Santé mentale des hommes : les garçons pleurent aussi

Quatre hommes assis en haut d'une colline.

Historiquement et culturellement, les hommes ont été incités à se montrer forts en toutes circonstances et ainsi à cacher, voire refreiner, leurs émotions, au risque de paraître « sensibles » ou « faibles ». La pression sociale à la domination, l’indépendance, la compétitivité produit finalement un effet pervers qui va à l’encontre de ce à quoi elle prétendait. En effet, le modèle de masculinité, qu’on qualifie souvent aujourd’hui toxique, a des impacts certains sur le bien-être mental et social des hommes.

Ne pas pouvoir ressentir sereinement et exprimer ses émotions peut mener à l’isolement et au refus de demander de l’aide, par exemple en cas d’émotions négatives, telles qu’une détresse importante. Avouer se sentir « mal dans sa tête » serait une marque de faiblesse et de manque de virilité. L’image de soi ne correspond plus à l’idéal que la société impose, et donc l’estime de soi peut baisser face à ce différentiel. La transition vers un modèle de masculinité moins oppressif et plus égalitaire est un premier pas vers la facilitation de la prise de conscience des hommes sur l’importance de prendre soin de sa santé mentale.

Les hommes ont-ils aussi des troubles de santé mentale ?

Qu’on se le dise, les maladies mentales ne sont pas des troubles exclusivement féminins. Les hommes aussi sont concernés : on estime qu’entre 20 et 25% de la population connait chaque année un épisode de trouble psychique. Un homme sur 10 sera touché par un trouble dépressif ou un trouble anxieux. Cependant, il peut s’agir d’une estimation basse, puisque les hommes sont probablement sous-diagnostiqués en raison de leurs réticences à aller consulter pour de tels symptômes, ou à les minimiser, voire les nier. Les troubles psychiques sont influencés par de nombreux facteurs qui sont importants dans le modèles classique de la masculinité : le stress et les conditions de travail, l’environnement et le statut social et économique, la stigmatisation des hommes touchés par des symptômes psychologiques, qui seraient une marque de « faiblesse » inacceptable … Ces facteurs sont plus ou moins aisément modifiables et peuvent être dirigés vers un mieux pour permettre aux hommes d’aller chercher l’aide nécessaire.

Selon un sondage britannique, 40% des hommes n’ont jamais parlé de leur santé mentale à quiconque, 29% ne souhaitant pas en parler parce qu’ils ont honte. 40% des hommes rapportent que seuls une crise suicidaire ou une intention de se faire du mal pourraient les amener à consulter. Les principales causes de détresse psychique chez les hommes concernent les domaines professionnels et financiers.

Priory Group

Concrètement, les principaux troubles que l’on retrouve chez les hommes ne sont pas différents de ceux que l’on retrouve chez les femmes, bien que certains troubles puissent être plus sévères ou fréquents chez les hommes. On retrouve parmi les principaux troubles de santé mentale chez les hommes :

  • Les troubles anxieux et dépressifs, qui, chez les hommes, ont tendance à se manifester plus souvent que chez les femmes par de l’irritabilité, voire une certaine tension ou agressivité dans les relations interpersonnelles.
  • L’abus de substance, telles que l’alcool, le tabac ou d’autres drogues illicites. Ces consommations peuvent être utilisées dans un but de gestion des émotions, pour apaiser une tension interne, pour combler l’ennui et la solitude, ou encore pour oublier temporairement ses problèmes. Les substances peuvent donner l’illusion que cette automédication délétère serait suffisante et permettrait de se passer d’un soutien professionnel, alors qu’en réalité elles sont connues pour aggraver des symptômes anxieux et dépressifs et pour provoquer des troubles de santé somatiques sur le long terme.
  • Le décès par suicide est plus fréquent que chez les femmes, qui, elles, cependant sont plus sujettes aux tentatives de suicide. Il s’agit d’un paradoxe, mais qui peut s’expliquer par le fait que les hommes ont tendance à laisser durer les troubles psychiques, qui vont de ce fait s’aggraver et mener à une souffrance plus importante au moment où la personne ne la tolère plus. Ainsi, les hommes souhaitent mettre fin à leur souffrance plus tard dans le processus que les femmes, et ont tendance à utiliser des moyens létaux plus violents que les femmes – ce qui renvoie encore une fois à l’idéal de l’homme fort et viril.

Il ne s’agit bien évidemment pas d’une liste exhaustive, ni exclusive. Ces problèmes se posent également chez les femmes, mais celles-ci vont avoir moins de difficultés à aller chercher de l’aide tôt et ainsi bénéficier d’une prise en charge relativement précoce. Cela, bien entendu, dans le cas où une prise en charge est accessible, géographiquement et financièrement, ce qui n’est pas le cas pour tous et toutes. Une vie parentale et un travail à plein temps peuvent aussi être un frein à la consultation. Mais cela est un autre débat.

Comment parler aux hommes de santé mentale ?

Les médecins et psychologues sont formés pour repérer et prendre en charge les troubles psychiques, cela dit leur expérience et leur sensibilisation aux troubles mentaux chez les hommes peuvent différer. Dans mon cas personnel, j’ai eu beaucoup de mal à convaincre mon médecin généraliste de mon désemparement face à mes troubles des conduites alimentaires, que l’on associe généralement à la gent féminine, malgré des signes flagrants tels qu’une perte de poids importante, des pensées intrusives et obsessionnelles relatives à l’alimentation, ou encore une hyperactivité physique doublée d’une perte totale de libido.

Il serait ainsi pertinent de proposer des modules de formation supplémentaires afin de sensibiliser les professionnels aux problématiques spécifiquement masculines en termes de troubles psychiques, ainsi que sur les manifestations symptomatiques différentes entre hommes et femmes. Cependant, un diagnostic non suivi de traitement ne servirait pas à grand-chose. Il s’agit donc aussi de faire accepter une prise en charge aux hommes présentant un trouble caractérisé afin de les aider à apaiser leurs souffrances et à retrouver un fonctionnement optimal.

Là encore, les hommes sont plus difficiles à convaincre de la nécessité d’un traitement, qu’il soit médicamenteux, mais encore plus psychothérapique. La lutte contre la stigmatisation des hommes souffrant d’une maladie mental est ainsi capitale : aborder clairement et ouvertement ces questions devrait être des actions entreprises dès le plus jeune âge, dans le cadre scolaire, tout comme la sensibilisation aux IST/MST est déjà proposée. La normalisation de l’acceptation et de l’expression de ses émotions est également un point central à développer dans le cadre de l’apprentissage des compétences psychosociales, dont plusieurs programmes ont fait leurs preuves.

Nous l’avons dit, de manière générale, hommes et femmes ne sont pas forcément sensibles aux mêmes types de contenus et ne sont pas ouverts aux mêmes approches. Des slogans tels que « demander de l’aide, c’est être fort » sont adaptés aux hommes qui s’inscrivent encore dans le modèle socio-culturel de l’homme qui se doit d’être fort. Des formules, contenus et campagnes spécifiques, ciblés et proposés dans des lieux plus souvent fréquentés par les hommes seraient pertinentes. Il est par exemple possible de mettre en avant le fait qu’une meilleure santé mentale permet d’être plus efficace dans son travail, de sentir mieux dans ses relations amicales et familiales, d’avoir une vie affective et une activité sexuelle satisfaisantes, etc. Dans cet idéal de virilité, par exemple, mettre en avant que les troubles anxieux et dépressifs passés sous silence puissent nuire à la libido et provoquer des troubles de l’érection peut être une proposition pertinente.

Que faire pour la santé mentale des hommes ?

À l’échelle mondiale, il existe des initiatives promouvant la santé mentale des hommes. On peut citer par exemple et de manière non-exhaustive :

  • Movember a lieu chaque année en novembre et qui met en lumière les problèmes de santé masculin, notamment les troubles mentaux ou le cancer de la prostate. Le signe de ralliement du mouvement est la moustache permettant aussi de faire parler de la campagne.
  • CALMZone promeut au Royaume-Uni la prévention du suicide masculin, à l’aide d’une ligne d’écoute téléphonique et un système de messagerie.
  • En santé numérique, on peut parler de Headspace qui offre un programme dédié aux hommes pour apprendre à gérer leurs émotions.
  • Men’s Shed est un programme australien permettant aux hommes de rompre l’isolement en se retrouvant en communauté autour d’activités stimulantes et agréables.
  • Samaritans est une initiative britannique de prévention du suicide dans la population masculine, par le biais d’une ligne téléphonique et d’actions de proximité.

Donner à voir des exemples inspirants d’hommes ayant parlé de leurs troubles de santé mentale et ayant cherché de l’aide peut aussi entrainer un mouvement et une prise de conscience sur le caractère acceptable de la reconnaissance de l’importance de prendre soin de sa santé mentale. C’est ici que des célébrités connues et appréciées par le public masculin peuvent entrer en jeu.

  • L’acteur et lutteur The Rock, par exemple, a parlé de sa dépression dans une interview en 2018 et a encouragé les hommes à aller chercher de l’aide.
  • L’acteur Ryan Reynolds a également confié dans une interview de 2018 souffrir de troubles anxieux et appelé les hommes à se tourner vers les professionnels.
  • Le prince Harry a parlé à de multiples reprises de ses troubles de santé mentale, notamment le deuil difficile de sa mère, la princesse Diana, et de son agoraphobie. Il s’est également engagé en créant la campagne Heads Together pour promouvoir la santé mentale et en a parlé à nouveau dans son livre autobiographique paru en 2022.
  • Le champion olympique Michael Phelps a également confié dans une interview souffrir de dépression et de troubles anxieux et expliqué comment la thérapie l’a aidé face à ses troubles et sa gratitude envers les professionnels pour l’aider contre des pensées suicidaires.

En France, Jean-Jacques Goldman, Mathieu Kassovitz, Omar Sy, Guillaume Canet, Kyan Khojandi, Jérémy Ferrari, entre autres, ont également confié souffrir ou avoir souffert de troubles psychiques, notamment de troubles anxieux et dépressifs mais aussi d’abus de substances.

Se servir de leur notoriété pour porter ce message important de santé publique est un atout indéniable pour atteindre de nouvelles cibles peu sensibilisées.

Et maintenant ?

Quoi qu’en en dise, la situation a tendance à s’améliorer. Le modèle de l’homme à toute épreuve a tendance à passer de mode progressivement dans certaines régions au fil des années. Il devient de plus en plus acceptable de voir des hommes parler de leurs émotions et de leur souffrance psychique. Cela permet d’ouvrir le dialogue et de servir de modèle pour diffuser ces nouvelles pratiques d’ouverture. Les médias ont également une responsabilité importante dans le changement de mentalité sur la santé mentale des hommes : ils ont la légitimité et l’espace pour diffuser des exemples de rétablissement et parler de l’importance de sa santé mentale.

Il reste, certes, encore beaucoup de travail à accomplir, mais la machine semble s’être mise en route et je ne vois aujourd’hui plus aucun obstacle qui pourrait gripper l’engrenage dans les années à venir.

A lire également : La santé mentale des hommes, un tabou déconstruit au Festival Pop & Psy, Anthony Vincent pour GQ France.

Rappelons encore une fois le numéro national de prévention du suicide en France : 3114. En cas d’urgence, contactez le 15 ou le 112.