"C’était presque une punition d'aller au restaurant, parce que je savais que mon corps allait me le faire payer. Là, mon corps était devenu mon ennemi."

TROUBLE ANXIEUX GÉNÉRALISÉ — Avec la dépression, les troubles anxieux font partie des troubles psychiques les plus fréquents. Si l’anxiété est un mécanisme normal quand elle est temporaire et justifiée par une situation, elle peut devenir envahissante et durable.

Souvent accompagné de symptômes physiques divers, le trouble anxieux généralisé peut être comparé à un sentiment excessif et constant d’insécurité et d’inquiétude. Et ce jusqu’à interférer avec les activités quotidiennes et les relations sociales. Pour en parler, nous recevons aujourd’hui Léa, une jeune femme qui nous livre son témoignage sur sa vie avec ce trouble au quotidien.

Bonne écoute !
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Léa

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Mickael : Bonjour Léa.

Léa : Bonjour Mickael !

Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission.

Léa : Merci à toi.

Mickael : Est-ce que tu peux nous dire pour commencer qu’est-ce qui t’a amenée à venir témoigner chez nous ?

Léa : J’ai vu ton podcast de par mon travail, et j’ai vu certains troubles qui… voilà, qui étaient mis sur le devant de la scène et j’ai pas forcément trouvé de choses sur l’anxiété, mais je pense que ça concerne quand même une grande partie de la population. Il y a différents types d’anxiété. Du coup c’est pour ça que je t’ai proposé cette partie-là, je me suis dit ça peut intéresser, je pense, peut-être, un témoignage ça peut intéresser ! Moi c’est vrai qu’au-delà des Maux bleus qui n’existait pas à l’époque, j’aurais peut-être aimé avoir quelqu’un qui témoigne de son anxiété. Moi c’est plutôt anxiété et symptômes physiques, anxiété et somatisation, on va dire, et c’est vrai que je ne me retrouve pas non plus dans certains sites, certains comptes Instagram qui pourtant sont super bien faits sur l’anxiété, mais qui n’abordent pas forcément cette partie-là de l’anxiété un peu refoulée, si on peut dire ça comme ça. Je me suis dit que ce serait une bonne idée de venir témoigner.

Mickael : Donc tu viens nous parler de troubles anxieux. Est-ce que tu peux nous dire toi avec tes propres mots ce que tu entends par anxiété ? Parce que c’est vrai que c’est un mot qu’on utilise souvent, mais on ne sait pas forcément ce qu’il y a derrière.

Léa : L’anxiété pour moi c’est l’anticipation de tout ce qui pourrait arriver de négatif. L’anxiété ça pourrait un peu se résumer par « et si ? » et c’est quelque chose de négatif après, c’est toujours un peu l’anticipation du pire scénario qui pourrait se passer, et qui souvent se déroule pas du tout comme ça, mais on veut être sûre de pouvoir au moment t, pouvoir tout contrôler. Et du coup c’est rassurant d’avoir pu balayer toutes les possibilités… Souvent ça ne se passe pas comme prévu, on a pu ne pas imaginer un scénario, et c’est quelque chose sur le moment qui est extrêmement angoissant et qui permet pas de vivre le moment présent, parce que vu que c’est pas comme ça qu’on l’avait envisagé ce moment-là, le cerveau vient totalement s’embrouiller et on perd un peu nos moyens, et du coup on a l’impression de devoir pallier voilà cet imprévu, alors que c’est surement pas grave, mais au final ça nous permet pas de vivre le moment présent, donc je dirais que l’anxiété c’est vraiment l’anticipation du pire et chercher à toujours rattraper le moment présent comme on voudrait qu’il doit dans notre tête, comme on se l’est imaginé, et qui permet pas de vivre sa vie sereinement et de profiter du moment présent.

Mickael : On fait parfois le parallèle entre l’anxiété et le stress, pour toi c’est quoi la différence entre les deux ?

Léa : Le stress je pense qu’il est normal, parce qu’on peut être face à des situations qui nous mettent moins à l’aise, ou des exercices dont on n’a pas l’habitude. Moi quand je pense au stress par exemple je pense à une réunion importante, à une pièce de théâtre qu’on doit jouer devant des personnes, et du coup c’est… Pour moi un stress c’est normal, enfin je veux dire si on est jamais stressé dans sa vie, c’est peut-être parce qu’on n’est pas face à des situations qui nous mettent un peu de pression, etc. Il y a du bon stress. Il y a peut-être aussi du mauvais stress, des situations qui nous arrivent, qu’on ne sait pas gérer sur le moment. Pour moi l’anxiété ce n’est pas un stress à un moment t, c’est ce qu’on peut ressentir au quotidien pour toutes les situations. Et je disais pour moi un stress c’est face à une situation à laquelle on n’a pas l’habitude de faire face, alors que l’anxiété ça va venir jouer sur tous les aspects de la vie, et l’anxiété ça peut même être quand on invite une copine à dîner, quand on sort, des moments du quotidien qui ne devraient pas générer ce stress, en fait ! Donc l’anxiété je pense que c’est un stress exagéré au quotidien, là où le stress comme on l’entend c’est vraiment dû à des moments précis.

Mickael : Alors l’anxiété, tu as appris à la connaître quand tu avais quel âge ?

Léa : Cinq ans ! C’est arrivé assez jeune, j’ai vingt-cinq ans donc ça fait vingt ans en fait que j’ai un trouble anxieux généralisé, qui a été, le mot a été mis très tard, seulement l’année dernière, donc juste avant mes vingt-cinq ans, et ça faisait vingt ans en fait que je souffrais d’anxiété. Du coup j’ai pas de souvenir d’un moment précis, c’est arrivé, je me souviens juste qu’à mes cinq ans j’avais de l’eczéma, j’ai de l’eczéma qui est apparu sur les bras, dans le creux des genoux, voire sur les paupières, ce qui était assez dérangeant parce que je me grattais en permanence, et du coup mes parents ont mis ça sur le dos d’une allergie, possiblement, enfin voilà, vu que ça me grattait c’était peut être que j’étais allergique à quelque chose. Je dis mes parents, mais peut-être que c’était l’entourage, j’ai plus forcément de souvenirs. Pendant plusieurs années, par précaution, je mangeais pas de bonbons, je buvais pas de soda, voilà, j’étais, on colorait un peu les colorants alimentaires parce qu’on pensait que ça pouvait venir de ça, et en fait j’ai continué à me gratter les bras et les jambes pendant quatre ans, jusqu’à mes neuf ans. Mais cinq ans, je ne saurais pas trop dire s’il y a eu un déclencheur vraiment, est-ce que c’est un âge auquel on commence à comprendre les choses qui nous entourent ? En même temps, j’ai sauté une classe, donc ça m’a certainement perturbée dans ma scolarité, etc., et puis j’avais une Maman qui était… J’ai une maman poule, j’ai une maman qui m’a préservée de beaucoup de choses et qui m’a peut-être transmis certains comportements anxieux qu’elle avait, parce qu’elle a un peu le même profil que moi, et du coup comme j’étais la première fille j’étais certainement plus à préserver, voilà, j’étais vraiment le premier enfant, souvent on entend les parents dire que voilà ils ont un peu surprotégé leur premier parce qu’ils pouvaient avoir peur pour plein de choses, et en ayant une maman anxieuse qui avait son anxiété à elle et ses peurs de maman, je pense que ça a peut-être transmis ce trouble, en fait.

Mickael : Tu dis que ça a commencé vers cinq ans, que t’as pas forcément de souvenirs, ce qui est normal à cet âge là. C’est quoi le premier souvenir justement que tu as qui est en lien avec l’anxiété ?

Léa : Alors le premier souvenir que j’ai en lien avec l’anxiété, du coup c’est pas cette période des cinq ans à neuf ans, et là où à neuf ans il y a eu un événement c’est que j’ai passé une demi-journée à l’hôpital parce qu’au bout de quatre ans on se demandait quand même ce qu’il se passait, forcément, et du coup j’ai passé une demi-journée à l’hôpital pour faire des examens d’allergie. Et je me souviens sur mon bras de plusieurs points, j’ai ce souvenir-là d’une dame, d’une infirmière qui venait toutes les demi-heures contrôler sur mon bras les résultats des examens des allergies. J’ai pas entendu le résultat à la fin, mais ma mère m’a dit que ce qu’on lui a dit à l’époque c’est qu’elle avait une enfant stressée et que du coup il fallait prendre rendez-vous chez un psychologue. Donc je suis allée voir un psychologue et j’ai l’impression de lui avoir raconté des choses vraiment lambda d’une vie de petite fille, de ce qui pouvait me tracasser à l’époque. Ça m’a fait tellement de bien apparemment que trois jours après la première séance avec la psychologue je n’avais plus d’eczéma du tout, alors que ça faisait quatre ans que je me grattais les bras, les jambes, les paupières. Et en fait il a suffi d’une séance pour débloquer certainement quelque chose et du coup que ce symptôme là physique disparaisse.

Mickael : Et au-delà de l’eczéma sur cette période de cinq ans à neuf ans, est-ce qu’il y avait d’autre chose finalement que tu identifies après, comme des difficultés à aller à l’école, à sociabiliser avec des camarades, ou autre ?

Léa : J’ai sauté une classe, j’ai sauté le CP, et en fait on ne se rendait pas compte à l’époque, parce que c’était il y a vingt ans, on m’a fait sauter une classe parce que j’avais des aptitudes à l’école, mais on n’a pas du tout pris en compte le côté social d’un enfant, qui est hyper important, en fait. Et aujourd’hui je conseillerais quand même de regarder à deux fois avant de proposer à des parents de faire sauter une classe à leur enfant, parce que du coup on perd tout l’aspect social qu’on commence à construire à cet âge-là, les copines qu’on peut avoir, les copains, les petites habitudes dans la cour de récréation. En fait dans la cour de récréation, y’avait une partie dédiée aux dernières années de maternelle et aux CP, parce qu’on considérait que les CP étaient encore assez jeunes, et de l’autre côté c’était CE1 jusqu’à CM2. Et du coup comme j’avais sauté une classe j’étais en CE1, et mes copines étaient en CP, et du coup j’avais plus le droit d’aller jouer avec elles, il y avait une fameuse ligne rouge qui délimitait cette partie de la cour. Je n’ai jamais trouvé de stabilité amicale de ma scolarité. Même, j’ai eu des copines en primaire, mais ça a beaucoup bougé, pareil au collège, même si j’ai encore quelques connaissances, et c’est plus au lycée que du coup je me suis un peu plus affirmée, vers quinze ans, et que j’ai des copines que j’ai encore aujourd’hui. Et je pense que ça a renforcé cette anxiété de pas avoir de stabilité en fait à l’école, de pas avoir d’amis, voilà.

Mickael : Et après cette consultation avec le psychologue, qui t’a fait beaucoup de bien visiblement, ton anxiété a évolué de quelle manière ?

Léa : Je pense que ça a un peu calmé sur le moment, mais je me rappelle être en sixième, cinquième, et là le psoriasis qui commence à arriver. Donc là ça me gratte le cuir chevelu. Plus d’eczéma par contre sur le corps, donc ça s’est déplacé, et maintenant c’est les cheveux en fait. Et du coup j’ai des plaques dans les cheveux, et j’essaie de pas trop me gratter, parce que ça peut donner l’impression extérieurement, quelqu’un qui se gratte la tête c’est quelqu’un qui a les cheveux sales, tout ce qu’on veut, et en fait j’essayais de… Et je me retenais de me gratter pendant toute la journée et le soir j’étais capable de me gratter à sang parce que je m’étais retenue toute la journée et c’était insupportable. Et encore une fois comme à l’époque, au début mes parents ont jugé bon que je ne mange pas de colorant alimentaire, et/ou je prenais de la crème pour mettre sur l’eczéma, ma mère m’a acheté des shampoings de pharmacie, des traitements locaux pour mettre sur le cuir chevelu à chaque fois que je me lavais les cheveux, et en fait ça faisait passer temporairement, tout comme la crème apaisait l’eczéma temporairement… Ça me grattait, en fait. Et j’ai jamais relié ça à une anxiété précise, à l’époque, du coup comme personne ne me parlait de somatisation et que j’avais vu une psychologue quand j’étais plus jeune, je n’avais jamais fait le lien entre potentiellement de l’anxiété et un événement à l’école ou au collège qui pouvait m’angoisser et le fait d’avoir des symptômes physiques comme de l’eczéma et du psoriasis. Quand j’étais en primaire je me rappelle tout noter sur des Post its, je notais tout sur des Post its pour être sure de ne jamais rien oublier, je me levais la nuit pour tout noter sur des Post its, et je me rappelle m’être levée trois ou quatre fois la même nuit pour noter de pas oublier une paire de chaussettes pour le lendemain, j’avais besoin, c’était rassurant, que je me lève le matin et que j’aie mon post it avec tout ce que je devais pas oublier. Et en fait il fallait toujours que je me raccroche à quelque chose, il fallait que je me décharge de tout ce que j’avais dans ma tête, du trop plein en fait je pense, du fait que j’ai de l’anxiété, soit physiquement que je fasse sortir cette anxiété par le fait de me gratter, soit que je note des choses sur des papiers pour me sortir ça de la tête. J’ai toujours eu le sentiment que mon cerveau fonctionnait à mille à l’heure, que mon cerveau était jamais en pause, des fois je peux perdre le fil d’une conversation parce que je me fais un scénario dans ma tête, et du coup des fois je peux demander à des personnes, même plus jeune hein, de répéter ce qu’elles disaient, ou perdre le fil en cours aussi parce que mon cerveau mouline en permanence. Et l’anxiété c’est aussi ça, les scénarios je disais de tout ce qui peut se passer, et des fois ça peut arriver en plein milieu de la journée, il suffit qu’on déconnecte deux secondes et là le cerveau prend la place pour se dire ah, mais demain, tu as un rendez-vous chez le médecin, par exemple, imagine ça, imagine ça, et en fait le cerveau va te faire réfléchir à plein de possibilités, tu vas vouloir par excès de contrôle tout gérer et anticiper tous les scénarios prévus.

Mickael : Qu’est-ce que ces mécanismes-là ont pu avoir comme conséquence, au collège, sur ta vie, au lycée… Comme tu disais tu pouvais perdre le fil en cours parce que tu avais le cerveau qui allait à mille à l’heure, ça a forcément eu des conséquences sur le point de vue scolaire ou autre. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus là-dessus ?

Léa : J’entends mes parents me dire en permanence Léa tu buggues, tu es en train de bugguer, arrête, passe à autre chose. C’était clairement l’anxiété. Quand j’étais face à une situation que mon cerveau n’avait pas anticipée, je me mettais en pause physiquement. Si mes parents me disaient quelque chose et que c’était pas la façon dont je l’avais imaginé, je pouvais m’arrêter en plein milieu de la rue et m’énerver parce que c’était pas comme ça que c’était censé se passer. Et quand j’étais petite, je me suis pas mal frittée avec mes parents, bon, pas méchamment, mais comme un enfant, adolescent peut se fritter avec ses parents, parce que c’était plus fort que moi. Après coup je m’en voulais de m’être emportée, de m’être énervée, parce que la situation ne nécessitait pas d’énervement, en tout cas la situation ne portait pas à ce qu’on s’énerve, c’était pas grave avec du recul, mais sur le coup je me contrôlais plus. Mon cerveau prenait le devant, l’anxiété prenait le devant et me disait c’est pas comme ça que c’était censé se passer, ça va pas le faire, donc là bug, vraiment bug dans la matrice, et en fait à l’inverse mes parents dans l’incompréhension s’énervaient aussi de me voir dans cet état-là et de me voir m’énerver, et en fait ça ne menait à rien parce que du coup on s’énervait des deux côtés, eux ne comprenaient pas que c’était l’anxiété qui se manifestait, et moi je ne comprenais pas que le scénario que j’avais envisagé, ou les scénarios que j’avais envisagés ne se déroulent pas, et que du coup il allait falloir presque tout revoir. Et après au niveau de l’école j’ai décroché, ça m’a pas permis d’avoir une scolarité normale, mais effectivement j’ai jamais, je me suis jamais donnée à 100 %, j’avais quand même du mal à réviser parce que mon cerveau moulinait en permanence, et souvent je me perdais dans mes pensées en plein cours, ça me faisait perdre le fil de ce que les profs pouvaient expliquer. Ça a pas eu un énorme impact sur ma scolarité, mais je pense que j’aurais pu avoir de meilleurs résultats si mon cerveau avait été concentré sur le moment présent, sur les cours. Et on m’a souvent dit dans mes bulletins ou mes parents tu as les capacités, mais tu les exploites pas, t’es trop distraite, la tête dans les nuages, c’est des mots qui reviennent souvent, mais en fait mon cerveau pendant ce temps-là il moulinait à mille à l’heure et il anticipait tout, tout le temps.

Mickael : Et quand est-ce que tu t’es rendue compte que finalement c’était problématique, que tu en souffrais suffisamment pour avoir recours à un professionnel ?

Léa : Il y a eu des symptômes physiques, mais qui étaient vivables, c’est extrêmement désagréable de se gratter les bras, les cheveux, mais ça empêche pas de vivre. Il y a eu aussi après, au début des études, il y a eu de l’aérophagie. Là l’anxiété a commencé à se déplacer au niveau du ventre, au niveau des intestins, etc., donc j’avais le ventre gonflé en permanence, c’était extrêmement désagréable, ça me faisait des douleurs d’ailleurs. Ça restait encore vivable, jusqu’à un moment où j’ai eu une expérience à Paris, mon alternance de dernière année de Master, et j’ai vécu du harcèlement au travail avec une responsable où c’était un jour noir, un jour blanc, et en fait je ne savais plus sur quel pied danser, en plus j’ai toujours été perfectionniste, j’ai toujours voulu bien faire les choses, et du coup pour moi c’était insupportable d’aller travailler en fait dans ces conditions-là, et pourtant je suis restée un an et trois mois. Il y a eu des symptômes qui m’ont fait dire pars, parce que là ta santé mentale est en jeu ! Une fois où cette responsable elle m’appelle à son bureau et où mes oreilles se bouchent, et je n’entends plus rien. Et en fait je sens mon cœur qui s’emballe. une autre fois où je suis dans mon lit le matin, impossible de me lever, physiquement, mon corps ne veut pas se lever, c’est la première fois que ça m’arrive ! Et je me dis comment ça, mon cerveau n’a plus le dernier mot sur mon corps ? Là ça… Mon corps refuse, en fait, et je peux rien faire. Et ça m’a pris une demi-heure, presque en discussion interne à me dire Léa, tu vas te lever, tu vas devoir aller au travail sinon ça va être encore pire… J’ai fini par réussir à me lever. J’ai compris que le corps lançait des alertes. Il y a eu un moment très stressant entre le confinement, ça faisait déjà six mois que j’étais dans cette boîte et ça se passait pas bien, et en fait le confinement est venu ajouter un stress supplémentaire. J’aurais peut être pu gérer le harcèlement au travail seul, j’aurais peut être pu gérer le confinement et tout ce que ça engendrait seule, mais en fait les deux en même temps, c’était trop, mon corps n’a pas su comment extérioriser toute cette anxiété, en tout cas j’ai pas su l’extérioriser verbalement, j’ai pas su en parler, parce que de toute façon mon anxiété s’est toujours traduire par des symptômes physiques, et j’ai développé une colopathie fonctionnelle, ça s’appelle syndrome de l’intestin irritable aussi, et en fait là je n’avais plus de contrôle sur mon corps. C’est à dire que là où avant l’eczéma, le psoriasis, l’aérophagie, tout ça ça avait des conséquences sur mon quotidien, mais qui restaient vivables, là la colopathie fonctionnelle a pris le dessus, c’est là que ça a commencé à devenir problématique parce que ça m’handicapait dans mon quotidien, c’était plus seulement des symptômes physiques qui me dérangeaient, c’était que ça prenait le pas sur toute ma vie, en fait. Concrètement, comment ça se traduit, tout devenait anxiogène. Le fait qu’à l’époque on m’appelle quand j’étais chez moi en télétravail devenait source de stress. Quand après le confinement s’est levé et qu’on a pu retourner petit à petit dans les restaurants, etc., ça a développé une sorte d’anxiété sociale, et du coup la colopathie fonctionnelle c’est du coup l’irritabilité de l’intestin qui fait que dès qu’il y a un stress perçu comme trop sévère ou en tout cas une émotion qu’on n’arrive pas à gérer, il faut que le corps évacue, et en fait c’était vraiment ça pour le coup, sans vouloir faire de dessin, mais c’était vraiment ça pour le coup, et je pouvais passer des heures aux toilettes, en fait. Avoir des douleurs d’intestins qui se tordaient, mais vraiment pour le coup sur un niveau d’échelle de la douleur c’est le plus douloureux que j’ai jamais connu. Tout devenait stress, de devoir sortir une heure faire une balade, il fallait que j’ai des toilettes à proximité en permanence. D’aller faire les magasins, d’aller au restaurant, c’était presque une punition à la fin, de devoir aller au restaurant, parce que du coup je savais que mon corps après allait me le faire payer. Là mon corps était devenu mon ennemi, il m’empêchait toute vie sociale, il m’empêchait de sortir, d’aller me balader, partir en vacances c’était compliqué aussi. Et tout était millimétré pour éviter d’avoir des crises, et en fait c’était un cercle vicieux, parce que plus on millimètre les choses, et plus ça se passe, plus il y a d’imprévus, plus c’est stressant, le corps va nous le faire ressentir, on va avoir une crise, ça se reproduit en permanence, et est arrivé un moment milieu 2020 et ça a duré pendant deux ans et demi où j’avais une crise environ toutes les semaines. Ça pouvait être dû à un moment joyeux comme triste, c’était ça le problème, c’est que toute émotion forte amenait à une crise, mon seuil de tolérance était de plus en plus faible, et du coup rien que des fois inviter une copine à manger ça devenait du stress, ça devenait trop anxiogène, et le corps me le faisait payer après ! Je me permettais plus en fait de faire des choses, moins je me permettais de faire de choses, moins mon seuil de tolérance était élevé. Sortir pendant ma pause déjeuner au travail pour aller faire des magasins, ça devenait impossible. Je me suis retrouvée une fois à avoir fait un magasin et à être sortie depuis une demi-heure et à devoir aller dans un café, aux toilettes en urgence, parce que mon corps s’est dit on est dans un endroit où il n’y a pas de toilettes, c’est le moment… Et c’est pour ça que je dis que c’est un cercle vicieux, c’est le cerveau nous joue des tours, on se dit on va aller faire cette balade parce que ça va nous faire du bien, et quand on est dans la balade le cerveau nous dit il n’y a pas de toilettes à proximité, c’est dangereux. C’est embêtant ! Et là on commence à se… La pression commence à monter, et c’est pour ça qu’on a l’impression que notre corps est notre propre ennemi parce qu’on n’arrive plus à le contrôler, mon cerveau n’a aucun contrôle, on n’a plus aucun contrôle, je ne sais pas comment contrer les moments anxieux, je ne sais pas comment calmer les crises, et en fait ma vie sociale se restreint, je ne fais rien de ce qu’une personne de vingt-deux, vingt-trois ans pourrait faire, sortir boire un verre, aller au restaurant…

[Musique]

Léa : Donc j’ai vécu deux ans et demi en ayant entre deux un diagnostic de colopathie fonctionnelle, avec aucune recommandation pour aller voir un professionnel. Et fin d’année 2022, il fallait que je m’en sorte, ça devenait invivable en fait la façon dont j’étais, et je me disais j’ai vingt-trois ans, je ne peux pas rester comme ça, vingt trois, vingt-quatre ans, je ne peux pas rester comme ça, c’est pas possible. J’avais essayé méditation, cohérence cardiaque, enfin j’avais essayé par moi-même de m’aider à faire en sorte de passer mes crises… Et en fait je ne voyais pas comment j’allais m’en sortir, je me disais je ne vais pas vivre une vie comme ça, c’est pas possible. Encore une fois, et c’est la dernière, j’ai essayé de soigner le symptôme. J’ai pris rendez-vous avec une diététicienne… Ça m’a quand même aidée à voir quels aliments pouvaient être irritables sur les périodes où j’avais des grands moments d’anxiété et où du coup manger certaines choses pouvaient aggraver la situation, j’ai quand même fait un suivi pendant quatre mois sur le plan diététique, donc on n’était toujours pas sur le plan psy, en fait, sur le plan de soigner un trouble de santé mentale. Même avec la diététicienne, à la fin, je continuais quand même à avoir des crises, qui s’espaçaient un peu plus parce qu’à force j’avais réussi à apprivoiser mon corps un peu quand même, à reprendre le dessus, et je me suis dit, mais… Il faut arrêter de voir tous ces symptômes indépendamment les uns des autres comme si ça avait été des phases de ma vie et me dire qu’en fait ça fait deux décennies que mon corps m’envoie des signaux d’alarme de mon anxiété, que je choisis de ne pas voir, quand on est plus jeune c’est compliqué de les voir seule, mais là à vingt-cinq ans j’étais en âge de voir que mon corps m’envoyait des signaux et d’arrêter de me cacher derrière un trouble purement somatique de maux de ventre… Et du coup j’ai pris rendez-vous chez une psychiatre et j’ai pris un antidépresseur pendant six mois, de juillet à décembre 2023. Quand j’en ai parlé à mes parents, ils ont eu peur, parce que le mot antidépresseur c’est un gros mot… Et ils ont essayé de me faire comprendre qu’il y avait d’autres moyens, et que si c’était dû au stress il y avait surement des voies non médicamenteuses pour réussir à aller mieux… Mais en fait je leur ai fait comprendre que j’étais en détresse et que j’avais déjà tout testé, en fait ! J’ai regardé je ne sais combien de sites, d’applications, mais y’a rien qui marchait ! C’est tout, j’ai fait le tour, ça faisait vingt ans que je souffrais de symptômes physiques, ça faisait trois ans que ça m’empêchait de vivre une vie correcte, il fallait que je trouve une solution. Mes parents ont accepté le fait que j’allais passer par cette voie médicamenteuse et l’amélioration s’est faite hyper rapidement. Je pense que l’amélioration je l’ai vue en un mois après le début de la prise d’antidépresseurs, j’ai réussi à me nourrir à nouveau avec des choses que j’aimais, que je ne mangeais plus parce qu’à l afin avec le syndrome de l’intestin irritables je réduisais de plus en plus la liste d’aliments que je m’autorisais à manger. J’avais tellement peur que certains aliments ne passent plus que du coup je restreignais de plus en plus, et pareil, c’était un cercle vicieux, je mangeais de moins en moins de choses, et dès que je faisais une crise je l’associais à un aliment, et je finissais par ne plus manger cet aliment… je mens pas si je dis que je finissais par manger du quinoa et de la sauce tomate, vraiment, mes repas étaient composés de ça, je n’osais plus manger trop de fruits et légumes parce qu’il y avait trop de fibres, je buvais plus de café, je buvais plus d’alcool non plus, j’évitais le trop sucré, le trop gras, je mangeais plus beaucoup au resto et encore moins au fast food… La prise de médicaments ça m’a permis de mettre mon anxiété au second plan, que ce soit plus au premier plan, que ce soit plus moi, et juste de pouvoir vivre correctement, et l’anxiété est là parce qu’elle fait partie de moi, mais du coup elle n’est plus au premier plan et elle me permet de vivre correctement, de pouvoir manger ce que j’ai envie de manger, de pouvoir partir en vacances, d’accepter l’imprévu, ça, c’est le plus gros point. Et ce qui m’a fait énormément de bien avec le médicament et le fait que l’anxiété était plus présente au quotidien, c’est que du coup j’ai pu me permettre l’imprévu dans ma vie, ce qui peut paraître futile, enfin, ce qui peut paraitre vraiment étonnant à entendre, là je peux me retrouver à me dire ça se passe comme ça ? C’est pas grave. C’était pas prévu, c’est bien aussi, et ce que j’avais prévu je le fais une autre fois. Là je peux revivre normalement, et le fait de pouvoir aller boire des verres en terrasse, de faire deux restos deux jours consécutifs, de partir en vacances, de pouvoir me promener sur la plage parce qu’il n’y a pas de toilettes à proximité… Ça va ! On peut faire tout ça. Je me suis sentie revivre en fait. Et j’ai pu à nouveau profiter de la vie, en fait, parce que l’anxiété, ça m’empêchait de profiter de la vie, de profiter du présent, combien de fois après coup je me suis dit j’ai pas vu tel événement passer parce que j’étais trop occupée, trop dans mes pensées sur le fait que ça se passait pas comme prévu, que c’était pas comme ça que je voyais les choses… Et du coup je suis passée à côté de plein de choses… Et là je revivais l’instant présent. Pendant six mois de prise de médicaments, j’ai quand même fait attention, parce que je savais que c’était fragile, et qu’il ne fallait pas que je commence à faire trop d’excès, et surtout j’avais peur de revenir dans mon état d’avant, donc je me suis quand même un minimum contrôlée, mais ça restait un contrôle bienveillant envers moi-même. Maintenant que j’ai arrêté l’antidépresseur, l’anxiété elle est au second plan. Il faut que je fasse attention parce que je suis de nature anxieuse, l’anxiété elle est au fond de moi, je l’ai acceptée, mais je suis bien dans mon corps, je suis bien avec mon corps, je sais où sont mes limites, et du coup je peux vivre avec. Et ça fait du bien en fait de pouvoir se sentir revivre, voilà ! [rires]

Mickael : Tu dis maintenant que tu arrives à vivre avec, c’est ce qu’on appelle le rétablissement. Qu’est-ce que tu donnerais comme conseil à quelqu’un qui se retrouve dans la même situation, avoir des symptômes somatiques inexpliqués, beaucoup d’anxiété ?

Léa : De ne pas attendre, à aller consulter un professionnel, à en parler, à s’entourer… De ne pas prendre en compte que l’entourage puisse ne pas comprendre ou minimiser, et que du coup ça nous freine dans notre parcours thérapeutique ou pas. De se faire confiance aussi, on sait ce qu’on vit ! N’importe qui pourrait venir nous dire t’exagères, tu en fais trop… Mais si on sent que c’est pas vivable, il faut se faire aider. Ou en attendant de se faire aider mettre en place des choses qui vont nous faire du bien. Parce que c’est compliqué aussi de passer le pas d’aller voir un professionnel, de faire confiance. Il y a des personnes pour qui ça se passe mal, pour qui le premier rendez-vous avec un médecin ou avec un psychologue se passe mal parce que tout comme l’entourage peut minimiser ou avoir des réactions déplacées, c’est le cas aussi des professionnels, mais c’est pas parce qu’on est tombé sur un professionnel qui n’a pas écouté ou qui nous a dénigré qu’il faut arrêter un suivi, arrêter le chemin sur lequel on est pour aller mieux. Il ne faut pas que ça nous décourage en fait. Y’a aujourd’hui des sites qui existent, des comptes Instagram qui sont super bien faits, je pense à Bonjour anxiété, qui peuvent nous aider à nous rendre compte qu’on n’est pas tout seul. Écouter aussi des podcasts, des témoignages, comme celui des Maux bleus ! [rire] Et quel que soit l’âge qu’on a aussi, se dire qu’il n’y a pas d’âge pour aller mieux, qu’on ait soixante ans, ou quinze ans, on peut se faire aider, on n’est pas trop jeune non plus pour se faire aider, parce que moi on m’a déjà dit que ça allait passer, que c’était qu’une phase, que c’était certainement dû à l’adolescence, au stress [rire]… Quand on parle de santé mentale, ça fait peur. Certaines personnes vont chercher à rationaliser les choses. Mais on est les mieux placés pour savoir ce qu’il se passe dans notre corps, dans notre tête, je pense pour vivre sa vie de façon convenable, correcte et heureuse, même si c’est un bien grand mot, il ne faut pas hésiter à tout mettre en œuvre pour aller mieux.

Mickael : Toi, tu as fait des études de communication et tu travailles aujourd’hui dans une structure qui s’appelle le CN2R. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

Léa : Alors le Centre national de ressources et de résilience c’est un centre qui travaille sur les psychotraumatismes, qui travaille à l’amélioration et à la diffusion des connaissances sur le trouble de stress post-traumatique et sur la résilience. Déjà le trouble de stress post-traumatique tu en as déjà parlé, notamment dans un podcast, c’est un trouble qui va arriver après une confrontation à un événement traumatisant, et chez certaines personnes ça va se manifester par des symptômes de type dissociation, par des symptômes de type évitement, hyper vigilance, et reviviscence, l’impression que l’événement est toujours présent alors qu’il est passé, et qui du coup ne vont plus réussir à vivre une vie convenable. Et du coup au centre on a plusieurs pôles, moi je fais partie du pôle information communication où avec ma collègue journaliste on développe des ressources à destination du grand public, des professionnels pour expliquer en fait ce qu’est le trouble du stress post-traumatique, comment on peut s’en sortir, que ce soit pour les personnes concernées ou pour les proches, et aussi pour les professionnels qui ont en face d’eux des personnes qui présentent ce trouble-là. Il y a un pôle formation et bonnes pratiques pour mettre à destination des professionnels des ressources et des compétences qu’ils pourraient développer pour repérer et accompagner, orienter les personnes qui présentent un trouble, et là beaucoup de professionnels sont confrontés en fait à des personnes qui ont vécu des événements traumatisants, pas que des professionnels de la santé mentale, aussi de l’éducation nationale, de la justice, et beaucoup d’autres. Et donc on est une équipe de quinze personnes, vraiment une équipe pluridisciplinaire, et on essaie de tous s’accorder pour mener à bien la mission du CN2R et d’aider le maximum de personnes.

Mickael : Merci beaucoup, Léa d’avoir accepté mon invitation et d’avoir partagé avec nous ton expérience !

Léa : Merci Mickael !

 

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