"Je n'étais pas motivée pour me faire hospitaliser, mais en même temps je savais qu'il le fallait. C'était super particulier pour moi."

Deuil, famille, anorexie — Si, dans la majorité des cas, l’entourage est une ressource qui contribue au bien-être, il y a des fois où la famille peut aussi être source de souffrance. Des événements de vie viennent bousculer un système, parfois déjà fragile.
Aujourd’hui, nous recevons Zoé, une jeune fille qui a perdu sa mère suite à plusieurs récidives de cancer. Ce décès a déchiré sa famille et modifié sa propre trajectoire. Elle nous parle de comment ces événements de vie l’ont menée progressivement à des troubles psychiques.
Bonne écoute.
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Zoé

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Thèmes

Mickael : Bonjour Zoé.

Zoé : Bonjour.

Mickael : Merci de t’être proposée pour participer à cette émission.

Zoé : Avec plaisir.

Mickael : Tu viens nous parler de plusieurs choses aujourd’hui…

Zoé : Oui !

Mickael : Est-ce que tu peux nous dire justement qu’est-ce qui t’a motivée, qu’est-ce qui a fait que tu as voulu témoigner aujourd’hui ?

Zoé : Je pense que c’est hyper important de parler des choses, même si c’est des choses dures, qu’on a pu vivre dans notre vie, qui nous ont construite, qui nous ont aussi un peu détruite, parce que… Enfin moi je sais que c’est des choses assez compliquées, mais j’ai quand même envie de continuer d’en parler parce que je suis fière de m’en être sortie, même si ça continue à être un combat tous les jours sur plein de plans, mais pour libérer aussi un peu la parole sur la santé mentale, je trouve que c’est hyper important, on entend encore, toujours, que, bah voilà, les gens qui sont hospitalisés en psychiatrie c’est des fous, que les anorexiques sont toutes super maigres, enfin… Tout le monde a… Les gens qui ne s’y connaissent pas du tout ils ont juste la possibilité de lire ce que les médecins écrivent, mais parfois c’est hyper flou quand on ne s’y connait pas du tout ! Et du coup je trouve que c’est intéressant aussi de vulgariser un peu la santé mentale et tous les problèmes psy, etc.

Mickael : Tu as 23 ans aujourd’hui, et ton histoire avec les troubles psychiques a commencé il y a une dizaine d’années.

Zoé : Oui c’est ça, à peu près. Vers… J’ai commencé à être suivie à dix ans pour… Parce que j’avais du mal à dormir toute seule, tout simplement, et parce que ma mère est tombée malade à ce moment à donc c’est mes parents qui m’ont… pas forcée, mais qui m’ont amenée à consulter pour être surs, entre guillemets, que j’évolue quand même dans de bonnes conditions, etc. J’ai vraiment été suivie régulièrement de mes douze à aujourd’hui encore.

Mickael : Tu nous dis que ta mère est tombée malade quand tu avais à peu près dix ans. Est-ce que tu peux nous dire un peu comment ça s’est passé quand tu l’as appris, et finalement comment tu l’as vécu toi à cet âge ?

Zoé : Comment je l’ai appris… Ah, c’est un peu particulier, c’était le jour de l’anniversaire de mon père, et voilà, ma mère voulait préparer un déjeuner quoi avec toute la famille, et elle voulait qu’on aille toutes les deux dans notre boulangerie préférée je me souviens, et elle m’a dit, juste avant de sortir de la maison, qu’elle avait quelque chose à m’annoncer. Et moi vraiment j’étais persuadée qu’on allait à Disneyland. J’étais persuadée, je commençais à être toute contente, tout excitée, et elle voulait pas me dire tant qu’on n’était pas à l’extérieur, tout ça, et dès qu’on est sorties elle m’a dit bon bah voilà, j’ai un cancer. Je ne m’attendais pas du tout à ça. Je suis un peu tombée des nues, à la fois, bon, bah ok quoi. Je lui ai demandé du coup ce que ça allait être la suite, elle m’a dit qu’elle allait suivre une chimiothérapie, une radiothérapie… Moi je savais déjà à peu près ce que c’était quand même parce que je me suis toujours intéressée à la santé, à la médecine, tout ça. Par contre je me souviens qu’au déjeuner ça a été un petit peu plus compliqué parce qu’elle l’a annoncé à sa mère, donc ma grand-mère, et ma grand-mère a pleuré donc je me suis dit, ah, c’est un peu, c’est un peu grave peut être. Et après j’ai demandé à mon père si ça allait aller ou pas, juste ça, et il m’a dit que les médecins étaient très confiants. Donc je l’ai vécu, je pense… C’est un peu terrible, mais comme juste un événement comme un autre, quoi. Pas… j’avais pas particulièrement peur, et puis ma mère c’était vraiment une battante, elle s’est jamais arrêtée de travailler, elle a perdu ses cheveux, mais elle les a rasés avant pour pas avoir des trous, et tout, donc ben… Ouais, je l’ai pas mal vécu à ce moment-là, pas du tout, pas du tout de peur en tout cas. Voilà.

Mickael : Est-ce que tu as senti des modifications peut-être à l’intérieur de la famille, un peu… Comme tu nous disais que tu avais des demi-sœurs, des demi-frères, comment ça se passait aussi à ce niveau-là ?

Zoé : Hm… Mes frères et sœurs, ils étaient pas très présents pour ma mère. Moi voilà, comme j’avais neuf, dix ans, bah forcément mon père allait à la clinique, moi j’y allais avec lui, donc j’ai vu tout ça, quoi, je l’ai vue aller en chimio, sous médicaments, avoir la nausée et tout, et mes frères et sœurs ils ont huit à dix ans de plus que moi donc ils étaient déjà bah jeunes adultes, quoi, ados encore quand même, voilà ils avaient leurs études et tout, donc on n’en parlait vraiment pas du tout. Après ma mère en parlait, mais en rigolant, toujours sur le ton de la rigolade, il y a que une fois où elle s’est mise à pleurer, c’était juste un peu un craquage quoi. Parce qu’elle était juste super fatiguée en fait. Mais à ce moment-là en tout cas je dirais que ça a pas trop chamboulé notre quotidien, quoi, je loupais pas l’école. Vraiment c’est comme si tout était normal et juste ma mère bah parfois au lieu d’aller travailler elle allait faire sa chimio, quoi, c’est tout.

Mickael : Cette période elle a duré combien de temps ?

Zoé : Cette période elle a duré de fin novembre à fin février, donc c’était quand même assez rapide je pense, et voilà en toute fin de février les médecins lui ont dit qu’elle était en rémission, il y avait juste encore un cycle je crois de chimio à faire ou de radiothérapie je sais plus, et après c’était fini quoi. Et là par contre quand ma mère m’a dit ça, enfin c’est mon père d’ailleurs qui me l’a dit, je me suis effondrée quoi. En fait c’était comme si j’avais eu peur depuis le début, mais je l’avais pas trop verbalisé, même moi je ne m’en étais pas rendu compte, mais là j’étais vraiment soulagée. Et tout le monde pareil, je pense, a ressenti un gros soulagement, alors qu’on s’était pas dit avant qu’on avait particulièrement peur quand même. Donc là elle était en rémission, et on a un peu repris le cours de notre vie comme si rien ne s’était passé… Alors pareil, il y avait les check up, les médecins quand même assez régulièrement. Un an et demi à peu près, l’été de l’année d’après, elle m’annonce qu’elle fait une rechute, mais qui est moins grave entre guillemets que la première fois qu’elle est tombée malade, et que du coup elle va pas faire de chimiothérapie, mais juste de la radiothérapie. Là moi à ce moment-là ça m’a fait très peur parce que j’étais persuadée que c’était fini, en fait, pour toujours quoi, même si on sait qu’il y a des possibilités de rechute, on pense que nous ça va aller. Et ça cet épisode-là il a duré tout l’été et en septembre pareil, honnêtement j’ai pas beaucoup de souvenirs, voilà, on a repris notre train-train quotidien quoi. Jusqu’à août encore de l’année d’après. Là ça a commencé à aller vraiment mieux, on a vu la lumière au bout du tunnel quoi, même ses cheveux ils avaient repoussé, elle commençait à aller mieux, etc., et en fait quand on est arrivés en vacances elle a commencé à avoir de très fortes douleurs au niveau du bas du dos, apparemment ses nerfs sciatiques qui repoussaient, qui avaient été un peu endommagés à cause de la radiothérapie, donc là elle avait de très fortes douleurs, ça faisait vraiment peur parce qu’elle hurlait vraiment, elle avait du mal à dormir, et moi ce qu’on m’a dit c’est que c’étaient de bonnes douleurs, parce que ça repoussait en fait donc c’étaient des douleurs de vie quoi. Du coup après ses vacances en famille je suis partie en colo, et quand je suis revenue mon père est venu me chercher en voiture à la gare, j’étais derrière, parce qu’il y avait d’autres gens de base, mais là on était que tous les deux, et en fait j’étais à l’arrière de la voiture, il était en train de conduire, il m’a regardée dans le rétroviseur et il m’a dit ta mère est retombée malade. Et là je me suis effondrée, et en fait on s’est rien dit pendant tout le trajet, juste lui il a pas pleuré, mais moi j’ai pleuré pendant tout le temps du retour, genre une demi-heure, il m’a juste dit ces mots et en fait c’est comme si c’était la troisième, mais la dernière fois, on le savait tous les deux sans le savoir. Et après quand je suis arrivée chez moi, ma mère était là, tout ce qu’elle a dit c’est oh la la, non, tu lui as dit, c’est moi qui voulais lui annoncer ! Et moi je ne comprenais pas du tout cette réaction, parce qu’elle n’avait pas peur du tout. Et après par contre ça s’est enchainé beaucoup plus rapidement.

Mickael : Cette période-là tu nous dis justement tu l’as accueillie avec pas mal de peur quand on te l’a annoncée. Et ça s’est déroulé comment après jusqu’à, finalement jusqu’à la fin ? Comment est-ce que tu as vécu ça d’être enfant et finalement de perdre un parent ?

Zoé : Au début ce qui était vraiment très dur, c’était de la voir souffrir, parce qu’en fait son cancer… Elle avait un cancer de l’utérus qui s’est généralisé dans tout le ventre en fait, et après dans la gorge, donc elle avait de très fortes douleurs au niveau du ventre, je me rappelle d’une fois où je me suis réveillée à quatre heures du matin parce qu’elle hurlait en fait, les pompiers sont venus, et en fait ma mère elle avait vraiment mis un point d’honneur sur le fait qu’elle voulait rester le plus longtemps possible à la maison, je pense pour être avoir moi, et être aussi avec mes frères et soeurs mais c’est vrai que moi j’avais onze, douze ans, donc elle voulait vraiment être avec moi. Je sentais que ça allait pas, et personne le disait vraiment. Et mon père a commencé à être beaucoup moins à la maison, il voulait tout le temps être avec elle à la clinique, et du coup moi c’est mes frères et sœurs qui me gardaient, ou je dormais chez des amis. J’allais quand même très souvent la voir à l’hôpital donc c’est vrai que là par contre on passe de… Moi je faisais beaucoup de gym quand j’étais petite, et je passais de bah je m’entraine, je dors, je vais à l’école, à en fait je peux pas aller à l’école ce matin parce que je vais voir ma mère à l’hôpital. Donc là ça a commencé à être vraiment très très dur. Je le faisais, quoi, ça me dérangeait pas plus que ça. Et juste je le faisais sans trop me poser de questions et ma mère continuait à suivre la gym, l’école, elle me posait des questions. Donc voilà, c’était différent, mais on faisait un peu comme si de rien était à la fois. Et après ça s’est vraiment dégradé, je pense à Noël, moi j’adorais vraiment ouvrir mes cadeaux le 25 au matin devant le sapin et tout, et je me souviens que ma mère est vraiment partie en courant pour aller vomir quoi. Ça m’a brisé le cœur en fait, je me suis dit… Là je savais que plus rien ne serait comme avant. Même si à ce moment-là elle faisait encore de la chimiothérapie, elle était vraiment encore très bien suivie, elle était même hospitalisée à la maison donc il y avait beaucoup de personnel médical qui venait tout le temps… Ça allait un peu trop loin, en fait, c’est ce que je me suis dit, là c’est un peu trop. Surtout qu’en fait elle a refusé d’aller chez son oncologue, donc c’est mon père qui y allait pour elle, donc lui savait où ça en était, mais elle savait pas. Donc elle a continué à se faire soigner jusqu’au 8 février 2014, et donc trois jours avant, ils ont arrêté tous les traitements qui pouvaient la sauver, elle est passée en soins palliatifs… Forcément j’ai pleuré, quoi, j’ai pleuré, tout est sorti d’un coup, surtout que j’étais toute seule chez moi à ce moment-là, c’était un mercredi, je m’en souviendrai toute ma vie, et mon père était à la clinique avec ma mère. Et en fait on est allés la voir trois jours après, le 8 février, j’ai passé une bonne partie de la journée là-bas, elle était médicamentée au maximum pour pas qu’elle panique et pour pas qu’elle souffre. Et là j’ai vraiment eu un temps toute seule avec elle, au début ça m’a fait très peur parce qu’elle avait juste l’oxygène dans le nez, mais ça m’a choquée de voir ma mère comme ça. J’ai vraiment eu l’impression de lui dire au revoir en rejoignant mon père du coup dans la salle d’attente, je lui ai demandé combien de temps ça allait durer et tout, parce que là honnêtement… Ça va surement paraitre égoïste, mais c’était pas une vie, donc j’en avais marre pour elle, et j’en avais marre pour moi, quand tu as douze ans tu as envie d’aller jouer avec tes copains et basta. Et du coup j’ai demandé combien de temps ça allait durer, il m’a dit que ça pouvait durer des jours, des semaines, des mois, que personne savait. Et euh moi je lui ai dit que je pensais que ce serait aujourd’hui. Et le soir à 20 h, moi j’étais déjà rentrée, mon père allait dormir là bas, elle a donné son dernier souffle ce soir-là.

Mickael : Après son décès, toi, tu l’as vécu comment justement d’avoir perdu ta mère ?

Zoé : Hm… À ce moment-là moi j’avais… je l’ai toujours d’ailleurs, mais à ce moment-là surtout j’avais une relation très fusionnelle avec mon père. Et là en fait pareil, sans se parler, mais comme c’était, ça s’est vraiment fait très naturel et automatiquement aussi, on s’est engagés dans cette grande aventure du deuil, tous les deux, parce qu’à ce moment-là notre famille s’est complètement brisée en fait, à cause de la douleur, à cause de l’argent, tout ça. Honnêtement la première année après la mort de ma mère j’ai très peu de souvenirs, je sais que j’avais encore des réflexes genre ah il faut que je le dise à ma mère, etc., mais en fait j’avançais, quoi. J’ai mis quelques semaines à me remettre dans l’école, dans le sport et tout, mais en fait j’avançais. De toute façon la question s’est pas posée quoi, et après il y a eu la succession qui est arrivée vraiment très rapidement, et du coup un problème quotidien qui est venu s’installer dans un problème qui allait prendre forcément plus de temps. Et du coup pilote automatique quoi.

Mickael : Tu parles de cette succession justement et de la famille brisée autour de cette question, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

Zoé : En fait l’appartement dans lequel on vivait depuis que j’étais née pratiquement avec mes frères et sœurs et mes parents c’est ma mère qui l’avait acheté, il y avait du y avoir un consensus avec mon père, mais c’était elle sur les papiers quoi. À la succession, forcément ce bien est rentré dans le testament forcément, et il y avait aussi l’assurance vie. Déjà ça a fait un premier, une première cassure parce que mon frère était pas d’accord, et ma sœur non plus. Et la question de l’appartement du coup qui allait être divisé en quatre, entre les deux enfants de ma mère, mon frère et moi… Moi j’étais très proche de mes frères et sœurs, on s’entendait très bien, et en fait du jour au lendemain la relation avec ma sœur s’est vraiment détériorée, elle habitait plus à la maison, elle me parlait plus en fait. Et mon frère n’habitait déjà plus avec nous, mais il ne répondait plus à mes messages, il ne venait plus me garder à la maison, il avait complètement disparu. Et après tout s’est enchainé, donc, bah forcément l’appartement il est en vente, il faut faire quelque chose des meubles, il faut faire quelque chose des bijoux de ma mère, des vêtements de ma mère… Moi je voulais garder des choses… Et mes frères et sœurs, ils ont tout pris. Mon père s’est pas du tout battu pour cette partie-là, pour les biens vraiment matériels, moi je comprenais pas à l’époque, mais lui il a préféré juste pas faire la guerre. Ils ont récupéré tous les bijoux de ma mère, les meubles de notre ancien appartement, jusqu’à la tête de lit de mes parents. Et ça s’est tellement mal passé, ça je l’ai appris beaucoup plus tard, mais mon frère était tellement en colère contre mon père… Tous les deux, les enfants de ma mère, ils avaient l’impression que mon père les avait abandonnés dans cette succession, parce qu’il avait toujours dit que c’était comme ses enfants, mais là ils avaient l’impression que c’était pas le cas et qu’on n’a pas été tous les trois à parts égales en fait… mais c’est vraiment à partir de ce moment-là où juste moi j’ai perdu ma mère et tout ce qui me raccrochait à elle, on a dû déménager, et je n’ai rien récupéré qui lui appartenait, juste deux t-shirts, un gilet et un collier que mes frères et sœurs savaient pas qu’elle adorait, mais moi je le savais… Et j’ai perdu mes frères et sœurs aussi parce que ma sœur est partie vivre en Argentine pour ses études et mon frère pendant cinq ans a disparu. Je sais qu’il est parti voyager un peu partout dans le monde, mais c’est que des échos que j’ai eus parce que moi il me répondait pas, et pourtant j’ai essayé, j’ai appelé, j’ai envoyé des messages, mais pendant cinq ans j’ai eu silence radio. Ça a été la pire partie, parce que… Ma mère était décédée, elle était plus là, mais je comprenais pas pourquoi quelqu’un qui était encore là faisait comme s’il était plus là, en fait. Et moi j’avais besoin aussi de mes frères et sœurs à ce moment-là. Après on est passés de six à la maison à deux en un an, et on a traversé la Seine pour le déménagement, donc ça fait beaucoup quoi.

Mickael : Ça fait une grosse transition quand même pour une jeune fille adolescente. Qu’est-ce que ça a provoqué chez toi, je sais pas, comme émotion, est-ce que ça a perturbé aussi peut-être des relations à l’école ou autre ?

Zoé : Ça a provoqué beaucoup de colère parce que comme je l’ai dit, pendant la maladie de ma mère, j’étais en pilote automatique, on me trimbalait un peu partout et je suivais quoi. J’avais jamais eu d’occasion de moi exprimer ma colère, dire ce que je voulais. Après j’avais douze ans donc forcément les questions d’argent je ne pouvais pas y prendre vraiment part. J’avais aussi un juge des tutelles qui s’occupait de moi, parce que quand on a un parent qui décède, bah en fait il y a la loi qui fait l’autre parent, un peu quoi, l’État. Et du coup j’avais l’impression de plus… genre être en pleine possession de ma vie, un peu quoi. Alors que j’ai toujours eu quand même un assez fort caractère donc j’aimais bien avoir au moins l’impression de décider des choses, sauf que là j’ai pas décidé que ma mère meure, forcément, j’ai pas décidé de perdre les relations avec mes frères et sœurs, j’ai pas décidé de déménager, et ça faisait beaucoup. Donc là j’étais très très en colère, et ça s’est senti au moins à l’école, où j’ai commencé à répondre aux profs, alors que j’avais jamais été comme ça du tout, j’ai commencé à plus faire mes devoirs, ça m’était complètement égal. J’ai arrêté la gym aussi au même moment, et j’étais juste super énervée tout le temps. Et mon père aussi était en colère contre d’autres choses, mais lui était suivi donc il avait cette échappatoire-là. Et quand il a commencé à voir que justement moi j’avais toute cette colère en moi, il a voulu que je recommence à voir une psychologue, et du coup je suis retournée voir ma psychanalyste à l’époque, mais je lui parlais pas. On parlait juste de la pluie et du beau temps et quand elle me posait des questions je répondais juste que je savais pas. Mais du coup maintenant je pense que si je lui avais répondu je lui aurais hurlé dessus, quoi, tellement j’étais énervée. Donc vraiment le sentiment qui m’a vraiment habitée presque à cent pour cent après tout ça, ça a été la colère, et même la haine, la haine des relations… Et après j’avais plus de mal à m’attacher aux gens, à créer des relations, surtout avec les femmes plus ou moins adultes, de mon âge ça allait, mais c’était un peu plus compliqué, et aussi avec les hommes qui avaient à peu près l’âge de mon frère… En fait je cherchais en permanence à avoir un grand frère quoi, donc… Donc voilà.

Mickael : Et finalement pendant les années qui ont suivi, est-ce que tu as réussi à trouver des manières de gérer cette colère, cette haine comme tu dis, les émotions négatives ? Que ça soit une échappatoire ou autre.

Zoé : Oui, alors en fait comme j’avais arrêté la gym que je faisais quand même depuis un petit bout de temps, bah voilà j’avais plus du tout d’échappatoire comme tu dis. À la fin du lycée j’ai découvert le cheerleading, et en fait ça a été le coup de foudre, quoi. J’avais trouvé quelque chose déjà de nouveau, en plus du sport, quelque chose de créatif, d’artistique… Et en plus j’étais bonne, quoi ! Donc on m’a tout de suite beaucoup lancé des fleurs. Mes coachs étaient américains à l’époque donc c’était vraiment… Un peu… C’est pas méchant, mais c’étaient un peu des caricatures américaines, quoi, tout était génial, moi j’étais incroyable, ils m’avaient dit dès la première fois que je pourrais faire des compétitions à l’international et tout… Enfin c’est devenu mon but principal en fait, tellement que j’ai arrêté d’aller au lycée et que mon père m’a inscrite au Cned, et du coup je pouvais faire du sport vraiment mon quotidien, pendant toute ma terminale, même ma deuxième terminale parce que du coup j’ai redoublé quand même. Par contre après pendant le covid ça a été compliqué parce que du coup je ne pouvais pas en faire, je me suis retrouvée un peu face à moi-même. Je pense que ça m’a beaucoup servi comme ça m’a un peu desservi parce que quand on trouve une passion comme ça et qu’on n’a pas tout réglé avant, c’est hyper énergivore, que ce soit physiquement autant que psychiquement. Donc je pense que ça m’a servi à l’époque, mais quand même un petit peu desservit quoi.

Mickael : Est-ce que tu peux nous dire un peu, pour celles et ceux qui ne savent pas, ce qu’est le cheerleading ?

Zoé : Le cheerleading c’est un sport américain. Pour l’expliquer vraiment en une phrase à ceux qui ne connaissent pas du tout moi je dis tout le temps que c’est un peu comme pom pom girl, pour que les gens aient déjà une vision un peu générale du truc, sauf que moi en tout cas dans la catégorie que je faisais on n’avait pas de pompons. Du coup c’est vraiment un mélange de gym, de danse et de portés, donc pyramides et tout. Physiquement c’est très dur et aussi psychologiquement c’est très dur parce que moi du coup j’étais la personne portée et en fait on doit avoir cent pour cent confiance dans les personnes qui nous portent et c’est un lâcher-prise qui est assez exceptionnel. Il faut être assez bien dans ses baskets, je pense. Mais c’est très fun, on a une musique… En fait nos passages durent deux minutes trente donc c’est quand même très très court, mais c’est… Ça parait une éternité honnêtement. Et c’est un sport qui est pas très reconnu en France, ce qui fait qu’on voyage beaucoup quand on en fait à assez haut niveau, et ça m’a permis de voir plein d’autres choses, de toucher beaucoup à la culture américaine, et voilà, c’est ça quoi le cheerleading ! [rires]

Mickael : Tu faisais beaucoup de gymnastique avant, tu avais arrêté, tu as repris une activité. Est-ce que ça t’a permis de renouer aussi avec ton corps finalement ?

Zoé : Moi ma puberté, elle est arrivée très tard. Je suis très petite, quoi, je l’étais encore plus à l’époque, et j’étais vraiment très menue, je faisais très jeune, etc. Et du coup honnêtement je pense que mon corps je me le suis approprié que très tard en tant que femme. Quand je suis rentrée dans le cheerleading, j’étais dans ma tête une enfant en vrai. Et puis on m’avait un peu mise dans cette case-là de ah bah c’est Zoé, c’est la toute petite, c’est la plus petite, elle court partout, elle rigole tout le temps. Je sais tout de même que dans ma tête j’étais bien contente d’être parmi les plus petites parce que même si la plupart du temps on ne nous le dit pas clairement, il y a quand même un rapport force-poids qui est pas… Qui est indéniable, quoi, donc c’était quand même plutôt pratique que je sois très petite, quoi. Mon corps… Je faisais, enfin, je me posais vraiment pas de question.

Mickael : Le cheerleading c’était quelque chose qui te faisait beaucoup de bien. Tu l’as dit, il y a quelques années il y a eu bah finalement la pandémie, les confinements qui ont suivi, donc forcément c’était très difficile, voire impossible de pratiquer ton sport. Comment est-ce que tu as vécu cette période justement ?

Zoé : Cette période-là elle a été difficile pour moi, mais je pense que mon corps était très content lui parce que du coup il avait une grosse pause, quoi. Et du coup j’ai pris pas mal de poids, mais en fait juste… Je pense que ma puberté est arrivée à ce moment-là, quoi, j’ai commencé à avoir des formes et tout, il se trouve qu’au même moment j’ai commencé un traitement contre l’acné, plein d’hormones, c’était beaucoup d’un coup quoi. Au début ça me dérangeait pas trop, mais j’ai commencé à avoir une vision un petit peu différente quand même de moi. Et puis il y a cet aspect un peu qui est très présent dans la société en tant que femme de juste se dire ah bah là il va falloir que je commence à faire attention, en fait. Parce qu’on m’avait toujours dit là tu peux manger n’importe quoi, tu es toute petite, tu es toute jeune, mais tu vas voir un jour tu vas prendre dix kilos en mangeant un croissant… Et je me suis dit là ça y est, c’est aujourd’hui en fait. À cette époque je me souviens que je faisais beaucoup beaucoup de bodychecking, enfin je me regardais tout le temps dans le miroir, je regardais tout le temps les filles sur les réseaux, je me disais que je voulais être comme ça… La façon la plus facile qui m’est venue à l’esprit c’était juste de commencer à sauter des repas, et après à la sortie du confinement, en reprenant les activités et tout, j’ai fondu complètement, mais juste je suis revenue comme avant, en fait, un petit peu entre guillemets, même si ça avait quand même un petit peu changé. Moi la balance j’en avais jamais eu chez moi et là en fait j’étais obligée de vérifier tout le temps, et j’avais un peu peur de me réveiller un matin et j’avais pris quarante kilos quoi. Pour moi ça pouvait arriver du jour au lendemain, d’un claquement de doigts. Mais honnêtement ça allait, j’ai pas du tout arrêté de m’alimenter, et je faisais beaucoup de sport, mais juste ça commençait à devenir un peu une obsession et ça m’angoissait un petit peu. Très rapidement j’en ai parlé à ma meilleure amie de l’époque et je lui ai dit que j’avais super faim. Parce qu’elle aussi avait des soucis. Et elle m’avait dit, mais en fait il faut manger là. Et en fait je me suis juste dit aussi simple que ça, ok, je vais manger. Et là ça a commencé à aller mieux, ça s’améliorait, il y avait des jours un peu plus compliqués, mais la plupart du temps c’était ok. Et à ce moment-là je me suis mise en couple avec un garçon qui lui mangeait très très mal. Pas du tout de sport. Et du coup je faisais un petit peu comme lui, quoi, sauf que à ce moment-là j’ai découvert un peu la culpabilité, je mangeais n’importe quoi, et je savais que c’était n’importe quoi, mais tout de suite après ça me rongeait la culpabilité, je commençais à me dire je suis grosse, je suis moche, je vais plus pouvoir faire de sport, ils vont plus réussir à me porter et tout. Et je me suis pris aussi pas mal de réflexions de personnes plus ou moins proches de moi, juste, pas vraiment méchantes, mais juste ah ! bah tu as pris un peu de ventre, il va falloir courir, hein, et tout machin. Mais du coup ça me trottait en tête quoi. Et en 2021 ça s’est vraiment dégradé, pas sur le plan physique, ça se voyait pas vraiment, mais dans ma tête ça allait pas du tout, et je suis allée voir pour la première fois un psychiatre, mais vraiment pour les TCA, ça n’a pas du tout matché, je l’ai vu quelques mois, il m’a mise très rapidement sous anxiolytiques, antidépresseurs, mais c’est quelqu’un qui était très froid et j’avais l’impression d’être vraiment un numéro, quoi, une autre anorexique en fait. Ou juste c’était ça les marches à suivre et ça irait mieux si je faisais ça ça ça. Et bon bah ça n’a pas été le cas, et il m’a déconseillé de continuer le cheerleading, et à ce moment-là j’ai commencé à avoir une relation plus compliquée avec mes coachs, qui ne comprenaient pas et qui ne comprennent toujours pas trop les troubles du comportement alimentaire. Pour eux c’est aussi simple que bah juste mange ! Du coup ça a été compliqué, j’ai arrêté, donc là j’ai arrêté totalement tout le sport, et tout, je me suis dit voilà, je vis ma vie, avec mon copain à l’époque, on mange n’importe quoi on fait pas de sport, forcément au bout de genre six mois j’étais au bout de ma vie quoi ! Et j’ai commencé à vouloir entre guillemets me reprendre en main. Ça s’est installé, enfin vraiment petit à petit, au lieu de me faire des sandwichs je me faisais des tartines, quoi, c’était vraiment entre guillemets aussi léger que ça. Je me suis séparée de mon copain à l’époque, ça a été un peu mon moment pour me dire voilà, c’est bon, là j’ai aucune personne qui peut m’amener dans la malbouffe en fait, je peux faire mon truc toute seule ! Et j’ai recommencé le cheerleading à ce moment-là, et là mon objectif c’était vraiment de devenir la meilleure. Je voyais que ça en fait. Très peu de temps après, après c’est vraiment un concours de circonstances, mais j’ai rencontré mon copain actuel qui était dans mon équipe à l’époque, qui lui est kiné, donc très axé voilà sur la santé physique, il a beaucoup de connaissances en nutrition. Voilà, au tout début de l’année ça allait vraiment pas, je mangeais vraiment trop sainement, et genre un repas par jour, et je faisais beaucoup de sport en plus, mais le truc c’est qu’en fait à ce moment-là ça marchait quoi, enfin je devenais de plus en plus forte en fait. Donc même si je pense que c’était pas que par rapport à ça, bah dans ma tête c’était que par rapport à ça. Par contre quand j’étais avec mon copain, ben, lui, voilà, il faisait beaucoup de sport aussi, il a un métier qui demande d’être très actif forcément, donc il se faisait plaisir, mais c’est quelqu’un qui aime bien savoir ce qu’il met dans son corps, juste. Et du coup quand j’étais avec lui j’étais un peu plus libérée quand même. Donc voilà, je me permettais de manger des pizzas, McDo sans me poser trop de questions en fait parce que je voyais que lui faisait pareil. Les mois ont continué, et nous nos compétitions elles commencent en février-mars, et elles s’arrêtent en juin. Et arrivés au moment des compétitions je me suis dit bah là c’est ton moment quoi, là il faut que je perde un max, il faut que mon uniforme soit trop grand, il faut que ça soit facile pour les garçons de me porter. Je sais plus trop comment, mais là du jour au lendemain, je pense j’ai commencé à ne plus manger pendant plusieurs jours d’affilée, et en fait je faisais genre des sortes de crises boulimiques… Enfin on m’a dit après que c’était pas vraiment ça, que c’était juste comme je mangeais pas pendant plusieurs jours, après je faisais des énormes repas d’un coup, et ça continuait, je mangeais pas, etc. Et après on est partis au championnat du monde à Orlando de cheerleading au mois d’avril. Et là-bas on s’entraine deux fois par jour. Et là en fait j’ai tout éradiqué de mon alimentation, et je mangeais que des fruits et des légumes. Tous les genre deux jours je mangeais un peu de pain parce que j’étais quand même un peu fatiguée. Et là j’ai commencé à ressentir vraiment les effets de la malnutrition, j’étais beaucoup plus fatiguée, j’avais la tête qui tournait… et j’étais très sur les nerfs, quoi, tout le temps. Et en fait quand on est rentrés en France la première chose que j’ai faite c’est que je me suis pesée, et là en fait j’avais commencé à perdre plus que j’avais jamais perdu en fait. Et là je me suis dit c’est bon, quoi, ça marche, et là j’ai juste continué comme ça. Je buvais même plus d’eau, en fait y’avait plus rien qui passait à un moment. Et en fait personne m’en parlait. Personne me disait ah bah c’est bizarre, t’as l’air fatiguée et tout… Et du coup je pensais que personne ne le voyait, j’étais totalement en contrôle de mon truc, c’était moi et moi-même, je me trouvais trop belle… mais j’étais très très fatiguée. Et du coup je travaillais aussi à l’époque et je me souviens que les journées de travail je commençais à les subir, quoi. Et je commençais à oublier aussi des trucs, pendant les conversations j’arrivais plus à me concentrer, à écouter des gens et tout, et j’arrivais plus à dormir non plus. Un soir mon copain est sorti en soirée et moi j’y suis pas allée parce que pareil à ce moment-là je commençais à me couper un peu de tout le monde, et il m’a dit : quand est-ce que je tire la sonnette d’alarme ? Alors moi je suis tombée de douze mille étages parce qu’en fait pour moi ça sortait de nulle part. Et ce soir-là en fait il m’a dit tout ce qu’il avait vu depuis le début en fait de notre relation, et moi, toute la façade elle s’est brisée d’un coup, et j’ai commencé à admettre qu’il y avait un problème. Sauf que c’était le début de l’été, on allait commencer à partir en vacances et tout, pas le moment en fait, surtout que moi je me suis dit ouais, mais en fait je vais me mettre en maillot de bain, je vais pas guérir maintenant, enfin non ! L’été se passe, ça va de plus en plus mal, je perds de plus en plus de poids… Je commence vraiment à être très très fatiguée. Un jour, j’étais au travail et là ça allait pas du tout du tout, j’étais super fatiguée, enfin, en fait j’étais à deux doigts de m’évanouir toute la journée en fait, simplement, c’était l’été donc il faisait super chaud et tout, et ça faisait genre trois jours que j’avais pas mangé. Et là en fait j’ai envoyé un message à mon copain en lui disant qu’il fallait qu’il vienne me chercher le soir parce que ça allait pas du tout en fait. Et là on a discuté un petit peu par message et on a décidé d’aller aux urgences à Saint Anne, aux urgences psychiatriques, c’était la première fois que je me rendais compte du contrôle que la maladie avait sur moi, et en fait je n’avais plus du tout le contrôle. Parce que là j’étais tellement mal que je voulais manger, mais j’en étais incapable. Rien que le fait en fait que quelqu’un du corps médical reconnaisse que tu es malade, ça ouvre plein de portes ! Ce n’est pas forcément des portes que j’avais envie d’ouvrir au début… Je savais que j’étais malade parce que l’anorexie c’est une maladie dont j’étais proche depuis que j’étais assez jeune, parce que j’avais pas mal d’amies qui avaient été malades, et d’amies très très proches. Donc je savais que c’était une maladie, c’était pas le problème, mais là en fait j’étais persuadée que c’était de ma faute et il y avait une partie de moi qui me disait que c’était une question de volonté pour s’en sortir. Quand je me suis retrouvée dans le bureau de cette psychiatre à deux heures du mat aux urgences, qu’elle m’a posées toutes les électrodes et qu’en fait mon cœur il était super, genre il battait super lentement, et là j’ai vu qu’elle avait peur un petit peu quoi. Et là je me suis dit bon bah y’a un problème. Et la première chose que je lui ai dite, je pense que c’est hyper révélateur, c’est que je lui ai demandé si c’était vraiment grave, et y’a eu zéro hésitation quoi. Et ça a été le début de la psychothérapie pour les troubles du comportement alimentaire. La psychologue je l’avais déjà vue une fois quelques semaines avant, parce qu’après que mon copain m’a dit pour la première fois qu’il voyait très bien qu’il y avait un problème j’avais pris rendez-vous super rapidement pour commencer les démarches, quoi. Et du coup ça s’est fait à ce moment-là l’acceptation du fait qu’il y a un problème, quoi.

Mickael : Et ta psychiatre à l’hôpital, est-ce qu’elle t’a proposé d’autres choses, finalement ? Parce que ce qui arrive assez fréquemment c’est de proposer une hospitalisation. Est-ce que c’est quelque chose dont tu as pu bénéficier toi de ton côté ?

Zoé : La première fois que je suis allée aux urgences psychiatriques, elle m’a effectivement parlé de l’hospitalisation à Sainte Anne directement, en étant très claire avec moi sur le fait que là y’avait pas de place pour le moment parce que c’est quand même un service assez restreint et que moi j’étais pas en urgence vitale donc ils pouvaient pas m’accueillir en urgence. Et qu’il fallait que je me batte en fait si je voulais avoir une place, dans le sens où il fallait que j’écrive une lettre de motivation. C’est un truc qui m’a un peu hantée quand même, genre ben, je suis pas motivée à me faire hospitaliser, mais je sais qu’il y a besoin quoi ! C’était super particulier pour moi à ce moment-là. Et elle m’a dit on peut t’hospitaliser pendant quelques jours en psychiatrie adulte, c’est tout type de soucis, quoi, donc j’allais me retrouver avec toutes sortes de problèmes, et honnêtement ça m’a pas… Ça m’a paru être une bonne solution, donc je suis rentrée chez moi après. Ça parait hyper bizarre de savoir qu’on est assez malade, quoi, on n’est vraiment pas bien en fait dans sa tête, et juste on rentre chez soi. Et en fait le rendez-vous chez la psychiatre qu’on n’a jamais encore rencontrée il est dans un mois et demi parce qu’il n’y a pas de place avant, et pendant ce temps-là on va voir sa psychologue une fois par semaine, mais c’est tout. Surtout qu’en fait c’est la psychiatre de l’hôpital qui m’a donné les contacts des psys à l’extérieur. J’ai mis un petit peu de temps à avoir un rendez-vous parce que j’ai d’abord contacté une médecin qui ne m’a jamais répondu, une autre qui m’a dit qu’elle était en vacances, et en fait la troisième je voulais pas aller la voir de base parce que c’était une cliente de là où je travaille, on soignait son chien quoi ! Je me suis dit que ce serait un petit peu bizarre, mais en fait au bout de deux semaines que j’avais pas le rendez-vous je me suis dit qu’il fallait que je le fasse, quoi, mais voilà le rendez-vous était un bon mois après que je sois allée aux urgences. Et donc je rentre chez moi après Sainte Anne et une semaine, non, même pas une semaine après quatre jours après j’y retourne, un matin cette fois ci parce que ça allait pas du tout, et la psychiatre que je vois ce matin-là c’était une autre, je la connaissais pas, et elle m’a dit j’étais basse, mais j’étais pas si basse que ça. Enfin bon… En fait je suis petite, mais elle m’a dit ton IMC il est pas catastrophique, quoi, t’es pas en urgence vitale. Elle m’a demandé si j’avais des pensées suicidaires, tout le bla-bla quoi, et en fait elle m’a conseillé d’envoyer ma lettre à Sainte-Anne au cas où une place se libère, mais que ce serait dans huit mois, dix mois… Mais en fait moi je me suis dit, mais en fait je vais pas tenir moi tout ce temps ! Et en fait si je tiens, c’est que j’aurais un peu oublié que peut être dans huit mois je vais me faire hospitaliser, donc je vais remettre le truc sous le tapis et ça va continuer comme ça quoi ! Après ça m’est quand même resté dans un coin de la tête, j’en ai parlé à ma psychologue, elle était à fond derrière moi, elle m’a beaucoup aidée aussi parce que j’ai commencé à rédiger la lettre, même, mais en fait c’est un peu tombé à la trappe, quoi. Les semaines ont passé, je faisais toujours du cheerleading, et je me disais bah en fait je vais continuer l’année comme ça, c’est pas grave… Je mangeais que le week-end pour les entrainements, j’ai recommencé un petit peu à faire des trucs, à sortir, voir mes amis et tout, mais c’était très très compliqué. Parce que du coup vu que ça allait quand même un tout petit peu mieux bah j’ai repris du poids… je voulais pas en fait ! C’était horrible, quoi ! Là j’étais inquiète pour moi un peu, je l’avais jamais été, la seule fois où je l’avais été c’est quand j’avais commencé en fait à voir mes psys et que j’ai vu que mon père était inquiet pour moi. Mais à ce moment-là ouais je voyais pas comment m’en sortir en fait, tous les jours c’était horrible, quoi, tous les jours c’était une souffrance, et le pire c’est que là ma souffrance elle se voyait même plus sur mon corps. Quand même un peu, forcément, mais vu que je suis assez petite, ça se voit moins que si je faisais un mètre quatre-vingt quoi. Et en fait juste un matin j’ai mangé, voilà, et ça a été l’élément déclencheur, je suis allée me peser tout de suite après. Et j’étais toute seule chez moi parce que mon copain travaillait. J’avais pris du poids… enfin j’avais pris du poids que je devais pas perdre. J’ai explosé en larmes, j’ai fait une énorme crise d’angoisse, et en fait c’est comme si d’un coup, en une fraction de seconde, il n’y avait plus rien qui comptait en fait. Dans la vie de tous les jours quand on pense à la mort on sait direct ce qui va nous manquer et pourquoi on n’a pas envie de mourir. Mais là que mon père perde sa fille, que mon copain perde sa copine, genre tout ça ça m’était égal en fait, enfin ça m’était pas égal, mais c’était vraiment plus ma priorité. Et ma priorité à ce moment-là c’était d’arrêter ma souffrance en fait. Mais je voulais pas mourir, quand même ! C’est bizarre de dire ça, mais j’ai pas fait le truc… De faire une intoxication médicamenteuse volontaire, on sait qu’il y a des chances que ça aille après, quoi. Du coup j’ai avalé toute ma plaquette d’anxiolytiques, mais en croquant les comprimés j’avais déjà tapé le 18 quoi. Et du coup après les pompiers sont arrivés au bout de 25 minutes, là je me suis un peu dit je vais mourir toute seule chez moi ! C’est comme ça que ça s’arrête ! Et en plus je voulais pas mourir de base donc j’étais un peu… Mince… Et après quand ils sont arrivés, ben je suis tombée sur une équipe, trois quatre pompiers qui avaient entre vingt-cinq et quarante-cinq ans, et leur chef c’était… Un mec qui connaissait rien à la santé psychologique, c’est limite s’il m’a pas fait une petite tape sur l’épaule quoi… Il était pas trop partant pour m’emmener aux urgences, mais il a dit que si j’y allais pas, lui il allait se faire taper sur les doigts par son chef après quoi. Du coup bah je suis montée dans le camion de pompier et je me suis rendue aux urgences quand même, où là j’étais vraiment au bout de ma vie, mais… C’était comme si j’étais pas dans mon corps, en fait, je voyais tout quoi. Ils m’ont posé plusieurs fois la question de si ça se passait bien avec mon copain, et je me disais ah bah c’est bien, genre c’est cool, on prend conscience des violences qui sont faites aux femmes… Vraiment c’était une expérience hors du temps et j’étais vraiment en dehors de mon corps quoi. Et quand je suis arrivée aux urgences l’infirmière a pris toutes mes infos et tout en fait quand j’ai dit que j’avais fait une intoxication médicamenteuse elle m’a, elle a tout de suite dit qu’il fallait m’emmener en salle de déchoquage, sauf qu’arrivée en salle de déchoquage l’infirmière a dit qu’elle allait prendre toutes mes affaires et mon téléphone… Sauf que là je me suis dit, mais personne ne sait que je suis là ! Du coup j’ai commencé à pleurer et je lui ai dit, mais… Voilà, personne ne sait que je suis là, comment je fais en fait ? Et du coup elle m’a dit je te laisse envoyer un dernier message. Et du coup elle est partie faire d’autres trucs et j’étais en mode ok c’est le dernier message, il faut que je sois très claire, il faut pas que je passe par quatre chemins et j’ai genre trente secondes pour l’écrire… Et en fait j’ai écrit à mon copain en lui disant que… C’est horrible, en lui disant que j’étais à l’hôpital. Et en fait lui il a compris parce qu’il travaillait à côté d’un hôpital que j’étais en train de venir le chercher à son travail et que j’étais au niveau de l’hôpital, et du coup il m’a juste dit ok. Et moi je me suis dit, mais merde putain comment je fais, et quand je la voyais revenir je me suis dit ok il faut un truc pour qu’il comprenne directement, et du coup je lui ai juste envoyé ma localisation. Et du coup elle a pris mon téléphone, et c’est le trou noir, quoi, ils m’ont mis le cathéter… J’étais branchée et tout. Et pareil là, j’explosais de rire toutes les trente secondes parce qu’en salle de déchoquage généralement il n’y a que des vieilles personnes qui ne sont pas très bien, et, fin… les infirmières elles faisaient des blagues et tout, enfin c’est les urgences, donc littéralement c’est un enfer pour tout le monde qui y travaille ! Et le médecin qui était de garde cette nuit-là je pense que c’était un interne, ou un très jeune médecin, et en fait il m’a demandé ce que j’avais, et quand j’ai dit que bah j’avais fait une tentative de suicide, il a mis sa main sur mon épaule, et vraiment j’ai vu des points d’interrogation dans ses yeux il m’a dit alors en fait moi je ne suis pas du tout spécialisé dans la psychiatrie, mais ça va aller madame. Du coup j’étais genre merde… Et en fait ils m’ont dit que le psychiatre serait là demain. Avec tout ce que j’avais pris je me suis endormie assez rapidement quand même. Quand on m’a réveillée parce que le psychiatre était arrivé le lendemain il était presque 24 h après, il m’a posé quelques questions, il a dit que je pouvais sortir et qu’il y aurait un organisme qui m’appellerait dans les trois mois pour avoir le suivi un peu, et je crois que c’est le truc genre SOS suicide ou je sais pas quoi… Bon ils m’ont jamais appelée, clairement. Mais en fait en, quand ils m’ont raccompagnée du coup dans la même salle, moi j’étais sur mon brancard complètement amorphe, et en fait y’a quelqu’un qui m’a dit y’a votre conjoint et votre papa, et là je me suis dit, mais que, pourquoi mon père il est là en fait, je lui ai pas dit ! Genre qu’est-ce qu’il fait là ? Et j’ai dit ah mon père ! Et là ils se sont tous arrêtés, ils ont dit attendez, l’amenez pas ! Et il y a quelqu’un qui s’est penché vers moi et qui m’a dit vous avez des problèmes avec votre père ? Et j’ai dit nan, mais je sais pas ce qu’il fait là, du coup… Bon ils m’ont emmenée vers mon père et mon copain, je crois que je les ai un peu regardés, mais j’avais un peu honte et surtout je savais pas trop quoi dire en fait. Et mon père s’est approché de moi et il a mis sa main sur mon épaule. J’ai du dire une énorme connerie et j’ai explosé de rire, et en fait ça a été ça jusqu’à… Bah jusqu’à quelque temps après, sur le chemin du retour j’arrêtais pas de faire des blagues, et du coup ils ont appelé mes psys les deux, pour leur dire déjà ce qu’il s’était passé, et leur dire voilà, elle a fait une tentative de suicide et maintenant elle est morte de rire, en fait qu’est-ce qu’on fait ? Et qu’est-ce ça veut dire quoi ? Là c’était un peu la question pour tout le monde, et même pour moi en vrai, je pense que le fait que déjà bah d’avoir tout ça dans son corps, on met quand même quelques jours à récupérer, et puis psychologiquement, bah déjà ça allait très mal avant et là on entre quand même dans une autre étape du mal être qui est la partie j’ai déjà sauté le pas en fait de la tentative de suicide. Si c’est si facile, pourquoi ça réarriverait pas ? Parce que c’était comme si c’était pas moi qui l’avais fait, donc j’avais un peu peur au début de le refaire comme on trébuche dans les escaliers quoi. Quand j’ai revu mon médecin pour la première fois, ma psychiatre, elle m’a dit bon, l’hospitalisation, il faudrait peut-être la faire, quoi… Et elle m’a dit par contre, il va falloir payer, quoi. Enfin elle m’a pas dit ça, mais c’est ce que j’ai compris et en fait bon bah, la décision s’est très vite prise, de toute façon, la vie ça a pas de prix… Mes excuses pour pas aller en hospitalisation elles étaient plus du tout valable, depuis le début j’ai dit que je ne voulais pas mettre entre parenthèses ma vie, je ne voulais pas arrêter mon travail pendant un temps, arrêter le sport pendant un temps, mon copain il va pas me voir pendant des mois, genre qu’est-ce qu’il va se passer quoi… Et ma psychiatre m’a dit que ma vie était déjà source de stress. Et là j’ai compris, et du coup j’ai accepté l’hospitalisation, et moins d’un mois après j’étais hospitalisée. Ce qui est assez bizarre c’est que quand on y va on sait qu’on y va, mais on ne sait pas pour combien de temps on y va, donc… Donc c’était quand même une grosse décision qui ne s’est pas faite facilement, et qui a été compliquée aussi à expliquer aux personnes autour de moi parce qu’en plus je n’étais plus si maigre, donc généralement quand on est très pas bien et très très fin les gens sont inquiets, et quand le poids commence à revenir les gens se disent que ça va mieux, quoi. Donc c’est aussi pour ça, je pense que ça a été aussi surprenant pour mes proches que ma tentative de suicide elle arrive à ce moment-là en fait.

Mickael : Et pendant cette hospitalisation que tu as donc acceptée, il s’est passé quoi ?

Zoé : C’est un peu bizarre parce que quand on arrive, en fait les étages correspondent à une pathologie, donc moi j’étais que avec des filles avec des TCA. On n’est pas beaucoup en plus donc les liens se font très très vite et c’est des liens qui sont très forts. Ce qui est particulier aussi c’est qu’on n’a pas le droit de parler entre nous de nos pathologies, chacune a son propre protocole, donc ça veut dire les médicaments, mais ça veut surtout dire les plateaux, et en fait les plateaux en hospitalisation c’est vraiment vu comme les médicaments aussi parce que c’est pour aller mieux, quoi. Donc on a toutes des plateaux différents. Là où j’étais on mangeait en chambre donc on ne voyait pas ce que les autres mangeaient, et on n’avait pas le droit d’en parler. Et on avait rendez-vous avec un psychiatre tous les jours, le week-end c’était le psychiatre de garde. Donc voilà, on est dans une chambre, qui généralement quand même est plus petite que là où on habite normalement. moi comme quand je suis arrivée j’avais déjà fait une tentative de suicide j’étais en vigilance orange, ça veut juste dire que les soignants ils sont plus vigilants avec toi quoi, donc en fait t’as pas le droit aux lacets, objets, bon, ça, c’est tout le monde, le câble du téléphone non plus, le téléphone fixe avec le long câble ils te l’enlèvent… C’est vraiment un retour à un état très primaire parce que bon, tu te douches tout seul, tu manges tout seul, mais c’est pas toi qui prépare tes repas, c’est des soignants qui te donnent tes médicaments et qui te regardent les prendre… Donc c’est comme si on était un peu… Enfin moi j’avais l’impression un peu d’être à l’EHPAD au début quoi. Et c’est difficile aussi de se laisser aller et d’accepter qu’il y a des gens qui sont là que pour toi en fait, pour t’aider, donc tu peux tout demander. Tu peux peut être pas tout faire, mais tu peux tout demander, quoi, donc si ça allait pas à deux heures du mat je sonnais à la sonnette et il y a un infirmier qui arrivait quoi. Moi personnellement j’avais le droit à mon téléphone tout le temps, et j’avais le droit aux visites aussi, et au bout de un tout petit peu plus d’un mois j’ai eu le droit aussi à des permissions de sortie, au début je sortais juste un jour par week-end, et après je sortais tous les week-ends, et c’est pour te réhabituer à une vie à l’extérieur quoi. Et je sais que dans beaucoup d’endroits t’as pas de permission, pas de téléphone non plus, les visites au début tu as pas le droit… Mais vu que je savais en y allant que c’était pas aussi strict que les autres endroits, je me suis moi-même montrée assez stricte envers le travail que j’allais faire en fait, en n’étant pas constamment sur mon téléphone, en ayant pas H24 des visites… Il y a des ateliers thérapeutiques tous les jours, il y a de la couture, du dessin, de la danse, du sport adapté quand on a le droit, et moi j’en ai vraiment fait un maximum pour récupérer vraiment tous les outils qu’on pouvait m’offrir en fait. Et j’ai eu la chance en plus de tomber sur un psychiatre qui était exceptionnel, qui a d’ailleurs été formé par la psychiatre qui me suit à l’extérieur donc ils avaient vraiment les mêmes méthodes, et au début c’est surtout de l’information par rapport à ta pathologie, essayer de comprendre, voilà, bah la thérapie évolue et les plateaux ils évoluent en même temps. L’hospitalisation TCA ça traite vraiment les troubles du comportement alimentaire. Ça traite rien ou très peu d’autres sujets quoi. Après si ça va vraiment pas par rapport à d’autres choses évidemment on peut en parler. Moi j’étais hospitalisée pour les dix ans de la mort de ma mère, tout le corps médical était au courant, évidemment ils étaient aux petits soins avec moi, voilà, c’est pas parce que c’était pas pour les TCA qu’ils s’en fichaient, mais pour parler d’autre chose en hospitalisation on peut voir une psychologue, et moi je la voyais chaque semaine, parce que vraiment je voulais faire un maximum de choses quoi. Et du coup quand je suis sortie, comme ça traite que de la pathologie pour laquelle tu es hospitalisée, bah il y a plein d’autres choses qui arrivent quand ça va un peu mieux sur le plan alimentaire quoi.

Mickael : Et aujourd’hui tu en es où de ton parcours ?

Zoé : Je suis sortie mi-mars, j’en pouvais plus d’être enfermée toute la journée, donc j’étais très contente de sortir, il y a beaucoup de choses qui sont apparues d’un coup, vraiment des trucs dont je savais même pas qu’ils m’angoissaient en fait ! J’ai découvert qu’en plus de la dépression et des TCA j’avais aussi un trouble anxieux qui était assez présent, et en fait je m’en rendais pas compte parce que je pensais que tout le monde pensait comme ça. Voilà ! Du coup la sortie ça a été beaucoup d’angoisses, mais par contre sur le plan alimentaire j’ai vraiment mis un point d’honneur à continuer mon protocole, au début c’était très, c’était millimétré, c’est ça, ça ça à telle heure, voilà, je faisais très attention, après j’avais des défis un peu que les médecins me donnaient pour diversifier un peu tout ça. Ça fait un petit bout de temps maintenant qu’avec mes psys on ne parle plus du tout d’alimentation, ou très peu, je leur donne quand même des nouvelles et elles me demandent évidemment, mais là il y a d’autres choses qui ont vraiment pris le dessus sur les troubles du comportement alimentaire. Je suis contente que ça soit le cas parce qu’on m’avait dit aussi les TCA c’est pas un trouble qui arrive à n’importe quoi, quoi. Enfin, quand même, pour moi en tout cas, et je pense que pour beaucoup de gens c’est l’arbre qui cache la forêt. Et du coup bah là moi c’est tous les problèmes derrière qui se sont avancés d’un coup, j’ai recommencé à avoir pas mal de colère que j’avais un peu mise de côté, j’ai recommencé à me poser beaucoup de questions par rapport à la mort de ma mère, par rapport à mes frères et sœurs… Et vraiment de l’incompréhension en fait, parce que j’ai fait beaucoup de liens entre l’hospitalisation de ma mère, enfin sa maladie, et ma maladie. Et c’est des liens qui ont pas été faits que par moi, c’est aussi les soignants qui me l’ont dit, parce que c’est vrai que c’est quand même assez exceptionnel que je fasse une tentative de suicide l’année des dix ans de la mort de ma mère. Sans même y penser, et tout ! Et que je sois hospitalisée au même moment qu’elle, enfin… Et moi j’ai eu du mal à me détacher un peu de ça, un petit peu de la Zoé qui est malade, qui est pas bien, recroquevillée sur elle-même et tout. Je fais attention à être vigilante par rapport à l’anorexie parce que bah elle est toujours là, clairement, enfin la petite voix elle parle très très souvent quand même. Comme je reprends le dessus sur moi, ma voix a plus de poids en fait, sans mauvais jeu de mot. Je pense que c’est pas facile aussi parce que quand on fait de l’anorexie on est super exigeant, super strict… il faut voir comment on mange, c’est très très strict ! Moi j’étais super stricte dans la manière dont je me sentais, en fait j’avais tout le temps l’impression que j’étais obligée d’être très heureuse parce qu’en fait j’ai de la chance, quoi, ma mère elle est plus là, mais moi je suis là, quoi. Et en fait après l’hospit ça allait beaucoup moins bien que ce que je pensais, quoi, parce qu’en fait tout ça a ressurgi, et au début je comprenais pas, et je m’en voulais beaucoup, je m’en voulais de faire ça à mon père, de faire ça à mon copain, à mes amis, et je me disais un peu que tout ça je le méritais en fait. Mes amis très proches et mes frères et sœurs ne sont pas venus me voir en hospitalisation, et je me disais que c’était sûrement parce qu’ils pensaient que c’était, que je le méritais en fait quoi. La chose la plus difficile ça a été de me détacher de ça et d’être plus indulgente avec moi-même, d’accepter de revenir sur des choses sur passé pour pouvoir avancer un peu plus loin, et maintenant du coup les priorités elles sont pas au TCA, je suis très suivie et je suis encore dans la phase de j’ai peur quand même de retourner dans tout ça, parce que je sais à quel point ça peut être rapide quoi. En hospitalisation ça peut être plus facile entre guillemets parce qu’on est dans une sorte de cocon quand même, où il n’y a pas beaucoup de triggers de l’extérieur, alors que là avec l’été il faut mettre des shorts… Il y a plein de défis tous les jours donc en fait j’ai un peu l’impression que y’a aucun jour qui se ressemble sur ce plan-là. Dès que je suis sortie d’hospitalisation j’ai un peu réalisé que maintenant ma vie ça devait être pour moi, pour ma mère, pour sa mémoire, profiter un maximum parce qu’elle elle peut plus, enfin, franchement genre non, enfin de toute façon je n’ai pas le même âge qu’elle quand elle est partie, et j’y pense tous les jours, voilà, y’a pas de débat par rapport à ça, mais si je fais un truc qui je sais serait à l’encontre des envies de ma mère, mais que moi j’ai envie de le faire, bah je le fais quoi. Et c’est pas toujours facile parce que ça donne beaucoup plus de place à sa responsabilité, quoi, on ne peut plus se dire ouais, mais je fais ça parce que ma mère aurait voulu, mais elle est même plus là pour me le dire, donc vous vous pouvez rien me dire, quoi. Là c’est mes décisions, je les prends toute seule comme une grande fille un peu, j’ai balayé beaucoup de choses, quoi, j’ai arrêté de voir beaucoup de gens qui étaient pas forcément d’accord avec moi sur les choses qui sont importantes pour moi, j’ai eu une rupture conventionnelle avec mon travail parce que je me suis rendue compte que mon travail c’était bah beaucoup pour les autres, mine de rien, et moi dans tout ça je suis où, quoi ? Voilà où j’en suis, laisser au passé ce qui lui appartient, et me laisser un peu aller au futur, mais quand même pas en lâchant totalement prise, quoi.

Mickael : Si tu devais conclure, ou passer un message aujourd’hui ce serait quoi ?

Zoé : Je pense que le message le plus important, c’est que se faire suivre par un psychologue c’est vraiment pas la fin du monde. Genre… Et surtout il faut pas attendre d’être vraiment mal avant de commencer son suivi, et que la vie c’est déjà quand même très très compliqué pour essayer du début jusqu’à la fin de s’en sortir tout seul. Les troubles ou les maladies psychiques qu’on a elles sont pas de notre faute, c’est pas juste une question de volonté et que les gens qui disent ça il faut les engueuler très fort. C’est pas une honte, et on n’est pas fous, aussi ! Et non si je devais dire un truc vraiment pour conclure, c’est une chose que ma psychiatre m’a dit un jour… De toute façon, la vie c’est de la merde. C’est vraiment de la très grosse merde parfois, que quand on se sent bien c’est qu’on est capable dans les moments où c’est un petit peu moins nul d’être vraiment heureux. Et je pense que c’est ça, c’est d’avoir le bon équilibre entre là, bah là s’il y a quelque chose de grave qui se passe, ou de pas vraiment grave, mais ça va vraiment pas, bah ça va pas, je m’aide, je me fais aider, je prends du temps, mais par contre quand ça va mieux, ça va vraiment mieux quoi ! Voilà !

Mickael : Merci beaucoup, Zoé, d’avoir partagé avec nous ton témoignage.

Zoé : Avec plaisir, merci beaucoup !

Mickael : Merci.

Vous avez des idées suicidaires ?

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