Mickael : Bonjour Paula.
Paula : Bonjour Mickael.
Mickael : Merci de t’être proposée pour participer à cette émission ! Alors toi tu viens témoigner aujourd’hui d’une situation qu’on n’a pas encore traitée, finalement, dans le podcast, qui est celle de la personne proche d’une personne avec un trouble psychique. Est-ce que tu peux nous dire un peu plus de détails à ce sujet ?
Paula : Oui. Effectivement quand j’ai découvert l’existence de ton podcast, j’étais vraiment ravie de savoir que… il y avait un outil qui existait à destination du grand public qui donnait la parole à des personnes concernées et qui cherchait à faire entre guillemets de la vulgarisation en santé mentale. Ça me parait essentiel. Et moi donc en tant que fille de personne ayant un trouble psychique, ma mère plus précisément, et donc en tant qu’aidante aussi à ce titre là je me suis dit que c’était vraiment très important que je puisse participer à cette dynamique parce que… Bah aujourd’hui c’est via un podcast, mais moi ça m’a beaucoup aidée au cours de ce parcours de pouvoir rencontrer des témoignages, notamment dans la littérature, ça m’a permis de me sentir moins seule, de voir que des choses que je considérais comme spécifiques à ma famille ou que je pouvais attribuer à la personnalité de ma mère en fait ne l’étaient pas du tout, et que les souffrances que j’avais pu avoir par rapport à la situation, certains comportements, que je n’étais pas seule à les vivre. Et puis ben voilà, traditionnellement quand on se sent moins seul la souffrance est moins grande ! Donc voilà pourquoi je me suis dit allez, je vais me lancer ! Voyant que tu n’avais pas encore d’épisode de témoignage de ce type, je me suis dit, apporter ma pierre à l’édifice.
Mickael : Alors tu as dit le mot d’aidante, il y a une autrice que j’aime beaucoup qui s’appelle Hélène Rossinot, qui est médecin de santé publique et qui a écrit justement un ouvrage sur les aidants. Est-ce que tu peux nous dire aussi, c’est un mot qu’on entend assez fréquemment, ce que tu entends derrière le mot d’aidant ?
Paula : Ce que j’entends derrière le mot de « aidant », ça va être d’être présent, déjà, auprès de la personne dans la longueur. Assurer une continuité, c’est-à-dire que ces personnes sachent que voilà, malgré la maladie et les épisodes difficiles qu’on peut collectivement traverser en raison de celle-ci que la présence sera constante, en tout cas le plus possible. Et puis ce que j’entends aussi par là c’est le fait d’essayer d’accompagner la personne à trouver des ressources pour qu’elle aille mieux, parce qu’en tant qu’aidant on n’est pas professionnel de santé, chercheur en santé mentale ou autre, ou encore moins infirmier même si en fait, de fait on est amenés à le faire aussi, et ça fait partie aussi du rôle d’aidant, mais ça devrait pas l’être en fait je pense, en tout cas pas autant que c’est le cas la plupart du temps malheureusement, pour moi aidant ça devrait surtout être une présence et un accompagnement pour chercher des ressources extérieures au cercle familial. Moi je pense que c’est ça, principalement.
Mickael : À quel âge est-ce que tu t’es rendu compte que ta mère avait des troubles psy ?
Paula : Je pense très jeune. Dans la cellule intrafamiliale, c’était pas un tabou, en tout cas la maladie mentale était pas un tabou puisque… Enfin je ne saurais même pas dire exactement quand est-ce qu’on m’a dit cette phrase, on me l’a dit suffisamment jeune pour que je n’en aie même pas le souvenir, j’ai toujours eu conscience que ma mère était malade. Voilà, on me disait ta maman est malade, et du coup si elle a des comportements qui parfois peuvent être insécurisant, déstabilisants, voire violents, pas envers moi bien sûr, mais envers elle-même ou autre, il faut pas lui en vouloir, c’est pas sa faute, c’est la maladie qui veut ça, et s’il faut en vouloir à quelqu’un ou quelque chose, c’est à la maladie. Voilà, j’ai eu conscience très tôt de ça, en revanche je dirais qu’il y a une deuxième étape qui a été quand j’ai connu plus précisément ce qu’elle avait exactement comme maladie et donc comme trouble psychique, et ça c’est arrivé beaucoup beaucoup plus tard, ce qui en fait était assez problématique, je pense, et a pu aussi être la cause de pas mal de souffrance chez moi ou des membres de ma famille parce que le mot de bipolaire, bipolarité, qui a été dans un premier temps le diagnostic posé sur la maladie de ma mère, je l’ai connu et j’ai pris conscience que ça s’appliquait à notre situation quand j’avais pfff, plus de vingt ans ! Et à l’occasion d’une thérapie que je menais moi-même. Donc voilà, très tardivement.
Mickael : Et quand tu étais petite, les troubles de ta mère se manifestaient de quelle manière ?
Paula : Oh lala ! Ça, c’est un gros chapitre ! Alors, quand j’étais petite, je pense la chose, une des choses qui m’a le plus marquée c’étaient les épisodes dépressifs qu’elle pouvait traverser, parce que le souvenir que j’en garde c’est que pendant plusieurs jours d’affilée elle pouvait pleurer, pleurer beaucoup beaucoup. Et bah qu’elle était entre guillemets inconsolables, que moi en tant qu’enfant et sa fille, malgré l’amour qu’elle me portait et que je pouvais lui porter aussi et essayer de lui apporter, ça suffisait pas à la consoler entre guillemets ! Et puis malheureusement il y a aussi eu pas mal d’épisodes de tentatives de suicide qui se manifestaient par la prise de médicaments à outrance, et qui ont pu voilà du coup faire qu’elle a été hospitalisée de nombreuses fois en urgence, voilà pour la sortir de cet épisode. Et puis la troisième manifestation c’était ce que maintenant a posteriori je sais reconnaitre comme des épisodes entre guillemets maniaques, je ne sais pas si on parle toujours comme ça de ces épisodes-là, mais des épisodes où elle était très agitée, très énervée, habitée par des idées lancinantes, un peu paranoïaques… Et puis des comportements on va dire pas toujours appropriés ou en tout cas pas forcément communs par rapport à des comportements que je pouvais constater chez d’autres personnes du même âge. Voilà.
Mickael : Tu as parlé aussi des souffrances que toi tu as pu vivre pendant ces périodes-là, justement ça a été quoi les répercussions sur toi, sur ton développement, sur ton enfance, sur tes relations avec les autres, avec ta famille, ça a eu quoi comme conséquences ?
Paula : Bizarrement, c’est pas une question facile ! Alors que ça me concerne, donc je devrais être capable de répondre facilement. Bon, une conséquence que j’ai quand même identifiée a priori… En fait c’est toujours difficile de savoir ce qui est relié potentiellement à la maladie de ma mère, parce que… voilà, on a tous des fragilités, qu’on ait des parents avec des troubles psychiques ou non, et c’est difficile de vraiment établir une relation de cause à effet. Mais ce que je pense avoir identifié par exemple c’est, moi j’ai toujours eu des troubles du sommeil, des difficultés à trouver le sommeil et à m’endormir, et a posteriori je me dis que j’avais une forme d’insécurité, je pense, due au fait que voilà, par exemple les épisodes de tentatives de suicide arrivaient souvent le soir, la nuit, et que quelque part je restais beaucoup en hypervigilance parce que j’avais peur qu’il lui arrive quelque chose, ou de pas savoir si elle allait bien… Donc voilà a posteriori je pense qu’il y a eu ça comme conséquences, et j’ai pas mal travaillé dessus, notamment grâce à une psychothérapie qui m’a énormément aidée sur ce sujet-là même si c’est jamais totalement résolu. Donc ouais ça je pense que c’est une des causes, une des causes principales. Après a contrario moi j’ai eu la chance d’être dans une cellule familiale où… je sais pas si c’est du fait de la maladie de ma mère, ou une conséquence, ou un peu des deux, mais au sein de ma famille, dans ce huis clos entre guillemets, on a quand même toujours beaucoup exprimé nos émotions. C’était un moyen de survie, enfin, c’était impossible de faire autrement, si… Enfin c’était vraiment nécessaire, je pense, mais c’est une chance qu’on ne retrouve pas dans toutes les familles, c’était qu’il y avait peut-être une forme d’impudeur, on avait le droit de dire quand même ce qu’on ressentait, ce qui se passait… Ça, c’est pour dire qu’il y avait des aspects aussi positifs ! Oui ça je pense que ça découle de la maladie, mais que finalement c’est une chance et que malgré les situations très difficiles qu’on a traversées tous les trois, ma mère, mon père et moi, notre immense force c’est ça, c’est le fait de pouvoir parler à cœur ouvert, et entre nous de pouvoir être assez honnêtes sur ce qu’il se passait.
Mickael : Tu parles de cette transparence quand il s’agissait de parler des émotions, du vécu, qui s’oppose pas mal aussi au tabou qu’il y avait autour de la maladie de ta mère. Comment est-ce que tu vivais justement ce flou, est-ce que tu te posais des questions, ou est-ce que tu faisais un peu avec ? Tu le ressentais comment ce flou autour de la maladie ?
Paula : Effectivement déjà avant de te répondre vraiment sur ce sujet là, je trouve ça intéressant de souligner effectivement le paradoxe ou la contradiction qu’il pouvait y avoir entre le fait qu’au sein de la cellule familiale les choses étaient dites, bon après peut être parfois trop dans les grandes lignes, mais en tout cas étaient quand même dites, alors qu’il était pas question ou quasiment pas question d’en parler en revanche à l’extérieur de cette cellule familiale, là pour le coup malheureusement c’était un sujet très tabou qui pouvait être voilà, l’objet de honte de la part de ma mère ou de mon père… En tout cas le mot flou ce que ça m’évoque c’est qu’effectivement j’ai toujours vécu dans une approximation sur la maladie de ma mère, qui je pense a eu pas mal de répercussions négatives, à savoir que par manque de connaissances sur la maladie qui était la sienne et ce par quoi ça se traduisait et encore moins la manière dont ça pouvait se traiter ou s’accompagner, ben j’ai toujours eu le sentiment d’être vraiment engluée dans cette dynamique qui était donnée par sa maladie et d’être entre guillemets, le mot est un peu fort, mais aliénée par cette maladie qui n’était pas la mienne, qui ne m’appartenait pas, mais que j’avais tellement de difficultés à décrypter, comprendre, anticiper, que ouais, ce flou a je pense eu pas mal d’aspects délétères. Et en plus je pense que ça a fortement participé aussi du tabou qu’on évoquait, c’est que comme je n’avais pas d’idée précise de la maladie qui était la sienne et qu’en fait c’était très documenté scientifiquement, connu en tout cas dans un cercle médical et scientifique, très largement, et ben comme j’avais pas connaissance de tout ça je n’avais pas du tout en tête le fait que je pouvais m’exprimer sur le sujet et où trouver des ressources pour mieux comprendre et du coup mieux vivre cette situation-là.
Mickael : Tu parlais de ressources à l’instant, il y a une ressource qui souvent est importante c’est de pouvoir parler à quelqu’un. Tu es fille unique. Est-ce que ce sont des choses dont tu pouvais parler en dehors du cercle familial, finalement, pas forcément de choses très précises sur la maladie, mais rien que la situation de manière globale pour se décharger peut être de la souffrance que tu pouvais ressentir ?
Paula : Ben… Pas jusqu’à très tard malheureusement puisque non, étant enfant ou même adolescente, j’avais intégré le fait qu’il ne fallait pas en parler en dehors du cercle familial pour ne pas stigmatiser ma mère qui souffrait déjà beaucoup de sa maladie, de la situation et qui comme je le disais pouvait malheureusement en avoir honte, et mon père aussi quelque part. Et puis par ailleurs moi-même je pense que j’ai entretenu l’idée que j’avais pas envie de susciter des sentiments de pitié, ou même d’étrangeté, jusqu’à très tard j’avais vraiment très peur de ça, et donc ce que je voulais à tout prix c’était… bah justement en parler vraiment le moins possible, jusqu’à assez tard, ça prenait déjà tellement de place dans ma vie familiale, ce qui, voilà, plus on est jeune plus ça constitue une part importante de notre vie, donc en dehors de la maison, à l’école, ou au collège, ou dans mes activités extrascolaires avec mes amis, c’était vraiment pendant longtemps la dernière chose dont je voulais parler ! Donc je pense que ça a été à double tranchant. Ça aurait été bien effectivement que je puisse avoir des personnes avec qui en parler étant plus jeune, et d’un autre côté ça m’a permis aussi de me construire une identité autre et ça je pense que c’est aussi hyper important. Et après par contre à la fin de l’adolescence j’ai commencé entre guillemets un peu, je pense, à me rebeller contre cette idée qui m’avait été un peu inculquée chez moi, consistant à penser qu’il fallait ne surtout pas en parler, avoir honte, etc. Et puis aussi à la fin de l’adolescence j’ai eu la chance de rencontrer des amis pour qui la santé mentale n’était pas du tout tabou, une amie en particulier très proche qui avait la chance dans sa famille d’avoir, voilà, accès plus facilement à des professionnels de santé et qui voilà, n’avait pas de difficultés à en parler, a vécu elle-même, a pu être amenée à consulter à certains moments de sa vie ou en tout cas avait des proches qui l’avaient fait, et en fait voyant que chez elle c’était quelque chose de tout à fait communément admis, ça m’a invitée à tout doucement baisser ma garde et puis à pouvoir en discuter avec elle, et en plus c’est avec elle et chez elle que j’ai entendu pour la première fois les mots de bipolaire, bipolarité, sans forcément comprendre tout de suite que ça me concernait vraiment de très près ! Donc voilà, c’est à ce moment-là que la parole a pu commencer un peu à se libérer. Et puis la troisième étape vraiment très importante c’est quand avec mon propre psychothérapeute on a pu poser assez rapidement ce mot de bipolaire, bipolarité sur la maladie de ma mère, et qu’après ben tout simplement en allant sur internet et en lisant des choses que je lisais sur le sujet, j’ai eu l’impression d’avoir une révélation ! Et à partir de là vraiment je dirais que j’ai eu un déclic où je me suis dit, mais là je n’ai plus honte d’en parler, enfin voilà, après je vais pas le dire aux passants dans la rue ! Mais en tout cas voilà, avoir vraiment des émotions beaucoup plus neutres par rapport à cette maladie et là démultiplier les personnes avec qui je pouvais en parler.
Mickael : Et quand tu as eu cette prise de conscience, déclic, ça a provoqué quoi en toi ? Tu t’es dit quoi ?
Paula : Je pense que sur le coup, dans un premier temps j’étais assez… Assez triste de me dire que j’avais ce… Ce diagnostic et les ressources pour comprendre ce qu’il se passait à portée de main dans le monde extérieur et que j’ai pas pu y avoir accès avant. Et puis après, après cette première étape, je pense que je me sentais puissante, plus en paix aussi avec ce qu’il se passait du fait de pouvoir mieux comprendre et à partir de là être davantage actrice dans l’accompagnement que je pouvais avoir auprès de ma mère et de mes parents, au service de ma famille… Ouais, je pense que c’est ça principalement.
Mickael : Et quand tu en as parlé avec tes parents ensuite, ça a été quoi leur réaction à eux par rapport à ce déclic ?
Paula : Euh… Je me souviens que ce qui m’avait frappée c’est qu’en fait eux avaient quand même bien sûr, j’ai envie de dire évidemment, alors c’est pas forcément le cas, mais ma mère étant suivie depuis extrêmement longtemps par des psychiatres, ils avaient déjà rencontré ce terme et ce diagnostic sur leur parcours, c’est juste qu’ils n’avaient jamais communiqué, en plus de vingt ans d’existence ils avaient réussi à cacher la chose ou en tout cas ne pas la dire devant moi à aucun moment, ou en tout cas je ne m’en souviens pas. Parce que je pense qu’il y avait une volonté d’atténuer la caractéristique, oui, le côté vraiment diagnostic de la chose. Alors qu’au contraire je pense que ça aide de savoir que ça porte vraiment un nom, que c’est une maladie reconnue qui s’exprime par des symptômes eux-mêmes bien connus, par des traitements plus ou moins efficaces, mais existants. Et du coup la réaction quand je leur en ai parlé, je me souviens notamment de mon père à qui j’expliquais que dans la bipolarité il y avait des phases, maniaque, dépressive, etc., il me disait oui oui, tout ça je le sais, je le connais par cœur, etc., je vois très bien ce que tu veux dire, etc. Et je me disais, mais mince, comment j’ai pu vivre dans ce flou artistique, ce brouillard pendant aussi longtemps à titre personnel, alors qu’encore une fois le mot, le diagnostic étaient à portée de main ! Et ma mère je ne me souviens pas très bien, quand je lui en ai parlé, mais je pense qu’elle était, voilà, pas opposée en tout cas à l’idée qu’on qualifie sa maladie de la sorte, mais voilà, en tout cas ce que ça exprime le fait que tous les deux avaient conscience de ce diagnostic-là et qu’ils m’en ont pas fait part, c’est que même vis-à-vis de moi il y avait… Ouais, une forme de honte internalisée, je sais pas comment dire, intériorisée de leur part qui fait que même avec leur propre fille ils avaient pas voulu dire le mot. Et puis je pense que même entre eux, pour ma mère, pour mon père et puis pour notre famille ils pensaient que c’était bon de pour atténuer la chose employer des mots un peu plus vagues comme ta maman est malade, elle a pris des médicaments, tout un champ lexical qu’on avait développé entre nous qui, on le savait, désignaient des choses voilà… Plus graves ou plus précises, mais voilà, qui étaient des euphémismes, et je pense que c’était aussi une volonté d’atténuer la brutalité de certaines situations. Mais du coup voilà, l’aspect négatif c’est que ça pouvait trop les dissimuler ou empêcher de les appréhender. Ce qui s’est passé c’est que ça a vraiment ouvert le dialogue entre nous ! Pour le coup de manière très franche et adulte, parce que j’étais moi-même du coup une jeune adulte, donc il était plus question de parler par euphémisme, d’autant que j’avais vraiment conscience de ce qui se jouait. Et à partir de là, ben on a pu en parler de manière beaucoup plus transparente tous les trois et commencer en fait je trouve à trouver davantage de ressources dans le corps médical ou même à l’extérieur. Et moi j’ai l’impression qu’on a passé vraiment une étape dans l’accompagnement et la prise en charge de la maladie de ma mère, qui a abouti relativement peu de temps après sur une forme de stabilisation, donc voilà extrêmement positif.
Mickael : C’était il y a combien de temps ça ? C’était il y a six ans, cinq ans ?
Paula : Ça fait sept huit que j’ai pris conscience de ça. C’est fou parce que j’ai l’impression que ça me… Ça me parait beaucoup plus loin que ça parce que depuis on a parcouru tellement plus de chemin en sept huit ans qu’on en avait parcouru en vingt ans, enfin en tout cas c’est l’impression que j’ai, et puis moi bien sûr… Sur la connaissance de la santé mentale… Ouais.
Mickael : Depuis ce déclic et depuis que le dialogue s’est un peu rétabli entre tes parents et toi notamment sur ces sujets-là, qu’est-ce qu’il se passe sur le plan de la santé mentale, notamment ta mère tu as dit qu’elle s’était stabilisée au bout d’un moment. Et depuis ça se passe comment ?
Paula : j’ai le souvenir, même si j’ai plus la chronologie exacte en tête, mais que ce moment où j’ai pris conscience de ce qu’était la bipolarité et du fait que ça pouvait s’appliquer en tout ou partie au cas de ma mère et que je pouvais en discuter à cœur ouvert avec mes parents, ça a coïncidé à peu près avec le moment où elle a rencontré un nouveau médecin… Ah oui ça y’est je me souviens ! Je me souviens pourquoi en fait c’est parce que bah elle avait fait une crise qui s’était finie entre guillemets à l’hôpital public et je me souviens que c’était une des premières fois où je vivais avec moins de souffrances un épisode de cet acabit parce que je me disais c’est normal, elle est dans une phase maniaque, elle peut avoir tel et tel comportement… Donc j’avais la tête un peu plus froide on va dire et les idées un peu plus claires. Et à l’occasion de cette crise-là elle a rencontré un nouveau médecin qui est devenu son médecin de référence puisque d’ailleurs cette crise faisait suite à plusieurs années d’errance médicale ou en fait elle avait rompu avec son psychiatre précédent qui la suivait depuis des dizaines d’années, mais à la fin c’était devenu un suivi vraiment routinier et pas très porteur de sens, et donc voilà là elle rencontre ce nouveau médecin et avec mon père… Voilà, on rigolait souvent en se disant que ce nouveau médecin c’était Jésus pour nous, parce qu’on le considère un peu comme notre sauveur, parce qu’à partir de là, de la rencontre avec lui, de la prise en charge qu’il a proposée à ma mère, elle s’est stabilisée entre guillemets. Et en fait moi réellement je ne savais pas que c’était possible, jamais jamais jamais je n’aurais cru que je pourrais connaitre ma mère autrement qu’en prise avec des épisodes soit dépressifs soit avec des phases maniaques… Donc oui, oui, ça a vraiment débloqué je trouve des choses, et depuis elle s’est stabilisée et bien sûr les choses sont loin d’être parfaites et bien sur qu’il y a eu plusieurs autres épisodes de crise depuis cette prise en charge là et depuis cette relative stabilisation, mais encore une fois, personnellement et je pense que ça s’est traduit aussi pour mes parents, j’ai su et on a su affronter ces crises je trouve avec… Encore une fois les idées plus claires, la tête plus froide et une appréciation beaucoup plus objective de ce qui se passait au moment de ces crises. Et donc évidemment ça aide à mieux identifier, mieux anticiper ces crises, et donc bah mieux les prendre en charge, et en réduire l’intensité, la durée… C’est évidemment des impacts énormes pour elle et pour nous et pour l’évolution de la maladie. Et puis ça continue encore aujourd’hui parce que voilà, c’est une maladie chronique, qui perdure dans le temps malheureusement, qui évolue, qui peut se dégrader avec l’âge, mais forts de la conscience du fait qu’il y a une communauté scientifique qui réfléchit à ces sujets-là, des ressources médicales qui existent, surtout quand on a la chance de vivre en raison parisienne, et bien on continue voilà à essayer de chercher de nouvelles solutions pour l’accompagner, aller rencontrer peut être des gens de plus en plus experts. Et donc je pense que ça aide à pas se décourager, même si bien sûr il y a toujours des moments où on est découragés, et aussi on se dit qu’il faut pas entretenir trop d’espoirs sur une amélioration ! Je sais que souvent les amis et aussi les professionnels de santé avec qui je peux en parler parfois essaient de tempérer un peu mes espoirs là-dessus et d’instiller l’idée dans mon esprit que tu sais, voilà, la maladie de ta maman a priori ça va plutôt s’aggraver ou se dégrader encore avec le temps, avec l’âge, donc attention à quand même t’y préparer, ménager tes émotions, etc., et je pense qu’ils ont raison ! Et d’un autre côté je constate que ben de pas baisser les bras et de continuer à essayer de creuser différentes pistes, de rencontrer différents professionnels, etc., ça porte toujours ses fruits ! et si à un moment elle a pu rencontrer un médecin avec un bout de chemin, peut-être qu’au bout de dix ans la relation thérapeutique, ou je ne sais pas comment la qualifier, s’essouffle, et peut être que d’autres professionnels qui auraient un regard neuf sur la situation pourraient l’aider.
Mickael : Sur ce regard neuf, tu nous avais parlé aussi avant l’entretien d’une requalification du diagnostic, toi tu as découvert il y a quelques années justement le mot qu’il fallait employer pour parler de la santé de ta mère qui était donc le mot de trouble bipolaire, et il se trouve que ce mot finalement n’était pas forcément adapté à sa situation. Est-ce que tu peux nous dire un peu… Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Paula : Donc effectivement le mot bipolaire, bipolarité a été une révélation parce qu’il a en partie servi à définir certains comportements qu’elle pouvait avoir. Elle est amenée à rencontrer différents professionnels du fait qu’on souhaite continuer à approfondir et à améliorer la prise en charge de sa maladie. Effectivement elle a rencontré récemment une équipe pluridisciplinaire qui a fait une évaluation un peu globale de sa maladie et de son historique. Et donc récemment ils ont entre guillemets remplacé le diagnostic de bipolarité par celui de trouble schizoaffectif, que personnellement je n’avais jamais entendu. Je pense que dans le spectre des maladies mentales, des troubles psychiques, il y a beaucoup de choses qui font peur aux… À tout le monde ! Et la schizophrénie je pense que c’est peut être voilà une maladie malheureusement la plus stigmatisée, qui fait l’objet du plus d’idées reçues… Et donc le fait que dans ce diagnostic-là il y ait le mot schizo, trouble schizoaffectif, je pense que ça aurait pu me faire peur, mais en fait pas du tout ! Du fait que ces dernières années j’ai justement un peu appris et lu des choses sur la santé mentale, j’avais de toute façon conscience qu’il y avait une forte porosité entre les troubles psychiques, en allant à des groupes de parole où il y avait des aidants de personnes atteintes de schizophrénie, en les écoutant raconter des épisodes, etc., je me suis dit ah bah ça ma mère aussi ça lui est arrivé, ah bah oui ça, ah ! Ça me parle totalement pour décrypter tel comportement qu’elle a pu avoir lors de telle crise, etc., donc je m’étais dit bipolaire, schizophrène, ça peut se rejoindre. Maintenant je comprends mieux pourquoi j’avais eu cette impression-là ! C’est parce que finalement la bipolarité était peut-être pas le bon qualificatif pour ce qui lui arrivait. Les troubles schizoaffectifs c’est avoir pas mal de symptômes de bipolarité, les phases dépressives, maniaques, mais auxquelles peuvent s’ajouter également certains symptômes qu’on retrouve dans la schizophrénie comme des crises psychotiques, des bouffées délirantes, qui effectivement sont des choses que ma mère avait déjà pu rencontrer.
Mickael : À ton avis qu’est-ce qu’on peut faire pour lever le tabou sur les troubles psychiques ?
Paula : Une solution simple, efficace et éprouvée : en parler ! C’est d’ailleurs pour ça que j’ai souhaité témoigner dans ce podcast. Et donc bah voilà, en parler au grand public, assez proche. Alors plus compliqué dans le monde professionnel. Moi-même je pense que je n’ai quasiment jamais franchi le pas à part peut-être avec des collègues qui sont en fait devenus des amis, ou étaient déjà des amis. Évidemment la littérature, le cinéma ou même la musique, enfin… Voilà, les différents types d’art peuvent jouer un rôle énorme bien sûr dans cette sensibilisation, vulgarisation. J’ai rencontré la plume de Delphine de Vigan dans Rien ne s’oppose à la nuit et ça a été un choc d’autant pouvoir m’identifier à un témoignage qui est très très littéraire, romancé, etc., mais dont on sent bien toute l’authenticité qu’il y a derrière. Par exemple à titre personnel ça a été très très utile, déjà pour me sentir moins seule et puis voilà, me rendre compte encore une fois que plein de choses que je pouvais associer à la personnalité de ma mère relevaient de la maladie ! Et d’ailleurs ça m’a donné envie de me documenter encore davantage. C’est pas forcément si évident que ça de se documenter quand c’est pas voilà son métier ou qu’on n’a pas énormément de temps à y consacrer, mais ça m’a donné envie en tout cas de me documenter plus en me disant ça me permettrait de tellement mieux comprendre ma mère et puis plein de choses que j’ai vécues.
Mickael : Est-ce que tu considères que ça a été facile de trouver des ressources sérieuses, crédibles, sur internet, dans les livres ou ailleurs ? Ou est-ce que c’est c’est encore compliqué aujourd’hui de trouver des informations fiables sur la santé mentale ?
Paula : Non, je trouve que c’est encore assez difficile. J’ai l’impression qu’à part si on peut y consacrer pas mal de son temps, c’est pas si évident. Dans la littérature il y a quand même de plus en plus de choses, mais voilà, connaitre tel ou tel ouvrage qui est sorti c’est un peu du bouche-à-oreille, parce que depuis j’ai découvert d’autres auteurs, comme Violaine Huysmans par exemple avec son livre Fugitive parce que reine, je crois. Ou d’autres auteurs même de BD comme la BD Le Perroquet. Et puis maintenant que ma parole s’est libérée sur ce sujet aussi, souvent mes amis quand ils voient des choses qui touchent à ces sujets-là ils m’en parlent, donc, voilà, ça va plus être du bouche-à-oreille. Mais sinon je trouve que c’est pas évident d’avoir beaucoup de documentation approfondie sur ce sujet, qui décrirait par exemple assez finement les diagnostics, enfin les symptômes, pardon, et puis même les traitements. Par exemple, j’ai entendu parler pas mal de fois de remédiation cognitive, mais honnêtement je saurais pas vraiment te dire ce qu’on entend derrière. Et en fait j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de progrès sur le sujet, d’innovation, mais que les aidants n’ont pas accès à l’information. Et moi par exemple ce que je regrette vraiment énormément c’est qu’en trente ans j’ai jamais ou presque jamais vraiment discuté avec les soignants de ma mère, et je pense que ça m’aurait été extrêmement utile. Alors après, à tempérer un peu ce que je dis parce que je pense que c’est toujours mon père qui est en première ligne en tant qu’aidant et donc c’est davantage à lui que les professionnels de santé vont s’adresser potentiellement. Mais même à lui je trouve que c’est relativement limité, et puis les enfants, je trouve que c’est quand même très regrettable, et en fait assez fou quand on s’arrête deux secondes pour y penser, de se dire qu’en tant qu’enfant de personnes ayant des troubles psychiques on m’ait jamais, jamais proposé une prise en charge, ou un point d’information, quelque chose de ce type-là ou même juste de la documentation écrite, je dis n’importe quoi, mais, mais non non, vraiment ça a été le désert et ça l’est encore ! Donc non vraiment c’est pas évident, et c’est pour ça encore une fois que je trouve que ce podcast est d’utilité publique et que j’espère que mon témoignage pourra aider peut être des personnes qui étaient dans mon cas il n’y a pas si longtemps.
Mickael : Et si tu avais un message à faire passer aujourd’hui ce serait quoi ?
Paula : Si vous êtes enfant ou proche de personnes ayant des troubles psychiques, ben il faut pas avoir honte ! C’est vraiment le message principal que je pense j’aimerais faire passer ici. Et que c’est pas parce qu’on est dans ce type de cellule familiale qu’on n’a pas le droit d’avoir aussi des moments heureux même si parfois c’est juste un interstice entre plein de moments de crise. Et il faut savoir trouver aussi un équilibre entre se protéger et garder espoir. Tout ça pour dire que la relation que j’ai avec ma mère est aujourd’hui très bonne, même si bien sûr sa maladie altère les formats de discussion qu’on peut avoir ou les activités qu’on peut avoir ensemble, malgré tout on continue de tisser une relation très forte et de l’entretenir, et je suis moi-même aujourd’hui maman d’une petite fille qui va avoir un an, et par exemple, pour vous dire que la vie réserve beaucoup de surprise ! Ma fille elle est née après un an et demi d’épidémie, de crise sanitaire, de confinements qui ont très fortement dégradé l’état de ma mère, j’en étais arrivée à un point où je me disais bon bah je vais peut-être commencé à faire un peu le deuil de cette relation, déjà à l’annonce de ma grossesse puis la naissance de ma fille, vraiment ma mère s’est révélée, comme si elle s’était révélée, elle était sortie de sa torpeur liée à la crise sanitaire, pour renouer avec une partie d’elle-même que je n’avais pas vue depuis longtemps. Aujourd’hui ce que je pourrais dire de la relation avec ma mère et de comment les choses évoluent, finalement on peut être ouais surpris par les ressources de la personne aussi, qui existent et qui demandent juste à être révélées par des situations !
Mickael : Si tu devais décrire ta mère en un ou deux mots, ce serait quoi ?
Paula : Bon évidemment un ou deux mots c’est pas facile, les gens vont trouver ça vraiment très bizarre ce que je vais dire, mais j’aurais envie de dire joyeuse et sensible. Et je pense que si je choisis ces deux mots c’est vraiment par amour pour elle, assez révélateur de l’amour que je lui porte, parce qu’en vrai on ne peut pas dire que ces dernières décennies la joie soit l’émotion qui l’ait le plus traversée ! Mais moi avec mes yeux de petite fille ou de fille, c’est vraiment les souvenirs les plus précieux que j’ai envie de garder d’elle. Et en fait quand elle est traversée par la joie je me dis toujours que ça, j’ai envie de l’attribuer à sa personnalité ! Et je pense qu’elle a réussi en plus à me la communiquer, cette espèce de joie et d’enthousiasme, qui d’ailleurs, je pense, des fois parfois arrivait aussi en période maniaque. Et puis sensible, évidement, sensibilité qui bien sûr est très forte chez elle et qui pareil malheureusement peut peut-être davantage se manifester pendant les périodes de dépression, mais qui sont malgré tout une grande qualité humaine, et pareil qu’elle a pu me transmettre.
Mickael : Est-ce que tu as des ressources à partager avec nous ?
Paula : Oui ! Bah je recommande chaudement la lecture de Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan, et également en deuxième intention de Fugitive parce que reine de Violaine Huysmans, et également de la BD Le Perroquet pour tous les enfants de personnes ayant des troubles bipolaires ou apparentés. Et puis personnellement à un moment où j’avais besoin d’aide, de parler, je me suis rapprochée de l’organisation Unafam qui est une association qui organise notamment des groupes de parole d’aidants de personnes ayant des troubles psychiques. Ça m’avait beaucoup aidée déjà à me sentir moins seule et puis comme je disais à identifier des comportements chez soi, chez nos proches qui sont en fait dus à la maladie. Et puis l’Unafam fait aussi des formations qui ont pour but justement de faire connaitre les ressources, toutes les ressources qui existent qui sont assez nombreuses dans le domaine de la santé mentale, de l’accompagnement.
Mickael : Merci Paula d’avoir participé à cette émission, c’est un sujet qui est très important celui des proches de personnes concernées par la maladie psychique, on les entend peu, surtout les enfants. Merci d’avoir partagé cette expérience et on te souhaite tout le meilleur.
Paula : Un grand merci à toi.