Les Funambules

Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Mini-série sur la crise suicidaire

Avant de vous présenter cette série, nous tenons à vous informer que celle-ci évoque le sujet du suicide. Nous vous conseillons de reporter votre écoute ou d’être accompagné par une personne de confiance si ce sujet provoque un important malaise en vous. Vous pouvez composer le 3114 si vous êtes en situation de souffrance psychique, ou le 15 en cas d’urgence. N’hésitez pas non plus à vous confier à une personne de confiance ainsi qu’à un professionnel de santé pour obtenir le soutien nécessaire et la prise en charge adéquate.

3114

Cette initiative née du programme Papageno et réalisée en collaboration avec Les Maux Bleus part d’un constat : la difficulté de prononcer le mot « suicide ». Le suicide, c’est le mot qu’il ne faut pas prononcer. Un mot qui dérange, qui met mal à l’aise, qui fait peur. Pourtant, le suicide… pour le prévenir, il faut commencer par en parler ! Car comment prévenir un geste dont l’énoncé n’est même pas prononcé ?

Cette mini-série de 3 épisodes donne à entendre les mots de celles et ceux qui ont vécu l’acmé de la souffrance psychique. Ces instants où tout aurait pu basculer et qui diffèrent selon Emmanuelle, Mickael ou Sacha.

Les épisodes

Sacha — un instant qui m’a semblé une éternité


Alors ce soir-là je m’en souviens avec précision, je me souviens de tous les détails, alors que les jours précédents c’était, c’était assez flou, comme une espèce de brouillard dans lequel je déambulais. Je ne me souviens pas bien… Mais ce soir-là c’est limpide. J’étais dans une chambre d’hôtel à Strasbourg dont je me rappelle encore les couleurs, l’agencement des meubles, le motif de la moquette. Quand je ferme les yeux d’ailleurs je revois encore précisément tous les détails. J’étais en déplacement pour le travail et j’étais épuisée, vidée totalement parce que les angoisses, elles avaient pris le dessus, elles m’avaient complètement envahie.

Alors j’ai commandé une pizza, une petite bouteille de vin, pour manger dans ma chambre, pour ne pas avoir à sortir, en fait, je ne pouvais pas voir des gens, je ne pouvais pas manger au resto là, j’étais pas capable de fournir un effort de plus, hormis celui de dire merci au livreur. Et j’ai mangé la pizza dans mon lit, j’ai bu un verre de vin, et très vite ça m’a tourné la tête, alors c’était… C’était pas agréable comme l’euphorie qu’on peut ressentir quand on boit un peu d’alcool, j’étais comme en apesanteur. Et toutes mes cellules étaient sur le point d’éclater dans l’air, un peu comme si j’allais me désagréger, me décomposer en milliards de morceaux. Comme si mes cellules en fait allaient exploser tellement elles contenaient un trop-plein de douleur.

Jusqu’au moment où je me suis fixée dans un instant qui m’a semblé être une éternité, en fait. Le miroir qui était face au lit s’est mis à briller, à scintiller plus précisément, et ça m’a attirée, apaisée, même recomposée j’allais dire, et j’ai ressenti comme une espèce de douce chaleur en moi, car ça m’a soulagée, en fait, parce que c’était beau, c’était beau déjà et ce miroir il me disait brise moi, brise-moi tu pourras te servir de moi pour en finir. Regarde-moi, je suis la magnifique solution à ta souffrance. Puis après, à travers le mur de la salle de bain, j’ai vu ma trousse de toilette scintiller également. Alors je sais, c’est complètement bizarre, comme truc…

En fait j’ai toujours un rasoir avec moi, pour m’épiler, et lui aussi il brillait, il m’appelait. Moi aussi tu peux m’utiliser, regarde, je suis juste à côté de toi, viens me chercher ! C’est un peu comme s’il me parlait et qu’il m’attirait, en fait, avec ses mots. Et franchement c’était beau, c’était vraiment beau, comme une attraction. Et j’avais juste à me lever, et je pense que mécaniquement j’aurais pu faire ce geste, parce que vraiment j’étais guidée, attirée par ces scintillements et par cette beauté, par ces petits soleils qui m’appelaient vers eux.

Mais je me suis servi un second verre de fin en fait, et mon regard s’est porté sur mon téléphone qui était juste à côté de la bouteille, et là j’ai flippé, car je savais pertinemment ce que je m’apprêtais à faire. Je me dirigeais vers la mort, vers la fin. Je ne peux pas dire que j’étais rationnelle à ce moment-là et que j’étais en mesure de peser le pour du contre, bien sûr, mais dans la balance entre mourir et souffrir encore, j’ai eu une dernière lueur d’espoir, car j’ai pensé à ma meilleure amie. Et j’ai ressenti le besoin de lui dire ce qui était en train de se passer.

Je lui ai envoyé un SMS, je ne sais plus du tout ce qu’il contenait, un truc du genre j’en peux plus, je veux en finir, je pense. Et il devait être 22 h 30, 23 h, et par chance elle a répondu. Ma meilleure amie, elle est psychologue, je sais que tout le monde n’a pas cette chance d’avoir un ami si proche qui soit psy ! Mais du coup elle a trouvé les mots, et on a su trouver les mots, on a échangé des messages pendant trente minutes je dirais, et je suis tombée d’épuisement, tombée de sommeil. Je n’ai pas de souvenir de ce qu’elle m’a dit, j’ai même aucun souvenir du lendemain non plus, je ne sais pas du tout ce qu’il s’est passé, c’est comme un blackout. Je sais juste que suite à cet événement, quand je suis rentrée, j’ai tout de suite pris rendez-vous avec une psy que mon amie m’avait conseillée, et j’ai entamé très rapidement un travail thérapeutique.

Alors ce travail, il a duré environ six mois, et c’est pas simple, c’était pas simple de remettre le passé comme ça sur la table pendant chaque séance, mais à chaque fois que je le faisais, je me sentais plus légère. C’est un peu comme si les boulets que je trainais en arrivant, que je trainais dans la vie en général, ils se transformaient en ballons gonflés à l’hélium qui s’élançaient dans le ciel quand je sortais de la séance, il y avait vraiment un avant et un après. Et un à un ces boulets se sont faits plus légers et… je vais pas dire qu’ils ont disparu parce que j’ai pas oublié les événements de vie qui m’ont menée à ce soir-là, mais aujourd’hui je suis en capacité de vivre avec, ils font partie de mon histoire de vie.

Mickael — un vertige, comme si je tombais dans le vide


En fait je traversais une période assez compliquée, depuis 2019 si je me trompe pas, avec beaucoup de souffrances, beaucoup d’événements négatifs qui s’accumulaient, des mauvaises nouvelles, des déceptions. En fait c’était aussi en pleine période du Covid donc il y avait le contrecoup du confinement, des couvre-feux, pas de vie culturelle, difficile de voir ses amis, beaucoup de choses qui s’empilaient. Ce qui fait qu’en fait j’ai fini par entrer dans une crise suicidaire qui a duré… Bah qui a duré assez longtemps, en fait, qui a duré plusieurs mois, pendant laquelle en fait ben y’a un peu mes vieux démons qui sont revenus, de me dire en fait la mort c’est une solution, la souffrance elle est là, mais il y a une porte de sortie, c’est la mort.

Ça me paraissait tout à fait banal en fait, pour moi ça a toujours été en fait une solution normale de me dire bah voilà si la vie est trop pesante, trop insupportable, bah il n’y a aucune raison de se l’imposer en fait, donc on va partir ! Et en fait pendant cette crise-là j’ai, voilà, j’ai eu cette idée-là qui était quand même assez obsédante, qui était là tout le temps en fait, de me dire aujourd’hui ça va pas, demain ça ira pire, et encore pire, et jusqu’où ça va aller, en fait, jusqu’où ça va descendre ? Parce que moi je veux bien creuser, mais au bout d’un moment on creuse juste sa tombe, et donc c’est pas quelque chose de très positif et de très enthousiasmant hein !

Et puis au fur à mesure de cette crise, quand les jours passaient, les semaines passaient… Là aussi il y a un de mes vieux démons qui est revenu, c’est que j’avais déjà eu des crises suicidaires avant, mais j’avais déjà élaboré des scénarios, en fait, des scénarios qui étaient assez précis, je les visualisais dans ma tête, je me voyais faire chaque mouvement. Et en fait, ce scénario, il est revenu. C’est vrai que pendant plusieurs semaines, plusieurs mois, il n’y avait pas forcément de scénario, c’était juste la mort de manière générale, et au bout d’un moment la mort s’est matérialisée par le projet, justement, le projet de bah je vais mourir comme ça, comme ça au moins j’aurai décidé de quelque chose, j’aurai fait comme je voulais. Et pour le coup bah j’avais tout ce qu’il fallait chez moi dans les placards, un peu comme s’ils attendaient juste que j’aille ouvrir la porte, en fait, c’était là, c’était caché, pas tellement… J’attendais juste le moment, en fait, c’est ça…

C’est là qu’en fait ça bascule, d’abord on a un peu des pensées suicidaires, on se dit bah la mort c’est une alternative qui est tout à fait acceptable, en l’état des choses je souffre tellement que la mort est peut être mieux que la vie, finalement. Après on commence à se dire si jamais ça devait arriver, je vais faire comme ça. Et finalement quand ça continue, s’il n’y a pas de désescalade de la souffrance, on se dit ça va se passer comme ça, et ça va se passer à tel moment. Ce moment là en fait il est arrivé quelques mois après le début de la crise, c’est arrivé en plein hiver 2020, je n’ai pas énormément de souvenirs de cette période-là, ni de ce jour précis, mais je me souviens du soir où ça m’est arrivé, ça je m’en souviens très précisément, j’ai fait une énorme crise de boulimie, donc c’est une des choses qui me faisaient souffrir aussi pendant les mois qui précédaient, c’était cette boulimie récurrente et assez intense. Et ce soir là j’en ai fait vraiment une des plus grosses que j’avais jamais faites, avec la douleur physique, le besoin de se remplir, cette sensation de vide à combler, d’avoir besoin de se ressentir, de sentir son corps… et puis final se dire bah en fait je vais le faire exploser, je vais le faire exploser… quand j’étais dans les phases d’anorexie c’était je vais le faire disparaître, et là c’était encore plus violent, le faire exploser que le faire disparaître, avec tout ce que j’avais mangé en fait…

D’habitude je compensais, j’allais marcher, je me faisais vomir ou autre, et là en fait bah je me dis bah c’est plus la peine, en fait, c’est plus la peine, je veux plus que ça m’arrive d’autres fois, il y a trop de souffrances là qui s’enchaînent, en fait j’avais mal partout, j’avais mal au ventre, j’étais gonflé, j’avais mal… mal au ventre en fait, c’était difficile de bouger, donc vraiment même le corps, il y avait la souffrance psychique et il y avait la souffrance physique qui s’ajoutait, donc ça faisait vraiment un paquet de choses qui étaient pas, qui étaient plus tolérables en fait. Et là en fait j’ai eu une sorte de vertige, comme si je tombais dans le vide, je me voyais, il y avait un précipice, j’étais en train de m’enfoncer dedans, le processus était enclenché, voilà, en fait, j’avais franchi le pas, en fait, c’était en train de se matérialiser, là, en fait, c’était le moment, là, maintenant, tout de suite. Et j’avais vraiment ce scénario qui me tournait en boucle dans la tête, et le moment c’était maintenant, en fait.

Et il y a un truc qui m’a retenu en fait, c’était… j’étais là, assis sur le lit, parce que j’arrivais pas à me lever parce que j’avais trop mal au ventre… Et pour le coup c’est un peu ça qui m’a retenu, c’est cette douleur physique qui m’empêchait de bouger, qui m’a presque sauvé, en fait, parce que bien sûr il y a eu autre chose après, parce que là cette douleur je voulais qu’elle s’arrête, mais c’était quand même assez compliqué. Donc j’ai écrit en fait à un ami à ce moment-là, parce que justement j’étais bloqué dans ma démarche de passer à l’acte, parce que j’avais mal, donc j’ai écrit à un ami dont j’étais très proche, on se disait tout, tous les détails du quotidien, même des choses sans importance, et aussi sur nos crises de boulimie parce que lui aussi avait ce type de problèmes et puis voilà, on parlait de nos obsessions sur le corps, sur le poids, tout sans tabou, quand on parlait de la mort on faisait beaucoup d’humour noir sur la mort, on en parlait de manière cynique, on ne s’était jamais dit c’est horrible, si tu devais mourir je serais trop triste, non, limite on était à se dire si tu meurs je serais content pour toi, tu seras soulagé, donc c’était vraiment… On en parlait positivement, en fait, pour tous les deux la mort c’était quelque chose d’acceptable, c’était presque quelque chose de désirable, tellement qu’on avait l’impression de pas être à notre place ici en fait. Donc en fait typiquement je pensais en lui écrivant qu’il allait me répondre quelque chose comme ça, de me dire bah vas-y, fais-le, et je le ferai peut être aussi après.

Et bah en fait non, là je pense qu’il a vraiment compris que cette fois c’était sérieux, c’était pas pour rire, c’était pas de l’humour noir en disant on va voir ce que ça fait, non, ça arrivait vraiment, quoi, c’était vraiment là. Et donc là en fait à mon étonnement il a pas rigolé, il a dit, il m’a dit d’aller aux urgences en fait. Et en fait quand j’ai vu cette réaction-là, de me dire il réagit pas comme d’habitude, donc en fait ouais, là je pense qu’il y a vraiment un truc qui est grave, en fait, pour qu’il réagisse comme ça, il s’est rendu compte qu’il y a un truc qui a changé par rapport à d’habitude. Donc en fait j’ai pas hésité une seconde, bon, c’était toujours difficile de bouger, parce que j’avais toujours mal au ventre, mais du coup en fait j’ai pas hésité, j’ai lutté contre la douleur pour mettre mes chaussures, pour sortir de chez moi, en plein hiver, il pleuvait, il faisait froid, il y avait le couvre-feu encore, donc aussi cette angoisse, si je me fais arrêter par la police je vais dire quoi ? Cette angoisse qu’on s’ajoute et qui fait que le contexte peut être difficile.

Mais pour le coup j’ai pas hésité et je suis allé aux urgences et à partir de ce jour-là en fait j’ai commencé à avoir… Bah à avoir une prise en charge, en fait, par des personnes qui étaient compétentes, qui m’ont aidé à retrouver le contact, en fait, avec des, bah avec des choses épanouissantes, avec le bonheur en fait de faire des choses que j’aime, de me dire il y a un sens à la vie, en fait, et ce sens-là on a tendance à l’oublier quand on est dans la souffrance parce que c’est quelque chose qui obnubile en fait la souffrance, qui est présent partout, tout le temps, donc on n’arrive plus à penser à autre chose.

Et là quand on se dit que bah en fait il y a des choses qui peuvent fonctionner, des personnes qui peuvent nous aider, on se dit bah en fait cette souffrance, elle est là, elle est là, mais elle peut partir aussi, elle peut s’atténuer, voire elle peut partir totalement, mais c’est sur qu’il faut s’entourer, qu’il faut être dans de bonnes circonstances. Donc en fait à partir de ce moment-là je suis allé de mieux en mieux, hein, aujourd’hui je peux dire, bah je peux dire que je vais bien, je vais pas simplement mieux, je vais bien, je le sens. Bien sûr il y a des périodes où, bah ça va pas, hein, c’est, ça arrive, c’est le quotidien, et bah maintenant je sais en fait à qui m’adresser, je sais qu’il y a des solutions, je sais que ma psychiatre est là, elle est vraiment très bien, j’ai des amis à qui je peux en parler, qui sont au courant, voilà, de mon passé avec ces sujets-là…

Voilà, c’est ça que je me dis maintenant, c’est que parfois je peux avoir des idées suicidaires, encore aujourd’hui, ça va pas forcément me quitter, mais elles sont… Elles restent légères, y’a pas de scénario, y’a pas d’attente d’une date, quand il y a une grosse contrariété je peux avoir une idée suicidaire, mais là je me dis en fait non, là je sais en fait que cette pensée là elle est venue spontanément parce que ça a été un réflexe pendant longtemps, mais aujourd’hui je sais que c’est pas la solution, en fait, c’est pas une solution, ça fait même pas partie de la liste !

Emmanuelle — ces nuages sombres entraient à l’intérieur de moi


J’ai eu des pensées suicidaires qui sont arrivées de façon pour moi assez brutale, je ne connaissais pas ! C’est arrivé dans un après coup d’un événement médical, on m’avait dit que j’aurais un contre coup, on ne m’avait pas précisé lequel et comme c’était un événement médical je ne me suis pas doutée que ça pouvait prendre cette forme là en fait. Et j’étais en train de travailler, donc à l’époque j’étais assistante-vétérinaire, et je m’en souviens très très bien, je me souviens de l’endroit où j’étais, de la pièce, de l’animal, du propriétaire de l’animal, de tout le monde en fait, sauf du bruit. Il y avait la réalité, c’est-à-dire il y avait l’animal, il y avait la vétérinaire, il y avait la propriétaire de l’animal, il faisait un temps relativement clair, tout se passait bien, et pourtant moi je voyais quelque chose de sombre.

J’avais en visuel du sombre, des nuages arrivaient, juste avant un orage en fait, quelque chose comme ça. Et je me suis bien demandé ce qu’il se passait, en même temps je voyais personne réagir, et c’était bizarre parce que c’était assez brutal, donc je me suis dit ça vient de moi, et puis ça va passer. C’est pas bien grave. Et puis c’est pas passé. Mais je restais concentrée sur ce que je faisais, et j’avais ces nuages qui arrivaient, et c’étaient, c’étaient des nuages particuliers, je les ai associés aux détraqueurs de Harry Potter. Et je voyais arriver des détraqueurs en fait, c’était très particulier. Je m’inquiétais pas !

Ça s’est passé de cette façon-là, et c’est revenu. C’est revenu, je me souviens aussi de ce moment là où c’est revenu, j’étais en train de me brosser les dents le matin. Et de bon matin j’étais envahie par… par les détraqueurs, je suis désolée, je vais dire ça, parce que c’est vraiment l’image que ça me fait. Alors je n’étais pas autant effrayée qu’ils le sont dans Harry Potter, mais je n’aimais pas ça du tout, et je me dis, mais qu’est-ce que c’est que ce truc en fait ? Et puis ils sont arrivés à un point où ils ne sont plus partis, et ensuite il ya eu comme une offensive, c’est-à-dire que ces nuages sombres entraient en moi en fait, à l’intérieur de moi, alors je ne sais pas par quel moyen, parce que je ne les voyais pas entrer dans ma bouche ou quelque part à travers ma peau, non, ça je ne peux pas dire, je ne sais pas, mais je sais qu’ils rentraient à l’intérieur de moi et qu’ils allaient aspirer tout un tas de trucs. Cette noirceur, ces détraqueurs étaient toujours, ils planaient au-dessus de ma tête, en fait je les avais en visuel, et c’était ça qui était perturbant, c’est-à-dire que je voyais bien qu’ils n’étaient pas là, je voyais bien mes murs, tout ça, je regardais en hauteur, je voyais bien qu’il n’y avait rien ! Et pourtant, comme à l’intérieur de moi, c’était là, c’était un peu comme si la mort était là tout le temps, tout le temps; tout le temps.

Et en fait je n’aimais pas le moment où les détraqueurs venaient à l’intérieur de moi, c’était très douloureux, extrêmement douloureux, c’était un moment vraiment difficile, ça puisait à l’intérieur de moi, ça ressortait avec une partie de moi, en fait. D’autres pensées sont arrivées, par exemple je me souviens avoir pris ma voiture, j’habitais dans une forêt, enfin pas très loin d’une forêt, des arbres partout, je me demandais s’il ne fallait pas que je mette la voiture contre un arbre, en fait. Et je me posais la question. Quelqu’un qui m’est, qui m’était très très cher a mis fin à ses jours de nombreuses années avant qu’il ne m’arrive tout ça. Quand je prenais ma voiture, c’est maintenant que je fais le lien, quand je prenais ma voiture et que je me demandais si j’allais mettre ma voiture contre un arbre ou contre un rocher, et bien c’était pour équilibrer le jeu ! C’est pas un jeu, hein… Mais c’était… Pas pour le rejoindre. Mais c’était parce que je n’avais pas été présente dans son passage à l’acte, que j’aurais bien aimé, voulu éviter, bien entendu. Mais en fait quand je prenais ma voiture je pensais à ça, je pensais à lui en fait.

Je me suis reprise en fait, tout de suite je me suis reprise avec cette énorme douleur et je me suis dit je ne vais pas remplacer une souffrance par une autre souffrance, c’était pas, c’était pas envisageable en fait. Ensuite clairement j’y connaissais rien, enfin je connaissais pas ce qu’étaient les tentatives de suicide, les suicides, etc., je les connaissais du point de vue sociétal, du point de vue de l’information, et j’en avais des représentations. Et pour moi il fallait être au fond du trou, il fallait être vraiment pas bien, et moi j’allais mieux. Et je me disais pourquoi en allant mieux est-ce qu’il se passe ça ? C’était pas normal. Et donc ça, ça a été un moment qui m’a permis d’aller vers le soin. À ce moment-là j’ai repris contact avec ma psy, j’ai choisi de la contacter et de lui faire part de ce qu’il se passait. Ce que j’ai adoré vraiment, mais vraiment ça a été un grand moment, c’est que contrairement à ce que j’avais imaginé avant, j’avais un peu peur de dire ça, j’avais peur d’être sermonnée, j’avais peur qu’on me dise c’est pas bien, faut pas penser à ça, mais t’as tout pour être heureuse, etc., etc. Et elle l’a très bien accueilli.

C’était vraiment très agréable la manière dont on a pu en parler, en fait on en a parlé comme d’un autre sujet, et loin de banaliser les choses elle l’a vraiment pris d’une manière où je me suis pas sentie mal de parler de tout ça, ce qui m’a vraiment permis de pouvoir parler davantage et d’accéder à un soin qui m’a vraiment aidée. Malgré tout je dois dire qu’il m’a fallu un certain temps avant que tout disparaisse complètement, ça a mis du temps, mais je me sentais en sécurité. C’est-à-dire que je savais que j’avais ce rendez-vous psy une fois par semaine, que je pouvais en avoir deux, que je pouvais en avoir trois, elle m’avait mise à l’aise avec ça, et que je pouvais, voilà, avoir accès à ce soin et ça me faisait du bien le fait d’évoquer tout ce dont on évoquait, ça me faisait du bien. C’était rassurant, j’aimais bien l’idée d’être traitée comme une personne comme une autre, en fait. J’avais pas envie d’être traitée comme, comme une malade mentale comme on dit ! J’étais vraiment bien traitée, comme une personne classique, comme la personne que je suis, en fait, parce que je suis une personne classique qui a vécu avec des pensées suicidaires.

À présent tout ça c’est terminé, ça s’est terminé, et d’ailleurs c’est important peut-être de revenir sur la manière avec laquelle ça s’est terminé parce que je n’ai pas vu que ça se terminait, je me suis pas rendu compte que ça se terminait, ça s’est juste terminé. Et ça a mis à peu près deux ans, mais y’a quand même un préalable. Je pense que ça s’est terminé peu de temps après que j’ai réussi à en parler à ma meilleure amie et à ma fille. Et je me souviens aussi de ce moment là, et en fait j’essaie de me référer à ces moments que j’ai en mémoire, qui sont marquants, je me souviens d’un été où on était, on était sur la terrasse chez moi et ma fille évoquait des choses difficiles la concernant, et j’ai vomi, j’ai vomi mes pensées suicidaires, je leur ai avoué, en fait, avoué comme si j’étais coupable de quelque chose, et bah elles l’ont elles aussi très bien accueilli, et elles étaient un peu subjuguées parce que ça fait deux ans que tu vis ça, tu nous en as pas parlé, mais elles ne m’ont pas culpabilisée avec ça, elles étaient juste surprises. Et là encore j’ai été traitée bah comme une maman, comme une meilleure amie, et ça n’a pas, ça n’a pas posé de problème en fait, elles avaient, elles ont entendu, et ensuite nos relations sont restées identiques, elles n’ont pas été modifiées, et ça, je pense que ça fait partie des choses qui sont très importantes. Pour moi en tout cas, ça a été très important. Et ensuite c’est parti, mais parti complètement.