"Je sais que c'est pas bien, mais je suis obligée de le faire. Je peux le contrôler, mais ma volonté profonde, c'est de le faire, donc je le fais."

Dermatillomanie, TOC— Bien qu’elle touche entre 1 et 2% de la population, dont 75% de femmes, la dermatillomanie, aussi appelée acné excoriée, est un trouble méconnu.

Faisant partie de la grande famille des troubles obsessionnels et compulsifs, la dermatillomanie consiste à se triturer la peau jusqu’à provoquer des lésions, qui peuvent laisser des cicatrices indélébiles. L’intensité de ces comportements peut varier avec le temps, mais ils peuvent aussi persister toute la vie.

Pour en parler, nous recevons aujourd’hui Francine, une jeune femme qui en souffre depuis plusieurs années. Elle nous explique ce qu’elle ressent pendant ses crises de triturage et les conséquences de celles-ci.


Bonne écoute.
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Francine

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Mickael : Bonjour Francine.

Francine : Bonsoir Mickael.

Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission.

Francine : C’est un plaisir, j’apprécie beaucoup ce podcast.

Mickael : Alors aujourd’hui tu es venue nous parler d’un trouble qui s’appelle la dermatillomanie. Est-ce que tu peux nous dire rapidement en quoi ça consiste ?

Francine : La dermatillomanie c’est un trouble qui consiste à se triturer la peau. Se percer des imperfections ou en tout cas des zones qu’on va estimer comme boursoufflées. Au début on peut commencer par percer des boutons, en tout cas pour mon cas, et après ça se diffuse en fait à chercher des zones qui pourraient potentiellement… recueillir du pus, littéralement, et on les cherche, on les cherche, on astique au point de se créer des blessures, de l’hyperpigmentation, des abcès, et on contrôle pas vraiment tout ça.

Mickael : Pourquoi est-ce que tu as voulu parler de ce trouble aujourd’hui ?

Francine : J’avais à cœur de parler de ce trouble parce que c’est un trouble qui est extrêmement répandu, mais on en parle peu, il y a quelques témoignages en France et des internautes qui en parlent aux États-Unis. Il y a un manque d’information des professionnels sur ce sujet. Ils ne savent pas comment se placer avec ce trouble, est-ce que c’est un trouble dermatologique, est-ce que c’est un TOC, est-ce que c’est un trouble d’automutilation ? En fait je pense que c’est un peu tout à la fois, et c’est avec nos expériences qu’on peut réussir à faire comprendre aux professionnels en quoi consiste ce trouble, voilà.

Mickael : Du coup on va revenir sur ton expérience ! Est-ce que tu peux nous dire un peu comment et quand ça a commencé chez toi ?

Francine : Du plus loin que je me souvienne j’ai toujours détesté les boutons, j’ai toujours détesté tout ce qui rendait ma peau gonflée, imparfaite ! Je me perçais les boutons quand j’étais petite, ça m’a fait un trou dans le front, un creux léger. Après, ça s’est totalement arrêté, mais j’ai toujours eu une aversion pour les boutons. Et c’est quand j’ai commencé à dépasser l’adolescence on va dire, en fin d’adolescence, quinze/seize ans que ça s’est accéléré. J’avais fait une désensibilisation contre les allergènes, et j’ai eu des boutons sur les bras. J’ai commencé à les percer, et je me suis rendu compte que j’appréciais beaucoup de les percer, et que je ressentais du plaisir quand je voyais que du pus sortait, que c’était percé. Et après j’ai commencé à répéter l’acte, on va dire, je l’ai répété, répété, répété, et c’est là que ça a vraiment commencé à être sérieux. Après il y a eu une deuxième phase dont je parlerais peut-être après, mais là c’est le début.

Mickael : Est-ce qu’il y a un contexte particulier dans lequel ces symptômes ont commencé à apparaitre ?

Francine : Au début, c’était vraiment par volonté de rendre ma peau propre, et j’avais plaisir à voir que ma peau était propre. Et après dans un second temps, et c’est là que c’est devenu beaucoup plus grave parce que ça s’est développé par habitude face à un contexte de stress, voire d’angoisse, dans une période où j’étais quand même en dépression aussi. Donc ça s’est ajouté comme une addiction à l’alcool, une addiction au cannabis ou toute autre substance pourrait s’ajouter à un autre profil stressé.

Mickael : Donc ça s’est installé vers quinze, seize ans et ça a évolué comment après ?

Francine : J’ai d’abord commencé, quinze seize ans c’était les bras, et pour le coup il y avait des boutons. Voilà ce n’était pas de l’acné, je n’ai jamais eu une peau à acné, mais des boutons. J’ai continué comme ça jusqu’à la terminale, après j’ai eu ma première année de fac qui était un peu difficile, j’avais pas réparé totalement, on va dire mes blessures en très gros, avant de rentrer à la fac, et c’était stressant de me retrouver là, de pas savoir où j’allais, et j’ai commencé à percer, percer… Ma peau avait des zones qui étaient gonflées, j’ai commencé à me toucher la peau, à vérifier, tout ça, et j’ai vu que c’était extrêmement présent au niveau de la poitrine… Et sur la poitrine c’était pas des boutons qu’il y avait, c’était juste des zones, des pores… Je vais dire les choses honnêtement, je veux me livrer. Je me suis rendu compte que les pores c’étaient des zones où il y avait énormément de trucs à retirer. On répète, on répète, on répète, et voilà, j’ai commencé à avoir des marques au niveau de ma poitrine, une hyper pigmentation. Je ne sais pas si c’est des choses… D’où vient ce raisonnement, si c’est quelque chose qui est partagé par les dermatillomanies, c’est qu’on trouve des outils qui vont nous permettre de pouvoir extraire de manière encore plus efficace, et du coup j’ai commencé à utiliser des aiguilles, des épingles, des tire-comédons dermatologiques… et voilà, c’était devenu quotidien. Quotidien, quotidien, et il y avait constamment des éraflures, des blessures, et après il y a eu des abcès. Parce qu’on ne peut pas s’arrêter, et on perce des zones qu’on ne connaît pas, et ça, c’est des zones qui sont, je sais pas comment dire ça, je suis pas médecin du tout, mais c’est des zones quand tu perces il y a un abcès qui se forme, littéralement, et on voit ça, on voit notre peau changer, on peut rien faire, on peut rien faire, on veut, c’est pas beau, ça ne nous plait pas ! Mais quand on est à la tâche on peut pas s’en empêcher.

Mickael : Est-ce qu’au fil du temps tu as eu de plus en plus ce genre de comportements ou ça a toujours été entre guillemets stable en termes de fréquence ?

Francine : Non, ça s’est accéléré avec le temps. Ça s’est vraiment accéléré avec le temps. J’étais obligée de faire des pauses des fois, parce que j’avais la peau qui était totalement enflée, je pouvais rien faire dessus. Mais dès que ma peau elle commençait à se calmer, à redevenir souple, je recommençais, ça se répétait.

Mickael : Qu’est-ce qui faisait justement que dans ces périodes où ta peau était trop endommagée tu pouvais entre guillemets te restreindre et ne pas le faire ? Comment tu expliques ça ?

Francine : Premièrement, c’est qu’on fait face à la réalité. On voit ce qu’on a fait, et on se dit c’est extrêmement grave, c’est grave. C’est là où en tout cas pour… Moi qui me définis comme une dermatillomane de propreté, je me suis dit c’est de l’automutilation ce que j’ai fait. Et voilà, le fait d’avoir ces marques, presque comme si on nous arrachait la peau, c’est quelque chose qui est frappant, qui fait qu’on arrête et qu’on se dit je recommencerai plus. Mais bon à la fin on le refait toujours ! Et c’est le regard de ma mère qui me dit, mais qu’est-ce que c’est ? Pourquoi tu fais ça ? Comment je vais faire pour sortir cet été, quel va être le regard des gens au lycée, c’est tout ça en fait qui fait qu’on s’arrête un peu.

Mickael : Est-ce que c’est des comportements que tu avais ou que tu as en public, ou c’est uniquement quand tu es seule et que personne te voit ?

Francine : Excellente question ! Quand je commençais à me triturer de plus en plus, je le faisais en public au lycée. Je me touchais les bras en cours et je perçais. Et j’ai eu un revirement dans ma tête qui a fait que je me suis dit je peux pas faire ça en public, et je me suis arrêtée, je n’ai plus jamais refait. Et après je l’ai plus jamais refait en public, voilà.

Mickael : Qu’est-ce qui t’a fait prendre cette décision, qu’est-ce qui a provoqué ce déclic de c’est pas quelque chose que je peux faire en public. Il y avait quoi comme sentiment qui était associé ?

Francine : Ils vont voir ce que je fais à ma peau. C’est… C’est comme ça que je pourrais définir ça.

Mickael : Et est-ce qu’à l’époque justement tu avais déjà eu des remarques par rapport à des personnes qui avaient vu que tu te triturais la peau ?

Francine : Oui, oui j’ai eu des remarques, un jeune homme qui m’avait dit tu as des cicatrices sur la peau, pourquoi ? Ça fait panthère. Et c’est vrai, ça fait panthère !

Mickael : Tu l’as pris comment ?

Francine : C’est… extrêmement intéressant parce que j’ai une insensibilité par rapport à tout ça, une distance par rapport à ce trouble. Je pourrais jamais en pleurer, alors que je pourrais pleurer pour plein de choses, je pourrais me dire pourquoi je suis trop stressée, pourquoi je suis anxieuse, mais par rapport aux boutons… J’ai un, une prise de recul incroyable qui fait que je persiste, je pense. Sinon j’aurais arrêté depuis bien longtemps, si j’avais une sensibilité accrue.

Mickael : La prise de recul, c’est quelque chose qui s’est fait avec les années ou c’était déjà, dès le départ ?

Francine : C’est une question assez complexe, je pense qu’elle s’est faite, effectivement avec les années. J’ai commencé à légitimer ce que je faisais, qui prenait beaucoup plus d’ampleur, qui était beaucoup plus visible. Je dirais avec les années.

Mickael : Et à quel moment tu t’es rendu compte que ça pouvait être pathologique, que ça pouvait nécessiter une prise en charge ?

Francine : Quand j’ai vu des témoignages de femmes sur les réseaux sociaux, des femmes anglosaxones surtout, je suis tombée sur cette pathologie et j’ai compris que j’étais concernée. Mais c’était uniquement du témoignage, c’est vrai que j’ai pas… Il y a très peu de personnes qui parlent de… véritablement de prise en charge. Je cherche du plus loin que je peux dans ma tête… C’est surtout du vécu. Il y a une inconnue autour de cette pathologie, effectivement elle est mentionnée dans le DSM, mais… Je crois qu’il n’y a pas de grand spécialiste, quoi, peut être que je me trompe hein, mais ! C’est le fait de voir des femmes qui avaient la même expérience que moi qui m’a fait comprendre que c’est une maladie et que j’étais peut être légitime à en parler.

Mickael : Ça t’a fait te sentir comment justement le fait de voir ces femmes qui finalement avaient la même expérience que toi ?

Francine : Ça m’a fait du bien. J’aime beaucoup entendre les expériences d’autrui, mais j’ai du mal à échanger avec d’autres sur ces questions-là. En particulier avec cette pathologie-là, je sais pas, y’a un truc qui est très personnel avec… C’est le corps ! C’est l’intimité. Et ça fait toujours du bien de voir des personnes qui osent prendre la parole. Très complexe comme sentiment.

Mickael : Donc tu nous disais il y a des périodes où le trouble est très actif, d’autres périodes où quand la peau est trop endommagée ça se met un peu en pause, mais justement quand le trouble est vraiment là, que tu es un peu entre guillemets en crise, est-ce qu’à ce moment-là tu penses aux conséquences en termes de blessure, est-ce que tu as conscience du caractère dangereux que ça peut avoir ?

Francine : Oui, oui oui j’en ai conscience. J’en ai conscience, mais dès que je commence ça… Dès que j’ai les ongles longs par exemple et que je commence à me toucher la peau, je ne peux pas m’empêcher de recommencer à le faire. En étant consciente des conséquences, mais quand je vois qu’il y a… C’est un peu comme une course on va dire, dès que je vois qu’il y a un truc qui est perçable, j’y vais ! Et aussi… Je suis désolée de parler de manière un peu détachée, mais surtout aussi il y a l’insistance, c’est-à-dire que en gros on fait le tour de tout le corps, mais aussi on insiste quatre, cinq six fois pour voir si quelque chose peut sortir. Et quand j’insiste, il y a ce sentiment j’insiste, je sais que c’est pas bien, mais je suis obligée de le faire, pas en mode pilote automatique, je peux le contrôler, mais ma volonté profonde c’est de le faire donc je le fais. Je sais que c’est pas bien.

Mickael : Est-ce qu’il y a une sorte de pensée magique qui vient avec, de dire si je le fais pas… Qu’est-ce qui peut se passer ? Est-ce qu’il peut se passer quelque chose de négatif par exemple… Là maintenant, si je le fais pas, qu’est-ce qu’il se passe ?

Francine : Si je le fais pas… Ça c’est peut-être une piste pour une potentielle thérapie, mais en gros moi dans ma tête « si je le fais pas » ça n’existe pas, je le fais. Après y’a la pensée où je me détache et où j’arrête, et c’est extrêmement bizarre parce qu’il y a des dermatillomanies qui parlent d’un état de crise où elles sortent de leur corps. Moi je le sens pas vraiment comme une sorte de déréalisation, je suis totalement consciente de ce que je fais, il n’y a pas ce sentiment de perte de contact avec la réalité. Je sais que je pourrais ne pas le faire, mais je le fais quand même, en conclusion. Il y a quelque chose qui me pousse consciemment à insister, à le faire, à recommencer.

Mickael : Et pendant ces crises, finalement à quel moment ça s’arrête ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui déclenche entre guillemets l’arrêt ? Tu parles du fait qu’il n’y a pas de perte de contact avec la réalité, que tu es consciente de la chose, mais qu’est-ce qui fait que ça s’arrête ?

Francine : Je me dis j’arrête. À un moment je prends de la hauteur, c’est bon. C’est aussi bref que ça.

Mickael : Est-ce que tu es allée consulter à ce moment-là quand tu étais adolescente, que tu commençais justement à te dire que potentiellement ça pouvait avoir des conséquences graves, est-ce que tu es allée consulter quelqu’un, est-ce que tu en as parlé à un professionnel ?

Francine : Adolescente, non. En plus j’étais encore dans une volonté de combattre mes symptômes dépressifs et anxieux par moi-même, et en plus le centre de ma vie c’était ma dépression, j’étais pas allée consulter à ce sujet là, j’ai vraiment attendu mes dix sept ans pour vraiment tout laisser tomber, j’allais vraiment plus bien. Je consultais uniquement pour les motifs de dépression et c’est quand j’ai commencé, ça a commencé à progresser vers le début de la fac comme j’ai dit plus tôt que j’ai envisagé d’en parler à mon psychiatre. Ouais.

Mickael : Qu’est-ce qui a fait qu’à ce moment-là tu as voulu ajouter ce sujet-là dans les consultations ?

Francine : C’était de savoir que… De voir les témoignages de personnes qui voulaient être aidées, qui sussuraint qu’elles avaient parlé de ce sujet-là à leur psychologue. Et je me suis dit pourquoi pas, je me sens incapable de m’en sortir. Voilà, sincèrement, quand j’en parlais et quand j’en parle encore aujourd’hui je dis sincèrement à mes thérapeutes je suis incapable de m’en sortir, mais j’ai envie d’en parler.

Mickael : Ton psychiatre la première fois que tu lui en as parlé, il t’a répondu quoi ?

Francine : C’est une réponse en fait indifférente, il m’a dit d’accord. C’est quelqu’un qui est gentil, à l’écoute, mais c’était tellement pas marquant que je m’en souviens plus honnêtement, il m’a dit d’accord, il m’en a pas reparlé en tout cas comme si c’était quelque chose de grave, voilà.

Mickael : Il n’a pas réévoqué de lui-même le sujet dans d’autres consultations ?

Francine : Non. Même quand je lui ai dit sincèrement que c’est dangereux, que je pourrais avoir des abcès, des infections… Ça ne lui fait rien. Lui je pense qu’en fait son approche, même par rapport à d’autres sujets comme le TSA et tout ça, c’est quelqu’un qui mise en fait sur la consolidation de notre identité, plutôt que de nous associer à des pathologies. Il veut qu’on réussisse à pouvoir dépasser toutes ces étiquettes de dépression, d’anxiété qu’on pourrait nous coller, donc il aime pas parler de symptômes, de maladie qui serait listée dans le DSM, c’est pas son approche du tout, donc il préfère tout balayer pour demander en fait comment je me suis améliorée personnellement. Et grâce à cette amélioration personnelle, tous les symptômes autour partiraient. Donc la dermatillomanie en tant que symptôme, c’est pas ce qui l’intéresse. C’est comme ça que ça résonne.

Mickael : Et il t’a proposé quoi justement dans le cadre de cette thérapie, de ces consultations, comme prise en charge que ce soit pour la dermatillomanie du coup tu m’as dit qu’il n’y avait pas grand-chose, pas beaucoup d’intérêt de sa part, mais du coup pour le reste, ce que tu appelles un peu la consolidation de l’identité, qu’est-ce qu’il te proposait comme prise en charge ?

Francine : Mon psychiatre m’écoute, il me prescrit des médicaments, et il m’encourage à faire une psychothérapie. Ma psychologue bizarrement, je lui en ai très peu parlé, à peine récemment. En fait c’est que quand j’en ai parlé à mon psychiatre et qu’il a été indifférent, j’ai préféré ne pas en parler avec ma psychologue. Je me suis laissée me triturer, me blesser, voilà, pendant des mois et des mois. Et après j’en ai reparlé à ma psychologue, c’est très récemment, et elle a voulu comprendre pourquoi je faisais ça, centrer la prise en charge sur les émotions que je pouvais ressentir pendant l’acte, à quoi je pensais, à quoi ça aurait, ça ferait référence dans mon passé. Mais par contre elle en a pas parlé avec une approche psychanalytique. Si je me positionne face à elle, en pensant au moment où je me gratte, que ça puisse faire ressortir des potentielles images marquantes de mon enfance, à ce qui aurait créé chez moi en fait une volonté d’être parfaite, une exigence qui m’aurait menée à devenir dermatillomane. Voilà. Et elle travaille de cette manière-là, elle ne fait pas de la TCC, un truc extrêmement pratique, pour elle l’EMDR, le brainspotting c’est des propositions totalement alternatives.

Mickael : Comment tu t’es sentie quand tu as vu que ton psychiatre… voilà, ne montrait pas trop d’intérêt pour ça, qu’est-ce que ça t’a fait te dire ?

Francine : Je me suis dit il ne comprend pas, le recul que j’ai par rapport à cette pathologie, et aussi le fait d’être informée et de savoir que c’est quelque chose qui est fréquent, qui est grave, je me suis dit que j’allais me débrouiller par moi-même, j’allais me débrouiller par moi-même en essayant de… me débrouiller pour réduire ces crises, et aussi en restant connectée à des réseaux de personnes concernées pour construire en fait quelque part une autre manière d’être potentiellement pris en charge, de comprendre ce qui nous arrive, voilà, par moi-même, par nous-mêmes, en collectif.

Mickael : Est-ce que tu as eu à consulter à un moment un dermatologue, pour justement les séquelles, les conséquences que ça peut avoir sur la peau ?

Francine : Oui, oui oui. Très bonne question, oui j’ai consulté une dermatologue pendant le covid. Elle m’a fustigée, elle m’a dit il faut absolument arrêter, je ne peux rien faire pour vous, je vais vous prescrire une crème anti, cicatrisante si vous voulez, mais vous allez recommencer. Et comme par hasard, vous ne le faites pas sur le visage. Voilà. Et je me suis dit malheureusement elle est virulente, mais c’est vrai ! J’ai trouvé que c’était vrai ce qu’elle disait. Et j’ai recommencé après. Voilà. Elle a ciblé en fait ce comportement comme étant quelque chose de psychologique, hein.

Mickael : Et elle t’a dit que tu ne le fais pas sur le visage aujourd’hui, tout à l’heure tu m’as parlé de quand tu étais enfant justement et que tu te rappelles avoir percé un bouton sur ton visage. Est-ce que c’est des choses qui reviennent aussi aujourd’hui ? Est-ce que parfois tu as aussi ce comportement sur le visage ?

Francine : Ouais. Ça m’arrive très rarement, je protège mon visage, parce que le visage c’est ce qu’on montre aux autres, c’est notre face, littéralement ! Je préserve mon visage. Après il y a des personnes qui vont se percer le visage, ça dépend de chacun. Ça peut être le visage, ça peut être des jambes, ça peut être le dos, ça peut être les doigts… Il y a aussi une forme de dermatillomanie des lèvres, la peau des lèvres. Est-ce qu’on est vraiment sélectif de manière volontaire ? J’aurais pas de réponse, je sais pas ce qui a fait que j’ai choisi les bras plutôt que le visage, par exemple. Je croyais que mon dos était protégé, mais en fait des fois, ça vient comme un petit tic, je me gratte le dos, mais je me rends pas compte que je fais de la dermatillomanie légère, on va dire. Il y a un point qui est extrêmement important, que j’aimerais mettre en valeur aussi, c’est qu’il faut apprendre à accepter son nouveau corps, et accepter un corps qui parait étonnant pour les gens. C’est quelque chose qui est extrêmement impressionnant, visuellement, c’est extrêmement impressionnant, on se dit, mais est-ce qu’elle a été brûlée, elle a eu de l’acné ? C’est bizarre parce qu’on voit que c’est pas réparti de façon aléatoire, c’est quelque chose qui est très ciblé, et il faut oser et se dire voilà à partir de maintenant je vais avoir le courage de sortir en débardeur l’été, je sais que je vais avoir énormément de cicatrices, on va tout voir, on est obligé de se lever et de se dire qu’on va outrepasser le regard des gens.

Mickael : Cette acceptation de ton nouveau corps ell est venue comment ?

Francine : Je l’accepte pas totalement, mais moi c’est surtout par conviction parce que je suis une personne profondément attachée à la liberté d’être comme on veut être, le respect de toutes les différences, de toutes les pathologies. Par rapport à mes valeurs je me dis que je suis obligée de le faire. Et parce que j’ai aussi cette force et cette envie de confronter en fait ce qui parait comme normal. Les gens ont des parcours de vie qui peuvent être extrêmement particuliers, des particularités qui les rendent forts et qui… qu’ils doivent montrer. Voilà, donc c’est indispensable que je sois fidèle et intransigeante avec cette volonté d’exprimer cette différence-là. Au moins pour d’autres, pour d’autres personnes qui auraient du mal, et juste pour leur faire comprendre vous avez qu’une vie, vivez-la ! C’est important.

Mickael : Et pour le coup est-ce que tu as des difficultés, ou est-ce que tu t’empêches de faire certaines choses ? Par exemple quand il faut être assez peu vêtue comme aller à la piscine, aller à la plage, aller dans un spa se faire masser… Est-ce que c’est des choses, tu dis que tu l’acceptes de manière relativement positive, mais est-ce qu’il y a quand même parfois une gêne de se dire là, je vais être très visible ?

Francine : Bien sûr ! Bien sûr bien sûr bien sûr. Je vais très peu à la plage, moi je suis pas très vacances, très honnêtement, mais c’est vrai qu’à la piscine je me pose souvent des questions, me mettre en débardeur pour aller dans le métro je me pose des questions, parce que je l’ai déjà fait, et on m’a déjà fait des remarques, on m’a recommandé des traitements pour lutter contre les cicatrices, j’ai vu que les gens dans le métro me regardaient pas mal, et c’était aussi le cas, j’ai fait un petit séjour, voilà, je me mettais en débardeur et je voyais que ça intriguait. Donc bien sûr que le regard des gens il va nous conditionner, il va nous faire dire qu’il faut absolument cacher ça parce qu’on veut pas être regardé, c’est évident. Voilà, mais j’essaie de retourner la balance et de me dire qu’il faut que j’y aille quand même parce que je veux pas m’empêcher de m’habiller comme je veux. Ouais.

Mickael : Est-ce que quand le trouble est devenu de plus en plus visible tu as eu des interactions un peu différentes avec ta famille, avec tes amis, avec tes camarades à la fac… Est-ce que ça a changé quelque chose ?

Francine : Ma mère est tolérante, mais parfois virulente. Parce que c’est surtout à ma mère que je montre mon corps. Lors de mon parcours en formation en fac… Les gens m’ont pas fait des remarques, mais c’est toujours des regards intrigués. Des fois les gens me posent des questions, qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce que tu… Je croyais que tu étais brûlée, comme j’ai dit un peu plus tôt. Mais les gens se permettent pas de me parler. Ça va aussi avec notre nature, moi je suis une personne qui suis renfermée et qui montre qu’elle ne veut pas trop parler de sa vie, tout ce qu’elle ressent, donc on n’ose pas trop m’interroger. La dermatillomanie c’est un trouble, c’est tellement visible, c’est tellement visible en fait moi dans la rue je marche et je reconnais une dermatillomane d’une personne qui a une acné classique, c’est perceptible. C’est des personnes qui ont des cicatrices qui sont… En fait on sent l’intervention de la personne, c’est des cicatrices qui sont très droites et très ciblées sur des zones, voilà, et donc c’est facilement reconnaissable. C’est atypique à l’œil, il y a une accumulation de cicatrice, ça interroge.

Mickael : Tu as dit que tu n’étais pas trop trop sollicitée non plus à la fac en termes de questions et d’interrogations, en tout cas verbales directes, mais quand tu en reçois tu réponds quoi, si on te dit ah, tu t’es brûlée, euh… Ça va être quoi ta réponse un peu classique ?

Francine : Ah je vais être honnête, parce que moi je suis une personne extrêmement honnête, je vais pas mentir et ça leur permettra de mieux comprendre ce trouble. Que ça peut arriver à tout le monde ! Et je rencontre énormément de personnes qui en font, dans mon entourage, des jeunes femmes notamment, qui en fait sont concernées par ce trouble. Mais peut-être d’une manière beaucoup plus légère. J’en ai rencontré pas mal. Donc ça permet toujours à ces personnes de pouvoir s’identifier, de comprendre ce que c’est et de pouvoir en parler autour d’elles, j’ai pas vraiment reçu d’interrogations extrêmement problématiques pour le moment. Dans ma vie, peut-être j’en recevrai ! Pour sûr.

Mickael : Et quand justement tu dis aux personnes que ça relève plus d’un trouble psychique que des blessures qui ont pu être infligées par… des blessures autres ou des brûlures, est-ce que tu vois un peu le regard des gens changer ? De se dire bah finalement en fait là il y a un truc qui se passe plus en termes psychiques ?

Francine : C’est surtout avec mes parents que j’ai eu l’expérience. On va dire que sa perception des choses elle change parce qu’elle se dit que… C’est comme la dépression et tout ça, elle se dit qu’il y a une question de volonté. Et des fois ils arrivent pas à faire le lien entre les deux aussi, surtout mon père entre les boutons et l’état psychique c’est… une intrication on va dire qui est difficile à faire, et faut le vivre pour le comprendre.

Mickael : Et aujourd’hui tu en es où de ce parcours ?

Francine : Ah, aujourd’hui je suis consciente qu’il faut que j’arrête de le faire, parce que je vois des conséquences, et c’est… C’(est difficile. Je sais que ça sera par ma seule volonté, ma seule volonté et capacité que je pourrai arrêter de le faire, et honnêtement… En étant extrêmement rationnelle, en ne pensant pas aux sentiments ou quoi que ce soit, je suis un peu dépassée par tout ça. Je me perce quand même beaucoup moins, je me perce quand même beaucoup moins régulièrement, mais par moments ça revient.

Mickael : Est-ce que tu es encore accompagnée par un professionnel pour ces questions-là ou pour les troubles anxieux ou dépressifs ?

Francine : Oui, je suis suivie par une psychologue et un psychiatre, voilà, depuis un bout de temps, et maintenant je vais beaucoup mieux, j’arrive à accepter certains aspects de ma personnalité, mes particularités, et j’accepte aussi l’éventualité, plein d’éventualités, d’être angoissée, d’être seule… Je pense que tout ira bien, tout ira bien, je suis vraiment pleine d’espoir et je sais que ça se terminera aussi, voilà, même pour la dermatillomanie. [Intermède musical] Si, je suis en train d’être dans une situation… enfin sexuelle, avec une personne, bien sûr que ça peut être repoussant, ça peut interroger. Et je me suis souvent posé la question qu’est-ce que la personne va penser en voyant l’état de ma peau ! Surtout sur des zones qu’on nomme érogène, bien sur, bien sûr bien sûr bien sûr ! Et je me dis simplement que c’est mon parcours, et que si la personne ne comprend pas, je lui expliquerai, si ça ne passe pas ça ne passera pas. Mais bien sur moi j’ai ma, une de mes meilleures amies qui est aussi concernée, ça je l’ai su par hasard, et elle m’a dit qu’elle a arrêté justement pour ça. Parce que si un jour elle est avec un mec, si il voit l’état de sa peau, il dira c’est bizarre, c’est… Et malheureusement on n’a pas, quand on le fait on ne pense pas à tous ces paramètres-là, c’est plus fort que toutes ces personnes qui pourraient potentiellement nous juger, tout le regard qu’on pourrait potentiellement avoir après, non non non, on est en plein dedans, on est dans la volonté de tout triturer, de tout nettoyer, on pense pas aux répercussion.

Mickael : Une question par rapport à autrui, est-ce que ça t’arrive aussi de voir quelqu’un en face de toi qui a un bouton et de ressentir ce besoin aussi de le faire sur quelqu’un d’autre ?

Francine : Oui ! (rire) Oui oui, effectivement, bah d’ailleurs c’est extrêmement intéressant parce que j’ai un souvenir à te raconter. Quand j’étais en sixième, cinquième, j’étais pas encore plongée dans la dermatillomanie, mais j’avais percé le bouton d’une camarade. Et sauf que, en fait je l’avais pas percé, en fait c’était un bouton qui n’avait pas beaucoup de pus, et sauf que j’ai percé, j’ai percé, j’ai percé, et c’était exactement comme je me perce la peau ! Et elle était pas contente. Et c’était exactement pour souligner le fait que j’avais déjà le réflexe avant même de le faire sur moi.

Mickael : Et donc tu l’as dit ça touche beaucoup de personnes, entre un et deux pourcent de la population donc c’est quand même beaucoup. Qu’est-ce que tu identifies en termes de besoin aujourd’hui pour accompagner les personnes qui sont atteintes de dermatillomanie ?

Francine : Je pense que ce serait bien de faire des groupes de parole ! Il y a la créatrice de contenue/auteur Peau cible qui voilà fait du contenu pour pouvoir informer les gens sur cette pathologie, il y a un livre qui est sorti récemment Arrête de te gratter ! par Alexandra Lecart qui est spécialiste de la dermatillomanie, donc ça peut être une première approche assez intéressante. Oui peut être se former en association pour pouvoir informer les gens, développer bien sûr au niveau de la prise en charge des professionnels, des consultations à ce sujet pour que ces personnes puissent avoir accès à du soin de qualité à proximité, et que ce soit pas discriminant en fonction de leur classe sociale, de leurs moyens, ça s’est extrêmement important. Des passages à la télé, des témoignages, Ca commence aujourd’huiAllo Docteur, tout ça ! Enfin de toute façon quand on alerte sur une pathologie ça permet à plein de gens de comprendre qu’elles sont potentiellement concernées ! En tout cas, diffuser ce mot de dermatillomanie, diffuser des parcours, des méthodes de soin, des thérapies TCC, etc. Publier davantage de livres sur ce sujet, parce qu’il y a des auteures américaines qui en parlent depuis des années, on pourrait traduire leurs livres, ce serait intéressant. Des podcasts… En fait de la représentation. Voilà, si je devais retenir un seul mot.

Mickael : Et si tu devais donner un petit conseil, je sais pas si on peut appeler ça comme ça, à des personnes qui justement nous écoutent aujourd’hui et se disent bah en fait c’est peut être que je vis, qu’est-ce que je fais maintenant ?

Francine : Consulter. Même si les psychiatres et les psychologues ne vont pas comprendre, consulter en disant je rentre dans un engrenage, ce que je fais n’est pas bien, ça peut avoir des répercussions à long terme, j’ai envie d’être comprise, j’ai envie d’être aidée, et je pense que le faire le plus tôt possible, en fait c’est comme avec toutes les maladies mentales, voilà, je pense que le plus tôt on identifie ce qu’on a, le moins on aura de répercussions dangereuses. C’est le cas avec la dépression. Quand on commence à déprimer il faut en parler autour de soi, sinon après ça évolue, ça évolue, ça évolue, et on en arrive vraiment soit à être enfermé, soit à avoir des pensées suicidaires donc il faut vraiment identifier les premiers signes, c’est important.

Mickael : Pour conclure ce témoignage, est-ce que tu as un message que tu aimerais faire passer aujourd’hui, que ça concerne ce sujet-là ou peu importe quel autre sujet qui te tiens à cœur ?

Francine : J’aimerais passer un message aux personnes qui vivent avec la dermatillomanie. Ne vous sentez pas coupable, prenez vraiment votre temps pour pouvoir guérir, je sais que c’est toujours difficile de voir qu’on a encore merdé, qu’on a encore la peau qui est toute gonflée, toute enflée, pleine de traces d’enfonçage voilà, des griffures… Restez optimistes et vous allez guérir, et… Vraiment prenez votre temps, ne vous inquiétez pas. Parlez-en et ça ira.

Mickael : Merci beaucoup, Francine, d’avoir partagé avec nous ce témoignage.

Francine : Pas de souci !

Mickael : Merci beaucoup !

[Musique de fin]

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Encore une fois, si vous reconnaissez dans un témoignage ou ressentez un mal-être psychique et avec besoin d’en parler, n’hésitez pas à consulter un professionnel ou à vous rapprocher des associations de patients. Des ressources sont également disponibles sur notre site.

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