"C'est paradoxal parce que quand on est dissocié, il arrive des moments où on va parler de l'événement traumatisant comme si on parlait de n’importe quoi, d’une manière complètement détachée.'"

DISSOCIATION TRAUMATIQUE — La dissociation traumatique est un mécanisme d’adaptation que l’on retrouve parfois chez les personnes ayant vécu des événements traumatisants, comme un viol ou une agression. Elle se manifeste par une déconnexion avec la réalité, tant externe qu’interne. Les personnes concernées décrivent souvent qu’elles se perçoivent comme des spectatrices de l’événement traumatisant, plutôt que des actrices.

Quand la dissociation devient persistante, elle peut déconcerter l’entourage de la victime en raison de l’indifférence apparente qu’elle affiche face à l’événement traumatisant.

Dans cet épisode, nous accueillons Hana, une jeune femme qui a subi un viol il y a environ dix ans. Elle nous racontera comment elle a vécu cet événement et les jours, mois et années qui ont suivi, dans un état de dissociation.

Bonne écoute !
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

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Hana

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Mickael : Bonjour Hana. Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission.

Hana : Merci à toi.

Mickael : Tu nous as contactés il y a quelques mois pour nous faire part de ton témoignage. Est-ce que tu pourrais nous dire brièvement pour commencer quel est le sujet principal du témoignage que tu nous as envoyé ?

Hana : Principalement sur la dissociation traumatique. En fait les conséquences qu’il peut y avoir d’un point de vue psychologique sur nous-mêmes et sur le reste en fait de ce qui constitue notre vie, l’entourage, le travail, nos projets personnels… Les conséquences en fait qui sont sur le long terme, surtout. C’est pas sur un court terme où c’est genre une petite déprime, ou un état psychologique qui va se résorber au fur à mesure du temps, que la vie continue, mais en fait non. C’est quelque chose qui reste à l’intérieur, qui est endormi, jusqu’à ce que ça fasse partie intégrante en fait, et que je me rende compte qu’il y a des choses qui ne sont pas normales. Et c’est en me focalisant sur ce qui n’était pas normal que je me suis rendu compte que c’était dû à telle chose… Qui a fait que ben… Mon cerveau a changé son fonctionnement, en fait. Sur… sur moi, et sur ce qui l’entoure.

Mickael : Tu nous parles de dissociation traumatique. Si tu devais un peu décrire en un mot ou en images ce que c’est, qu’est-ce que tu dirais ?
Hana : Alors en fait la dissociation traumatique c’est quand il y a des moments dans ton quotidien, dans ta vie aussi, où genre tu n’es plus maître de ton corps, en fait, mais sans t’en rendre compte. Il y a des moments c’est des blancs. Il va t’arriver une situation, il va t’arriver… ou même quelque chose de vraiment qui peut être banal, mais qui va en fait dans ton inconscient te rappeler une chose dure. Même quelque chose de joyeux, en fait, mais que toi tu vas l’interpréter d’une manière négative par rapport à un moment de ta vie, ou quelque chose qui t’es arrivé, ou qu’on t’a dite. Et à ce moment-là, tu vas avoir une forme d’absence, et ensuite bah tu vas essayer de comprendre ce qui t’arrive, mais sans pour autant le comprendre vraiment, parce que t’es… T’es là, mais sans être là, en fait. Tu vis le truc, mais en même temps t’es ailleurs. Parce que cette chose que t’es en train de vivre, ce détail qui a fait que tu perds un peu la notion du présent, ben t’es en train de le décortiquer dans ta tête, mais c’est que, c’est négatif, c’est pas positif. Et lorsqu’en fait tu reprends un peu tes esprits et que tu te dis, mais, donc il s’est passé ça, ça, il va y avoir ensuite le contrecoup. Et donc le contrecoup, ça va être des comportements, des mécanismes très anxiogènes vis-à-vis de toi même ou vis-à-vis des autres. Tu vas partir sans explication ou tu vas te mettre à pleurer sans explication, ou tu vas péter un câble, genre, tu vas te mettre en colère, mais ça va être disproportionné par rapport à la situation. Et là en fait c’est que tu étais dissociée parce que ça t’a fait rappeler une chose dans laquelle ça crée en fait cette dissociation.

Mickael : Et toi du coup, qu’est-ce qui a provoqué au départ le début de ce trouble ?

Hana : Euh c’est un viol. Donc j’avais vingt-trois ans, aujourd’hui j’en ai trente-quatre, j’avais vingt-trois ans quand ça m’est arrivé, ça m’a vraiment déconnectée, en fait, de la réalité. Au départ c’était la réalité qui m’arrivait sur le moment du viol, parce qu’en fait on se dit c’est fini. Donc en fait… C’est tellement violent, mais c’est pas instantané, un viol, ça prend du temps ! Pendant ce temps-là, t’es déconnectée, pour pas voir en face la violence que c’est. Et au final, ben, moi j’ai survécu, je suis pas morte de ça, l’agresseur ne m’a pas tuée, mais le problème c’est que ton cerveau garde en fait, garde en mémoire ce mécanisme de ça, tu es là, tu vis le truc, ton corps vis la chose, mais ton esprit en fait il est ailleurs, il est plus là, en fait, tu vois la scène, toi tu vois la scène, c’est vraiment comme si tu étais à l’extérieur, mais c’est pour fuir ce qu’il se passe, mais comme tu peux pas fuir physiquement, bah c’est ton cerveau en fait qui fuit la chose, tu penses à autre chose… Moi j’ai le souvenir que quand ça m’arrivait, je sentais plus rien en fait, t’es, t’es éteint, y’a plus d’émotion, tu ressens ni douleur, ni… rien, vraiment, c’est, t’es juste un corps qui subit quelque chose et c’est tout. Et en fait cette déconnexion entre les émotions, genre le temps, la notion du temps, tout ce qui est autour de toi, bah le cerveau lui l’imprime. Et c’est un mécanisme qui reste, et moi c’est resté, jusqu’à ce que je me rende compte que c’est resté, c’est resté très très très longtemps. Tu te rends pas compte en fait que ça t’est arrivé à toi, parce que c’est… Tes émotions n’étaient plus là. Donc des fois ça t’arrive d’en parler comme ça, parce que le sujet est là, et tu vas en parler, tu vas parler que c’est toi, ça t’est arrivé, oui, c’est pas drôle, c’est… Mais d’une manière tellement détachée, t’as l’impression que c’était pas vraiment toi, en fait, c’est pas vraiment à toi que ça arrivait, parce que t’es détaché du truc. T’es vraiment en pleine dissociation. C’est… T’es encore dedans, en fait, ton mental est resté sur ce moment là, ton corps lui continue à vivre, mais ton mental est resté dedans. Mais sans pour autant faire le lien entre toi et le trauma, parce que c’est trop violent.

Mickael : Et quand tu as subi ce viol, ça a été quoi la première chose que tu as faite après ?

Hana : J’ai pas bougé pendant longtemps. Genre mon corps le temps qu’il reprenne un peu ses esprits j’étais complètement anesthésiée de tout, même le froid, parce que je me souviens juste qu’il faisait extrêmement froid. Jusqu’à ce que je me lève et je rentre chez moi, et la première chose que j’ai faite c’est une envie de se laver, se nettoyer, tout de suite, tout de suite, c’est le premier truc que j’ai voulu, c’est me nettoyer en fait. Me débarrasser de l’odeur de… Tu te dis, il y a quelque chose en toi qui est devenu… sale en fait, entre guillemets ! J’aime pas trop dire sale parce que c’est… C’est pas toi qui est sale en fait, c’est la personne qui a fait ça et qui a fait quelque chose d’horrible. Mais « je me sens horriblement sale, il faut que je me lave », c’est le premier truc vraiment concret que j’ai fait, c’est d’aller me nettoyer, tout de suite. Mais je suis restée des heures à frotter, frotter, partout partout. Et ça aussi quand j’y pense, j’étais déconnectée, genre j’avais le regard dans le vide, quand je me lavais je ne savais même pas ce que je faisais. Jusqu’à ce que ça soit mon frère qui me sorte de la douche, en fait, mais ça fait des heures que t’es dedans ! Mais j’étais ailleurs, en fait. J’étais ailleurs, j’avais… C’était mécanique, en fait, je pensais plus.

Mickael : Et quand ton frère justement est venu t’interrompre, dans ce processus justement de lavage intense, il s’est passé quoi, concrètement, dans ta tête, dans ton esprit ?

Hana : Du vide, en fait, c’était du vide. Ça revenait en boucle, ce qui s’était passé, les gestes. Mais c’était du vide, j’avais envie de dormir, j’avais plus rien qui se passait dans ma tête. Du vide et en boucle les gestes et les mots de l’agresseur. Sur le moment ouais, c’était que ça. Et plus rien n’existait. Je me disais, mais pourquoi je suis encore là, en fait, il s’est passé ça, mais c’était quoi en fait, qu’est-ce qu’il s’est passé en fait, c’est allé tellement vite ! Donc si je contextualise en fait donc moi j’étais partie faire mon jogging et c’est une personne qui est arrivée comme ça, qui était déjà là, au bout de vingt, vingt-cinq minutes, et donc cette personne-là m’a attrapée par derrière, j’avais une queue de cheval, donc elle m’a tiré les cheveux et… Au départ j’ai pas compris, c’est parti trop vite. Déjà je l’ai pas vu venir, en plus j’avais ma musique dans les oreilles aussi, j’étais complètement déstabilisée, et c’est quand la personne a commencé à me plaquer contre le mur, qu’il a commencé à me toucher, à m’insulter, que là je me suis dit ah ouais, c’est pas normal en fait. C’est pas quelqu’un qui veut savoir son chemin ou qui veut l’heure, c’est pas ça en fait. Et c’est là que je me suis dit y’a un problème. Donc là il y a eu d’abord la sidération, c’est à dire qu’est-ce qu’il se passe, tu comprends pas du tout ce qui se passe, c’est tellement… Et c’est quand il a eu ces gestes qu’il a eus, les insultes qu’il a eues, et surtout quand il a dit ce qu’il allait faire, que là tu te dis, OK, donc en fait ça m’arrive à moi, tu penses pas du tout que ça va t’arriver ! Mais quand ça t’arrive, tu te dis… Tu te dis purée, mais c’est pas possible ! Je me suis défendue, j’ai essayé de me défendre, bon, il était plus fort. Et à partir du moment où je me suis retrouvée au sol, je me suis dit c’est la fin. Parce qu’il y a eu des menaces de mort aussi, il disait qu’il allait me tuer… Et c’est là que je me suis dit c’est bon, stop, je me disais que c’était fini. C’est quand il se passe ça qu’en fait ton mental sature. Ça va vite, ça va vite, puis t’as mal aussi, parce que la personne si elle est violente avec toi, c’est la douleur aussi. Et puis ton cerveau en fait il se met en… complètement en mute, en fait, là c’est… t’as black-out complet ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Et quand certaines victimes disent tu vois la scène, tu la vois vraiment la scène. T’es là, mais t’es pas à l’intérieur de toi, t’es à l’extérieur. Tu vois tout ce qu’il se passe. Et encore aujourd’hui quand j’ai ces flashs là, je me vois pas moi vivre le truc, je suis spectatrice, mais pas actrice.

Mickael : Est-ce que justement tu as réussi à en parler à ton frère quand il est venu te voir ?

Hana : Bah disons qu’au départ moi je voulais… En fait j’étais tellement pas dans la compréhension de ce qu’il m’arrivait que je pouvais pas mettre de mots au départ. C’est quand il a vu mon état, que j’étais pas normale, que ma tête était pas normale, qu’il m’a dit qu’est-ce qu’il se passe ? Il a insisté pour savoir en fait ce qu’il se passe. Et moi en fait, d’un coup c’est sorti tout seul… C’est plutôt lui qui m’a tendu la perche, il m’a dit est-ce que quelqu’un t’a fait quelque chose ? Est-ce que t’es tombée sur quelqu’un ? Oui, on m’a agressée. Et en fait vu l’état dans lequel j’étais, et vu que je suis partie direct sous la douche, en fait il a compris. Il a compris, il a dit OK. D’accord. Il est sorti et euh… Et donc moi je me suis retrouvée voilà, comme ça, dans cet état, déconnectée, à l’ouest, dans le vide, dans le vide en fait, mais dans ta tête.

Mickael : Et il a réagi comment lui ?

Hana : C’est la colère en fait. Parce qu’il savait… Il a su que ce qui m’était arrivé c’était quelque chose de très grave, et la colère, en fait, c’est ça qui l’a pris, je me souviens qu’il avait tapé dans le mur et… il est sorti, bah pour le chercher en fait, pour chercher qui, sans pour autant me demander quoi que ce soit de qui c’était, mais tellement lui aussi ça l’a choqué en fait. Et je pense que ce qui l’a choqué aussi c’est l’état dans lequel j’étais, le regard que j’avais, c’est ça qui l’a choqué parce qu’encore aujourd’hui il est pas tranquille avec ça. Dès qu’il y a le sujet, qu’on en parle, dans les médias ou quoi, il zappe tout de suite.

Mickael : Au cours des jours qui ont suivi, des semaines, des mois, il s’est passé quoi justement suite à cet événement ?

Hana : Je mangeais quasiment plus du tout, en fait j’étais, j’étais devenue complètement amorphe en fait. C’était genre le temps de réaliser ce qui m’était arrivé, ça a duré deux semaines d’état mais vraiment… J’étais alitée, quoi, je faisais plus rien, je dormais beaucoup, beaucoup, beaucoup, mais genre j’étais fatiguée, une fatigue que j’ai jamais sentie, c’était physique et psychologique, mais vraiment c’était… Je voulais plus penser et la seule façon pour moi de plus réfléchir, de plus avoir de flashs, c’était de dormir. Et donc j’ai dormi, dormi beaucoup, je pleurais beaucoup, je dormais beaucoup, je mangeais très peu. Entre-temps, mon frère quand il était sorti il avait ramené la police avec lui. Moi je voulais pas, ça venait pas de moi. J’ai porté plainte… Enfin les policiers m’ont, ont insisté pour que je les suive pour porter plainte. J’ai vu un médecin qui a constaté que oui, il y a eu quelque chose qui s’est passé. Ils ont vu qu’il y avait de l’ADN qui n’appartenait pas à l’homme avec qui j’étais à ce moment-là, que c’était un ADN inconnu. Ils ont trouvé des éléments là où ça s’est passé, à l’endroit où ça s’est passé, ils ont trouvé bah l’ADN qu’ils ont trouvé sur moi et à l’intérieur, ils ont trouvé mes sous-vêtements qui étaient complètement déchirés, ils ont trouvé pas mal de choses. Et ça ça a duré trois jours après l’agression. Le lendemain, quand j’ai dû refaire une déposition sur ce qui m’était arrivé, le policier en fait il avait remarqué quelque chose chez moi qui l’avait un peu fait tilter en fait. Il me posait les questions, comment ça s’est passé, qu’est-ce qu’il a fait, comment il était ? Et moi en fait, aucune émotion. J’étais très calme, j’étais très, très très calme, genre comme maintenant, je pleurais pas. Je pouvais dire n’importe quel détail, j’avais tous les détails en tête, mais tous ! Encore aujourd’hui quand je relis mon PV je me rends compte à quel point c’était précis ce que j’ai dit ! Et j’étais, mais d’un calme, je me rendais pas compte à quel point j’étais calme, c’est le policier qui m’a dit, mais c’est fou comment vous êtes calmes. Il m’a dit j’en ai vu des victimes de viol, elles arrivent pas à parler, elles pleurent, elles pleurent, elles arrivent pas à mettre les mots sur ce qui leur est arrivé. Mais il m’a dit, mais vous, ça… C’est, on dirait vous me racontez un… une série, un film, un épisode de quelque chose, il me dit, et ça m’a déstabilisée quand il m’a dit ça ! Je me suis dit, mais c’est vrai en fait, pourquoi je réagis comme ça, pourquoi je pleure pas ? Et pourtant, je pleure, hein ! À la maison… Mais je l’ai mal pris, parce que je me suis dit, mais est-ce qu’il va croire que c’est faux ce que je dis, que je raconte n’importe quoi ? Je dis oui, mais il faut que je réagisse comment en fait ? il me dit je sais pas, d’habitude les victimes elles pleurent, elles crient, elles font des pauses, elles boivent beaucoup, enfin je sais pas. Vous… Y’a rien qui se passe, vous me dites des trucs, c’est mécanique en fait ! Je pose des questions, vous me répondez du tac au tac ! Je dis oui, c’est parce que je vous réponds… Je vous dis ce que j’ai dans la tête, ce qui me reste en fait ! Cette énergie que j’avais avant que ça m’arrive, mon agresseur l’a aspirée totalement, plus les émotions qui va avec. Et ça, ça… en fait cet état-là a duré des années. Jusqu’à ce qui a commencé, quand il y a commencé à avoir tous ces débordements de MeToo, tout ça ça a commencé à ressurgir, me dire, mais en fait moi aussi ça m’est arrivé, ça, moi aussi j’ai eu ça. Et c’est là qu’en fait le côté émotionnel a un peu refait surface, dans le sens où j’ai pris conscience que j’ai été victime de viol. Que j’ai pas juste vu une fille se faire violer, mais que c’était moi, en fait, c’était moi, c’était mon corps. Je n’ai commencé à m’en rendre compte qu’en 2017, 2018. Donc des années plus tard.

Mickael : Quand tu t’en es rendu compte, il s’est passé quoi ? Tu as réagi comment ?

Hana : La première chose c’est la dépression. C’est, j’avais des crises de sanglots, de pleurs, mais ça venait de nulle part en fait, c’était… Et beaucoup, beaucoup, beaucoup de cauchemars, beaucoup de flashs, énormément, genre ça revenait… Tout en sachant qu’entre temps j’avais un peu refait ma vie tranquille, on se détache un petit peu, voilà, la vie continue ! Mais là c’est revenu, mais comme un boomerang en fait, je l’ai pas vu arriver le truc. C’est-à-dire que c’était pas progressif, c’est d’un coup, et c’était beaucoup de flashs, énormément de flashs, dans l’inconscient, beaucoup quand je dormais, je faisais des cauchemars où je revivais le viol, je revivais la même scène. Et c’était très déstabilisant parce que comme je sais pas qui c’est, encore aujourd’hui je sais pas c’est qui l’agresseur, des fois ça pouvait être n’importe qui ! Une personne que j’ai croisée, un collègue, ou peu importe en fait, un truc, mais vraiment l’inconscient qui joue. Et c’était ultra déstabilisant parce que quand je me réveillais le matin c’était, mais c’est quoi ? C’est hyper bizarre en fait, si on le vit pas je sais pas si on peut vraiment comprendre, mais c’est b beaucoup de l’inconscient. L’inconscient qui refait surface qui te dit, mais en fait ça t’est vraiment arrivé, c’est pas un rêve, c’est pas une fiction, c’est réel. C’est que toi aussi tu… tu as aussi été victime de ça. Et tu te rends compte que c’est toi en fait qui as occulté. Plutôt ton mental a occulté ça parce que c’était trop violent pour toi, t’étais pas en mesure de te rendre compte de ce qui t’est arrivé. Tout revenait, mais dans les détails, des détails que pendant six, sept ans je me souvenais plus, mais là ça revenait. Tout le temps. Mais tous les jours, c’était tous les jours. Et forcément la dépression qui va avec. Je me suis beaucoup isolée, j’ai recommencé à avoir des rechutes du trouble du comportement alimentaire, énormément de choses négatives, j’étais devenue ultra agressive, n’importe quoi pouvait me rendre complètement hystérique. Je pouvais parler à personne si ce n’est à mes enfants, c’est tout, mais le reste fallait pas venir me parler, c’était mort, j’étais pas dans mon état normal. J’étais dans un état où genre je prenais conscience en fait qu’il m’est arrivé ça, et c’était… C’était d’abord la dépression, longtemps, ouais une bonne année j’étais complètement dans une mélancolie totale, et là c’était que de la colère, mais de la colère, une colère, mais froide quoi. Pourquoi moi, pourquoi ? Plein plein de questions, mais qui sont… Y’a pas de réponses en fait. Et c’est cette colère en fait de l’incompréhension.

Mickael : Donc ce qu’il faut bien comprendre c’est que entre le viol et la prise de conscience tu avais toujours le souvenir de l’événement, mais ce qui s’est reconnecté c’est que tu t’es rendu compte que c’était toi même en fait dans les images que tu voyais.

Hana : C’est ça. Exactement ça, j’avais ces images-là, je me souvenais, je sais qu’il s’est passé quelque chose, je sais que c’est à moi qu’on a fait du mal… Et puis des fois ça m’arrivait d’en parler comme ça, dans un contexte qui n’a rien à voir, j’étais tellement dans un détachement en fait ! Je me rendais pas compte de la gravité de ce que c’était, c’est surtout ça, je minimisais. Mais en fait c’était un système de défense pour pas voir en face que ce qui était arrivé, c’est trop. Et oui, c’est quand… Enfin six ou sept ans après, c’est là que j’ai pris conscience, que je me suis dit c’est trop grave en fait ce qui est arrivé ! Et c’est moi ! C’est mon corps qui a subi ça ! C’est pour ça que quand je vois une scène de viol dans un film bah je me mets à pleurer, je zappe la scène, c’est pas possible, je peux pas la regarder, parce que ça me rappelle ce que moi j’ai vécu. Avec le temps il y a une agressivité qui s’est installée en moi, qui y est encore aujourd’hui, et toujours ! Ça, ça change pas. Parce que j’ai porté plainte, j’ai fait ce que je pouvais faire, j’ai dit ce que je pouvais dire, le soucis c’est que lorsque je me suis rendu compte que c’est moi qui ai subi tout ça j’ai repris contact avec l’officier de la police judiciaire pour voir où ça en était, parce que je n’avais aucune nouvelle, et donc il m’a bien fait comprendre qu’en fait bah mon affaire était classée, depuis une semaine après qu’il m’est arrivé ce qui m’est arrivé. Et je lui dis mais classée, nan, mais… Quand il m’a annoncé ensuite que c’était le procureur, machin, enfin plein de trucs… Là en fait c’était encore pire, c’est deuxième trauma en fait. C’est là en fait, c’est je me dis je prends pour perpète, je saurais jamais pourquoi, j’aurais jamais de réponse. Pour moi en fait c’était une double peine, la peine de m’être fait violer, plus la peine de dire bah écoute nous on peut rien faire pour toi en fait. Cette dépression s’est transformée en rage, mais au final j’aurais peut-être jamais la réponse à mes questions. Ça bouillonne en fait ! Au départ j’étais complètement apathique, en fait, complètement déconnectée, et là en fait c’est tout le contraire. Dès que la dissociation en fait est passée, on se rend compte des choses, on ouvre les yeux sur ces choses-là, et là c’est la colère totale.

Mickael : Pendant les quelques années qui ont suivi le viol jusqu’à la prise de conscience, est-ce que toi ou quelqu’un de ton entourage avez aussi remarqué qu’il y avait aussi des changements de comportement qui ont pu venir d’un coup, comme ça, un peu de nulle part chez toi ? Par exemple éviter certaines situations, éviter le stade dans lequel tu as vécu cette agression, est-ce que finalement même sans te rendre compte que tu avais été victime d’un viol, tu avais quand même adapté un peu ta routine ?

Hana : Ah oui, complètement, complètement ! Le cerveau en fait il met en place des mécanismes de défense, d’évitement. On ne s’en rend pas compte, mais encore aujourd’hui en 2023 je suis toujours pas allée au stade là où ça m’est arrivé, je peux pas y aller ! Et pourtant il est à 100 m de là où mes parents habitent, il est juste en face. Je le vois, je passe devant, mais pour qu’on me dise rentre… Non, je peux pas, je peux pas et surtout pas là où il y a vraiment l’endroit où est arrivé. Ça me fait peur en fait, la réaction que je peux avoir me fait horriblement peur. Parce que c’est l’enfer, en fait, c’est la porte de l’enfer qu’il y a là-bas, c’est pas possible, je peux pas rentrer là-bas. Et oui complètement, j’ai développé des évitements, bah notamment avec les hommes, je me méfie beaucoup, c’est-à-dire que tant que j’ai pas une confiance qui s’est installée sur la personne en question je peux pas rester toute seule avec elle, c’est pas possible. Ou bien il faut qu’il y ait du monde avec nous. Mais je peux pas me dire je vais rester seule avec cette personne là, quand bien même elle est très gentille, mais non, je peux pas. Et j’ai développé aussi énormément de mécanismes liés au contrôle, énormément de choses, parce que comme j’ai pas eu de contrôle sur cette situation, bah ça s’est encore plus développé chez moi. Et puis cette, ce côté de vouloir prouver qu’on est au top, en fait, se prouver à soi-même qu’on doit être au top sur tout. On devient, pas craintif, mais évitant. Même au niveau des relations amoureuses, c’est très compliqué ! La personne en face de soi elle comprend pas toujours nos réactions, notre agressivité par moments, des fois on pleure pour rien parce qu’on y a pensé, parce qu’on a fait un cauchemar qui a un rapport avec ça, parce que… moi je vais plus dans les parcs, j’ai du mal à y aller, ou il faut vraiment qu’il y ait énormément de monde ! SI je vois un parc, y’a pas beaucoup de monde, je rentre pas. C’est pas possible, je peux pas rentrer dans un parc où y’a pas de monde. J’ai repris la course à pied… Avant je pouvais pas courir, j’arrivais plus à faire de footing, de 2012 à 2021 j’ai plus fait de footing, parce que ça me rappelait ce qui m’est arrivé ! Je cours dans un petit bois pas loin de chez moi, mais je cours que le dimanche matin, parce que je sais que c’est blindé de monde. Il y a énormément de monde le dimanche matin. Je peux pas courir un jeudi après-midi parce qu’il y aura personne, et ça ça m’angoisse, c’est pas possible. Oui ça crée une angoisse un peu sourde à l’intérieur de soi.

Mickael : Est-ce qu’après la prise de conscience tu as pu bénéficier d’un soutien professionnel par un psychiatre, un psychologue ?

Hana : Pas tout de suite. Mais ça, c’était moi, j’avais du mal à parler de ça. Ce qui est paradoxal parce que quand on est dissocié, il arrive des moments où on va en parler comme si on parlait de n’importe quoi, d’une manière complètement détachée. Mais en fait c’est quand on a pris conscience de ce que c’est et de ce qu’on a vécu qu’en fait tu te dis, mais ça, ça sortira jamais ! Je pourrais pas parler, j’ai trop honte, c’est la honte qui prend pas le dessus, je pourrais pas parler de ça ! Je peux pas dire il m’est arrivé ça, non, au départ c’était trop compliqué pour moi. La seule personne à qui j’en parlais c’était mon conjoint de l’époque, donc j’en parlais, et même pour lui c’était dur ! C’était dur parce que… C’est violent, en fait ! Et avec lui, comme j’étais en confiance, j’avais besoin de lui dire certains détails, que ça sorte, en fait. Et comme il les recevait et qu’il disait pas non, je veux pas savoir, ou quoi, c’était disons mon psy de substitution, même si le pauvre il ne l’était pas du tout, que c’était pas son rôle ! Mais non j’arrivais pas au départ. Et pourtant je me disais il faut que j’aille voir quelqu’un, il faut que j’en parle, il faut que je dise… Il faut que je me fasse accompagner en fait. Mais au départ c’était pas possible, même mon conjoint il me disait, mais va, va parler à un psy, raconte-lui ton histoire, raconte-lui pourquoi tu fais telle chose, telle chose… Il va pouvoir te guider. Mais pour moi c’était non, non je peux pas dire qu’il m’a fait ça, il m’a fait ça… C’était la honte, vraiment, j’avais trop trop honte ! Et en même temps je culpabilisais énormément, je culpabilisais, c’est en partie ma faute, parce que j’ai dû faire quelque chose qui a fait que ça l’a attiré, ça l’a… Donc oui, c’était la culpabilité et la honte aussi. Je me suis beaucoup bloquée par rapport à ça. Si ce n’est là, quand vraiment je me suis dit, mais en fait c’est pas sur moi, la honte elle devrait pas être sur moi en fait. Mais c’est à travers des lectures, à travers des témoignages… Une femme quand il lui arrive ça, elle devrait pas avoir honte, en fait, c’est en parler déjà pour qu’elle, elle se libère, parce que c’est un poids énorme ! Et ça, disons qu’entre guillemets j’ai un peu surestimé mes capacités, j’étais là non, j’en parle pas, tant pis, je vais garder ça pour moi. Je me suis surestimée, ça s’est sur, je me suis dit c’est bon, je vais pouvoir gérer, tranquille, de toute façon je suis pas la seule. Voilà. Mais en fait non, pas du tout. Pas du tout. Avec le temps ça devient obsessionnel, les flashs tout le temps, tout le temps, tout le temps. Et puis même, on a envie d’en parler parce qu’on a envie de comprendre, et on peut pas comprendre si on en parle pas, on peut pas se déculpabiliser si on n’en parle pas. Parce que ça reste, et on reste avec soi-même en fait, et soi-même c’est pas forcément le meilleur des conseillers. On a besoin d’en parler à une personne compétente qui va faire preuve d’empathie, pas forcément tout de suite un psy, mais une personne qui va nous faire déculpabiliser de ça, mais déjà nous-mêmes de se dire j’ai sorti déjà une bonne partie de ce que j’ai à l’intérieur. Et ça m’a fait du bien en fait de dire bah oui, il m’est arrivé ça, et j’ai réagi comme ça, et j’ai tels mécanismes aujourd’hui qui m’handicapent un peu, je fais telle chose que je sais que c’est pas forcément normal. Mais le fait de le dire, de le sortir, de s’entendre le dire, c’est totalement différent ! On n’a pas la même approche. Parce que s’entendre dire des choses dans la tête ça n’a rien à voir de s’entendre dire des choses à voix haute en face de quelqu’un qui reçoit notre message. Et c’est là qu’en fait on se dit, mais j’ai gardé tout ça, pendant tout ce temps ! C’est destructeur. Ça ronge en fait, j’invite totalement les personnes victimes… Faut pas garder, faut absolument pas garder, faut dire, parce que ça va détruire à un moment donné. On peut avoir une certaine force plus ou moins, selon les personnes, de garder ça, moi je sais que j’ai gardé ça pendant longtemps, mais à un moment donné ça pète. Et aussi à un moment donné je me suis dit Hana, faut que t’arrêtes, là, t’es pas Wonder WOman, faut que t’arrêtes, faut que ça sorte. Tu vas pas garder ça tout le temps. Mais c’était très récent, hein, c’est que depuis l’année dernière ! 2022, dix ans, il m’a fallu dix ans pour que ça sorte vraiment. J’ai dû écrire d’abord, mettre sur papier ce qu’il se passe dans ma tête, ce qui s’est passé, pour ensuite le dire verbalement parce que c’est trop dur à sortir. Et on s’est tellement accommodé de le garder que c’est plus difficile, et c’est encore plus lourd, plus gros.

Mickael : Et cet accompagnement dont tu bénéficies maintenant, depuis très peu de temps, il consiste en quoi ? Sur quoi est-ce que tu arrives à travailler ?

H : Là j’ai une thérapeute, Sabrina, que j’embrasse ! Qui m’accompagne à mon rythme, elle me laisse mon rythme, c’est à dire qu’elle me dit pas on se revoit à telle heure, machin, non, elle me laisse venir vers elle, ça, c’est très bien. C’est vraiment quand j’en ai besoin, elle se rend disponible pour moi. Moi ce que j’ai besoin c’est l’estime de moi-même, c’est surtout ça en fait. Parce que quand il nous arrive un truc comme ça, on se dit, mais on nous a pris, mais comme, comme un objet, on nous a consommé, ça a rien à voir avec l’amour, ça a rien à avoir avec du sexe consentit où nous aussi on prend un plaisir, là vraiment y’a pas, y’a rien, c’est, on est un jouet, un objet de maintenant, tout de suite, pour une personne, qui elle va prendre un plaisir, mais nous on est rien du tout. Donc notre estime de nous-mêmes elle est à moins dix, moins cent ! On n’a plus du tout d’estime de soi. On essaie devant, devant les gens, devant le quotidien d’être normal, mais en réalité il y a des choses chez nous qui font qu’on voit bien qu’on ne s’estime pas du tout, on est tellement dévoué, parce qu’on se dit bah j’ai que ça à faire, en fait, on s’affirme pas, alors que si, on doit s’affirmer ! Parce que sinon les gens, même sans se rendre compte, ils vont faire certaines choses qu’ils n’ont pas à faire ! Même entre potes, la personne avec qui on vit, si on s’affirme pas en fait c’est inconscient, c’est l’humain en fait il va prendre le dessus sur la personne qui s’affirme pas, c’est même pas d’une mauvaise intention ! C’est parce que nous on est effacés, parce qu’on n’a pas d’estime de soi, parce qu’on se dit je vaux rien en fait, et encore, j’ai eu ça et je vais me vanter de valoir quelque chose, mais en fait non ! Et c’est ça que je travaille, c’est cette estime de moi, et surtout quand on s’estime pas on a des mécanismes destructeurs vis-à-vis de nous-mêmes, l’autosabotage par exemple, quand j’ai des projets… ben j’y vais pas, parce que je me dis je suis nulle en fait, j’y arriverai pas ! Alors que non, j’ai les capacités, c’est juste que je me donne pas les moyens. Ou les troubles du comportement alimentaire qui en fait est juste un miroir de, bah du fait que je m’estime pas, donc bah l’anorexie parce que je me trouvais horrible, je me disais il y a quelque chose chez moi qui l’a attiré, je veux que ça s’efface ! Mon corps je le trouvais trop provocateur, par exemple, je me disais il ne faut plus que j’ai telle partie du corps qui se voie, faut plus que j’ai de hanches, faut plus que j’ai de fesses, faut que je maigrisse de ce côté-là parce que je voulais plus qu’on me regarde. Pour ma poitrine, je voulais plus qu’on la regarde, je voulais l’effacer. Donc ouais, je me restreignais dans la nourriture pour perdre du gras parce que ce gras a fait qu’on m’a regardée, donc on m’a violée, donc… c’est des petits, comment dire, mécanismes qui se mettent en place à travers la vision qu’on a de soi-même par rapport à ce qui nous est arrivé. Ma thérapeute m’a appris à accepter, déjà, et que c’est pas parce qu’il m’est arrivé ça que je ne suis rien ou que moi je dois pas estimer qui je suis. C’est une épreuve, certes, c’est un homme… C’est lui, en fait, c’est lui qui est coupable de ce qui m’est arrivé ! Il a vu mon corps, ça lui a peut être créé quelque chose en lui, mais c’est lui le problème, c’est pas moi, mon corps ou ce qu’il peut représenter, c’est que c’est lui ! Il faut que j’arrête de laisser passer les gens avant moi, mon propre besoin, et c’est surtout ça qu’elle m’apprend à équilibrer dans ma tête, parce que c’est complètement, c’est pas du tout acquis, j’étais vraiment à mille lieues de ça.

Mickael : Tu nous l’as dit, ton affaire a été classée par le procureur quelques jours après ton viol. Est-ce que tu as l’impression dix ans plus tard que ces événements, ces agressions sont plus prises au sérieux ?

Hana : D’après ce que j’entends dans certains podcasts ou dans ce que je lis même en ce moment, il n’y a pas beaucoup de choses qui changent, non. Parce que les moyens ne sont pas là. Pour ce qui m’est arrivé moi, d’après ce que m’a dit l’officier de PJ, c’est que les moyens. Donc pas de moyens, pas d’enquête, pas d’affaire, rien, donc on classe tout simplement en fait. Et c’est problématique parce qu’on est dans un pays quand même qui a des moyens, qui est riche, qui est développé, un viol c’est un crime qui est jugé aux assises, c’est un criminel dans la nature, donc c’est quelqu’un qui peut recommencer. Donc en fait on laisse trainer des mecs qui peuvent refaire du mal en fait à d’autres personnes, qui peuvent retraumatiser d’autres personnes, qui peuvent détruire la vie d’une personne encore une fois. Il y a tellement de viols et tellement d’agressions que tous les gérer c’est compliqué, ça prend du temps ! Mais justement en fait il faut prendre ce temps-là, et pas classer des affaires au bout d’une semaine en fait. Peu importe le temps que ça prend, même si ça prend cinq ans, six ans, le temps de faire cette enquête, et vraiment quand on voit qu’on trouve pas, bah on trouve pas ! Mais de là à même pas essayer et de vite classer l’affaire comme si c’était que dalle, en fait, bah non, c’est pas normal ! Parce que moi c’est pas un délit, c’est pas un délit que j’ai eu, c’est un crime ! L’agresseur il risque dix, quinze années de prison ferme, c’est pas rien. Il faut faire une enquête sérieuse, de mettre les moyens pour que la personne paye ce qu’elle a fait ! D’après ce que je comprends, si en plus la victime n’est pas morte bah… c’est pas si grave au final, elle va survivre. Mais moi c’est comme ça que je l’ai pris, quand même il m’a dit oui, on a classé l’affaire au bout de quelques semaines, quelques jours, je me suis dit, mais pourquoi ? Quand il m’a annoncé les moyens je me suis dit là en fait c’est… C’est aussi parce que je suis pas morte en fait, tant que je suis pas morte, c’est, ça va, c’est pas si grave. Mais si ! Mais si c’est grave, parce que les conséquences en fait ! Parce que lui l’agresseur il est dans la nature, il est tranquille, il fait sa vie… Mais à cette heure-ci en fait c’est moi qui ai pris perpétuité dans l’histoire, en tant que victime c’est moi qui prend perpétuité. Les magistrats, tout ça, ceux qui ont la main sur est-ce qu’on continue ou pas, j’ai l’impression qu’ils comprennent pas ça. Ils ne comprennent pas. Tant que ça les touche pas eux, je pense, je sais pas, c’est peut être quelque chose de personnel… Mais à un moment donné ça peut arriver à n’importe quelle femme, ça peut arriver à leur mère, ça peut arriver à leur sœur, ça peut arriver à leur fille, ça peut arriver à n’importe qui. Donc il faut pas minimiser les conséquences que ça peut avoir sur, et surtout, pas seulement que les conséquences, c’est, en fait il y a quelqu’un dans la nature qui a fait ça, et qui est en liberté, qui peut le refaire, tout simplement en fait. Et qui peut… S’il a pas tué la première fois, peut être qu’il peut tuer la deuxième fois la personne qu’il va violer. C’est trop grave, c’est des choses qui sont graves, qui laissent des séquelles énormes sur les personnes à qui ça arrive. La moitié de la reconstruction pour une victime c’est de se sentir considérée déjà en tant que victime. Pas forcément de trouver le coupable ou de mettre le coupable derrière les barreaux, mais c’est déjà de se sentir écoutée et de se sentir prise au sérieux. Non, les femmes ne sont pas prises au sérieux sur les violences qu’elles subissent ! À côté du viol j’ai aussi eu des violences conjugales, c’était pas pris au sérieux ça aussi ! C’est oui, ils se disputent, ça va aller ils vont se rabibocher… Mais non ! Ah non, non non ! Et un coup de trop c’est le coup de trop, en fait, et ça peut vite, vite vite vite partir, on se rend pas compte à quel point ça peut aller vite. Moi quand ça m’est arrivé le viol c’est parti trop vite, ça va trop vite, c’est des choses qui viennent d’un coup. On peut pas prévoir tant qu’on considère pas la victime telle qu’elle est et ce qu’elle a vécu, c’st mort d’avance, en fait, y’a pas de reconstruction, y’a pas de réelle reconstruction, c’est que en surface.

Mickael : Et toi aujourd’hui si tu devais faire passer un message aux femmes ou aux hommes victimes de violences sexuelles, ce serait quoi ?
Hana : Parler. Il faut pas laisser, il faut vraiment pas laisser ça à l’intérieur. Même si c’est pas tout de suite parce que c’est vrai que c’est dur de dire au départ, prendre le temps de se dire il faut quand même qu’à un moment donné je le sorte. Mais pas laisser ça, dire je vais vivre avec, c’est fini pour moi, je vais garder ça et je vais mourir avec, non non non ! Parce qu’en fait ça ça va amener encore plus de toxicité à l’intérieur de soi, il faut se libérer de ça, et se libérer c’est vraiment le textualiser par écrit, si on préfère l’écrit, ou le verbal, le dire. Même dans un endroit clos, pas forcément en s’exposant, mais le dire, le sortir, parce que si en plus de ça on n’a pas forcément justice derrière, mais là c’est la totale, on va sombrer, ça va nous faire sombrer. Au départ je le comprenais pas, je me rendais pas compte, mais c’est en le vivant dix ans plus tard, maintenant, que je me rends compte que non, ça détruit. Ça amène des choses vraiment très toxiques vis-à-vis de nous-mêmes. Parler et ne pas se désestimer pour ce qui nous est arrivé. Mais c’est pas parce que telle personne nous a pas respectée, a pas respecté notre corps, notre intégrité, notre physique, que ça veut dire que forcément ça y est, on est sale, on est… Non, non non, c’est la personne qui a fait ça qui a un problème. Il faut toujours garder cet amour de soi, de peut-être transformer ça en une force. Voilà, voir le positif entre guillemets si je peux me permettre dans du total négatif là, mais voir que je suis assez forte pour passer au-dessus, et dire oui, ça fait partie de ma vie, c’est dans mon histoire, ça fait partie de mon histoire oui.

Mickael : Il me reste à te remercier Hana d’avoir partagé avec nous ton histoire et ton témoignage. J’espère qu’il aidera beaucoup de personnes, beaucoup de victimes aussi à déculpabiliser, à avoir moins honte de ce qui a pu leur arriver, et à d’autres personnes qui n’ont pas vécu ce type de crime, comme tu l’as dit, à mieux comprendre aussi comment ça peut être vécu pendant des jours, des semaines, des années. Merci !

Hana : Merci à toi !

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