promotion de sa santé mentale. Parce que si on prend le modèle biopsychosocial il faut aussi qu’on puisse prendre en compte l’ensemble de ces éléments-là, la personne, son état de santé physique, son état de santé psychologique, et l’environnement dans lequel elle évolue, les composants de cet environnement.

Mickael : Alors tu l’as dit il y a une nécessité de prendre en compte tout l’entourage de la personne également, dans ce processus d’aller vers le mieux-être, et toi il se trouve que ta spécialité c’est la réhabilitation psychosociale. Est-ce que tu peux nous dire un peu de quoi il s’agit et comment on intègre tous les éléments de la personne pour aller vers le mieux ?

David : Alors peut-être déjà un des points importants, je sais que tu en avais déjà parlé avec Nicolas Rainteau, la réhabilitation psychosociale c’est un ensemble de techniques thérapeutiques dont l’objectif au final c’est de pouvoir amener la personne atteinte de troubles psychiques à pouvoir gagner en compétence sur son propre pouvoir d’agir et de pouvoir aller vers la vie qu’elle souhaite avec la meilleure qualité de vie possible, malgré la présence d’un trouble psychique. De ce fait là ça implique un ensemble de propositions de dispositifs qui soient à la disposition de la personne, ses besoins, qui implique effectivement de pouvoir là aussi personnaliser, alors je le dis souvent la réhabilitation c’est la haute couture hein de la psychiatrie, c’est-à-dire qu’il faut vraiment que ce soit très personnalisé, temporalisé aussi en fonction des besoins de la personne à un moment précis et de ce qu’il souhaite développer ou pas. Y’a plein d’outils qui existent, par exemple ben y’a cette notion de psychoéducation, éducation thérapeutique dont je parlais juste avant, de pouvoir renforcer les compétences de reconnaissance de la pathologie, d’autosoin, de gestion de la maladie. Il y a l’aspect aussi extrêmement important de l’accompagnement des familles, de pouvoir renforcer les compétences de familles, il y a un certain nombre de programmes notamment pour les psychoses à schizophrénie qui existent et qui sont absolument capitales pour pouvoir amener la famille à être un pilier supplémentaire dans l’accompagnement de la personne. Il y a d’autres outils comme la remédiation cognitive sur lequel je suis formé qui est, si on veut un résumé, une sorte de kinésithérapie cérébrale parce que souvent les troubles sévères sont accompagnés de troubles cognitifs qui peuvent être plus ou moins gênants dans la déclinaison, dans la vie quotidienne de la personne, alors pour vous donner un exemple dans les troubles schizophréniques il n’est pas rare qu’on rencontre des personnes qui ne lisent plus, qui ne vont plus au cinéma parce qu’ils ont des problèmes de concentration, ils ont des problèmes de mémoire, et de ce fait là ils ont une limitation des activités, pas forcément par manque d’intérêt, juste ils y arrivent plus, et c’est quelque chose qui, à partir du moment où il y a une plainte qui arrive de ce type-là il est absolument capital de pouvoir l’évaluer, l’accompagner et de permettre aux personnes de gagner en qualité de vie sur des éléments très très concrets de la vie quotidienne. Un des points capital sur la déclinaison de la réhabilitation psychosociale qui doit se développer et pouvoir se proposer de manière large, c’est capital qu’elle puisse se décliner et être proposée dans la mesure du possible dans l’environnement dans lequel évolue la personne. L’hôpital c’est pas un lieu de vie, c’est un lieu où on va quand il y a besoin de soins intensifs pour une durée déterminée, mais l’hôpital psychiatrique n’a plus vocation à être un asile dans le sens d’un lieu d’hébergement. Il est absolument capital de ce fait là qu’on puisse orienter les moyens de la psychiatrie vers l’environnement de la personne de façon à pouvoir accompagner sa qualité de vie dans son environnement et de la manière dont elle le souhaite. Ce qui fait que ça implique effectivement des renforcements, notamment des ressources humaines qui aient cette compétence-là, et c’est surtout ça qui est important c’est de pouvoir avoir à la fois une réactivité et de qualité de prestation envers les usagers.

Mickael : Tu parlais à l’instant de l’hôpital, est-ce qu’il y une différence de prise en charge entre l’hôpital, le CMP, le libéral ? Est-ce que la prise en charge qui est proposée dans ces différents modes d’exercice est la même ou est-ce qu’il y a des spécificités ?

David : Alors au-delà des spécificités la différence de proposition elle va être fortement dépendante des besoins de soin à un moment donné. On réfléchit beaucoup en termes de graduation des soins, c’est-à-dire qu’on va proposer toujours le niveau de soin qui est nécessaire à la personne sans qu’il soit trop important. Si on prend une graduation on a le premier niveau qui est la médecine générale par exemple pour des problématiques de troubles dépressifs ou de trouble anxieux simple, il est nécessaire au vu de la prévalence que la médecine générale ait des compétences pour pouvoir accompagner les personnes à mieux gérer ces situations-là sans forcément qu’il y ait besoin de rencontrer un spécialiste. Le niveau au-dessus c’est le niveau de la psychiatrie… Des psychiatres libéraux ou effectivement il peut y avoir une intensité de suivi important qui peut être intéressante sur l’association de suivi psychothérapeutique et médicamenteux, ou peut-être, là c’est plus compliqué, c’est pouvoir accéder aux compétences qu’il y a besoin lorsque la situation de la personne justifie d’autres compétences. Le CMP est souvent proposé pour les personnes justement qui ont besoin d’un suivi pluridisciplinaire, c’est à la fois un médecin, un psychologue, un ergothérapeute… Un ensemble de compétences gravitant autour de la personne à un moment donné, qui nécessite une intensité un peu plus importante. Et puis bah lorsqu’on est dans des situations plus compliquées en termes de gravité de symptômes ou des situations d’urgence comme les tentatives de suicide ou les situations de mise en danger de l’individu et bah on peut proposer dans ce cas-là la graduation dessus, soins intensifs de l’hôpital de jour voir de l’hospitalisation à temps complet, qui sont les moments où il est nécessaire peut être de faire du soin intensif à ce moment-là, qui dure un certain temps, d’ailleurs on compte de plus en plus de personnes qui n’ont jamais mis les pieds à l’hôpital, qui ne le mettront on l’espère jamais, malgré des pathologies qui peuvent être plus ou moins graves ou d’intensité variable.

Mickael : Tu as évoqué à plusieurs reprises la limitation dans le temps, de la prise en charge.

David : Oui !

Mickael : Comment en tant que professionnel tu arrives à estimer la durée nécessaire, ou quand une prise en charge est suffisamment aboutie pour qu’elle puisse soit être diminuée soit prendre fin ?

David : C’est quelque chose qui est précisé dès le départ comme je le disais tout à l’heure, de préciser dès la première consultation que le temps d’accompagnement sera autant que nécessaire, mais pas plus. Ce qui permet déjà… De déjà se projeter dans la suite, c’est-à-dire qu’à un moment donné, et on peut le souhaiter à la fois en tant que professionnel et pour la personne, qu’à un moment donné la situation s’améliore au plus où elle ait plus besoin de soins, et qu’il y ait déjà cette idée dès le départ. Beaucoup de personnes qui viennent nous voir disent bah je mets le doigt dans un engrenage et je ne pourrai jamais en sortir, ça fait partie des freins présentés. Après bah euh… On se base déjà sur les recommandations, si on prend l’état dépressif par exemple on sait qu’on est sur un minimum de six mois de traitement et à un an de proposition en termes de soutien, d’accompagnement, pour finalement évaluer l’évolution de la situation. Il est cela dit pas rare du tout qu’effectivement la situation s’améliore que bah il y ait plus besoin au bout de quelques mois de cet accompagnement-là, qu’on en parle très ouvertement avec l’usager, qui d’un commun accord on peut mettre soit en pause, soit espacer… je dirais que tout dépend de la situation de l’usager, de ses souhaits, de ses possibilités, et puis surtout je crois que ce qui est important c’est de laisser la porte ouverte, c’est-à-dire on n’est pas voyants au départ, on sait pas de quoi le lendemain est fait, on peut avoir re-besoin d’aide à un moment donné, il faut que la personne elle se sente toujours accueillie même un an, deux ans, trois ans plus tard peut être, et poser ce genre de choses dès le départ.

Mickael : On a parlé un peu du début de la prise en charge, on a parlé du suivi, on a parlé de la fin ou du début de la prise en charge. Mais il y a quelque chose qui empêche pas mal de gens aussi d’entrer dans la prise en charge qui est la stigmatisation, l’image très négative qu’il y a autour de la psychiatrie. Comment est-ce que toi tu arrives à dédramatiser l’action en santé mentale qui peut faire l’objet de clichés même assez sévères ?

David : Alors c’est quelque chose que j’ai appris au fur à mesure de mon exercice, c’est-à-dire que je suis médecin, mais je suis humain avant tout, et donc humain avec des qualités et plein de défauts. Et j’aime beaucoup utiliser ces défauts-là justement pour un peu dédramatiser ces aspects de la consultation psychiatrique. Par exemple des stratégiques que j’aime beaucoup utiliser au quotidien, c’est par exemple de partager la réflexion clinique avec la personne, d’en discuter ensemble, je trouve ça toujours passionnant, c’est aussi de normaliser les émotions négatives, parce que chez beaucoup de personnes être guéri c’est ne plus ressentir d’émotions négatives comme la peur et la tristesse. Je trouve toujours important de préciser qu’effectivement ce sont des émotions normales, que moi en tant que thérapeute je le ressens aussi, des fois je suis triste, des fois je suis en colère, je suis fatigué. Je le dis assez ouvertement, ça permet aussi de… ah tiens, il est comme moi ! Ce que j’aime aussi faire, j’avais du mal au départ, mais je trouve que c’est une force, c’est d’assumer l’ignorance. Je précise tout de suite que je ne peux pas tout savoir, qu’il n’y a aucune question idiote et à partir du moment où je ne sais pas répondre à la question, je m’engage à essayer de trouver la réponse soit maintenant soit plus tard. Ce que j’aime bien aussi utiliser c’est ce qu’on appelle le dévoilement de soi intentionnel, c’est-à-dire d’amener quelque chose de personnel, qui soit amené dans l’intérêt du patient. Alors ça je l’ai beaucoup utilisé ces derniers mois, par exemple quand on a abordé la vaccination anti-covid, où je n’ai aucune hésitation à la question est-ce que vous docteur vous êtes vacciné ? Oui ! Comment, etc., comment ça s’est passé, etc. C’est aussi quelque chose qui permet de dédramatiser ce point-là, et qui peut amener aussi derrière un échange autour de l’intérêt de la vaccination qui était un point important de ces dernières semaines et qui l’est toujours d’ailleurs. Ce que j’aime bien aussi c’est la vérification des ordonnances, parce que ça m’arrive, des fois je fais des erreurs, je fais ça systématiquement c’est prendre l’ordonnance et on vérifie ensemble si tout est OK et si on est d’accord sur l’ensemble des lignes du renouvellement, etc., c’est tout bénéfique, hein ! Pour moi, je me suis pas trompé, et pour la personne, en disant voilà, elle s’approprie aussi son ordonnance. Et puis c’est aussi pouvoir faire appel dès que possible à des ressources autres, si la famille est là, s’ils veulent venir bah ils viennent aussi en entretien, on en discute ensemble, il y a un ensemble de choses comme ça qui permettent justement de pouvoir, je trouve, faciliter l’exercice, ça le rend plus confortable et ça le rend plus passionnant.

Mickael : Alors la psychiatrie telle que tu l’exerces c’est avant tout une pratique orientée vers l’usager, vers le patient, vers la personne. Mais tu as aussi un autre exercice qui est plus orienté vers les professionnels et les professionnels en devenir. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton exercice au sein d’un service de psychiatrie universitaire ?

David : Oui ! Parce qu’effectivement j’ai, alors personnellement j’ai une activité de consultation effectivement en centre médicopsychologique, à Nancy, comme j’avais décrit, mais mon activité ne se limite pas à ça, j’ai d’autres activités à côté qui sont très stimulantes également et un des aspects c’est notamment le travail de formation, d’accompagnement des futurs professionnels. De ce fait là nous accueillions des étudiants en médecine, des étudiants infirmiers, justement pour pouvoir sensibiliser à cette approche centrée sur l’usager, on forme les professionnels de demain et c’est absolument nécessaire de pouvoir s’engager aussi dans cette voie-là. Alors personnellement ça implique de pouvoir accueillir aussi des étudiants, ça implique de pouvoir aussi s’engager dans l’enseignement, à la fois des externes en médecine par exemple sur la simulation d’entretien parce que c’est des techniques aussi, c’est une technicité qui s’apprend et qui s’exerce. J’anime aussi un séminaire pour les internes de psychiatrie de Nancy qui s’appelle Le rétablissement dans les psychoses qui reprend l’ensemble de ces éléments du rétablissement, de l’espoir, de l’optimisme et des outils qui peuvent être proposés, dont l’objectif derrière est de pouvoir sensibiliser à cette approche-là et puis surtout donner à d’autres l’envie de pouvoir eux même s’y consacrer, le proposer aux usagers qu’ils rencontrent. Je participe aussi à l’enseignement en école d’infirmier aussi, ça fait plus de dix ans que je le fais, avec beaucoup d’intérêt pour promouvoir tout ça, je suis convaincu que ces actions régulières vont permettre de aussi pouvoir augmenter les compétences et faire évoluer la discipline, j’espère la rendre plus attractive. Un autre point que j’aurais envie de rajouter par rapport à ça c’est tout l’aspect aussi de travail en milieu hospitalier parce que je suis chef de service et donc de ce fait là je suis impliqué également dans la question de la réflexion et de l’organisation des soins qui est absolument capitale en termes d’accessibilité des locaux, d’harmonisation des pratiques des accueils, de rendre l’offre la plus lisible et accessible possible, alors j’ai la chance de travailler avec des équipes de confiance, très engagées également, et qui réalisent au quotidien un travail de qualité sur cette évolution-là. Et puis ça implique derrière tout un aspect promotion de la santé mentale aussi extrêmement importante en termes de partenariat, parce qu’on parlait de l’usager dans son environnement, c’est le partenariat avec la famille, on en a parlé, des médecins généralistes, mais aussi des élus, des travailleurs sociaux, on a un service université sur Nancy et un des enjeux c’est de pouvoir aller vers des consultations avancées, d’aller au contact du public pour faciliter au maximum cet accès aux soins lorsqu’ils sont nécessaires. Et puis ça implique aussi de pouvoir communiquer sur la psychiatrie en montrant aussi les aspects positifs, alors avant le premier confinement on avait des conférences grand public, pour le moment c’est un petit peu en pause, mais on espère bien pouvoir les reprendre ! Et puis bah depuis aussi un an j’ai trouvé intéressant aussi de pouvoir mettre en valeur ce travail-là sur les réseaux sociaux, je trouve que ça aussi un aspect extrêmement intéressant de pouvoir valoriser la discipline et de donner envie, en tout cas je l’espère, de s’y intéresser.

Mickael : Et est-ce que tu aurais aussi des conseils à donner à des personnes qui redoutent de franchir le premier pas et d’aller consulter ?

David : Alors quelques conseils que je pourrais donner c’est déjà n’ayez pas honte de venir consulter, la prévalence des troubles psychiques c’est énorme, il y a douze millions de Français quand même concernés, c’est une problématique qui est loin d’être rare, et euh je dirais vous méritez aussi de prendre soin de vous et de pouvoir poser la question à un professionnel du besoin d’aide que vous pouvez avoir. Lorsque vous êtes face à un professionnel, n’hésitez pas à poser des questions, il n’y a pas de questions idiotes, c’est à nous d’être à la hauteur par rapport aux questions que vous vous posez et qu’il est légitime que vous vous posiez. Parlez aussi de vos attentes, parlez des effets indésirables de vos traitements, c’est très très important. N’hésitez pas aussi à proposer, à interpeller, à solliciter par rapport à vos projets, à vos souhaits, etc., qu’est-ce qui pourrait, le professionnel pourrait vous proposer ? Souvent ce qu’on a aussi en consultation c’est que les gens ont plein de questions et puis ils arrivent en consultation ah bah docteur je voulais vous poser une question, mais je ne sais plus. N’hésitez pas les temps entre les consultations de pouvoir noter les questions que vous pouvez avoir, peut être aussi faire un agenda de ce que vous ressentez, des symptômes, des difficultés que vous avez rencontrées, ça va vous permettre déjà d’avoir une vision plus intéressante sur les difficultés que vous rencontrez, et ça permet aussi au thérapeute de mieux prendre conscience aussi de vos difficultés au quotidien parce que le temps de la consultation c’est un tout petit moment dans vos vies, et dans les autres moments on n’est pas là, et pour mieux comprendre, on a justement besoin de vous pour pouvoir mieux comprendre. Et puis, je le disais aussi, la rencontre avec un professionnel c’est une rencontre entre deux personnes, et puis bah, ça peut ne pas coller, c’est humain, c’est normal, c’est pas un problème. N’hésitez pas aussi à demander à pouvoir changer de thérapeute, ça fait partie de vos droits, c’est quelque chose, y’a aucune honte à demander à trouver quelqu’un à qui bah peut-être on peut avoir plus confiance.

Mickael : est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose, un message d’espoir ou un message général ?

David : Je crois que tout le monde fait du mieux qu’il peut. Quelqu’un qui vient en CMP, qui ne va pas bien, un état dépressif par exemple eh bah… C’est compliqué à ce moment-là, il peut y avoir un sentiment de culpabilité, de laisser aller, et pourtant la personne avec l’état dépressif à ce moment-là bah il fait du mieux qu’il peut et c’est le mieux qu’il puisse faire à ce moment-là. Et euh, c’est quelque chose qu’il y a à toujours valoriser, il y a toujours quelque chose qui est bien, même le fait de venir en consultation est déjà une démarche à valoriser, c’est une démarche responsable, c’est une démarche aussi courageuse avec tout ce qu’on a pu voir auparavant, c’est quelque chose à souligner, on ne dit pas assez et j’en profite de là pour pouvoir le dire. En tout cas lorsque vous, les gens viennent nous voir, je pense qu’on est nombreux à penser ça, c’est que notre souhait finalement pour chaque personne, chaque usager qui vient, c’est que chacun puisse renforcer ses compétences de pouvoir réapprendre des fois à faire ses propres choix et de faire en sorte de pouvoir améliorer sa qualité de vie en fonction de ses souhaits. Et que finalement bah le meilleur souhait que je peux proposer ou que je peux souhaiter à chacun c’est que finalement à un moment donné la situation s’améliore finalement au point où finalement il n’y a plus besoin de nos services, et c’est quelque chose qui est l’objectif final, finalement, c’est que chacun puisse avoir la meilleure santé mentale possible et qu’il n’y ait peut être plus besoin de soutien psychiatrique ou psychologique à un moment donné.

Mickael : On arrive au terme de cet entretien, donc il me reste à te remercier David pour tous ces éléments dont tu nous as fait part, et pour ton travail au quotidien pour la promotion de l’amélioration de la psychiatrie et de la promotion de la santé mentale de la population. Merci beaucoup d’avoir participé à cette émission.

David : Merci beaucoup, Mickael de m’avoir permis d’en parler !

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