Mickael : Bonjour Charly !
Charly : Bonjour !
Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission.
Charly : Avec plaisir.
Mickael : Donc aujourd’hui on va parler de la transidentité. Pour commencer est-ce que tu peux nous dire à quel moment dans ta vie tu t’es rendu compte qu’il y avait une discordance entre ton sexe biologique et ton genre ?
Charly : Moi je pense que ça, moi de ce que je me souviens c’était mes dix ans, mais ma mère m’a parlé de neuf ans, en tout cas dix ans je me demandais pourquoi je n’étais pas un garçon. Mais c’était pas inquiétant plus que ça, j’étais garçon manqué. Ma mère m’a dit, après coup, après avoir fait ma transition qu’à neuf ans j’étais venu lui demander pourquoi j’étais pas né comme un garçon, puisque pendant la grossesse de ma mère du coup j’aurais du être un garçon, le gynécologue avait dit que j’étais un garçon du coup je savais familialement que j’aurais dû, je connaissais mon prénom, etc., mais juste j’étais plus attiré par tout ce qui était pour garçon alors que c’était pas prévu pour moi, on va dire. Plein de choses comme ça, quand je me regardais dans le miroir, ou quand il fallait m’habiller, ou quand il fallait que je m’identifie à des personnages à la télé c’était forcément pas le sexe auquel j’étais assigné de base.
Mickael : Et donc quand tu avais neuf dix ans, tu nous as déjà donné quelques éléments, mais ça s’est manifesté comment finalement si on devait être un peu exhaustif ?
Charly : Je savais pas trop si j’étais pas et une fille et un garçon parce qu’en fait du coup quand je passais ma journée tout ça, je pensais… en tant que garçon, je m’imaginais faire les mêmes choses en tant que garçon, c’était des choses débiles, mais… Quand je jouais au foot, etc., j’aimais pas mon prénom, déjà. Le soir quand je me couchais j’imaginais ma journée avec les mêmes décisions, mais si j’avais été Mathieu, du coup, le prénom que j’aurais dû avoir. Après j’aimais pas les habits qu’on m’achetait, en général je pleurais, c’est comme ça que je réagissais. Après… je sais que par exemple j’avais u petit frère qui du coup avait les jouets que forcément je voulais. Plus tard dans le début de l’adolescence quand je voyais des couples j’aurais voulu être à la place du garçon, mais pas pour être avec la fille, juste pour être le garçon. Donc plein de petits détails comme ça qui me faisaient penser que… Je pensais pas de suite que j’étais dans le mauvais corps, juste, je voulais être un garçon. C’est ce que j’expliquais quand j’avais neuf dix ans, je voulais juste… Je ressentais que j’étais un garçon, alors que je ne l’étais pas, j’en étais bien conscient, et ma mère me le répétait, tu es une fille, c’est pas grave, c’est très bien, on est très contents. Et je lui disais ouais, mais… C’est pas ce que je ressens, c’est pas comme ça que je le ressens au fond de moi, même si je vois.
Mickael : Et avant neuf dix ans, ça se passait comment ?
Charly : Moi je me souviens de rien, mais je sais que mes parents ont très vite noté que j’étais garçon manqué, que je voulais pas mettre de jupe, pas mettre de robe. Ce qui ne signifie pas que tous les enfants qui ne veulent pas mettre de jupe sont forcément trans ! mais mes parents remarquaient qu’au niveau des jouets j’étais plutôt action man et pas du tout Barbie… Ils ne se posaient pas plus de questions que ça, ils voyaient juste que bah j’avais que des amis garçons, que j’étais tout le temps en train de jouer au foot, tout ça, et mes parents se posaient pas la question, pour eux déjà ils devaient avoir un garçon finalement c’était une fille, bon, ils étaient très contents et ils pensaient que tout allait bien… Tout allait bien en soi ! Et aussi pendant mon enfance je me suis rendu compte pendant les jeux de rôle à l’école ou peu importe, quand on avait neuf ans on jouait tous au papa-maman, je voulais toujours être papa, toujours être masculin. J’ai demandé, je m’en souviens pas c’est plus les gens qui me l’ont rappelé, à ce qu’on m’appelle Charles au lieu de mon prénom initial, je demandais toujours à être genré au masculin pour le jeu, parce que ça me faisait du bien, ça me faisait me sentir plus moi, et je ne savais pas que c’était la transidentité tout ça, juste je me sentais mieux quand on me disait il et qu’on faisait comme si j’étais un garçon. Donc pour moi ça restait du jeu, et ça m’apaisait dans mon mal être comme pour les jeux comme les Sims ou quoi, je me faisais un Sims masculin et j’avais l’impression que ça apaisait un petit peu ce que je ressentais au fond de moi, j’avais l’impression que ça compensait on va dire.
Mickael : Et tu ressentais quoi justement à ce moment-là ?
Charly : Quand je jouais j’avais l’impression d’être entièrement moi, j’avais plus l’impression de jouer un rôle et j’avais l’impression que c’était normal, et quand le jeu s’arrêtait ben je… je comprenais pas en fait, je me demandais juste pourquoi je ressentais ça, parce que physiquement je voyais ce qu’il se passait, mais au fond de moi j’étais juste un garçon coincé dans le corps de quelqu’un d’autre. Et je me disais c’est pas très grave, tu prends sur toi, ça va finir par passer. J’ai eu un très bon entourage qui a été très compréhensif, mes amis de l’école ne m’ont jamais posé de question, mais du coup je ne me sentais moi que quand les gens acceptaient de m’appeler Charles, donc quand les gens ne le faisaient pas… Je savais que c’était moi, mais euh c’était… pas possible pour moi, j’arrivais pas à accepter ce corps auquel pour moi j’étais étranger en tout cas. [Musique] Je me souviens que ça me faisait de la peine au tout début parce que du coup j’avais l’impression qu’on le faisait exprès alors que c’était juste normal, c’étaient mes parents, mes amis, c’était juste normal, mais j’avais l’impression qu’on le faisait exprès et qu’on ne comprenait pas ce qui n’allait pas. Donc je me souviens que de mes dix à douze ans, je pense, à chaque fois que ça se passait j’étais très triste et donc je me renfermais, soit je pleurais et donc ma mère me disait arrête de pleurer, et euh… Je le vivais très mal au début, j’avais l’impression que personne ne me comprenait et que personne ne voyait ce que j’étais vraiment. Et après, j’ai compris que… quand je regardais le miroir je le voyais, mais après un certain temps, au début je voyais quelque chose qui pour moi n’était pas moi, et puis j’ai fini par me rendre compte que si, et du coup par me rendre compte qu’il fallait que je m’habitue au fait que les gens m’appellent par le prénom que j’ai et me genrent comme je suis physiquement, et du coup j’ai commencé à, dans ma tête d’enfant, à tout seul faire la conversion. Quand quelqu’un me disait-elle, dans ma tête je m’imaginais il, le soir quand je rentrais je me refaisais le scénario de ma journée en m’imaginant il et Mathieu du coup, mon, le prénom que j’aurais dû avoir, et je me le refaisais comme ça et du coup ça faisait une sorte de barrière entre la réalité et mon mal être.
Mickael : est-ce qu’à ce moment-là tu en as parlé à quelqu’un ?
Charly : Oui, à mon cousin qui avait deux ans de moins que moi, qui était très jeune, qui n’a donc pas trop compris et qui m’a dit c’est OK pour t’appeler Charles pour les jeux. C’était plutôt aux enfants que j’en parlais donc à mon cousin ou ma meilleure amie d’enfance. Peu de temps après ça je crois un ou deux ans après j’en ai parlé à quelqu’un de plus vieux qui était une amie d’enfance, qui avait, je ne sais pas, la quinzaine, je crois, et qui m’avait répondu qu’elle ne savait pas quoi faire pour m’aider, et qui m’avait dit attend de voir si ça passe et si ça passe pas on improvisera, mais tu peux pas dire ça, tu peux pas penser ça et y’a pas de solution, c’est… Donc j’en ai pas parlé à des adultes, j’en ai jamais parlé à des adultes jusqu’à très très tard, jusqu’à ma transition en fait, parce que je n’avais pas confiance aux adultes, pour moi, vu que ma mère faisait dans ma tête exprès de pas comprendre, pour moi les adultes ne comprendraient jamais donc c’était impossible pour moi d’en parler.
Mickael : Donc de ce que tu nous dis ça se passait quand même relativement bien à l’école finalement avec tes camarades, ils ne posaient pas forcément de question, et est-ce qu’avec tes professeurs il y avait aussi cette relation qui était bienveillante comme on peut l’attendre ?
Charly : Pour tout ce qui était primaire et collège je vais dire oui, et c’est plus au lycée et en BTS que ça a été problématique. Pour tout ce qui était primaire et collège mes amis ne m’ont jamais posé de question, les profs ne m’ont jamais posé de question, et j’avais même une prof d’anglais qui m’avait dit comment tu veux que je t’appelle je le note ! Je n’ai jamais eu de problème à ce niveau-là, à cet âge-là, tout le monde, juste c’était pris sur le ton de la rigolade, mais personne ne m’a embêté, je l’ai plutôt bien vécu, mis à part mon mal être à moi je l’ai bien vécu par rapport à mon rapport aux gens. Ça a été après le collège que ça a été plus problématique pour moi, mis à part mes parents du coup, qui eux… C’était plus compliqué parce que j’avais peur de les décevoir, donc j’ai essayé de prendre sur moi, mais plus je prenais sur moi plus je devenais triste et détestable donc c’était un peu plus compliqué.
Mickael : Et après le collège justement il s’est passé quoi ?
Charly : Après le collège j’ai quitté mes amis qui étaient plus ou moins au courant même s’ils avaient toujours pas de mot parce que je ne savais tout simplement pas que ça existait. Et j’ai eu le lycée, la seconde, là c’est beaucoup moins bien passé. Déjà sans parler de transition ou quoi le fait que je ne me maquille pas, que je ne m’habille pas comme la norme c’est très mal passé, mes camarades de classe ont commencé gentiment à se moquer, comme le font souvent les adolescents, mais j’ai commencé à mal le prendre parce que ça concernait quelque chose qui me touchait vraiment. Et du coup j’ai passé une année où vraiment… Bah je le vivais très mal parce que mes camarades ne comprenaient juste pas, et bah c’était un petit bizutage en bonne et due forme. Ce qui fait que bah j’ai attendu que ça passe, un an, et au bout des un an je me suis dit que vu que tout le monde se moquait de moi par rapport à ça, bah j’ai tout renfermé. j’en ai pas parlé à personne parce que… Bah j’avais pas envie que quelqu’un m’aide, parce que je ne pensais pas qu’on pouvait m’aider, je pensais que ça serait pire, comme beaucoup dans le harcèlement. Donc j’ai juste attendu que ça passe. Mes parents pensaient que juste j’avais des mauvaises notes, donc voilà, et puis ça concordait avec la première année où j’avais une copine donc on a pensé que c’était plus émotionnel qu’autre chose. Et c’est après cette année-là que du coup j’ai tout enfoui, que j’ai commencé à faire comme les autres faisaient donc me maquiller et… et voir que ça se passait mieux, du coup, même si du coup je me confiais plus à personne, j’avais plus trop d’amis, au moins j’étais tranquille à ce niveau-là.
Mickael : Tu nous dis que la relation avec tes parents était difficile, est-ce que tu leur en avais déjà parlé de manière assez explicite ou pas ?
Charly : Pas du tout. La relation était difficile à cause de ça, parce que mis à part à neuf ans où j’ai convoqué ma mère dans la salle de jeu pour lui demander pourquoi je n’étais pas un garçon, elle m’a répondu c’est pas grave, t’es une fille et c’est bien, on t’aime comme ça ! Et je suis parti de là en me disant que j’aurais quand même préféré être un garçon. Après ça j’en ai plus jamais parlé, pour moi c’était dit et c’était fait. Ma mère ne l’a pas du tout pris au sérieux parce que j’avais neuf ans, et après ça du coup ça a été le fossé parce que j’ai considéré qu’ils étaient au courant et eux ne comprenaient pas, ma mère voulait absolument que je rentre dans les codes pour ne pas me faire embêter, pour moi c’était comme s’ils faisaient exprès de me faire souffrir, alors que ce n’était pas le cas, mais à l’époque je le percevais comme ça. Ça a créé un fossé entre nous où je ne me sentais pas compris, eux ne savaient pas quoi faire, et ça a été très compliqué pendant très longtemps, jusqu’à la transition ça a été très compliqué.
Mickael : À quel moment tu as eu un déclic pour demander de l’aide face à ton mal être ?
Charly : Très tard. Je pense que… Je pense que c’est à mes dix-huit ans. De mes seize à mes dix-sept ans j’étais suicidaire parce que pour moi il n’y avait pas d’autre solution que d’attendre que ça passe. Je disais souvent quand j’étais petit qu’en tout cas je ne serai jamais bien dans ce corps et que j’avais juste à attendre le moment où ça serait insoutenable et que j’en finirais tout simplement. Ce n’est pas très gai, mais c’est ce que je pensais en tout cas à l’époque, je me disais dans tous les cas si j’en parle je vais rendre malheureux tout le monde, et moi je ne serai jamais heureux de toute façon, donc autant attendre que ça me submerge, que je ne sois plus capable de gérer ça et en finir tout simplement. Donc pour moi c’était juste voué à l’échec et je pensais pas qu’il y avait de solution, et je crois qu’à mes dix-sept ans j’ai fait ma dernière tentative de suicide, du coup je me suis posé des questions, je me suis dit là t’es passé pas loin… Et du coup j’en ai parlé en premier à mon cousin et à ma meilleure amie à qui j’en avais parlé quand j’étais petit, je leur ai dit, au début j’ai pris deux mois où j’ai parlé à personne, je me suis renseigné un petit peu sur internet et j’ai découvert qu’en fait il y avait des choses qui pouvaient être faites. Et après deux mois j’ai envoyé un message à ma meilleure amie et mon cousin en disant que je pensais que c’était plus important qu’un jeu d’enfant, que ça n’allait vraiment pas, et qu’il fallait que ça change parce que sinon je n’allais pas rester très longtemps. Mon cousin m’a répondu qu’en fait il le savait, et qu’il serait toujours là, et que dans tous les cas il s’en doutait, juste il ne savait pas que ça existait et qu’il était désolé. Et ma meilleure amie m’a répondu quand tu auras quelque chose dont je ne suis pas au courant à me raconter tu me rappelleras ! Parce qu’on le sait tous, c’est juste qu’on était pas forcément sensibilisés à ça donc on ne savait pas comment t’aider. Mais ça restait juste des gens de mon âge donc ils ne pouvaient pas m’aider plus que ça, et la vraie solution que j’ai trouvée c’est d’appeler ma cousine qui du coup avait une vingtaine d’années à l’époque, et qui m’a dit attend, je t’emmène dans une association LGBT, on va à Toulouse, parce qu’à l’époque j’étais en Ariège, on va à Toulouse dans une association avec des gens qui sont comme toi, et on va trouver des solutions. Et c’est à partir de là que je me suis fait aider.
Mickael : Quand tu es allé dans cette association LGBT, il s’est passé quoi ensuite ?
Charly : J’ai été pris en charge directement par la personne responsable, je ne sais pas si ça se passe encore comme ça, mais en tout cas à l’époque chaque permanence était gérée par une personne qui à chaque nouveau lui faisait passer un entretien, comme j’avais pas forcément de mots, je ne savais pas forcément où j’en étais, je venais juste d’apprendre tous ces mots, transidentité, juste je lui ai raconté mon histoire exactement comme là je viens de raconter. Que je voulais être un garçon, que je ressentais ça, et au bout d’un quart d’heure il m’a dit, mais… y’a pas de problème, y’a que des solutions, y’a plein de gens dans ton cas, et tu n’es pas malade, tu ne, tu mérites tout autant que les autres d’être heureux et il y a juste des solutions. Et du coup il a commencé à me dire que en fait il y avait des traitements, des opérations, que y’avait des choses qui se faisaient, que ça existait, que ça marchait bien, que j’étais pas du tout seul. Et j’ai été rassuré parce que jusqu’à présent j’ai passé dix ans de ma vie seule et là on me dit qu’il y avait plein de gens comme moi ! J’ai fait la réunion avec eux, avec d’autres personnes qui m’ont quand même bien aiguillé, et là ils m’ont donné un registre de personnel médical safe, LGBT friendly, ils m’ont dit va voir telle personne, donc j’ai commencé par aller voir d’abord un psychologue pendant quelques mois, qui m’a aidé dans mon rapport avec mes parents et mon rapport à ma culpabilité d’être anormal, entre guillemets. Et ensuite qui m’a dit moi je te donnerai pas de papier ou quoi que ce soit, je ne suis pas psychiatre, et m’a renvoyé vers un psychiatre qui lui pouvait vraiment m’aider sur le traitement. Et j’ai fait un an de psychiatre, et au bout des un an, c’était un rendez-vous tous les mois espacés, au bout des un an il m’a donné le papier officiel qui disait que j’avais une dysphorie de genre et qu’il fallait du coup régler cette dysphorie avec un traitement hormonal, qui m’a ensuite basculé sur l’endocrinologue, qui m’a aidé à faire les injections, et j’ai commencé à prendre de la testostérone il y a cinq ans.
Mickael : Et pendant ces consultations chez le psychiatre il se passait quoi ?
Charly : Alors au début c’était plutôt des questions personnelles pour savoir… Savoir je pense si c’était vraiment quelque chose de profond ou si c’était juste un mal être qui prend le dessus. Donc au début il m’a posé des questions sur mon enfance, mon adolescence, il m’a demandé comment ça se manifestait mon mal être, à quel moment c’était plus ou moins dur, et les séances c’était plus de l’analyse de ce que je ressentais pour voir si c’était vraiment ça parce qu’un traitement, ça ne se fait pas à la légère. J’ai vite eu confiance en lui, au bout de quelques séances il m’a dit que pour lui ça se voyait que j’avais vraiment une dysphorie et que j’avais besoin d’aide, mais il m’a dit le protocole est tel que je ne peux pas te donner quoi que ce soit tant que tu n’as pas fait toutes les séances. Donc j’ai continué les séances, on est revenus sur mon adolescence, mon enfance, on est revenus sur les tentatives de suicide, on a essayé de voir que le traitement n’allait pas sortir tous mes problèmes non plus et essayer de mettre le doigt sur ce qui allait pas. Pendant quelques mois. Après les trois dernières séances c’était plus de la discussion de comment il fallait après que je commence le traitement, il a essayé un peu de m’alerter sur ce qui allait se passer psychologiquement avec un traitement comme ça. Et après voilà, j’avais une très bonne relation avec lui.
Mickael : Et ces consultations durent une année et ensuite tu entames ta transition. Est-ce que tu peux nous dire un peu par quelles étapes on passe pour entamer ce processus ?
Charly : Alors déjà on passe par faire une demande d’ALD, pour que ça soit financé, pour pas avoir à faire quoi que ce soit, donc avec le papier du psychiatre qui atteste notre dysphorie, on va chez l’endocrinologue, qui nous fait un autre mot, et avec ces deux mots on va à la sécurité sociale. Et on leur déclare du tout ça. On va voir notre médecin traitant, ou un autre médecin traitant LGBT friendly, moi le mien était d’accord donc j’avais pas de souci. Le médecin traitant fait la demande d’ALD et du coup euh… Normalement il faut être un peu patient, attendre d’avoir le résultat, en soi on peut déjà payer et se faire rembourser, mais moi j’ai attendu, et quand on reçoit le papier d’affectation avec l’endocrinologue on va commencer à avoir nos ordonnances. Et avec les ordonnances on va à la pharmacie, on récupère une ampoule. Normalement avec l’endocrinologue ce qu’il se passe c’est qu’au rendez-vous on vous pèse, on vous mesure, et on estime combien de doses on a besoin avec notre corpulence parce qu’il ne faut pas faire n’importe quoi non plus. Selon la dose qu’elle nous donne, à notre première injection, on va nous donner… Pour mon cas c’est 0,4, de l’ampoule, et on va nous injecter le produit. Ça fait mal, le produit brûle et fait mal, et le premier mois je ne crois pas qu’il y ait de changement majeur, à part sur l’humeur il n’y a pas de changement majeur, ça commence au bout du 2e, 3e mois. Et ça diffère énormément selon les gens, moi j’ai mué au bout du deuxième mois, et je n’ai toujours pas de barbe à l’heure actuelle ou très peu, pour d’autres ça va être l’inverse, et ça varie énormément. Moi en tout cas au bout de deux mois j’avais déjà mué.
Mickael : Quels autres effets on peut attendre de ces traitements ?
Charly : Le premier auquel il faut s’attendre c’est quand même beaucoup de force d’un coup, beaucoup de testostérone d’un coup qui fait que le corps a du mal à l’assimiler. Il faut pas oublier que du coup c’est énorme pour le corps quand ça arrive la première fois. Pour mon cas en tout cas, ça a été beaucoup d’énergie à dépenser, je ne contrôlais pas ma force. Il y a aussi l’arrêt des règles qui peut être assez douloureux enfin pour mon cas a été assez douloureux en tout cas, le mélange testostérone règles n’a pas été forcément agréable. Après je pense que le psychologique fait qu’on accepte ce qui se passe, mais je sais que j’ai eu pas mal de douleurs les deux premiers mois, après on a les traits du visage qui se durcissent, etc., mais dans le corps on ressent une forte énergie, généralement pas très contrôlable au départ, mais il faut juste s’habituer, avoir le même rythme de vie, et surtout être bien suivi moi au départ j’avais tous les trois mois un rendez-vous avec une prise de sang, pour voir si tout allait bien, si j’avais pas un trop haut niveau de testostérone. Moi ça a été ajusté trois fois par an quasiment, parce que du coup selon les corps on peut faire deux doses dans le mois, ou une plus haute… C’est très important, je pense, d’être suivi, et psychologiquement, parce que du coup en parallèle du traitement je continuais à voir le psychiatre, tous les trois mois moi je faisais, et ça nous aide à voir aussi comment on évolue avec la testostérone, ce que ça change. Parce que ça ne change pas que le physique, ça change aussi la mentalité, on se sent mieux dans notre corps, on prend confiance en nous. Moi je sais que j’ai eu la poitrine qui a réduit donc j’ai plus pris confiance en moi en maillot de bain, il y a une pilosité qui est plus importante, la pomme d’Adam comme tu peux le voir qui ressort plus, et plein de petits détails qui pour une personne transgenre font beaucoup. On se sent mieux dans notre rapport avec le corps et les gens commencent à nous dire le bon pronom, et généralement quand on en est là c’est que ça fait déjà trois quatre mois et qu’on est sur le bon chemin.
Mickael : Tu nous parlais tout à l’heure de ton rapport à ton image dans le miroir, et justement quand ton corps a commencé à se modifier, comment est-ce que tu appréhendais ce nouveau reflet ?
Charly : Alors au début moi j’ai tout filmé, pendant un an j’ai filmé toute mon évolution physique, et ma voix aussi, j’étais un peu euphorique à l’idée d’avoir toutes ces modifications. Je me souviens que les premiers mois j’avais l’impression que ça n’allait pas assez vite pour moi, mais dès les premiers résultats, dès la première modification corporelle, pour moi ça a été la voix, ça m’a donné une confiance en moi que je n’avais jamais eue. Alors… Toute échelle gardée, mais c’est vrai que j’ai commencé à un peu plus me sentir moi, mais il a fallu du temps avant que ce que je vois dans le miroir corresponde à ce que je ressens moi. À l’heure actuelle ça va, je me vois, je me reconnais, mais il y a encore des fois où je m’aime pas comme je suis alors que ça fait cinq ans, et c’est un rapport assez bizarre de… avec mon corps de savoir que des jours ça va, y’a des jours ça va pas, physiquement, y’a des jours j’ai envie d’aller à la plage, des jours j’ai pas envie qu’on me voie. C’est assez bizarre.
Mickael : Et aujourd’hui quand tu revois des photos ou des vidéos de toi avant ta transition ça te fait quoi ?
Charly : C’est un peu compliqué, dans le sens où vu que je n’étais pas bien dans cette période ça peut pas me faire plaisir parce que je n’ai jamais l’air très heureux, mais ça ne me fait pas de peine. Chez mes grands-parents il y a des photos de moi quand j’étais jeune, les photos d’enfance me dérangent moins que les photos d’adolescence, les photos d’enfance ne me dérangent pas du tout même, parce que c’est ce que j’ai été et ce qui fait ce que je suis aujourd’hui, donc je n’ai pas de problème avec ça, mais les images de l’adolescence sont un peu plus douloureuses, je pense à cause de l’histoire, et je ne me reconnais pas forcément sur toutes les photos, les photos de l’adolescence… Je reconnais quelques traits, mais je ne me reconnais pas forcément, ça m’étonne toujours quand les gens voient les photos et me reconnaissent, parce que je ne me reconnais pas du tout. Et c’est pas une douleur, mais ça fait pas forcément plaisir. Je sais que si je vois une photo de moi je ne vais pas être particulièrement triste, ça va plutôt me rappeler où j’en étais avant et où j’en suis maintenant. De là à afficher des photos de moi avant ici… Pas forcément.
Mickael : Tu fais une comparaison entre là où tu étais avant et où tu en es maintenant, et justement dans ta transition tu en es où aujourd’hui ?
Charly : Aujourd’hui je suis sous hormones, et j’essaie de continuer ça et de plus me concentrer sur mes études, qui sont terminées maintenant, mais plus sur la vie professionnelle. J’ai pris la décision, du coup j’ai commencé le traitement j’avais dix-huit, dix-neuf ans, et très vite j’ai compris que le plus important c’était d’avoir quelque chose de financier, donc j’ai privilégié mes études et mon travail avant tout ce qui est opérations et tout ce qui est vraiment la transition, mis à part le traitement qui ne me prend pas énormément de temps, c’est une fois toutes les deux semaines donc ça va. Mais c’est toujours en cours. C’est toujours en cours, il faut se construire et c’est important de prendre son temps, même si on veut tout tout de suite, c’est très important, parce qu’il faut tout construire en même temps, c’est… Un mal être c’est douloureux et je comprends qu’on ait envie d’avoir tout maintenant, mais il faut se construire en tant que citoyen pour pouvoir avoir un travail et pouvoir payer les opérations, la vie dans le corps qu’on a.
Mickael : Qu’est-ce que ça a impliqué pour toi et ton entourage de débuter cette transition quand tu avais dix-sept, dix-huit ans ? Est-ce que ça a bouleversé un peu les relations que tu avais ave certaines connaissances, certains amis, certaines personnes de ta famille ?
Charly : Ça a tout bouleversé. Il faut savoir que déjà mes un an de psychothérapie là, je n’en ai parlé à personne, j’ai tout fait tout seul, j’ai menti à mes parents pour pouvoir faire tout seul ma transition et qu’il n’y ait personne qui interfère dans mon mal être et ce que je voulais trouver comme solution. Et c’est seulement après un an et après le papier officiel que je suis allé voir mes parents pour leur annoncer. Pas pour leur demander une approbation, juste pour leur annoncer ce qu’il se passait. Et ça a changé énormément de choses dans toutes mes relations. Mes parents ont eu un moment de non-compréhension, ce qui est tout à fait acceptable, et ma mère a pleuré. Mon père n’a pas de suite compris, j’ai dû réexpliquer que ça ne venait pas d’hier et que voilà. Et ma mère a tout de suite voulu être avec moi, et c’est ce qui a changé toute notre relation, elle a compris pourquoi j’étais comme ça quand j’étais jeune, pourquoi je les faisais souffrir, parce que je souffrais moi-même, et du coup quitte à me détruire je détruisais tout autour de moi. Et notre relation était conflictuelle à cause de ça, et le fait de lui apporter une solution à mon mal être, c’était apporter aussi une solution à notre relation, et ma mère est devenue très proche de moi depuis ce jour-là, elle m’accompagne à tous les rendez-vous. Mon père un petit peu moins, il est en recul, il est là pour moi, mais il est moins présent que ma mère. Mon petit frère, ça a été compliqué au début, il était plus jeune que moi, il était au collège quand je lui ai annoncé ça, et les débuts ont été plus compliqués, il a fallu qu’il fasse le deuil d’une sœur pour accepter un frère, et je lui ai laissé le temps qu’il faut parce que c’est important. Aujourd’hui on est très proche, mais il a fallu du temps pour se créer une relation qu’on n’avait pas, tout simplement. Donc sur mes relations familiales ça s’est très bien passé, mes parents, mes grands-parents, mes oncles et tantes tout le monde l’a très bien pris, tout le monde a fait l’effort de me genrer correctement et il n’y a pas eu de problèmes. Pour ce qui est de mes amis, ça a été bien différent, j’ai perdu les trois quarts de mon entourage, je pense, des amis que je pensais, mais qui ne l’étaient pas finalement, ce qui m’a valu une petite déprime à un moment, et puis finalement on se rend compte que ce n’étaient pas vraiment des amis. Les vrais amis que je connaissais depuis toujours sont restés, eux, et ça a été mon meilleur soutien au final pendant le début de cette transition qui a été émotionnellement riche. Mon rapport avec les gens a changé parce que j’ai commencé à être agréable, ce que je n’étais pas quand j’étais mal, et j’ai commencé à faire énormément de rencontres à partir du traitement.
Mickael : L’âge auquel tu as commencé ta transition, dix-huit ans, est un âge qui est souvent important, l’âge du choix de la carrière professionnelle ou des études universitaires. Et du coup à ce moment-là, comme tu es en pleine remise en question de ton identité, il se passe quoi à ce moment-là, à ce moment de choix de vie ?
Charly : Il se passe beaucoup de choses ! Déjà juste avant ça dans le lycée j’ai vu une conseillère d’orientation pour savoir où je voulais aller. Moi j’ai toujours voulu faire des études, mais je ne savais pas ce que je voulais faire, et la conseillère d’orientation m’a pris en rendez-vous, et c’était une époque où j’étais encore… pas forcément serein sur ce que j’allais faire, j’avais seize ans, et la conseillère d’orientation me harcelait pour que je donne un projet professionnel. Ce à quoi j’ai répondu je ne sais pas ce que je suis, je ne sais pas ce que je ferai dans deux ans, dans cinq ans, comment vous voulez que je sache ce que je vais faire comme métier alors que je n’ai pas envie de vivre donc encore moins envie de trouver un travail ? Ça n’a pas changé grand-chose, il a quand même fallu que je donne un projet professionnel. Et ce jour-là j’ai compris que les adultes n’étaient pas forcément d’une grande aide. Du coup ma décision a été de continuer les études parce que je ne savais pas ce que je voulais faire, j’ai fait beaucoup de détours, beaucoup de facs différentes. Alors à la fac je n’ai pas eu de problèmes avec ma transition dans le sens où on est de toute façon qu’un numéro, donc je n’ai pas eu de souci particulier. Ça a plus été en BTS du coup, mon année de BTS je l’ai commencée ça faisait trois mois que je faisais mon traitement à la testostérone donc j’avais encore mon ancienne carte d’identité, juste mon visage qui était en train de changer et ma voix qui était en train de changer, et c’est là que les problématiques majeures administratives ont commencé, c’est que je suis arrivé à la rentrée avec un prénom qui n’allait pas avec mon visage et mon corps, et le corps enseignant n’est pas très au courant je pense de comment réagir, ce qui fait que… j’en veux pas aux personnes qui ont fait ça, mais c’était pas forcément la meilleure manière, je pense. Donc j’ai été convoqué parce qu’ils se sont bien rendu compte qu’il y avait un problème, je leur avais expliqué, mais dans la classe forcément il y avait des gens qui me disaient-il, des gens qui me disaient elle, des gens qui ne comprenaient pas. Et j’ai été convoqué par le directeur adjoint et pas mal de profs, infirmiers, etc., qui m’ont demandé de ne pas en parler. Qui m’ont dit qu’il fallait que je préserve ma classe et l’équilibre de ma classe, et qu’il valait mieux que je prenne sur moi, que je continue à me faire mégenrer, que je n’étale pas ma vie, en gros. Ce à quoi j’ai répondu… en fait j’ai juste dit je suis d’accord pour l’équilibre de la classe, mais si je fais une transition c’est que c’est moi, vous êtes au courant, d’ailleurs avant que je vous donne ma carte d’identité vous me disiez il, et c’est juste en voyant mon nom sur la fiche d’appel que vous prononcez un autre pronom, les élèves pareil, donc pourquoi en faire un tabou ? Je n’ai pas eu gain de cause, et c’était en plus ma dernière chance de faire des études vu que je venais de rater deux ans de fac, donc j’ai pris sur moi, j’ai rien dit, j’avais des amis qui le savaient, d’autres qui ne savaient pas, c’était, je pense, une période assez compliquée parce que j’étais quand même en pleine transition, donc en pleine confiance en moi, et d’un coup on nous ramène deux ans en arrière. Donc ça a été assez compliqué pour moi. J’ai quand même pris sur moi pendant quelques mois, jusqu’au moment où c’est devenu ingérable dans le sens où les profs étaient au courant, certains élèves étaient au courant, d’autres non, et un jour un prof a dérapé, on va dire ça comme ça, il était gentil, mais il n’était pas forcément professionnel, c’était plus celui avec lequel on rigolait, et qui a dérapé en disant à certains élèves de ma classe que j’allais, je cite, me faire poser des couilles. Ce qui a posé problème quand moi-même j’ai interdiction de parler de ma transition et qu’un prof dit ça a des élèves qui ne sont pas au courant, ce qui fait que j’ai été submergé par l’incompréhension de ma classe, et euh… J’ai fait ce qu’il faut faire, j’ai appelé ma mère. Je n’avais pas de solution, je ne savais pas quoi faire, c’était ma dernière chance de faire des études donc j’ai appelé ma mère en pleurant et en lui disant que voilà, il s’est passé ça, ça ça, je ne t’ai pas parlé de ça, ça ça, et là à l’heure actuelle je suis dans une situation où je n’ai plus le contrôle de mon image, ni même de qui je suis, et j’ai pas envie de ça ! ma mère du coup a pris rendez-vous avec le directeur qui lui n’était pas au courant de cette décision mise en place par le directeur adjoint et qui m’a dit que c’était très grave de m’avoir imposé ça. Ce qui fait que du coup le lendemain il est venu dans la classe. La veille j’avais écrit une lettre, que je n’ai jamais envoyée parce que ma mère est venue régler le problème à la source, j’avais écrit une lettre en disant que je fais une transition pour mon mal être qui me ronge depuis des années et que m’obliger à ne pas en parler c’était comme me demander de ne pas être moi et c’était pas possible. J’expliquais dans ma lettre que je voulais continuer mes études, mais pas à ce prix-là. Ce qui fait que le lendemain le proviseur est venu faire un discours dans la classe, sur les gens qui sont différents, les gens qui… Un truc qui englobait bien tout. Suivi de je vais demander à un élève de se lever et de raconter son histoire, j’ai fait un petit stand up d’une demi-heure où j’ai expliqué du coup tout ce que je suis en train d’expliquer là, en plus rapide, et voilà, je leur ai dit qu’en soi je leur demandais pas grand-chose, juste de savoir et de comprendre. Ça s’est très bien passé au niveau de l’annonce, aucun élève… Mis à part un élève qui du coup, c’était pas dans sa religion, donc c’était difficile pour lui d’accepter ça, les élèves ont très bien réagi, beaucoup étaient émus plus qu’autre chose, et à partir de là ça s’est débloqué, même s’il y a eu toujours deux trois profs qui ne voulaient pas faire d’effort, ça s’est débloqué la situation. Et ça a été la partie la plus compliquée, c’est toujours la partie la plus compliquée, c’est quand administrativement ça ne suit pas. Tant qu’on n’a pas fait les papiers officiels, c’est toujours compliqué. Arriver avec le visage qu’on a maintenant et l’ancien prénom, ça reste compliqué même après, si vous voulez faire des études il faudra donner votre diplôme à l’ancien prénom, il faut faire des démarches de changement, sur votre acte de naissance il y aura marqué le sexe qui vous a été attribué à la naissance, donc c’est toujours compliqué administrativement, même s’il y a beaucoup de progrès maintenant, on peut demander un changement de prénom sans les opérations, on peut demander un changement de sexe sans les opérations, avec un bon suivi psychologique, on passe du coup au tribunal. Moi j’ai fait ça ma deuxième année de BTS et après ça je n’ai quasiment plus eu de problème, même si récemment j’ai du passer un concours et on m’a demandé ma JAPD que j’ai passée en 2013 au mauvais prénom… j’ai du appeler pas mal de numéros jusqu’à ce qu’on me donne le bon, envoyer mon acte de naissance modifié, et faire le papier au bon prénom.
Mickael : Aujourd’hui dans ta vie professionnelle tu en es où ?
Charly : Aujourd’hui je continue à passer mon concours, je le repasse, je le retente, et je travaille à côté. Ça se passe très bien au travail. Honnêtement depuis le nombre d’années que je le fais, si je ne parle pas de ma transidentité personne ne le sait. Il y a aussi un point important c’est que, pour mon cas en tout cas, je n’en parle pas quand je ne connais pas les personnes, ce qui fait qu’avec une carte d’identité lambda d’un homme personne ne va me poser la question, et donc je n’ai aucune problématique à ce niveau-là. Les seules problématiques qu’on va trouver c’est si jamais quelqu’un nous demande des anciens diplômes, et comme moi j’ai fait tous les changements administratifs je n’ai pas de discrimination puisque les gens ne savent pas, en fait. Et euh… C’est pas forcément quelque chose que conseille parce que chacun son rapport avec la transidentité, mais personnellement je me souviens juste de mes rêves d’enfants d’être un garçon normal, et c’est ce que je souhaite à l’heure actuelle, donc j’évite forcément… J’ai pas un drapeau LGBT au-dessus de la tête, même si j’ai pas honte, mais en tout cas au travail mes collègues le savent, mais mon patron pas forcément, même si un jour il l’apprend c’est pas grave, mais je fais mon travail correctement donc pas besoin d’étaler ma vie privée, je pense. De toute façon c’est quand on est mieux physiquement qu’on est mieux dans son travail et dans son avenir. J’ai commencé à savoir ce que je voulais faire quand j’ai commencé à savoir qui j’étais. Et c’est important parce qu’à l’école on nous demande ce qu’on veut faire, moi je voulais mourir, et c’est pas forcément… je pense qu’on n’est pas assez écoutés dans le système scolaire et au travail, et je pense que c’est plus important de régler le psychologique avant de savoir ce qu’on veut faire, parce que j’aurais pu faire n’importe quel métier, j’avais quand même envie de mourir, donc il vaut mieux régler qui on est avant ce qu’on veut faire. À l’heure actuelle j’espère que j’aurai mon concours et même si j’ai pas mon concours je ferai autre chose, mais je serai moi dans un métier qui me correspond, et pas juste le métier.
Mickael : Et aujourd’hui, tu te sens comment ?
Charly : Aujourd’hui, je me sens bien ! Ça dépend des jours, ça ne va pas toujours bien, c’est pas du tout linéaire, il y a des fois où j’ai l’impression que ça avance pas, des fois où je remets tout en question. Et c’est pour ça que je me rappelle comment j’étais à l’époque et que je me dis qu’aujourd’hui je suis moi, j’ai encore du chemin et j’aurai toujours du chemin. Une transition, c’est à vie. La testostérone, c’est à vie. Les piqures, ça sera toujours là. Et quoi qu’il arrive, ça ne s’arrête jamais, notre transition elle est à vie même si à l’heure actuelle ça n’est plus aussi présent qu’avant, même si personne ne me pose de questions et que je passe dans la masse. Donc ce que je peux dire c’est que je suis heureux, sentimentalement aussi je suis heureux, j’ai trouvé quelqu’un qui me comprend et qui m’accepte comme je suis. Parce que c’est pas forcément évident de trouver quelqu’un qui peut accepter ce que ça engendre de sortir avec quelqu’un de transgenre. Je pense qu’on a le droit de ne pas forcément vouloir sortir avec une personne transgenre, de savoir en tout cas, il faut savoir ce que ça implique. Et ça implique beaucoup de choses, ne serait-ce que pour les enfants, du coup, c’est un combat, c’est beaucoup plus compliqué et c’est important que le partenaire le sache. Moi j’ai jamais voulu me mettre avec quelqu’un pour lui apporter des galères ou du négatif, donc j’ai été honnête dès le départ en expliquant ce que ça implique. Évidemment on n’est pas différent, on n’est pas anormal, mais ça reste une vie plus compliquée que celle d’un homme cis, ça reste un combat qui devient du coup le combat de la personne avec laquelle on vit.
Mickael : Au niveau de ta vie amoureuse et sentimentale, là tu nous dis que tu as trouvé quelqu’un avec qui tu te sens bien, et qui t’accompagne au quotidien avec bienveillance. Est-ce que ça a toujours été le cas pendant ton adolescence ou au début de ta transition ?
Charly : Ça n’a pas toujours été le cas. Pour ce qui est de l’adolescence ça a été compliqué parce que la personne avec qui je sortais à l’époque, je disais pas que j’avais besoin d’une transition, j’étais juste mal dans ma peau, et ça a été compliqué parce que je détestais mon corps donc encore plus quelqu’un qui s’approche de mon corps. Donc ça a été assez complexe mes relations à l’adolescence… j’en ai eu qu’une, donc au moins… mais la seule relation que j’ai eue, j’avais seize ans, la personne ne pouvait pas savoir ce qu’il se passait, elle voyait que quelque chose n’allait pas, elle m’a recontacté des années après pour s’excuser de ne pas avoir vu et me demander si elle y était pour quelque chose. Je lui ai répondu qu’elle y était pour rien et que c’est moi qui n’étais pas assez explicite sur ce qui n’allait pas, mais ça posait beaucoup de problèmes pour une relation amoureuse d’être autant en désaccord avec son corps et autant mal par rapport à son corps. Après ma transition j’ai eu une autre relation avec quelqu’un de beaucoup moins bienveillant… j’ai pas eu de soutien, en fait, c’est comme si je faisais mon traitement de mon côté et j’avais une relation de l’autre côté. J’avais toujours autant de mal avec mon corps, mais j’ai pris sur moi pour ne pas impacter la vie de la personne en face, ce qui fait qu’après cette relation-là j’ai pensé que c’était impossible de me mettre en couple en faisant cette transition, parce que j’ai pensé pendant quelques années que j’étais plus un boulet qu’un copain. Et c’est pour ça que ma copine à l’heure actuelle quand je l’ai rencontrée je lui ai dit on sortira jamais ensemble parce que je suis un boulet, je suis que des problèmes et je le sais parce qu’on me l’a dit, parce qu’on me l’a répété, parce qu’à la fin de mon ancienne relation on m’a dit que personne ne sortirait avec moi parce qu’il n’y a que les gens fous qui sortiraient avec quelqu’un qui a autant de problèmes, autant de choses. Et elle m’a dit, mais c’est faux, c’est faux, c’est pas vrai du tout, t’es pas un boulet, t’es pas des problèmes. T’as un combat, il est là. Et je précise que ma copine ne connaissait pas forcément la transidentité, donc c’est pas qu’elle était sensibilisée, c’est juste qu’elle a compris que j’étais quelqu’un de tout à fait normal avec une vie un peu plus mouvementée que la moyenne. Je pense que quand on est transgenre ça peut bloquer sur les relations, il y a beaucoup de personnes qui peuvent mal réagir. J’ai une personne avant ma copine qui a très mal réagi parce qu’on se connaissait depuis deux semaines, et je ne lui avais pas dit parce que je la connaissais que depuis deux semaines, qui l’a appris par quelqu’un d’autre et qui a vraiment très mal réagi parce qu’elle l’a pris comme… Je sais pas, comme une insulte, je sais pas, elle l’a très très mal pris, elle m’a insulté, elle m’a détesté et elle me déteste encore à l’heure actuelle tout simplement parce qu’elle a considéré que je lui avais menti parce que j’avais omis de lui préciser. Mais je l’ai fait exprès, je ne te connais pas, je ne sais pas qui tu es, on s’est vu une fois ! Si on se connait plus et on se parle, il n’y a pas de souci, mais je ne te connais pas ! Et elle l’a très très mal pris, et elle m’a dit qu’elle ne connaissait pas de gens comme moi, que pour elle c’était pas normal et que du coup… Pourquoi je lui ai pas dit, que c’est honteux. Et du coup bah… j’ai pas encore la réponse de quel est le bon moment pour en parler, je crois que ça se ressent. Ma copine actuelle je lui en ai parlé au bout de quelques mois, j’ai attendu de savoir si c’était sérieux ou pas, si ça valait le coup ou pas de raconter ma vie. C’est toujours un petit stress de toute façon de savoir comment la personne va réagir, parce que j’ai eu de la chance, j’ai eu une bonne réaction, mais on peut avoir de mauvaises réactions et il ne faut pas le prendre pour soi. Même quand c’est des insultes, comme al personne dont je parlais avant, c’est pas… C’est pas pour soi qu’il faut le prendre, il faut se rappeler qu’il y a des gens plus ou moins ouverts d’esprit, il faut se rappeler de ses valeurs, il faut se dire qu’un jour quelqu’un nous aimera juste pour ce qu’on est, et ça finira par arriver dans tous les cas.
Mickael : Est-ce que tu as l’impression que c’est facile de trouver de l’aide quand on est dans cette situation ?
Charly : Je pense que ça dépend de l’endroit où on vit. Pour ce qui est de moi qui vit dans le Sud et qui vivait dans une toute petite campagne c’est pas forcément évident, d’ailleurs j’ai du aller à soixante kilomètres de chez moi pour trouver une association LGBT, et trouver du personnel médical qui connait la situation c’est pas forcément évident. Pour mon cas j’ai deux infirmières sur trois qui découvrent le produit quand je leur donne. Je ne connais que deux endocrinologues sur Toulouse qui s’occupent de ça, enfin, je veux dire, c’est… Dans le corps médical c’est pas encore forcément démocratisé, on n’en parle pas forcément, donc c’est pas évident d’avoir de l’aide même si je pense que les réseaux sociaux aident beaucoup parce que maintenant on peut parler à n’importe qui, et beaucoup de gens transgenres en parlent ouvertement, en font des comptes dédiés, ce qui fait que par rapport à l’époque où j’ai commencé mon traitement à l’heure actuelle on a un peu plus accès aux solutions et à parler à des gens comme nous, et à pas se sentir seul en fait. Après pour moi les réseaux c’est à l’heure actuelle une des sources les plus fiables pour avoir des informations, pour mieux connaitre, il y a beaucoup beaucoup de comptes, moi j’en suis beaucoup vu que ça me concerne, où les gens transgenres parlent ouvertement de ce qu’il se passe dans leur vie, et ce qui peut vous arriver si vous commencez le traitement. Et moi pour mon cas j’ai quelqu’un qui m’avait contacté il y a quelques années, qui m’a retrouvé sur Instagram, qui m’a dit je t’ai vu une fois au lycée et je sais ce que tu es en train de faire et moi je suis encore… j’ai pas commencé, mais je sais que je suis comme ça, est-ce que tu peux me dire comment tu as fait, qu’est-ce qu’il se passe, qu’est-ce que ça engendre ? Mes parents m’ont renié je n’ai personne, je ne sais pas où aller, on est dans une petite campagne donc je n’ai pas de noms, rien du tout. Et je lui ai donné les noms des gens que je connaissais, je l’ai accompagné, je lui ai expliqué ce que ça engendrait… Et ça, c’est uniquement parce qu’il m’a cherché sur Instagram, qu’il m’a trouvé et qu’il m’a dit je ne sais pas quoi faire, aide-moi. Et à l’heure actuelle le nombre de comptes qu’il y a, qui répondent aux questions, je sais que sur je sais plus quel réseau social j’en suis un qui s’appelle Édouard qui parle très ouvertement de tout, il parle de ce qu’il est en train de faire, le prélèvement d’ovocytes pour avoir des enfants, et moi qui ne suis pas forcément au courant de tout, bah je suis son compte et des fois je lui pose des questions, et il y a une certaine entraide qui se crée, que moi je n’ai pas connue à l’époque, moi j’étais en recherche de ça et je n’ai pas connu, et je trouve ça bien que sur les réseaux les gens parlent et qu’on puisse trouver des exemples, entre guillemets, en tout cas quelqu’un qui va être comme nous et on va se dire je ne suis pas seul. Je pense que les réseaux aident beaucoup pour ça.
Mickael : Est-ce que tu as des conseils à donner aux personnes qui traversent les épreuves que tu as dû traverser ?
Charly : J’en ai quelques-uns, je dirais d’être sûr de ce qu’on fait, d’être sûr que émotionnellement ça va aller, d’être bien entouré ou du moins un minimum entouré médicalement parlant, parce que ça engendre énormément de choses de commencer une transition. Et même seul, même si on la commence seul al transition, c’est énormément pour une seule personne, c’est bien d’avoir un entourage bienveillant ou au moins de s’en créer un, autour des associations par exemple si la famille accepte pas forcément, et je dirais d’accepter le passé et de prendre ce qu’il y a à prendre, le positif, de ne jamais regarder en arrière, d’avancer, de profiter de chaque victoire, chaque changement qui nous rend heureux. À l’heure actuelle je ne me souviens pas de comment j’étais mal à l’époque parce que j’y pense pas, et parce que je ne m’en souviens pas, c’était il y a trop longtemps. Et aujourd’hui je suis juste heureux alors qu’à l’époque je pensais que c’était insoutenable, donc même quand on pense qu’il n’y a pas de solution, il y en a une, il faut juste ne pas lâcher l’affaire et être fort.
Mickael : Et qu’est-ce que tu dirais aux proches d’une personne transgenre qui ont un peu du mal à comprendre la situation pour les aider à… à finalement accepter cette situation ?
Charly : Je pense qu’il y a deux choses. Déjà j’aimerais dire aux personnes transgenres que la réaction négative est quasiment inévitable au départ, et c’est normal, il faut accepter que si toi tu le ressens depuis dix ans et tu leur annonces du jour au lendemain, toi tu as mis dix ans à l’accepter donc ils vont mettre du temps à l’accepter. Et il faut s’attendre forcément à une rupture, pas forcément rupture, mais il faut s’attendre à une réaction, nos parents ne peuvent pas juste dire ah OK, et passer à autre chose, si nous on a mis du temps eux aussi, donc il y a tout ce travail-là à faire et je pense que si je devais parler aux proches en question je leur dirais d’essayer d’écouter sans, en enlevant tout jugement et toute valeur qu’on a nous de base, juste écouter le récit, ce qui se passe vraiment, et de se demander si on préfère avoir un enfant malheureux ou heureux, et même si ce n’est pas forcément… On ne peut pas tous être ouverts d’esprit, mais je pense que le plus important c’est que la personne, notre proche, soit au moins bien dans sa vie et bien dans sa peau. Et un peu d’écoute et d’empathie, je pense que quand on a un peu d’empathie, même si on ne comprend pas forcément, on ne peut pas continuer à dire que quelqu’un doit rester malheureux, parce que ce n’est pas dans nos valeurs, parce que c’est pas possible. Même moi mes parents n’étaient pas du tout ouverts à la transidentité, ils ne connaissaient même pas, mon père est tombé de dix étages quand il l’a appris, ma mère pareil, puis ma mère a fait preuve de beaucoup d’empathie, elle s’est rappelée de comment j’étais mal et elle m’a dit je ne sais pas où tu vas, je ne sais pas ce que tu es en train de faire, mais si c’est pour aller mieux c’est d’accord. Et c’est, je pense, la meilleure réaction d’un proche, c’est de dire je comprends pas forcément tout ce qui se passe, c’est pas dans ce que j’ai vécu ou dans mes expériences, mais si c’est pour le positif je t’accompagne, ou du moins ce que j’avais dit à mes parents si vous voulez pas m’accompagner, juste ne pas m’empêcher et ne pas me renier, juste vivre à côté, vous n’êtes pas obligés de participer à ma transition juste de comprendre que c’est moi et que je n’y peux rien autant que vous, en fait. Parce que c’est une situation qu’on subit, on ne choisit pas de naitre dans le mauvais corps et on ne choisit pas d’être mal dans son corps. Les parents non plus, mais c’est une situation que personne ne choisit.
Mickael : À titre plus personnel si tu devais te définir en un ou deux mots ce serait quoi ?
Charly : Je dirais persévérant, s’il y avait un mot qui devait me définir, je dirais persévérant. Je continue jusqu’à ce que j’y arrive, c’est ce qui me définit, je pense, le mieux. Je ne réussis pas toujours ce que je veux, mais je donne le maximum, donc même si je ne réussis pas c’est quand même une réussite au final.
Mickael : Ça fait une belle transition avec ma prochaine question qui est quels sont un peu tes projets personnels pour les mois et les années à venir ?
Charly : Ce serait de fonder une famille, d’arriver à une étape dans ma vie où je me sens entièrement moi et je suis derrière, parfois ces moments où je suis un peu en flottement et j’ai des doutes, j’aimerais bien arriver à une étape où je me sens vraiment moi. Fonder ma vie en fait en tant que Charly Mathieu à l’heure actuelle. Parce qu’au final être transgenre ça veut dire qu’une partie de notre adolescence est un peu volée et on se rattrape après, enfin c’est l’impression que j’ai, donc là j’ai passé ma partie adolescence numéro deux et là j’essaie de rentrer dans la vie active en tant qu’un homme, tout simplement. Et professionnel j’aimerais vraiment être conseiller pénitentiaire et aider les gens qui ont pas forcément les parcours les plus évidents à se réinsérer ou s’insérer dans la société, parce que je sais que quand on a une étiquette c’est pas évident. C’est pas le même problème, mais ça reste… Je peux comprendre quelqu’un qui a du mal à s’insérer parce qu’il a une étiquette derrière de prison, parce que moi j’ai eu la même chose quand il y a eu mon étiquette de transgenre, donc essayer d’ouvrir un peu les esprits en disant que tout le monde ne peut pas être pareil et c’est pas pour autant qu’il faut avoir du jugement ou refuser quelqu’un parce qu’il est différent, on est tus différents, et heureusement je pense !
Mickael : Est-ce que tu as un message à faire passer aujourd’hui ?
Charly : Si vous pensez que ce n’est pas faisable, si vous pensez que vous êtes au bout du rouleau et que vous n’allez pas vous en sortir, continuez, vous allez y arriver, c’est sûr, c’est obligé. À l’époque où je ne pensais pas que j’allais m’en sortir, j’aimerais bien parler à Charly de cette époque-là et lui dire ça va aller, cinq ans plus tard ça va. Mais au moment où ça nous arrive on est submergé par le mal être, la tristesse, et on croit qu’il n’y a pas de solution, mais il y en a toujours. Il faut juste pas lâcher l’affaire, et s’entourer.
Mickael : On arrive au terme de cet entretien Charly. Donc il me reste à te remercier d’avoir participé à cette émission et à t’encourager dans tous tes projets que tu as avec ta compagne dans cette nouvelle vie qui s’offre à toi en étant qui tu es.
Charly : Bah merci beaucoup !