Mickael : Bonjour Macha.
Macha : Bonjour.
Mickael : Merci de t’être proposée pour participer à cet épisode. Aujourd’hui on va parler du syndrome de stress post-traumatique. Est-ce que tu pourrais nous décrire avec tes propres mots ce dont il s’agit ?
Macha : Oui, donc le stress post-traumatique c’est une réaction qu’on peut avoir après un événement traumatique dans notre vie, comme une agression ou la guerre, qui a beaucoup d’impact sur notre vie après et qui peut nous empêcher de vivre de manière apaisée.
Mickael : Et si tu devais décrire ton trouble en un mot ou une image, ce serait quoi ?
Macha : je pense une sorte de trou noir qui t’embarque.
Mickael : On va revenir un peu sur l’histoire de ton trouble, est-ce que tu peux nous dire à quel moment et comment ça a commencé ?
Macha : Donc quand j’avais cinq ans je me suis fait violer quand j’étais en maternelle par un surveillant à l’école, et ensuite pendant une dizaine d’années j’ai oublié cet événement, jusqu’à mes seize ans, et là je m’en suis rappelé plus ou moins tout en même temps, et c’est là que j’ai commencé à avoir des flashbacks, des cauchemars qui sont des symptômes du stress post-traumatique.
Mickael : Et ces troubles ils se manifestent de quelle manière ?
Macha : Ils ne se manifestent plus, mais ils se manifestaient avec énormément d’anxiété, l’impossibilité de se concentrer, je ne pouvais plus travailler à l’école, des cauchemars, je me réveillais tout le temps la nuit, j’avais du mal à m’endormir, des insomnies, je ne dormais que la journée, des flashbacks, c’est-à-dire comme des images qui me venaient tout d’un coup, un peu tout le temps, de manière soudaine pendant la journée, ce qui m’empêchait aussi de me concentrer et de pouvoir vivre une vie normale. Aussi une peur un peu constante par rapport au bruit autour de moi, si quelqu’un venait me voir par surprise ou me touchait par surprise, ça avait vraiment… Ça me choquait énormément.
Mickael : Et entre tes cinq ans et tes seize ans, il s’est passé quoi sur ce plan ?
Macha : Donc je m’en suis pas rappelée vraiment, comme j’avais pas de souvenirs ou d’image de e qui s’était passé, c’était comme si ça s’était enlevé de mon cerveau, ça s’appelle l’amnésie traumatique. Mais ça avait quand même un impact sur ma vie, juste après que ça se soit passé, j’arrivais plus à parler à des adultes, donc s’il y avait des adultes que je ne connaissais pas qui venaient me voir, avant je n’avais pas de problème à communiquer avec eux comme une enfant, mais du jour au lendemain je n’ai plus pu leur parler. J’ai aussi fait énormément d’anxiété, je mangeais mes cheveux, et j’avais des cauchemars, des terreurs nocturnes beaucoup, donc ça avait quand même eu un impact même toute petite, même sans me souvenir de ce qui s’était passé exactement, puis après quand j’ai grandi j’avais beaucoup de tristesse, et au collège j’ai commencé à avoir encore plus de tristesse, une sorte de dépression qui n’était pas diagnostiquée comme telle, mais… en tout cas que maintenant je ressens comme telle, une dépression que j’avais vécu à l’époque, donc ça avait vraiment un gros impact sur ma manière de me sentir, aussi sur la vision que j’avais de moi-même, j’avais pas du tout confiance en moi, une image de moi que ce soit au niveau intellectuel ou au niveau de mon apparence physique très très négative, donc ça avait vraiment une influence sur plein de choses, sans savoir d’où ça venait.
Mickael : Et à seize ans justement ça s’est manifesté de quelle manière ? Comment est-ce que c’est venu à toi ?
Macha : Donc c’était assez surprenant parce que c’est vraiment venu, plus ou moins du jour au lendemain où j’ai eu une sorte de marée de souvenirs d’un coup et qui se sont après un peu décortiqués, ils sont devenus plus clairs, mais au début ça a vraiment été plein plein de choses différentes qui me sont arrivées au cerveau, et je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je suis vraiment devenue complètement folle. Enfin j’avais pas de doute sur ce qui s’était passé, je savais que c’était moi, que c’était ce que je voyais des souvenirs, mais c’était tellement énorme que j’avais l’impression que mon cerveau… comme se divisait, c’était horrible. Et donc oui du jour au lendemain j’ai plein de souvenirs qui me sont revenus, plein de détails qui après se sont… d’ailleurs j’en ai oublié quelques-uns, il y en a d’autres qui me sont revenus plus tard, mais en fait j’ai eu tout d’un coup.
Mickael : Et est-ce qu’à ce moment-là tu as eu une prise en charge ?
Macha : Oui, en fait je voyais déjà un psy, en fait j’ai vu un psy déjà quand j’avais 5 ans justement et quand j’ai changé de comportement par rapport à mon anxiété et à ma vision des adultes, c’est même l’école qui avait dit à mes parents il faut qu’elle aille voir un psy parce que son comportement a vraiment énormément changé, donc j’étais allée voir une psy à cette époque-là, qui avait d’ailleurs demandé si j’avais eu des abus par mon père ou mon grand-père, et vu que ce n’était pas le cas, elle a dit… en gros elle est passée à autre chose, comme quoi je vivais pas d’abus, mais il y avait quand même eu ce questionnement-là. Donc je l’ai vue pendant plusieurs années, après pendant quelques années j’ai vu personne, je suis revenue voir un psy à… À quatorze ans, je suis retournée voir une psy, que j’ai vue jusqu’à mes 18 ans, donc à 16 ans je voyais déjà une psy, mais je me sentais pas hyper à l’aise avec elle, donc j’ai pas dit en fait tous ces souvenirs pendant plusieurs mois… Mais j’étais prise en charge.
Mickael : Tu l’as dit tu as eu des manifestations un peu, qu’on peut appeler des flashbacks, des situations d’évitement, ce qu’on appelle aussi l’hyperactivation donc c’est vraiment cette sensibilité à l’environnement. Et tu as dit aussi que ça avait eu un impact sur l’image que tu avais de toi même. Ça s’est manifesté comment, est-ce qu’il y a eu des troubles qui se sont suivis aussi par rapport à cette image de toi négative ?
Macha : Oui donc déjà de la dépression qui s’est développée par rapport au fait que j’avais une très mauvaise image de moi, et aussi des troubles alimentaires plus tard, quand j’avais 18 ans j’ai développé un trouble alimentaire, mais j’ai mis beaucoup de temps à réaliser que c’était relié à mes traumas parce que sur le moment je voyais vraiment ça comme une envie d’être plus mince et puis plus belle, etc., et je n’ai fait le lien avec ma pauvre image de moi reliée à mon traumatisme vraiment plus tard.
Mickael : Dans le syndrome de stress post-traumatique il y a souvent aussi un fort sentiment de culpabilité, de honte, associé à cette image négative de toi, tu nous as parlé aussi de comportements automutilatoires, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ce qui t’a poussée à te faire du mal ?
Macha : Je pense que quand je me suis rappelée de ce qui m’était arrivé à seize ans j’ai vraiment eu une énorme honte, donc un des premiers trucs que j’ai fait c’est vraiment de me doucher tout le temps, enfin super souvent, parce que je me sentais honteuse, je me sentais sale, et aussi j’ai commencé à m’automutiler, d’abord plutôt pour… pour ressentir une douleur physique plutôt qu’une douleur psychologique, donc ça me soulageait, mais aussi je pense une partie que c’était pour me punir… mais principalement c (« était vraiment cette idée que ça m’enlevait mes flashbacks, parce que j’avais mal, donc je pensais plus à… à ce qui m’était arrivé, je n’avais plus de flashback, ou de cauchemars, j’étais beaucoup plus détendue après. Donc ça c’était vraiment un cercle vicieux où j’avais besoin de ça à un moment pour me détendre, pour ne plus penser, ça m’empêchait de penser, et c’était vraiment le seul truc que je voulais, c’était ne plus penser.
Mickael : Et donc après le lycée tu as décidé de partir faire tes études au Canada. Est-ce que tu peux nous parler un peu de cette transition entre la France et le Canada, la nouvelle vie que tu as pu découvrir ?
Macha : Oui donc j’avais vraiment toujours eu envie de partir, que ce soit aux États-Unis ou au Canada, cette envie de partir de la France, qui encore une fois je pense qu’avec beaucoup de thérapie j’ai réalisé que c’était sans doute lié à mon traumatisme entre autres, mais je suis partie à 18 ans à Montréal, et ça a été vraiment super pour moi de changer d’environnement, de changer de ville, de rencontrer de nouvelles personnes, donc au début c’était vraiment, c’était vraiment top, mais c’est aussi ça qui m’a poussée dans mon trouble alimentaire parce qu’à la base je l’ai développé parce que j’avais été acceptée dans cette université et que je voulais avoir un corps entre guillemets plus acceptable pour cette nouvelle vie que je créais, et finalement ça s’est transformé en mon trouble alimentaire.
Mickael : Et au niveau justement de cette nouvelle vie que tu espérais, sur le plan… finalement sur le plan de la dépression, ça s’est développé comment ensuite ?
Macha : En fait au début ça allait super bien et je pensais qu’en partant d’où j’étais avant j’allais plus être déprimée, que tout allait aller mieux, et pendant une période c’était le cas parce que j’avais plein de changements, de trucs qui m’amusaient, mais au final ma dépression est revenue parce qu’en fait je ne l’avais pas vraiment traitée, et donc elle est revenue au galop, et j’étais loin de ma famille, et j’étais moins, j’étais plus du tout prise en charge quand j’étais à Montréal, donc j’ai du traverser ça toute seule pendant une période de temps.
Mickael : Et ces troubles alimentaires, dépressifs, associés à ton stress post-traumatique, est-ce qu’ils ont eu un impact ensuite sur cette… sur le déroulement de tes études ?
Macha : Oui, même au lycée j’ai du redoubler ma terminale parce que pendant presque un an je suis pas allée en cours et j’ai été hospitalisée pour ma dépression, et après quand je suis arrivée à l’université j’ai aussi du prendre des semestres sans aller en cours parce que j’arrivais pas, donc j’avais vraiment ce côté très perfectionniste quand ça allait bien, et quand ça allait pas je pouvais plus rien faire, donc ça a vraiment eu un impact sur ma scolarité assez fort, j’ai mis beaucoup de temps à finir ma licence, et ce qui était vraiment dur pour moi justement parce que j’avais ce côté très perfectionniste, donc il y avait parfois ce mélange des deux qui était pas très facile à gérer.
Mickael : Et au Canada, de quelle prise en charge est-ce que tu as pu bénéficier ?
Macha : J’ai commencé en fait à avoir une prise en charge après que j’ai vécu en fait une autre agression sexuelle, je suis allée voir un psy, qui m’a pas spécialement aidée d’ailleurs. Pendant plusieurs mois je l’ai vu, j’ai développé d’ailleurs à nouveau un trouble alimentaire, mais au bout de quelques mois je partais en échange en Californie, et c’est là-bas que j’ai commencé à vraiment prendre en charge ma santé mentale, donc j’étais en traitement, en hôpital de jour en fait pour mon trouble alimentaire, mais en même temps j’avais de la thérapie, je parlais beaucoup de mes traumatismes, donc j’ai vraiment beaucoup évolué à ce moment-là, et j’ai vraiment aussi travaillé sur les vraies raisons de mon trouble alimentaire, pour vraiment pouvoir en fait aller mieux sur ce plan-là.
Mickael : Et est-ce qu’aujourd’hui ces troubles du comportement alimentaire ils persistent encore tu te considères comme étant rétablie sur ce plan ?
Macha : Je me considère pas comme étant rétablie parce qu’on dit souvent qu’il faut plusieurs années sans symptômes pour être rétablie, mais ça va très bien sur ce plan-là, ça fait un an que ça va très très bien. En fait j’ai eu pas mal de rechutes, mais là ça fait vraiment un an que je suis très stable. Donc moi je me sens rétablie parce que je suis vraiment très stable avec mon alimentation, mais souvent on considère qu’il faut plusieurs années pour être vraiment rétabli.
Mickael : Tu as dit aussi que pendant ta prise en charge en Californie tu as commencé un peu à identifier les raisons de ton trouble alimentaire, et ce travail sur les raisons que tu identifies il se déroule de quelle manière, c’est quel type de travail ?
Macha : Quand j’étais en Californie c (« était à la fois un travail vraiment centré sur la nourriture donc des repas avec des psychologues, mais aussi des groupes de travail, des sessions avec des psychologues et un psychiatre, des conversations avec d’autres personnes souffrant de troubles alimentaires qui ont été très bénéfiques parce que… En fait on s’aidait à mieux comprendre les raisons qui nous avaient fait développer des troubles alimentaires.
Mickael : Et au niveau de la prise en charge de ton stress post-traumatique, ça s’est passé comment ?
Macha : J’ai commencé en fait il y a un an et demi à peu près, et c’est une thérapie de désensibilisation. Donc c’est répéter encore et encore tous les détails de ton traumatisme, donc c’était pas très fun sur le moment, le but c’est vraiment le plus on en parle le moins on est sensible, donc le moins on a ce qu’on appelle des triggers, on est plus aussi stressé ou les flashbacks reviennent moins, on est moins sensible comme par exemple quand j’avais des sursauts si quelqu’un me touchait ou autre chose. Donc c’est vraiment parler encore et encore des mêmes choses, donc ça ça a été vraiment très très dur parce que ça m’a pas mal redéclenché mon stress post-traumatique qui allait vraiment mieux, mais c’était un mal pour un bien parce que pendant plusieurs mois ça a été difficile, c’était pendant le confinement, donc en soi c’était un bon moment pour me concentrer sur moi, j’avais pas de travail donc je pouvais vraiment me concentrer sur un travail sur moi. Un truc que j’ai beaucoup c’est que je fais pas du tout confiance à mes instincts parce que justement j’avais suivi en fait cet homme quand j’étais en maternel donc mon instinct avait entre guillemets été mauvais, donc maintenant j’ai du mal à suivre mes instincts, mais pour des trucs vraiment étranges, par exemple j’ai du mal à savoir si, quand je suis dehors, si je marche sur du plat ou si c’est en montée ou si c’est en descente quand c’est pas très évident, donc j’ai besoin de demander à quelqu’un autour de moi, est-ce que c’est plat… C’est du détail, mais ça a vraiment un impact sur ma vie parce que je me fais pas du tout confiance. Mon trouble alimentaire aussi s’est développé en fait parce que j’avais envie que mon corps ne ressemble plus du temps à ce que je ressemblais quand j’étais petite, c’est-à-dire que même au niveau de mon physique, par exemple mes cheveux, j’étais très brune quand j (« étais petite donc je me suis fait très très très blonde, le côté quand j’étais un bébé, enfant, j’étais toute potelée, pareil quand je me suis fait violer à vingt ans j’étais aussi potelée, donc le fait de vouloir avoir un corps très différent de ça, donc vouloir me protéger avec un corps qui ne se ferait pas abuser parce qu’il est très différent de celui qu’il a été plus petite et plus grande, donc ça c’est vraiment important pour moi. Mon traitement sur le stress post-traumatique ça a été aussi d’accepter que mon corps n’avait pas de rapport avec mes viols, que c’est pas parce que j’étais plus potelée ou plus brune ou quoi que je me suis fait agresser, et c’est pas parce que je vais être mince non plus que je vais pas me faire agresser en fait, que ça a pas de rapport avec ça. Donc c’était aussi ce côté contrôle, de pouvoir contrôler son corps donc de pouvoir contrôler comment les autres vont le traiter, c’était aussi d’accepter qu’en fait on ne peut pas contrôler comment les autres vont le traiter et ça, c’est extrêmement anxiogène, m’accepter comme je suis en fait et que je peux pas trop avoir de contrôle là-dessus.
Mickael : Et aujourd’hui sur tous ces plans, est-ce que tu bénéficies toujours d’une prise en charge ?
Macha : Oui, je continue à voir une psychologue une fois par semaine, et une nutritionniste une fois par mois, c’est vraiment plus pour un suivi, pour être sur que je rechute pas, et la psychologue aussi pour moi c’est très important, c’est vraiment plus pour voir quelqu’un à qui je peux parler de ce qu’il se passe dans ma vie, que ce soit très positif ou négatif ou ni l’un ni “l’autre, c’est vraiment très soulageant pour moi d’avoir cet espace pour pouvoir prendre soin de moi.
Mickael : Et ces troubles ils ont eu quelles répercussions sur ta vie quotidienne, sur tes relations familiales, sur tes relations amicales, sentimentales ?
Macha : Mes troubles alimentaires ont eu un énorme impact, je pense que c’est celui qui a eu le plus d’impact sur ma vie quotidienne avec mes proches, parce qu’il y a vraiment eu cette bataille quotidienne de mange, et moi je voulais pas manger. Donc que ça soit avec mes différents copains à différents moments de ma vie, mes parents ou même mes amis, ça a vraiment eu un impact, d’autant que ça avait aussi un impact énorme sur ma personnalité, comment j’étais. Le stress post-traumatique aussi a beaucoup eu d’impact sur le fait de vouloir voir des gens, j’étais vachement isolée, ma dépression pareil je voulais plus voir personne, je voulais plus sortir, je voulais rester dans mon lit toute la journée, soit par dépression, soit parce que j’avais peur d’aller dehors. Donc ça a vraiment eu beaucoup d’impact. Après j’ai vraiment eu des proches géniaux, j’ai toujours eu des proches absolument incroyables que ça soit mes parents, mes amis, tout le monde a toujours été hyper là pour moi, surtout mes parents qui ont été hyper compréhensifs sur la santé mentale, ça a été je pense très très important pour mon développement et pour mon rétablissement.
Mickael : Et du fait des événements que tu as vécus quand tu étais plus jeune, et de tes troubles qui en ont suivi, on peut se poser justement la question de comment ça se passait au niveau de tes relations amoureuses ?
Macha : Donc ça a vraiment eu un gros impact sur le fait que déjà de base je voulais vraiment plaire aux garçons parce que je manquais complètement de confiance en moi donc je prenais vachement cette confiance en moi de par le regard des autres et surtout des garçons, et avec mes… mes amoureux à différents moments, ça a vraiment eu quand même beaucoup d’impact sur notre intimité, le fait que j’étais quand même assez anxieuse sur tout ce qui avait un rapport avec la sexualité etc. Donc euh ça ça a été assez difficile pour moi à gérer, mais j’ai toujours eu des amoureux hyper compréhensifs, et qui prenaient leur temps, et qui me brusquaient jamais, ça ça a toujours été hyper positif.
Mickael : Et aujourd’hui est-ce que tu considères que tu as réussi à te réconcilier avec toi-même ?
Macha : En grande partie, ouais, oui, en grande partie oui. Et c’est très agréable, en fait je me sens beaucoup plus apaisée, et même… Là ça faisait un an et demi que j’étais pas rentrée en France donc ma famille et mes amis, ça faisait un an et demi que je les avais pas vus, et il y a un an et demi j’étais beaucoup dans mon trouble alimentaire, et les gens me disent tu as l’air tellement plus apaisé, mieux avec toi même, il y a vraiment une différence, il y a aussi une lumière en moi qui n’est plus là quand je suis dans mon trouble alimentaire ou quand je suis dans ma dépression, qui est là quand je vais bien, et ça se remarque, et moi j’adore aussi parce que c’est ça ma personnalité, et j’aime bien quand je suis qui je suis vraiment.
Mickael : Donc aujourd’hui tu vis au Canada, est-ce que tu remarques une différence avec la France concernant l’image qu’on a de la santé mentale, la manière d’en parler et la manière dont c’est perçu par la société au Canada ?
Macha : Oui, je pense qu’on est pas mal plus avancés au Canada sur ce sujet-là qu’en France, dans le sens où on en parle plus de la santé mentale, pas assez à mon goût, mais quand même il y a beaucoup de ressources, dans les médias on en parle beaucoup, dans les universités il y a énormément de choses qui sont mises en place pour les jeunes, pareil pas assez, mais quand même. Donc il y a vraiment une vision beaucoup plus décomplexée de la santé mentale, beaucoup plus dans la prévention et pas seulement la prise en charge après qu’il y ait des troubles, et aussi dans cette idée de la santé mentale pas seulement reliée aux maladies mentales, mais aussi juste au bien-être et au fait d’aller bien, on peut toujours aller mieux, sur la méditation, le self care… pas seulement la santé mentale seulement médicalisée, et en fait ça je pense que c’est une assez grosse différence avec la France. Ensuite par rapport aux TCA en particulier le Canada est beaucoup plus avancé que la France, je pense que la France est très en retard sur la vision même que les médecins ont sur les troubles alimentaires, sur cette idée qu’une personne souffrant de troubles alimentaires est nécessairement une fille, nécessairement maigre, nécessairement blanche… Alors que la plupart des gens qui souffrent de troubles alimentaires ne ressemblent pas à ça… beaucoup de gens y ressemblent, mais ce n’est pas la seule réalité, et je pense qu’au Canada c’est, ça a été plus compris qu’en France même si c’est pas suffisamment compris pour l’instant non plus. Mais en France pour en avoir parlé avec des médecins et des psychologues parfois je suis vraiment étonnée de la vision que les médecins peuvent avoir, quand j’en parlais c’est, mais toi tu manges beaucoup ou peu ? Tu es quel type de troubles alimentaires ? Et ça fonctionne pas du tout comme ça, c’est bien plus compliqué, donc toujours un peu étonnant comme vision même des professionnels de la santé mentale sur les troubles alimentaires en France.
Mickael : Et à propos plus largement des violences sexuelles, on entend souvent des réactions totalement absurdes et idiotes sur le fait que la victime n’avait qu’à s’enfuir et se débattre. Et toi justement pour avoir vécu des traumatismes de ce type, qu’est-ce que tu as à répondre à ces absurdités ?
Macha : Moi ça me choque toujours beaucoup parce qu’en fait on ne contrôle pas du tout, quand quelque chose se passe de traumatisant on a l’impression de ne pas contrôler ce qu’on fait, donc certaines personnes vont s’enfuir, vont se battre, beaucoup de gens vont se paralyser et plus pouvoir bouger, et c’est aussi une manière de survivre en fait parce que dans beaucoup de situations le fait de se débattre ou de s’enfuir peut être vraiment plus dangereux. Moi quand j’avais vingt ans en particulier les personnes avaient un couteau, donc si je m’étais débattue je serai sans doute potentiellement morte, donc le fait de pas m’être débattue était sans doute la meilleure chose à faire, mais c’est pas moi qui l’ai fait, mon cerveau s’est automatiquement paralysé, et pareil quand j’étais petite, j’étais complètement paralysée dans ce qui se passait. Et même maintenant, aujourd’hui, dès qu’il y a quelque chose qui me stresse, pas un traumatisme, mais quelque chose qui m’angoisse, je vais vraiment me paralyser, donc je trouve ça absurde de dire aux victimes pourquoi vous vous êtes pas débattues, vous ^vous êtes pas enfuies, alors que déjà on contrôle pas ce qu’on fait et en plus ça peut être encore plus dangereux de se débattre ou de s’enfuir.
Mickael : On voit assez souvent aussi des personnes qui finalement méprisent les personnes qui ont vécu un traumatisme, en leur disant que ce ne serait pas possible d’oublier un événement aussi choquant pendant des années pour ne s’en souvenir que dix, quinze, vingt ans plus tard. Il y a même des personnes qui prétendent que ces personnes inventent les événements, pour se victimiser, pour se mettre en valeur. Qu’est-ce que tu as à répondre à ça aussi ?
Macha : C’est toujours un peu choquant pour moi de voir ça, déjà parce que je le prends très personnellement, ce que je ne devrais pas ! Très invalidant. Et aussi en fait ça concerne énormément de monde qui vit des violences sexuelles qui oublient pendant quelques mois, quelques années, des dizaines d’années, parce qu’en fait le cerveau est très intelligent, il veut nous protéger, il a pas envie qu’on se souvienne de choses qui sont vraiment horribles, donc en fait c’est une manière de nous protéger et de, qu’on survive à des événements qui pourraient nous tuer, ou… Entre guillemets il ne nous fait nous le rappeler que quand on est prêt, enfin moi c’est ce que je pense, c’est que c’est quand on est prêt à le supporter qu’on s’en rappelle, il nous fait oublier ce qu’on a vécu, mais ce n’est pas nous qui décidons d’oublier du jour au lendemain. Donc je pense que c’est aussi vraiment important au niveau social de réaliser à quel point l’amnésie traumatique est courante, et que c’est vraiment difficile à vivre, et que les personnes qui vivent ça aient un meilleur soutien dans leur parcours.
Mickael : Et dans cette démarche d’informer sur la santé mentale, notamment pour faire de la prévention auprès des jeunes, tu as fondé récemment l’association Hello Psycho. Est-ce que tu peux nous en parler un peu, nous dire ce que vous y faites, pourquoi vous avez lancé ce projet et les projets que vous avez pour les mois et les années à venir ?
Macha : Alors pour l’instant Hello Psycho c’est surtout un site web avec beaucoup d’informations pour les jeunes, spécifiquement pour les 13-17 ans donc avec un langage très facile, avec beaucoup d’images, beaucoup de couleurs, très interactif, ciblé sur les adolescents, à la fois sur les émotions, sur les différents événements qu’on peut vivre à cette époque-là par exemple les ruptures amoureuses, la jalousie, etc., et des choses plus graves comme les agressions sexuelles, le harcèlement scolaire, et aussi toute une partie santé conseil sur la santé mentale, vis-à-vis par exemple de l’anxiété, des troubles alimentaires, comment mieux les gérer. Évidemment tout ça a été revu par des psychologues parce qu’on voulait vraiment que tout ce qu’on écrit soit juste, soit bien dit. Donc on a créé ça, le site, et ensuite on aimerait faire des interventions dans les écoles donc utiliser nos expériences parce que ma collaboratrice Victoire et moi-même avons toutes les deux vécu des troubles psychiques donc on aimerait utiliser nos expériences pour éduquer les ados, mais pas d’un point de vue médical, vraiment d’un point de vue nous qui l’avons vécu, qui sommes encore jeune, qu’est-ce qu’on aimerait dire aux adolescents pour qu’ils se sentent moins seuls et aussi les éduquer sur les bases de la santé mentale. Parce qu’on réalise aussi beaucoup que quand ça vient d’autres jeunes et de personnes qui ont vécu des troubles ou pas seulement des troubles, mais qui sont aussi ouvertes sur la santé mentale, les ados écoutent mieux qu’avec des médecins, donc du moment que tout est vérifié par des médecins et que ce qu’on dit c’est véridique, c’est bien dit, je pense que c’est très important de pas avoir seulement cette approche médicalisée de la santé mentale, mais aussi un aspect plus humain auquel je pense les adolescents, de ce que j’ai pu voir avec les conversations avec eux, ils connectent mieux quand c’est avec des personnes avec lesquelles ils peuvent s’identifier.
Mickael : Et du coup, comment est-ce que vous pensez développer ce projet à l’avenir ?
Macha : On essaie de faire des partenariats avec différentes associations, on a commencé avec l’Unafam, faire des conférences, aller dans les lycées pour justement parler de la santé mentale, de ce point de vue de personne rétablie ou en rétablissement. Donc ça c’est nos futurs projets, continuer aussi à faire des vidéos pour le site, parce que ça, c’est nos témoignages pour le site donc il faut en faire plus, continuer à alimenter avec plus de sujets.
Mickael : Est-ce que tu aurais des conseils à donner aux personnes qui ont traversé des épreuves similaires à celles que tu as vécues ?
Macha : Oui, je pense, même si on est tous différents… Déjà ce rapport avec la honte, réaliser qu’une personne survivante d’agression sexuelle ou d’autre type d’agression, la honte ne devrait jamais être sur nous, ça devrait toujours être sur l’agresseur donc vraiment se rappeler ça même si ça peut être extrêmement difficile parce que c’est tellement facile de ressentir de la honte, et je pense aussi que quand on ressent de la honte sur nous même, au lieu d’être sur quelqu’un d’autre, il y a une forme de contrôle parce qu’on a notre colère contre soi-même et non pas sur l’autre, on a l’impression de pouvoir mieux contrôler ce qu’on fait. Ensuite je pense que le fait d’avoir de la compassion envers soi-même et sur le fait que ça peut prendre du temps pour aller mieux, et c’est normal si ça prend du temps, même si peut être qu’il y a des gens autour de nous qui vont pas comprendre pourquoi ça prend autant de temps, c’est important de prendre le temps qu’il faut, et aussi d’en parler, que ça soit à des proches ou à des professionnels, en tout cas en parler aussi par rapport à cette idée de la honte, au plus on en parle, au moins on a honte. Le silence est le meilleur ami de la honte. Donc parler c’est vraiment une très bonne manière de lutter contre ça, et puis aussi pour recevoir du soutien parce qu’on mérite tous d’aller bien et de recevoir du soutien de nos proches. Donc c’est important de demander ce soutien, peut être que tout le monde ne va pas être réceptif comme on le souhaite, mais il y aura toujours quelqu’un qui le sera, et sinon il y a des psychologues qu’on peut contacter ou des lignes de téléphone, plein, il y a plein de ressources qui peuvent nous aider donc c’est vraiment en parler, ne pas rester seul.
Mickael : Et au-delà de la personne qui vit ces troubles, est-ce que tu aurais des conseils aussi à donner à l’entourage ?
Macha : Déjà se rappeler qu’on peut être là pour quelqu’un, et c’est beau d’être là pour quelqu’un, mais c’est pas à nous de sauver, c’est pas à l’entourage de sauver la personne, c’est vraiment très important d’être bienveillant et de soutenir la personne, mais aussi de se rappeler qu’on ne peut pas la changer, donc se déculpabiliser aussi de si quelqu’un ne va pas bien, qu’on a l’impression qu’on peut rien faire, se déculpabiliser si on n’y arrive pas. Je pense aussi être patient envers la personne qui souffre parce que c’est vraiment difficile d’aller mieux, d’avoir de la patience, mais aussi de respecter ses propres limites donc on peut être patient, mais parfois c’est trop pour nous, puis d’accepter qu’on peut pas toujours tout accepter, on a besoin de temps pour soi, et on ne peut aider les gens que si nous on va relativement bien, donc il faut prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin des autres, et ça, c’est très important, surtout quand on a quelqu’un de très proche qui va mal c’est tellement entre guillemets facile de plonger avec eux, d’être tout le temps là et de pas prendre soin de nous, mais en fait on ne peut aider que si on prend soin de sa propre santé mentale. Ensuite je pense s’informer, surtout sur les troubles psychiques, quelqu’un trouble de troubles psychiques parfois on va pas savoir ce que c’est et c’est complètement acceptable parce qu’on ne peut pas savoir tout sur tout, mais accepter de ne pas savoir et puis se renseigner, il y a des sites, ou même demander à la personne en face de nous si elle peut mieux nous expliquer ce qu’elle est en train de vivre, ou si la personne ne peut pas, de se renseigner soi-même. Ou si on a peur que la personne souffre de quelque chose, mais que la personne ne s’en rend pas compte, vraiment ce côté de se renseigner. De ne pas avoir peur de poser des questions bêtes aussi, demander à la personne ce dont elle a besoin, mais vraiment lui demander de façon à ce que la personne soit agente de sa propre, de son propre bien être, donc si on lui demande comment aller mieux ça lui donne une agentivité et aussi ça peut permettre de les aider plutôt que de faire ce qui nous semble mieux.
Mickael : Si tu devais te décrire en un mot, ce serait quoi ?
Macha : Je pense… Bienveillant. Ça serait le mot que j’utiliserai pour me décrire.
Mickael : Et aujourd’hui est-ce que tu as terminé tes études ?
Macha : oui, j’ai terminé mes études il y a un an et demi, maintenant je travaille pour une fondation à Montréal qui enseigne l’histoire des génocides aux lycéens.
Mickael : Et sur le plan professionnel ou personnel, est-ce que tu as des projets pour les années à venir ?
Macha : Oui, j’aimerais beaucoup travailler en santé mentale en prévention, développer des projets de préventions, d’où la raison pour laquelle j’ai créé Hello Psycho, mais j’aimerais faire ça en d’autres initiatives aussi d’ici quelques années.
Mickael : Tu as parlé tout à l’heure de demander à la personne ce qui pourrait lui faire du bien. Et toi aujourd’hui, qu’est-ce qui te fait du bien, qu’est-ce qui t’apporte du plaisir ?
Macha : je pense passer du temps avec mes proches, ça c’est vraiment le Covid, pour moi ça a été très important parce que justement je vivais à Montréal donc je ne voyais que mon copain, je n’avais pas vu mes parents et mes amis depuis un an et demi. Donc passer du temps avec mes proches j’ai réalisé à quel point ça me fait du bien. Aussi je fais beaucoup dé vélo, c’est vraiment une manière de me vider la tête, mais j’ai vraiment attendu d’être bien dans mon alimentation pour pouvoir faire beaucoup de sport, ça m’aide vraiment à me vider la tête, me promener, tout ce qui est être en extérieur, au soleil, c’est toujours là que je me sens le mieux. Et puis aussi prendre du temps pour moi, pas avoir honte si je passe des fois une journée entière à regarder une série, juste accepter que j’ai besoin de ça à certains moments.
Mickael : Et si tu avais un message à faire passer aujourd’hui ce serait quoi ?
Macha : Qu’il faut prendre soin de sa santé mentale avant que ça aille mal. Et qu’il faut qu’il y ait des choses mises en place pour qu’on puisse le faire, qu’on en parle beaucoup plus, qu’on voit la santé mentale comme aussi importante que la santé physique et pas seulement dans le terme maladie, mais aussi en termes de bien être parce que même si on va bien on peut toujours aller mieux, et si on va pas bien on peut aller bien, donc prendre soin de sa santé mentale comme de sa santé physique, on nous conseille de manger cinq fruits et légumes par jour et de marcher trente minutes tous les jours, de faire du sport régulièrement, bah c’est pareil pour la santé mentale, même si ça va bien et qu’il y a pas de problèmes je pense qu’on peut tous s’aider soi-même et prendre soin de nous à tout moment.
Mickael : On arrive au terme de cet entretien, donc il me reste à te remercier énormément d’avoir partagé avec nous ton parcours et tes expériences, et on te souhaite tout le bien possible et la pleine réussite dans tous les projets dont tu nous as parlé, qui sont de très beaux projets et comme tu l’as dit très bienveillant, ce qui correspond à ta description.
Macha : Merci beaucoup !
Mickael : Merci !