"En dix ans à peu près, j’ai dû rencontrer dix aidants qui m’ont dit que ça y’est : ils ne se sentaient plus coupables… Ça fait pas beaucoup quand même !"

AIDER LES AIDANTS — 11 millions. C’est le nombre d’hommes et des femmes en France qui portent régulièrement assistance à un proche malade ou en situation de handicap.

Quand on parle des aidants, c’est généralement pour dire à quel point leur engagement est difficile. Et pour cause, il n’existe quasiment aucun dispositif d’aide pour les aidants. L’épuisement peut donc vite arriver, a fortiori lorsque l’aidant doit jongler entre vie personnelle, vie professionnelle et relation d’aidance.

Pour parler de ces oubliés, nous recevons aujourd’hui Hélène Rossinot, médecin de santé publique et autrice spécialiste des aidants. Elle a récemment publié son troisième livre sur le sujet, Ma famille, mon job et moi aux éditions Robert Laffont. Elle fait également partie des 40 femmes Forbes de l’année 2023 pour son engagement en faveur des aidants.

Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Hélène Rossinot

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Mickael : Bonjour Hélène.

Hélène : Bonjour Mickael.

Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission.

Hélène : C’est un plaisir !

Mickael : Aujourd’hui on va parler du sujet des aidants. On a eu plusieurs épisodes justement de personnes qui témoignaient de leur relation d’aidance avec un proche atteint d’une maladie psychique. Finalement on n’a jamais vraiment défini ce que c’était un aidant. Est-ce que tu peux nous dire, là, très concrètement, ce que c’est un aidant ?

Hélène : C’est normal que ce soit un peu flou parce que le texte de loi qui définit ce qu’est un aidant dis juste qu’un aidant c’est quelqu’un qui aide de manière régulière un de ses proches, qu’il soit malade, âgé ou porteur d’un handicap. Donc c’est vrai que ça peut être un membre de la famille, ça peut être un ami. Et qu’est-ce que ça veut dire régulièrement ? C’est à nous de le définir.

Mickael : Et concrètement, le rôle d’un aidant ou d’une aidante, dans le parcours de soin, dans le parcours de vie de la personne, ça consiste en quoi ?

Hélène : Y a pas de portrait de robot de l’aidant, mais il y a quand même des tâches en commun on va dire. La première c’est le soutien moral. Le soutien moral, on le retrouve absolument tout le temps et c’est très important. Il y a beaucoup d’aide en général sur tout ce qui est paperasse, demande de dossier, d’aide, que ce soit la MDPH, la CAF, toutes les autres aides. Il peut y avoir toute la question de l’organisation au quotidien, parfois de l’aide pour ranger, de l’aide pour faire le ménage, de l’aide pour faire les courses… Il peut y avoir, alors ça dépend aussi des pathologies et des situations, mais il peut y avoir des questions d’aide à la toilette, par exemple, ou d’aide à certains soins. Donc c’est des tâches du quotidien qui aident le patient, globalement, à vivre correctement. Parfois certains aidants remplissent un peu le rôle de soignant, parce que dans certains cas les soignants ne sont pas toujours disponibles, c’est pas toujours prescrit et nos systèmes de santé ne sont malheureusement pas encore parfaits. Mais c’est vrai que c’est quand même un rôle très complet.

Mickael : Quand on est en perte d’autonomie, ça fait quoi, finalement, de manière émotionnelle, d’avoir besoin de quelqu’un qui nous aide ?

Hélène : Alors ça dépend des gens, mais souvent, j’entends des personnes qui se sentent coupables, pour qui c’est tabou d’en discuter, qui se rendent bien compte qu’elles ont besoin d’aide, mais qui n’osent pas demander de l’aide, qui se sentent mal de peser par exemple sur leurs proches, alors que bon, les proches, ça sert aussi à ça, et c’est important de pouvoir en parler. Mais c’est vrai que dans beaucoup de familles, c’est très très peu abordé, ça se fait aussi de manière implicite, les gens donnent un coup de main sans rien dire et le proche n’ose pas forcément demander de l’aide. C’est assez rare que ça soit communiqué clairement. Pourtant ce serait l’idéal, d’un côté comme de l’autre, parce que parfois certaines parties… L’un comme l’autre peuvent aller un peu loin, dépasser des limites parce qu’elles sont pas souvent mises, mais c’est vrai que quand on ne discute pas de la base, on ne peut pas parler des limites non plus, pourtant elles sont importantes.

Mickael : On le sait c’est souvent une relation triangulaire, on a le soignant, l’aidant et la personne qui a besoin d’être aidée. Comment est-ce que ça fonctionne cette relation concrètement ?

Hélène : Parfois pas très bien ! [rire] Euh, c’est parfois assez compliqué cette relation triangulaire, surtout quand les besoins des uns sont pas forcément alignés avec les besoins des autres. Parfois les besoins du patient vont pas du tout avec ceux de l’aidant, parfois les besoins des soignants vont pas avec ceux ni du patient ni de l’aidant, parfois les discussions sont compliquées parce que parfois les aidants savent des choses sur leur proche, parce qu’ils le fréquentent quasiment au quotidien, et le médecin n’écoute pas toujours, parfois c’est l’inverse, parce qu’on connaît bien la personne on n’entend pas forcément ce que dit le soignant, le patient il a souvent le cul entre deux chaises, donc c’est des relations qui peuvent être complexes surtout qu’en plus les médecins, et de manière générale les professionnels de santé, sont pas du tout formés à la question des aidants. Donc chaque médecin apprend à laisser une place ou une autre en fonction de son expérience aux aidants, mais c’est parfois un peu complexe. Il y a des fois par exemple quand les besoins s’opposent, c’est vraiment très complexe. Je prends un exemple d’une personne en fin de vie dont j’ai rencontré l’aidante après son décès, la patiente était âgée, l’aidante était la fille, mais le domicile de la vieille dame était pas du tout aménagé pour les soins à domicile, vraiment c’était très compliqué, le lit était pas médicalisé et les infirmières se cassaient le dos en faisant les soins. Sauf que cette vieille dame était extrêmement anxieuse à l’idée d’avoir un lit médicalisé parce que son mari quelques semaines avant était décédé dans un lit médicalisé, donc c’était vraiment, elle était terrorisée, pour elle c’était un cercueil vivant, et elle le disait comme ça. Et du coup les infirmières ont un peu mis un ultimatum en disant que, et elles avaient raison de le dire, qu’elles ne pouvaient pas continuer à se faire mal elles pour les soins, donc que c’était soit elles continuaient les soins avec un lit médicalisé, soit elles arrêtaient tout. Et du coup là, le bien être entre la soignante et le patient était très opposé, et c’est l’aidante, alors qu’elle avait une relation assez pudique avec sa maman qui a dit je vais le faire, je vais faire la toilette, je vais faire les soins, je vais gérer pendant les deux, trois prochaines semaines, pour le bien être de sa maman, sauf que des années après elle est encore traumatisée, cette jeune femme. Mais elle a pris sur elle parce qu’il fallait que quelqu’un le fasse et qu’elle a considéré que le bien être de sa maman et des soignants était plus important que le sien. Et on voit des cas qui sont différents, mais où, on va dire, ce qui est important pour l’un est l’opposé de ce dont a besoin l’autre, ça peut être complètement inversé aussi, mais c’est vrai que c’est une vraie question éthique au quotidien, on s’adapte comme on peut, mais il faut pas mettre tout le monde dans le même panier. C’est pour ça que quand j’entends parler des usagers de manière générale ça m’exaspère, parce que les patients et les aidants n’ont pas du tout les mêmes besoins.

Mickael : Ça fait quelques années que justement la problématique des aidants est mise en avant, notamment d’un point de vue politique parce qu’il y a de grandes difficultés qui sont rencontrées dans la majorité des cas. Finalement c’est quoi ces difficultés ? Quand on n’y est pas confronté, c’est vrai qu’on peut ne pas forcément s’en rendre compte. Est-ce que tu peux nous parler des difficultés que rencontrent les aidants aujourd’hui ?

Hélène : Alors les aidants peuvent rencontrer un nombre assez infini de difficultés. Bien entendu ça dépend des situations, mais déjà au niveau de la santé, les risques de troubles anxieux, de dépression et de troubles du sommeil sont très augmentés par rapport à la population générale, y compris même derrière les risques de troubles musculo-squelettiques, en particulier le mal de dos qui est assez fréquent, et même le risque d’infection qui est augmenté parce que les gens sont crevés et donc plus sensibles. Après on a toute la question des risques vis-à-vis du travail, quand on continue à travailler à côté, parce que beaucoup d’aidants travaillent et sont aidants à côté. En moyenne les aidants passent dix heures par semaine à aider leur proche, mais ça peut facilement aller jusqu’à vingt, trente voire quarante heures, donc un deuxième job en plus d’un job à temps plein, qui mène assez facilement à l’épuisement d’un côté et qui tape aussi sur la vie professionnelle. Parfois les aidants sont mis de côté, perdent leur promotion, sont mis un peu au placard… En fait on les regarde dans l’entreprise comme on regardait il y a dix ou quinze ans les femmes qui avaient des enfants, globalement : plus fiables, intéressés par quelque chose d’autre que l’entreprise, et donc globalement on les met de côté complètement. Or c’est en plus un moment où non seulement elles ont besoin de travailler parce que c’est une bouffée d’air frais, je dis elle parce qu’une majorité des aidants sont des aidantes, mais en plus financièrement c’est quand même très important pour elles de continuer à travailler. Financièrement on a en plus des conséquences parce que non seulement ça prend du temps, mais il y a en général besoin de matériel, elles font chauffeur, donc ça leur prend beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps, donc parfois elles sacrifient le reste de leur vie familiale, aussi, et elles se sentent coupables, parce que mettons qu’on s’occupe d’un parent qui vieillit, si on a des enfants en bas âge et un conjoint, par exemple, si on passe beaucoup de temps avec son parent on a tendance à penser qu’on néglige ses enfants et son conjoint, qui parfois nous le fait sentir aussi… Ça dépend des cas. Donc c’est vrai que l’aidant est globalement coincé entre plein de mondes différents et il fait comme il peut. Et il est aussi dans le labyrinthe administratif, pour peu qu’il y ait des papiers à faire, que ce soit la MDPH, la CAF, et toutes ces lettres, ces successions de lettres qui donnent froid dans le dos quand on connaît leur signification, mais qui ne sont jamais ouvertes à des heures normales, elles sont ouvertes de 9 h à 12 h et de 14 h à 16 h, bref quand tout le monde travaille, globalement, et puis les aidants se sentent souvent seuls, isolés, parce que quand il y a un souci de santé dans la famille on peut en parler au début aux amis, mais si ça dure un peu longtemps, les gens décrochent, on ne connait pas grand monde qui traverse la même chose que soi, la famille de manière élargie n’est pas forcément compréhensive non plus, les collègues c’est pareil, il explique plein de pathologies pour lesquelles les associations… Soit n’existent pas soit sont pas très, on va dire actives, et y’a peu d’associations d’aidant même s’il en existe, donc c’est vrai que ça peut être très très seul, solitaire d’être aidant. Donc c’est vrai que ça fait déjà pas mal de problématiques auxquelles bah on essaie et j’essaie entre guillemets de m’atteler.

Mickael : Tu nous parles justement de ces problèmes fréquents dans le cas des aidants et des aidantes. Comment justement est-ce qu’on arrive à identifier quand ça devient trop, quand on commence à être trop stressé, trop anxieux, quand on commence à avoir un burn-out d’aidant ?

Hélène : Alors c’est très compliqué d’identifier ça, en particulier quand on a le nez dedans. De l’extérieur c’est parfois un peu plus simple. Et c’est pour ça que dans mon dernier livre j’ai mis un carnet d’évaluation, d’auto-évaluation, parce que souvent on a besoin de quelqu’un pour nous aider à nous diagnostiquer, ou tirer la sonnette d’alarme. C’est un peu comme quand il y a des consultations chez le médecin, quand il nous demande comment ça va, on répond que ça va, on vient pour de la prévention, parfois on dit qu’on a mal à la tête, quelque chose comme ça, et puis c’est quand on part, quand on arrive à la porte… au fait, j’avais oublié, mais j’ai ça, ça ça ça et ça qui vont pas. La consultation… Les motifs de dernière minute c’est souvent les plus importants. Bah là c’est un peu pareil, au début on a tendance quand on s’autoévalue à se dire ça va, bon parfois j’ai un peu mal au dos, je suis un peu tendu, mais ça va quand même, et puis quand quelqu’un vous fait une liste, dit est-ce que vous avez ça ? ça ? ça, ça et ça ? Ça vous force à réfléchir, et puis on se dit ça oui, ça oui… Je commence à cocher pas mal de cases. Et puis petit indice, si la personne que vous aidez vous dit que vous avez besoin de voir un médecin ou de vous reposer, c’est le moment d’y aller, mais vraiment rapidement. Parce que, on en a parlé juste avant, mais c’est compliqué pour la personne qui est aidée de reconnaître que la personne qui l’aide est fatiguée, en particulier à cause de ça, si elle prend sur elle pour vous dire que quand même vraiment il faudrait que vous fassiez une pause… C’est que quand même vous êtes déjà assez loin sur l’échelle de l’épuisement, globalement. Donc c’est pour ça que c’est aussi important de réussir à en parler, de manière générale. Alors quand on est aidant il y a aussi une échelle qui existe, qui s’appelle l’échelle de Zarit. Quelques petits points quand même avant que vous vous précipitiez tous sur Google pour aller la voir : les questions sont très très très très crues, elle est assez compliquée, moi les aidants à qui je l’ai donnée ont mis en général deux, trois semaines voire plus à la remplir, parce que si on la remplit très rapidement c’est qu’en général on n’a pas été honnête avec soi. Parce que quand on a des questions qui demandent à quelle fréquence on a honte de son proche ou à quelle fréquence on considère que c’est un fardeau pour nous, la première réponse qui nous vient est pas forcément la vraie réponse, parce que c’est difficile à admettre pour soi. Ce qui compte c’est de prendre son temps et de l’utiliser pour réfléchir, plus que le score qu’elle va nous donner à la fin. Et puis ce qui compte aussi c’est la, quand on regardera le score, parce que je connais pas une personne qui fait une échelle sans regarder le résultat à la fin quand même, ce qui compte c’est pas tant le résultat que ce que vous ressentez en voyant le résultat. Si votre premier réflexe c’est tiens, je pensais que ce serait plus haut… Ce qui compte c’est pas le chiffre, c’est que vous pensiez que ce serait plus haut, parce qu’on sait tous comment on va ou comment… Si on va bien ou si on va pas bien, simplement on veut pas forcément se l’admettre, donc c’est des outils qui peuvent aider à mettre le doigt sur quelque chose qui va ou qui va pas, mais ça nécessite de réussir à prendre du recul et c’est pas si simple que ça.

Mickael : Donc tu l’as dit ça arrive assez souvent, voilà que les aidants finissent par se négliger, en fait sans vraiment s’en rendre compte, avec souvent… la vieille rengaine qui revient c’est prend soin de toi, prend soin de toi… Comment est-ce que ça peut être reçu, et comment es-ce qu’on peut faire, finalement, pour prendre soin de soi ?

Hélène : Alors il y a deux manières de recevoir le prends soin de toi, il y a ceux qui sont énervés à raison parce que c’est une injonction de plus et qu’on nous dit absolument pas comment faire, et puis qui disent de toute façon j’ai pas le temps, j’ai pas que ça à faire, et puis y’a ceux qui disent oui oui, vous avez raison, plus ou moins qui vont aller chercher du contenu, des trucs comme ça pour le faire, et puis qui vont jamais se donner l’autorisation de le faire, trouver le temps de le faire. Et en fait que ce soit le temps ou l’autorisation pour moi on tourne toujours autour du même sujet, c’est qu’avant de prendre soin de soi il faut s’autoriser à le faire et ça nécessite de réussir à lâcher un peu le contrôle et à lâcher la culpabilité qui est partagée par 99,9 % des aidants. En dix ans à peu près j’ai dû rencontrer dix aidants qui m’ont dit que ça y’est, ils ne se sentaient plus coupables… Ça fait pas beaucoup quand même ! Et encore, je revois leurs visages, donc c’est vraiment pas beaucoup, la majorité sont toujours persuadés qu’ils font jamais assez bien, jamais assez, et du coup forcément quand on fait pas assez bien ou pas assez on n’a pas le temps de faire autre chose, la seule chose qu’on imagine c’est qu’il faut qu’on fasse plus pour son proche, donc forcément la priorité c’est plus nous. Et puis il y a beaucoup de personnes pour qui aussi il y a toujours pire ailleurs, donc pourquoi se plaindre ? Vous aidez quelqu’un qui est atteint d’une pathologie, mais votre meilleure amie aide ses deux parents qui sont atteints de pathologies très graves donc vous, vous ne pouvez pas être fatiguée, à côté d’elle. Sauf que c’est complètement faux, et que elle a le droit d’être épuisée, mais vous aussi vous avez le droit d’être épuisé ! Et que moi je dis toujours, enfin, je suis médecin, si mettons que je fais une garde aux urgences et que j’accueillais deux patients, un avec une jambe cassée et l’autre avec deux jambes cassées, et que je disais au premier patient bon écoutez monsieur désolé, mais votre voisin il a deux jambes cassées donc vous allez prendre un doliprane et puis vous allez prendre sur vous, hein, parce que celui d’à côté c’est quand même bien pire… Je sais pas en combien de temps l’ordre des médecins me radierait, mais cette fois-ci ça irait assez vite ! À raison, pour une fois, parce que c’est pas comme ça qu’on se comporte ! Les aidants s’infligent la même chose, c’est-à-dire que voilà, pour eux, ce qu’ils vivent, c’est pas assez grave, c’est jamais assez grave pour s’autoriser à prendre soin de soi. Donc pour moi ça sert à rien de dire aux gens prenez soin de vous, prenez soin de vous, et c’est pour ça que c’est le tout, tout, tout premier chapitre de mon dernier livre, c’est réussir à comprendre d’où vient notre culpabilité à nous, parce qu’il y a plein de raisons différentes, et comment on peut la lâcher au fur et à mesure un tout petit peu. Et ce que j’ai mis au tout début du chapitre, c’est qu’il y avait plein de choses dont je voulais parler aux gens, c’est toujours un peu le cas, si je donnais des conseils avant de parler de la culpabilité, je pourrais écrire tout ce que je voulais, ça serait lu, peut-être, mais ça serait absolument jamais appliqué parce que les gens s’autoriseraient pas à l’appliquer. Donc c’est pour ça que j’ai commencé par ça et que je supporte plus aujourd’hui les gens qui disent aux autres prend soin de toi comme si ça les dédouanait après de donner un coup de main aux aidants. Vous vous rendez compte, on leur a dit de prendre soin d’eux, maintenant la balle est dans leur camp, qu’ils se débrouillent ! C’est hypocrite.

Mickael : On l’a dit tout à l’heure, c’est une relation triangulaire entre le médecin, l’aidant et la personne qui a perdu en autonomie. Quel est le rôle de la communication et de l’information dans cette relation, qu’est-ce que ça apporte, et quand ça fait défaut qu’est-ce que ça peut provoquer ?

Hélène : Alors la communication en particulier elle est extrêmement importante, que ce soit entre le médecin et le patient, le médecin et l’aidant même si elle est souvent compliquée, et l’aidant et le patient. Si je prends déjà pour commencer l’aidant et le patient, la communication c’est ce qui permet de définir ce qu’on imagine que l’autre va faire, ce qu’on voudrait qu’il fasse, et les limites, et j’insiste sur ça, c’est important, les limites qu’on voudrait mettre à cette relation. Parce que pour beaucoup, que ce soit le patient ou l’aidant, on imagine que ça va couler de source et qu’on va regarder au fur à mesure comment ça se passe, mais il y a plein de situations qui peuvent dépasser les limites de certaines personnes et chacun aura ses propres limites, certaines personnes par exemple peuvent avoir du mal à supporter l’idée de faire la toilette d’un parent, d’un conjoint… Et d’autres absolument aucun souci. Certains peuvent avoir des problèmes sur le fait de faire à manger ou d’être constamment présent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, alors que d’autres préféreraient faire ça et par contre n’ont pas envie de faire d’autres tâches. C’est la même chose quand c’est des parents qui vieillissent et qu’on parle de déménagement, de lieu de vie, d’Ephad, d’aménagement du domicile, pour beaucoup les enfants ont une idée de ce qu’ils veulent et de ce qui est bon pour le parent, le parent à son idée à lui de ce qui est bon pour lui, et on n’en parle que quand il y a un problème, une urgence, et du coup en fait aucune décision ne convient à qui que ce soit, les limites sont souvent franchies des deux côtés, et parfois ça fait des conflits. Donc c’est vrai que c’est important d’anticiper, quand on devient aidant au tout, tout tout début, de parler assez vite avec son proche qu’on aide de ce qu’on imagine, de comment on voit les choses, de si quelque chose ne va pas comment on le dit ? Parce que c’est pas toujours simple d’arrêter son proche qui prend soin de nous en disant écoute j’aimerais bien qu’on fasse les choses un peu différemment… On se dit souvent qu’il prend déjà du temps pour nous donc si en plus on lui demande de faire autrement… Ça va être compliqué, mais non, c’est important, parce que si on se sent gêné ça joue aussi sur la manière dont on vit la maladie, et puis l’autre peut ne pas oser en parler, donc c’est vrai qu’une communication assez claire est importante même si ça prend du temps, pas hésiter à appliquer les principes de la communication non violente, surtout pas être dans le jugement et exprimer juste des besoins, des limites de manière claire, ça aide beaucoup. Après la communication entre médecin, aidant et patient, elle est très médecin-dépendant, sachant que du côté des, entre médecin et aidant il y a le secret médical qui s’oppose malheureusement assez souvent, il faut que le patient ait donné son accord au médecin explicitement pour que le médecin puisse informer l’aidant, et ça pose souci dans plein de pathologies, y compris quand on a des patients qui sont dans le déni, qu’on a des proches qui s’occupent du patient et qui aimeraient bien en savoir plus pour pouvoir mieux aider, malheureusement la loi en France fait que le médecin ne peut pas aller plus loin que le secret médical. Après il y a des médecins qui n’ont pas du tout appris à s’occuper des aidants et qui alors qu’ils pourraient le faire informent très mal les familles, et qui considèrent les informations qui viennent des familles comme étant secondaires, ça c’est dommage, j’en parle beaucoup avec pas mal de confrères, ça avance un tout petit peu, mais c’est vrai que c’est encore lent. Et après il ne faut pas oublier que les consultations sont très, très courtes, que le système de santé est dans un état un peu compliqué en ce moment, donc même vis-à-vis du patient, entre le médecin et le patient, bah souvent les consultations quand elles durent cinq, dix minutes on n’a pas forcément le temps de poser toutes les questions qu’on veut poser, donc c’est vrai que la communication est parfois un peu raccourcie. Quoi qu’il arrive, aidant ou patient, je conseille toujours de préparer sa liste de questions avant, parce que souvent quand on est devant le médecin, toutes les questions nous partent de l’esprit, et on sort de là on se dit mince, j’ai pas posé les trois quarts des questions que je voulais poser. Et puis il faut pas hésiter si le médecin vous donne un mail à lui poser vos questions, si vous êtes l’aidant, ou à lui donner des informations, en disant je sais très bien que vous ne pourrez pas me donner d’informations vous, sur l’état de santé de mon conjoint, de mon père, de ma mère, etc., mais moi je tiens à vous donner des informations pour que la prochaine fois que vous le voyez vous ayez ça en tête, parce que les patients oublient des détails sciemment ou non devant le médecin et ça peut jouer sur la prise en charge, par exemple des patients qui perdent la mémoire et qui continuent à dire que tout va bien, le médecin, ça peut l’aider pas mal que la famille informe, même de manière indirecte.

Mickael : Et au niveau des informations quand on commence cette relation d’aidant, qu’on est un aidant ou une aidante, ça se passe comment pour savoir qu’est-ce qu’il faut faire, comment il faut le faire, quand il faut le faire ? Parce que c’est vrai que d’emblée on se dit, c’est peut-être comme une mère qui accouche, ça se fait d’instinct… Là, ça se passe comment ?

Hélène : Je suis pas sûre déjà que ça se fasse d’instinct pour toutes les mères qui accouchent ! Mais en tout cas quand on devient aidant… Alors chacun improvise un peu comme il peut, c’est surtout que pour beaucoup de gens ils savent pas qu’ils deviennent aidant, déjà parce qu’ils connaissent pas le mot, c’est important qu’on en parle aujourd’hui, mais il y a encore beaucoup de gens qui ne connaît pas le mot aidant, pour qui ce qu’ils font est juste normal, ils aident un parent, un conjoint, un enfant… donc ils sont juste la mère, l’épouse, et ça va pas plus loin que ça. C’est pour ça que c’est important aussi de donner le mot parce qu’il y a des ressources derrière qui sont cachées, qu’on peut débloquer, entre guillemets, quand on sait utiliser le terme. Les gens pataugent un peu, hein, soyons très clairs, les associations sont souvent un bon recours pour aider les gens, mais c’est aussi pour ça par exemple que moi j’ai écrit mes livres, parce que je voyais beaucoup, beaucoup de gens qui me disaient, mais je sais pas quoi faire avec mon père, par exemple, ou ma mère, à partir de quel moment est-ce que je deviens aidant, comment je prends la décision par exemple de l’EHPAD, st-ce que j’en parle avec mes frères et mes sœurs ? Et puis même chose dans le monde de l’entreprise, pour mon dernier livre, ce sont de gens qui sont venus me voir parce qu’eux ne savaient pas comment en parler ou pas avec leur manager, avec leur équipe, comment éviter le burn-out parce que beaucoup étaient quand même dans des états d’épuisement assez avancé… Donc c’est vrai que les livres sont aussi là pour ça, pour essayer d’aider au quotidien et pour pallier le manque d’information et de ressources, parce que quand on va sur Google, y’a pas grand-chose ! Y’a quelques associations qui font avec les moyens du bord et Dieu sait que malheureusement leurs moyens sont pas énormes, mais sinon… Que ce soit pour aider un proche âgé par exemple, son enfant, son conjoint, y’a quasiment rien, donc voilà, les livres sont là pour ça, puis y’a aussi des groupes de paroles qui peuvent exister sur les réseaux sociaux, Facebook par exemple pour ceux qui nous écoutent qui ont Facebook, mais c’est vrai que ça reste encore très très très light.

Mickael : Est-ce que tu as pu voir dans ta pratique une différence de considération entre les aidants qui aident un proche avec un trouble psychique et les aidants qui aident un proche avec un trouble somatique ?

Hélène : Je dirais pas qu’il y a une différence de considération entre le fait d’être aidant d’un proche atteint d’un trouble psychique ou somatique, je dirais plutôt qu’il y a quelques associations, grosses associations nationales, qui sont plus puissantes comme l’association d’Alzheimer par exemple ou la ligue contre le cancer, et qui font que du coup il y a un peu plus de lobbying pour les aidants et de ressources à destination des aidants. Après de manière générale il y a un peu plus d’aide autour du handicap et des patients vieillissants parce qu’il y a aussi les aides de l’État et que les professionnels sont un peu mieux formés quand ils sont dans ces domaines-là, quand on est sur les maladies chroniques au milieu, nada, rien, rien du tout. Donc voilà, c’est pas tant psychique et somatique que quelques associations qui sont un peu plus grosses et un peu meilleures.

Mickael : Est-ce que tu peux nous donner des ressources justement qu’on pourrait partager à des proches qui sont aidants ?

Hélène : Alors il existe quelques associations qui font un super travail, il y a le collectif Je t’aide, l’association Avec nos proches que j’aime particulièrement bien parce que eux ils proposent un numéro de téléphone qui est joignable sept jours sur sept, gratuitement, et c’est des anciens aidants qui décrochent le téléphone donc on peut vider son sac de manière anonyme auprès de gens qui comprennent à peu près ce qu’on a vécu, parfois ça fait du bien. Il y a Ma boussole aidant aussi qui est un site qui compile à peu près toutes les ressources qui existent en France, qui est très intéressant. il existe des groupes d’aides sur les réseaux sociaux, par exemple il faut pas hésiter à chercher aidants familiaux ou aide aux aidants familiaux, et bien entendu si vous voulez lire des livres vous pouvez ! [rires]

Mickael : Tu as sorti ton troisième livre à l’automne, il y en avait deux qui le précédaient. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

Hélène : Alors le dernier qui s’appelle Ma famille, mon job et moi il est vraiment à destination de tous ceux qui cumulent aide à un proche et travail. Je l’ai construit en trois parties, deux grosses et une petite, la première elle est vraiment axée santé, elle s’appelle Prendre soin de soi, oui, mais comment ? On l’a dit elle commence par la question de la culpabilité, l’idée c’est vraiment de guider les aidants pour éviter l’épuisement, pour faire un état des lieux de sa propre santé, apprendre à gérer son stress, ses émotions, parce que c’est quand même assez compliqué à vivre au quotidien, du coup trouver des tous petits pas, des tout petits gestes chaque jour, quelques minutes au maximum, pour commencer à aller mieux, parce qu’on entend toujours oui il faut d’un coup aller faire quarante-cinq minutes de sport par jour ou manger plus que des légumes verts, non seulement c’est déjà compliqué dans la vie de tous les jours, mais quand on est aidant c’est absolument infaisable, donc vraiment tous les conseils santé sont adaptés au quotidien des aidants. La deuxième partie elle est pour gérer au boulot parce que quand on est aidant on est souvent vu assez négativement et on se voit souvent de manière assez vulnérable alors qu’en fait on développe beaucoup, beaucoup de compétences qu’on peut mettre en valeur que ce soit dans son travail, dans un entretien d’embauche, dans un CV, donc avec plein d’exercices pratiques, j’essaie de faire en sorte que les aidants qui lisent le bouquin reprennent confiance en eux au travail, apprennent à dire non, apprennent à parler avec leur manager, leurs équipes, à mettre en place un plan au travail pour que tout se passe bien. Et puis la troisième partie, une fois que les gens sont sur pied et ont confiance en eux elle est pour ceux qui ont envie de faire changer les choses au sein de leur entreprise ou au sein du public s’ils travaillent dans le public avec des chiffres à donner à leur DRH, à leur manager, à leur patron qui souvent ont une connaissance assez légère du sujet, sont même complètement ignorants, donc c’est les chiffres, les bonnes phrases, ce qu’il faut dire non seulement pour vous faire entendre, mais pour faire évoluer les choses au travail.

Mickael : Tu parles de chiffres, c’est vrai qu’on n’en a pas parlé encore, mais finalement ça concerne combien de personnes ?

Hélène : Alors ça concerne environ 11 000 000 de personnes en France, et les personnes qui travaillent et qui aident en même temps ça représente entre six et sept millions de personnes, donc c’est beaucoup, on estime que d’ici 2030 un quart des salariés en France sera aidant en même temps. C’est énorme.

Mickael : Et comment est-ce que tu vois l’évolution du rôle des aidants dans le système de santé, dans la société, dans le système de solidarité pour les années à venir ?

Hélène : Personnellement je pense que ça va devenir de plus en plus compliqué pour les aidants parce que de plus en plus de choses, à mon avis, vont commencer à peser sur eux. C’est déjà très lourd en ce moment, mais on le voit, il y a des choses qui sont de moins en moins bien prises en charge par le système de santé, on pousse de plus en plus vers le domicile, mais sans que le monde du domicile soit équipé pour accueillir les patients, les EHPAD débordent, les Instituts médico-éducatifs, tous les instituts en général pour les personnes porteuses de handicaps sont à capacité complète et pourtant il y a plein, plein de personnes qui sont pas prises en charge correctement… C’est de plus en plus compliqué de trouver un médecin, trouver des infirmiers libéraux pour venir faire des soins à domicile… Donc j’ai peur malheureusement que ça s’accentue encore en termes de charges pour les aidants. Ce que j’espère juste c’est que les employeurs au moins eux avanceront et feront de vrais efforts pour améliorer la qualité de vie au travail de ces aidants, et c’est peut-être le seul domaine sur lequel je vois un petit peu de progression.

Mickael : Tu l’as dit, il y a environ six à sept millions d’aidants qui cumulent un travail aussi à côté. C’est un sujet auquel tu t’intéresses pas mal, tu as d’ailleurs été parmi les quarante femmes de l’année Forbes 2023 pour ton travail justement sur les aidants et le travail. Qu’est-ce que les entreprises peuvent faire pour soutenir leurs salariés aidants ?

Hélène : Alors les entreprises peuvent faire beaucoup, beaucoup de choses, pour moi le plus important, c’est de faire changer la culture de l’entreprise, parce que je vois passer de plus en plus d’entreprises qui font des petites mesures, par ci, par là, ou un événement le 6 octobre pour la journée nationale des aidants, en se disant on a fait quelque chose, on est large ! En vrai, elles peuvent mettre en place tout ce qu’elles veulent, si les aidants concernés ont peur de demander à avoir accès aux mesures parce qu’ils savent qu’ils vont se faire juger par leurs collèges ou qu’ils vont se faire mettre au placard par exemple, parce qu’ils les auront demandées, bah personne ne demandera à avoir accès aux aides ou quoi que ce soit. Donc pour moi la première étape c’est d’éduquer, d’informer à l’intérieur de l’entreprise, de former les managers, de former les RH, de former le patron aussi, que ce soit dans des TPE, des PME ou de grosses entreprises, on trouve toujours des solutions à tous les niveaux, donc ça, c’est vraiment le numéro un. Après, se rappeler qu’on est humain, qu’un peu de bienveillance c’est utile dans le monde du travail, on peut rentrer dans les détails de la flexibilité sur les horaires, parfois un peu de télétravail quand il y a besoin, j’ai envie de dire chaque entreprise trouvera ses possibilités techniques en fonction des besoins de ses salariés. Par contre, le changement de culture, il est nécessaire absolument partout, et peut déjà soulager pas mal les aidants. C’est une grosse charge mentale pour les aidants que de devoir passer toute leur journée à éviter le regard des collègues, à éviter d’être en retard, de se cacher pour prendre un appel perso parce que le médecin de notre maman a décidé d’appeler pile au mauvais moment, on le sait les médecins appellent toujours au mauvais moment ! C’est vrai que se cacher ça prend beaucoup, beaucoup d’efforts et c’est une charge mentale dont les aidants n’ont pas besoin, donc déjà c’est un premier pas qui est extrêmement important.

Mickael : Et est-ce qu’il y a beaucoup d’entreprises qui aujourd’hui prennent cette question à cœur ?

Hélène : Alors ça augmente, c’est rentré dans la RSE il y a deux ans maintenant, donc globalement les entreprises doivent s’intéresser à ce sujet là. Soyons très honnête, celles qui le prennent vraiment à bras le cœur, qui ont décidé de creuser le thème, de former leurs salariés, sont encore très très peu. Mais le sujet est de plus en plus connu, j’ai de plus en plus d’entreprises ou d’aidants qui me contactent pour que j’intervienne, pour changer cette culture et justement en parler, les aidants m’appellent pour convaincre les comités directeurs ou les patrons, et les RH, les managers m’appellent en disant il faut qu’on apprenne à le faire, parce qu’il y a beaucoup de salariés qui sont eux-mêmes sensibilisés, mais qui ne savent pas forcément comment gérer concrètement, parce que quand on est manager, on apprend pas, on n’est pas formé, on sait pas forcément quand on a un aidant en face de soi comment faire, quoi dire. Donc ça bouge, doucement, très vite dans certaines grosses entreprises, parfois petites, mais c’est plus rare. Mais ça avance, en tout cas j’ai espoir.

Mickael : Pour les personnes, justement, qui cumulent un travail et une relation d’aidance, quand elles doivent s’arrêter de travailler, il se passe quoi ?

Hélène : Malheureusement pas grand-chose. Alors il y a des personnes qui doivent s’arrêter de travailler, pas beaucoup, mais il y en a. Elles ont deux possibilités, soit elles prennent le congé proche aidant, si elles rentrent dans les cases du congé proche aidant, et c’est pas toujours le cas, et il faut pas que ça soit en cas d’urgence non plus, soit elles ont rien du tout, globalement. Et malheureusement dans beaucoup de cas c’est ça la solution, c’est rien. Parce qu’en plus le congé proche-aidant il dure que trois mois, en tout cas il est indemnisé que trois mois. Quand c’est grave au point de s’arrêter de travailler, ça dure rarement que trois mois. Et dans ce cas-là les aidants sont complètement abandonnés, parfois il y a les entreprises qui peuvent compenser, parfois il y a des dons de jours, mais moi c’est une solution qui m’horripile parce que c’est la seule sur laquelle, on considère que c’est la solidarité des autres employés qui est la solution, donc ni l’état ni l’entreprise n’aide, c’est les autres qui du coup ne prennent plus leur repos, on compte aujourd’hui que sur ça donc autant vous dire qu’on va pas très très loin. Moi j’ai rencontré un nombre d’aidants assez importants qui se sont arrêtés, qui se sont fait sortir de Pôle Emploi par exemple parce qu’ils avaient démissionné, et que du coup ben ils n’avaient pas droit à la moindre aide financière, qui parfois étaient dans une situation où le proche par exemple pouvait avoir une aide pour du handicap, mais le temps d’avoir l’aide, au bout de sept, huit, neuf mois les aides étaient toujours pas arrivées, donc il fallait soit des économies soit un mode de vie très, très très très réduit, et souvent ces aidants-là tombent dans la précarité, sauf s’ils avaient mis un peu de côté avant, mais c’est une situation très très complexe.

Mickael : Est-ce qu’il y a des choses qui bougent en ce moment, justement, à ce niveau, des politiques publiques pour soutenir les aidants qui doivent s’arrêter de travailler ?

Hélène : Alors, les politiques publiques… Je vais essayer d’être un petit peu diplomate ! mais quand même… elles ont bougé vers 2019 un petit peu dans le bon sens, et puis alors le Covid a renvoyé en arrière globalement la situation de nombreuses années, alors de toute façon on le sait, le Covid a écrasé le monde du domicile, complètement. Les aidants qui étaient censés être la priorité du quinquennat en 2019, six mois plus tard ils avaient disparu malheureusement, alors qu’ils ont jamais eu autant de poids sur les épaules. Le congé proche-aidant il est mal fait, il est pas assez indemnisé, le répit… On parle beaucoup du droit au répit, mais il oublie les trois quarts des aidants, les seules formules qui existent sont sur des cas très très spécifiques. La reconnaissance aujourd’hui au niveau sociétal elle est quasi inexistante, soyons très clairs, franchement on part de très très loin, j’aime être optimiste donc ça veut dire qu’on a encore beaucoup de progrès à faire… Franchement j’attends que des personnes qui connaissent bien le dossier s’en emparent !

Mickael : Quels conseils est-ce que tu pourrais donner à une personne qui devient aidante ?

Hélène : J’en ai plein, forcément ! Le premier il est sur la gestion du stress. Tout le monde dit que le stress est négatif, en soi le stress il est pas négatif, c’est le stress chronique, qui est négatif. Il y a beaucoup d’aidants qui sont noyés dans le stress chronique, et c’est vrai que de faire même cinq, dix minutes par jour d’une activité qui fait ce qu’on appelle finir le cycle du stress, c’est-à-dire permettre au corps d’aller au bout de la réaction de stress et de se détendre un bon coup… Moi je sais que chaque fois c’est cinq minutes de danse sur Taylor Swift dans mon salon, je suis connue pour ça ! Il y a plein d’autres moyens, si vous n’aimez pas Taylor Swift… Drôle de goûts, mais quand même ! Ça peut être cinq minutes à rire, à regarder des vidéos stupides sur YouTube ou sur TikTok, des vidéos de chat, de chien, ça marche très bien, ça peut être pleurer si vous en avez besoin, ça peut être passer du temps avec vos proches… Ce qui compte c’est de trouver une activité tous les jours même si vous vous sentez pas particulièrement stressé ce jour-là, le stress chronique il s’accumule, donc tous les jours cinq dix minutes c’est faisable, peu importe la situation, même si vous êtes dans votre lit, que ce soit en allant vous coucher vous avez toujours votre téléphone et vous pouvez regarder des vidéos drôles, c’est faisable, mais cinq à dix minutes par jour, voilà. Pour se détendre déjà c’est très important. Alors bien entendu derrière si vous arrivez à dormir correctement c’est forcément une priorité, mais je sais que c’est pas le cas de tout le monde et en particulier quand on est aidant on peut avoir des urgences la nuit, on dort pas forcément très bien, donc faites comme vous le pouvez, essayez de dormir, vous prenez pas la tête, la nourriture, vous mangez équilibré c’est très bien, mais les surgelés c’est très bien aussi, ce qui compte c’est de réussir à manger de temps en temps des fruits, des légumes, des fibres et d’éviter de manger une pizza tous les soirs globalement, mais c’est aussi parfois tout un tas de nourriture émotionnelle, ça va avec le stress et je sais que c’est pas simple, donc j’ai toujours tendance plutôt qu’à enlever de dire aux gens de rajouter, rajoutez un peu de légumes avec votre pizza et ça ira déjà mieux, parce que dans ces situations-là, c’est des situations qui durent pas toute la vie non plus, le but c’est que ça se passe le mieux possible et ça pourra jamais être parfait donc vous allez pas du jour au lendemain vous transformer en marathonien qui mange ultra équilibré et qui dort dix heures par nuit, et qui est zen comme un Bouddha, non, c’est pas possible, c’est pour ça que c’est vraiment quelques minutes par ci, quelques minutes par là, une poignée de haricots verts en plus et un peu de salade, pizza s’il y a besoin, des siestes si vous y arrivez… Ce qui compte c’est d’être tolérant aussi envers vous-même et c’est parfois le plus compliqué.

Mickael : Et pour conclure, est-ce que t’as un message que tu aimerais faire passer aujourd’hui que ce soit au corps soignant, au corps politique, aux aidants ou aux personnes qui sont aidées ?

Hélène : De manière générale je dirais qu’il faut arrêter de voir les faiblesses des aidants, toutes les choses à compenser, et plutôt avoir un regard positif. C’est des gens bien ! Que vous soyez aidant, que vous soyez médecin, que vous soyez politique, que vous soyez chef d’entreprise si vous écoutez, sachez que les aidants que vous allez rencontrer sont des gens bien, pas parfaits certes, mais qui font quelque chose de bien, qui font de leur mieux, et donc au lieu de voir tout le négatif, les retards parfois, les aidants qui vont défendre leur proche, qui vont essayer d’obtenir des rendez-vous, qui vont vous casser les pieds, on s’en fiche, on devrait en tant que société être fiers de ces aidants, et vous en tant qu’aidant vous pouvez être fier de vous aussi, vous faites vraiment quelque chose de bien, ce sera jamais parfait, mais la personne que vous aidez ne l’oubliera pas, et c’est une partie importante de votre vie. Donc moi je dis en tant que société, en tant que médecin, en tant que moi parfois patiente aussi, merci aux aidants, et je pense que vous l’entendez pas assez, on devrait tous vous le dire.

Mickael : Merci à toi aussi Hélène d’avoir participé à cette émission. On rappelle donc ton dernier livre Ma famille, mon job et moi qui est paru chez Robert Laffont en 2023. Merci beaucoup d’avoir participé à cette émission !

Hélène : Merci à toi !

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