Mickael : Bonjour David.
David : Bonjour.
Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission.
David : Merci surtout de m’avoir invité !
Mickael : Tu as publié en début d’année chez Marabout un livre qui s’appelle Guérir nos âmes blessées. Est-ce que tu peux nous dire un peu rapidement de quoi il s’agit, qu’est-ce que tu as voulu faire avec ce livre ?
David : Le projet c’était d’essayer d’être utile, et de montrer qu’il existe aujourd’hui de nouvelles thérapies dans le domaine de la santé mentale et psychologique, qui peuvent être d’une grande efficacité et qui combinent différentes approches psychothérapiques, mais aussi parfois des approches utilisant des médicaments, ou d’autres approches comme la neuromodulation. Si tu veux, l’idée c’était de faire un tour d’horizon de ce qu’il y a de nouveau et de véritablement révolutionnaire dans ces nouvelles thérapeutiques.
Mickael : Donc le livre est composé de deux grandes parties, la deuxième c’est ce que tu viens de dire, c’est vraiment la thérapeutique, le côté guérir. Et la première partie c’est plus la partie compréhension, qui s’appelle Comprendre, où tu donnes des clefs d’interprétation et des éléments de compréhension sur les différents signes, les symptômes, les diagnostics, les troubles de manière générale. Justement il y a un point important que tu abordes dans cette partie-là dont on entend souvent parler dans les témoignages et même en dehors, c’est celui des émotions. Finalement, est-ce que tu peux nous dire un peu ce qu’est une émotion, comment ça se manifeste, qu’est-ce que ça peut signifier d’un point de vue biologique et d’un point de vue psychologique ?
David : C’est une très bonne question, je voulais apporter, parce que souvent pour le grand public la question des problèmes de santé mentale et des troubles émotionnels reste extrêmement mystérieuse et difficile à comprendre. Sur le mode « moi aussi j’ai été triste », « il suffit de se secouer », « il n’y a qu’à se prendre en main pour aller bien », « on peut tous avoir un coup de mou », etc., etc., ce genre de propos que peuvent tenir les bienheureux et bienheureuses qui n’ont jamais traversé de problèmes émotionnels de santé mentale. Et au fond il me semblait plutôt que de faire une sorte de reprise de catalogue, de la nosographie des troubles psychiatriques telle qu’on la connait en médecine, plutôt se dire on va reprendre les choses de façon extrêmement simple : qu’est-ce que c’est que les émotions ? Réexpliquer très brièvement, et Darwin l’a fait avec le génie qu’on lui connait, qu’au fond ce sont des mécanismes adaptatifs de survie. Les patients, et je trouve que c’est un élément important, sont parfois très étonnés quand on leur dit… Quand ils disent « Mais attendez, moi je soufre de la peur, de mon anxiété, pourquoi c’est un mécanisme d’adaptation ? » Ou la tristesse, en quoi c’est un mécanisme d’adaptation indispensable à la survie. Et au fond je trouve qu’il y a quelque chose de rassurant à comprendre que certes on peut être malade de nos émotions quand elles ne sont pas régulées, mais qu’à l’origine ce sont des processus qui ont permis, qui nous ont permis en tant qu’espèce, de survivre. Sans la peur on se serait fait allégrement dévorer par leurs prédateurs, et finalement on « n’aurait pas eu ces stratégies là d’évitement du danger, de prévention du danger, qui nous ont amenés à construire des protections de plus en plus complexes, des habitats, etc. Sans la tristesse, parce que ça aussi ! Les gens disent au fond, on n’aurait que la joie… Pourquoi pas, mais sans la tristesse, la tristesse nous raccroche au monde, nous raccroche aux autres. Sans la tristesse nos proches se seraient fait dévorer par les mêmes prédateurs et on aurait fait la fête joyeusement. Et ce qui permet de créer du lien c’est justement cette capacité à sentir le manque, le manque de l’autre, ces difficultés là. Donc ces émotions-là, et sans rentrer dans le détail de toutes les émotions, ces émotions-là sont indispensables à la survie. On les retrouve chez les animaux aussi. Donc chez les animaux, la plupart des animaux, en tout cas chez les mammifères on les retrouve. Une autre idée fausse sur les émotions, c’est qu’on devrait pouvoir les contrôler par la volonté. Dire à un anxieux, mais enfin, de quoi tu as peur, regarde la vie… c’est terrible ! C’est exactement comme de dire à un allergique aux fraises regarde, fais un effort, il suffit de manger des fraises, et c’est facile, je le supporte très bien ! Or très précisément la partie de notre cerveau qui régule nos émotions, le système limbique, n’est pas sous le contrôle des régions du cerveau qui sont capables d’élaborer une pensée, c’est même plutôt l’inverse parce que les émotions c’est un système réflexe, immédiat, qui doit permettre la survie. Donc, en réalité dire à un anxieux « mais enfin, tout va bien ! », c’est plutôt l’aggraver. Donc j’ai proposé un système de, plutôt que de proposer une nosographie psychiatrique qui aurait été extrêmement ennuyeuse, je me suis dit qu’on pouvait repartir des émotions de base, expliquer comment certains troubles psychiques, certains problèmes de santé mentale peuvent émerger d’une difficulté de régulation des émotions normales, qui mal régulées peuvent conduire à des problèmes, et comment on peut conjuguer, j’ai utilisé la métaphore de la conjugaison, au passé, avec les ruminations du déprimé, au futur avec les anticipations anxieuses de l’anxieux qui n’est jamais dans le présent, mais toujours à imaginer que tout ira mal, et qu’on peut comprendre certaines de nos difficultés psychologiques sur la base de cette conjugaison des émotions.
Mickael : Tu as parlé justement de la gestion des émotions. Ce mécanisme de régulation il se met en place vers quel âge ?
David : Il se met en place très tôt en réalité. On peut mesurer même quelques jours après la naissance la façon dont les émotions et l’expression des émotions se régulent chez le nouveau-né, et puis l’enfant va apprendre des capacités de plus en plus complexes, avec d’abord l’acquisition des émotions de base, des émotions principales, et puis des émotions de plus en plus complexes avec en particulier des émotions autour de l’empathie, autour de la honte, autour du jugement moral… progressif. Ce qu’on appelle aussi la théorie de l’esprit, c’est-à-dire la capacité à se mettre à la place de l’autre, et à comprendre les émotions de l’autre pour activer tout ce qui nous permet d’être dans une résonance et donc dans une… Ce qu’on appelle la cognition sociale, la vie sociale, mais globalement ce sont des mécanismes qui se mettent en place assez précocement ! Par ailleurs on a quand même des tests qui permettent de repérer assez tôt, trois ans, quatre ans, cinq ans, des difficultés de régulation émotionnelle chez les enfants. Ou des difficultés d’empathie dans certains troubles comme les troubles du spectre autistique. Donc ces mécanismes-là sont précoces autour du développement.
Mickael : Est-ce que cette période justement de la toute petite enfance est une période qui est assez sensible au développement de troubles psychiques dans l’avenir, ou même qui pourraient commencer à ce moment-là ?
David : Oui c’est une question très importante parce qu’elle axe aussi toute la question de la prévention. Globalement, ce qui la littérature scientifique, et quand on regarde les synthèses de la littérature scientifique, soit les revues, soit ce qu’on appelle les méta-analyses, 80 % des troubles psychiques émergent entre l’âge de 10/11 ans et 20/25 ans. Donc il y a une fenêtre de vulnérabilité… alors ça peut commencer avant ! On sait qu’il existe des pédopsychiatres, on sait d’ailleurs les difficultés actuelles des soins pour les enfants, mais la grande fenêtre de vulnérabilité c’est la puberté, jusqu’à 20/25 ans, pour des tas de raisons. D’une part on parlait tout à l’heure des aspects développementaux, des aspects biologiques, des aspects hormonaux, la question de l’accès à la sexualité. Mais aussi tous ces changements, c’est quand même une période dans laquelle on doit acquérir des compétences sociales dans des environnements sociaux de plus en plus complexes, des environnements au collège, au lycée, infiniment plus complexes. On sait d’ailleurs les problématiques d’exposition à la violence, de harcèlement scolaire, à quel point les enfants peuvent être violents entre eux. Donc c’est la conjonction sur une période d’âge assez courte, d’une dizaine d’années, finalement, de facteurs biologiques, psychosociaux, culturels, institutionnels et sociologiques qui vont venir converger, et de facteurs de protection aussi qui peuvent être une famille aimante, qui peuvent être des facteurs nutritionnels, éviter l’exposition aux facteurs de risques, le cannabis pris précocement sur un cerveau en développement, ça on a beaucoup d’études qui le montrent que l’exposition avant l’âge de quinze vingt ans peut jouer un rôle majeur, surtout sur des consommations régulières, l’exposition à l’alcool… Donc tous ces facteurs à la fois de vulnérabilité, mais aussi de protection, de résilience vont interagir entre eux, et soit permettre d’avoir une évolution qui va être une évolution plutôt harmonieuse dans la régulation émotionnelle, soit voir l’émergence de troubles qui peuvent se manifester sous oplein de visages différents, qui peuvent être des troubles anxieux, qui peuvent être des addictions, qui peuvent être des troubles du comportement alimentaire, de la dépression, etc., dont on voit dans l’actualité d’ailleurs une augmentation inquiétante, actualité scientifique récente tant en France qu’aux États-Unis, avec une augmentation assez massive chez les adolescents, et en particulier chez les adolescentes, de ces problématiques de santé mentale depuis deux, trois ans en particulier avec la phase Covid, la guerre, etc.
Mickael : Et quand développement vers un trouble il y a, la première chose généralement qu’on cherche à avoir c’est un diagnostic pour poser un mot sur des symptômes qu’on peut ressentir, sur une souffrance qu’on peut avoir. Mais ce diagnostic parfois il peut avoir des aspects bénéfiques, des aspects qui le sont un peu moins. Tu en parles dans ton livre, est-ce que tu peux en dire un peu plus sur cette question du diagnostic ?
David : Oui, merci pour cette question ! D’abord le diagnostic en soi, en psychiatrie, il pose question et il est complexe sur la question même de sa validité, parce qu’on n’est pas toujours d’accord entre médecins, au fond chaque personne est singulière, unique, et donc l’expression d’une dépression chez une personne sera différente, un même trouble peut s’exprimer de façon très différente chez des personnes différentes. On a cette difficulté-là. On a cette autre difficulté qu’on n’a pas encore, comme dans plein d’autres disciplines en médecine, de marqueurs biologiques, d’examens complémentaires ou d’imageries qui permettraient de confirmer de façon sûre certains diagnostics, ce qui peut rendre les choses compliquées surtout dans les formes un peu émergentes, un peu difficiles. Et d’autre part il y a toutes ces problématiques entre guillemets d’étiquetage, on a longtemps dit, d’ailleurs, on a longtemps… La culture quand j’étais interne, jeune médecin, on ne donnait pas, on ne disait pas les diagnostics, surtout sur les troubles sévères, type trouble schizophrénique, etc., enfin, potentiellement sévères ! Chaque trouble est différent dans son évolution. Mais souvent il y avait une forme de tabou, de peur, et de peur d’étiqueter en disant si on donne un diagnostic ça va enfermer la personne. Et puis en fait on est beaucoup revenus pour ça, pas que pour des raisons idéologiques, philosophiques ou éthiques, parce que les gens ont le droit de connaitre leur diagnostic, mais aussi pour des raisons très concrètes qui est que un grand nombre d’études montrent que quand on ne donne pas de diagnostic clair, précis, assez tôt, on fait perdre des chances aux gens de comprendre les difficultés qu’ils ont, et donc d’adhérer au soin, toutes ces problématiques de compliance, au fond si je ne comprends pas ce que j’ai, comment accepter de prendre un traitement, alors que ce n’est déjà pas simple de se soigner quand on a compris ce dont on souffre. Donc il y a eu beaucoup d’évolutions autour de ça. Moi je voulais rendre compte dans cet ouvrage de cette complexité, de dire certes il ya eu des progrès à la fois de faire tomber certains tabous, mieux communiquer avec les patients, chacun a le droit de connaitre son diagnostic, mais aussi être très honnête et sincère sur les difficultés que nous nous rencontrons encore aujourd’hui sur certaines situations de ne pas tomber dans certains pièges. Parfois on est confrontés au problème de l’arbre qui cache la forêt ! On peut avoir quelqu’un qui va venir consulter pour une phobie qui semble tout à fait restreinte aux chiens, par exemple, pour prendre un exemple au hasard, et se rendre compte que derrière cette phobie on a en réalité, je sais pas, une histoire psychotraumatique, des violences sexuelles durant l’enfance, etc., etc. Il y a aussi cette complexité de l’arrière-plan, de ce qui nous est présenté, de ce qui nous est donné à voir lors d’une première rencontre, de deux ou trois rencontres, et de tout ce qui peut venir un peu comme des poupées russes s’emboîter. Donc voilà, je voulais montrer un peu cette complexité-là, et en même temps dire qu’il y a eu des progrès, dans essayer d’être plus rigoureux, plus carré, d’avoir des critères un peu opérationnels, même si tout le monde n’est pas d’accord sur ces critères, ces nosographies, mais il vaut mieux ça qu’un flou artistique ! Et surtout dire à quel point on a besoin que la recherche continue d’avancer dans ce domaine, qu’on évolue encore.
Mickael : C’est un point super important, et qui me tient pas mal à cœur en tant que chercheur, c’est cette question de la recherche dont on entend souvent parler par le manque de moyen, et encore plus la recherche en santé mentale. Qu’est-ce qu’il se passe en ce moment dans la recherche ne psychiatrie, que ce soit au niveau des maladies, au niveau des traitements, au niveau de la contribution de la communication autour de la santé mentale… Qu’est-ce qu’il se passe en ce moment ?
David : Il y a un paradoxe, c’est-à-dire que d’un côté on a vraiment une communauté scientifique de jeunes chercheurs et de moins jeunes chercheurs aussi qui est très dynamique, qui produisent vraiment une recherche de très bonne qualité, y compris en France et ça peut je pense qu’on peut en être très fier. Et de l’autre côté le sentiment que ça va encore trop lentement, qu’au vu des enjeux de santé publique, au vu de la souffrance, au vu de tout ce que ça peut induire même d’un point de vue purement économique pour la société, le sentiment que par rapport à d’autres branches de la médecine, il y a quand même encore toujours un côté parent pauvre, un côté sous-doté, et un manque de moyens. Donc je voudrais souligner le paradoxe, je ne voudrais pas dire, voilà… Il y a vraiment des domaines dans lesquels les choses avancent de manière considérable, et je crois que c’est un grand espoir, et un grand espoir aussi pour les personnes qui nous écoutent et qui disent qu’y a-t-il de nouveau ? Il y a vraiment toutes les semaines, pas de semaine sans qu’il y ait des publications scientifiques dans des revues vraiment de premier rang dans le domaine des neurosciences et de la psychiatrie. Et pourtant si on regarde d’un point de vue thérapeutique, on se dit on aimerait vraiment qu’il y ait un grand coup d’accélérateur et que les choses aillent vraiment beaucoup, beaucoup plus vite.
Mickael : Là tu nous laisses entrevoir de nouvelles possibilités thérapeutiques, c’est vrai qu’à l’heure actuelle on a surtout l’habitude d’entendre parler des traditionnels, les psychotropes, les médicaments antidépresseurs, les anxiolytiques, les neuroleptiques, etc. Tout ce qui va être psychanalyse, thérapie cognitive et comportementale. Et c’est finalement de ça qu’on entend encore beaucoup parler aujourd’hui. Pourquoi ? Est-ce que c’est par habitude ou est-ce que c’est parce que la recherche sur les nouvelles thérapeutiques a encore du mal à passer justement des laboratoires jusque dans les cabinets ?
David : Je pense que probablement pour plein de raisons complexes, y compris encore les tabous sur la santé mentale et les difficultés à en parler, même dans l’immédiat, on parle beaucoup plus des progrès en cancérologie, et tant mieux, en cardiologie, etc., que des progrès dans le domaine de la psychiatrie. On en parle, mais ça reste très difficile. Et s’il fallait, on va venir sur ta question, et s’il fallait, les gens disent OK, mais qu’est-ce qu’il y a réellement de nouveau ? S’il fallait résumer, dire très vite, même si c’est beaucoup plus complexe, je pense qu’il y a trois domaines dans lesquels les choses ont énormément bougé au cours des dix, et probablement encore des cinq dernières années, c’est les approches de type médecine personnalisée, psychiatrie de précision, vraiment, l’idée c’est d’aller singulariser l’approche pour une personne et combiner les différents outils. C’est toutes les approches de type neuromodulation, qui font vraiment, les gens peut être on entendu parler de la stimulation magnétique transcrânienne, mais ces approches là, du fait de nouvelles techniques qui sont vraiment en train d’avancer, et puis peut être un troisième domaine plus mystérieux et plus exotique, c’est les thérapies assistées par les psychédéliques, le grand retour des psychédéliques, mais avec aussi une grande prudence parce qu’on ne peut pas faire n’importe quoi, mais en effet des résultats thérapeutiques publiés dans les plus grandes revues internationales qui sont assez saisissants en termes de pourcentages de rémission, autant dans la dépression que dans l’alcoolisme, que dans les états de stress post-traumatique pour prendre ces quelques exemples. Pourquoi on en parle encore si peu ? Moi j’ai pas la réponse à ça, c’est peut être une question qu’il faut poser aussi aux sociologues, pourquoi, est-ce qu’il ne reste pas encore ces stéréotypes comme quoi on manque un peu de force d’âme, d’énergie, qu’il suffirait, que y’a qu’à, de… toutes ces idées fausses contre lesquelles on se bat évidemment. Mais je crois qu’elles ont, hélas, encore la vie dure.
Mickael : Tant qu’à faire vu que tu as parlé justement des anciennes thérapeutiques aussi, c’est quelque chose dont on parle dans les témoignages, mais qu’on n’approfondit pas forcément. Donc j’en profite pour que tu sois là pour te demander si tu peux nous éclairer un tout petit peu, assez brièvement, sur les différences qu’on retrouve entre les deux courants historiques de la psychothérapie qui sont la psychanalyse et la TCC et pourquoi on a l’impression qu’il y a toujours cette guéguerre entre les clans, parce que finalement c’est un peu comme ça que ça se constitue.
David : Oui. Alors, quoiqu’aujourd’hui je pense quand même que dans les nouvelles générations les choses sont plus intégratives et moins belliqueuses que ce qui a pu se passer, il y a une vingtaine ou une trentaine d’années ! Mais en deux mots, je pense que tout le monde connait un peu l’histoire de la psychanalyse, avec Freud qui arrive avec cette idée tout à fait révolutionnaire que… Il crée par l’inconscient, parce que l’inconscient avait déjà été décrit, mais qu’en réalité les symptômes psychiques sont l’expression de conflits inconscients et que donc il va falloir aller explorer notamment le rêve, mais aussi… Il propose une méthode, ce qui est tout à fait novateur pour l’époque, il parle de quelque chose qui est très intéressant pour les psys, la notion de transfert, il se passe quelque chose, en effet, dans la relation. Et peut être que le principal problème avec la psychanalyse n’a pas été la psychanalyse elle-même, mais ce que certains psychanalystes en ont fait, pas tous ! Mais certains, ce fait de vouloir utiliser cet outil dans tout, alors qu’il peut être très efficace et très utile, et je défends ce propos-là dans mon ouvrage, je pense qu’il y a des personnes qui bénéficient considérablement de l’approche psychanalytique, mais qu’en effet dans certains troubles, on pense à l’autisme, on pense aux TOC, aux troubles anxieux, etc., si on veut un soulagement rapide, c’est pas forcément l’outil qui sera le plus approprié. Peut être que les gens connaissent mieux maintenant les thérapies comportementales et cognitives, alors tout le monde a entendu parler du chien de Pavlov, le behaviorisme, la clochette, le chien salive, et donc on va créer du conditionnement et ce n’est pas des vraies thérapies, on va simplement reconditionner les gens et les symptômes vont se déplacer sur autre chose, j’entends toujours ça quand on parle des TCC. Au fond s’il fallait retenir un seul grand nom ce n’est pas celui de Pavlov, il n’a pas soigné de gens, Pavlov, c’est Aaron Beck dont on utilise encore aujourd’hui le modèle, parce qu’au fond son modèle est très intéressant, il dit ce que les stoïciens avaient déjà dit depuis l’antiquité, il dit ce qui nous pose problème ce n’est pas ce que nous vivons, mais la façon dont nous l’interprétons, dont nous le pensons, dont nous le jugeons. Bon, les stoïciens, ce n’est pas toujours simple d’appliquer leurs préceptes ! Lui a donné une méthode très claire et très efficace, avec un grand nombre d’études scientifiques, vous savez, les colonnes de Beck, quelle situation première colonne, la situation c’est factuel, deuxième colonne les émotions que j’ai ressenties dans cette situation, et troisième colonne les pensées automatiques que j’ai eues. On croit souvent que ce sont les situations qui créent les émotions négatives, c’est-à-dire l’interprétation que j’ai faite de cette situation qui me fait souffrir. Et donc on va travailler sur ces pensées automatiques, on va faire ce qu’on appelle la restructuration cognitive, et donc revenir sur des pensées plus rationnelles. Déjà de prendre conscience que nous avons ces pensées irrationnelles qui nous font mal, et puis d’apprendre petit à petit à les repérer et à les restructurer pour qu’elles soient plus rationnelles et moins douloureuses. Et ce modèle-là qui a été développé dans les années 60/70 reste un modèle et ensuite avec deuxième vague, troisième vague, la méditation pleine conscience, les thérapies de type acte… s’est considérablement développé. Aujourd’hui, ce qu’il faut comprendre, c’est que les TCC, ce n’est pas une seule approche, c’est une boîte à outils qui rassemble des outils très différents et très complémentaires les uns avec les autres, même aujourd’hui les gens connaissent peut être l’EMDR, etc., on peut le ranger dans le cadre des TCC, donc c’est vraiment une boîte à outils, avec peut être cette grande différence qui est que c’est très axé sur l’ici et maintenant. On ne va pas aller nécessairement reparler de votre histoire, de votre enfance, on va aller sur vos problématiques maintenant pour essayer d’apporter des outils concrets. C’est en ça que je dis qu’il y a des personnes qui ont plus… Mon chapitre s’intitule quelle est votre tasse de thé ! Au fond je crois que certaines personnes ont plus envie d’une approche rapide, efficace, centrée sur l’ici et maintenant, et d’autres ont plus besoin à tel ou tel moment de leur vie d’une approche plus existentielle qui va leur permettre de retisser leur histoire d’enfance, de faire des liens, les émotions, etc. Et c’est vraiment à mon avis comme en médecine des indications différentes, il n’y a pas un seul médicament, on ne va pas dire qu’on traite tout, l’aspirine ou les corticoïdes traitent tout ! Non ! Les thérapies c’est pareil, chacune son indication et la bonne personne.
Mickael : Donc ça, c’était le retour historique, parce que c’est bien de voir un peu de quoi on parle ! Maintenant, regardons un peu dans l’avenir, parce que tu l’as dit, il y a beaucoup de recherche qui se fait actuellement, il y a beaucoup d’espoir aussi qui en découle. Selon toi c’est quoi les nouvelles méthodes qui sont les plus prometteuses pour demain ?
David : Alors il faut peut-être parler de celles d’aujourd’hui pour voir en quoi celles de demain pourraient être encore plus efficaces et plus puissantes. Le sentiment que j’ai c’est que notamment dans tout le champ du psychotrauma, les états de stress post-traumatique, et plus largement de ce qu’on peut avoir vécu comme facteurs traumatiques à un moment ou à un autre de notre vie, qui va entrainer par la suite des difficultés de régulation émotionnelle, ce dont on parlait tout à l’heure. Il y a eu vraiment un développement absolument majeur avec l’apparition des techniques, probablement aussi parce que l’actualité, malheureusement, on repense aux tours jumelles, on repense aux attentats, New York, etc., probablement parce que l’actualité, la vie, le monde a nécessité le recours à des thérapies d’action rapide permettant de traiter beaucoup de personnes en quelques séances. Donc dans le champ du psychotrauma, il y a vraiment eu des progrès, je trouve, vraiment spectaculaires au cours des vingt dernières années, on parlait de l’EMDR, je pense aussi à l’ICV, l’intégration du cycle de vie ou life span integration pour la description de la technique, qui est vraiment une technique assez saisissante moi je trouve en termes d’efficacité, pour constater ça chez les patients, peu tête en deux mots je peux dire, c’est une découverte d’une psychologue américaine en 2009 ou 2010 qui soigne une pédiatre d’une cinquantaine d’années, expérimentée, qui d’un seul coup se dissocie en revenant sur un facteur traumatique de son enfance, et à ce moment-là elle a une petite voix, et elle a sept ans en fait ! Elle a l’âge de son trauma ! Et la psychologue a cette idée hyper intéressante de dire je ne peux pas la ramener ici et maintenant. Vous savez quand les gens sont dissociés on leur donne des techniques pour revenir dans, est-ce qu’il y a cinq objets qui sont de couleur bleue dans la salle, trois bruits, etc., on les ramène tout de suite dans le présent. Et là elle fait autrement, elle se dit je ne peux pas la ramener, elle est trop loin, je vais lui demander si elle se souvient de son anniversaire de ses huit ans, et de ce qu’il s’est passé quand elle avait neuf ans, et dix ans, etc. Et de proche en proche, elle la ramène de son trauma jusqu’à maintenant. Et elle lui fait refaire cette boucle dans le temps, comme si elle retissait un peu son histoire, et comme si l’adulte qu’elle est aujourd’hui pouvait aller chercher l’enfant par la main et lui dire tout va bien, regarde tout ce que tu as construit, tu es une pédiatre extraordinaire, etc., tu n’es plus cette petite fille démunie, et en le voyant vraiment, et en faisant défiler sa vie sous ses yeux comme ça. Et c’est une technique parmi d’autres, on pourrait parler de rescripting pour les rêves, il y a vraiment eu un développement important de nouveaux outils très efficaces, et d’action rapide, dans le champ du psychotrauma et d’autres champs. Je crois qu’en fait le grand progrès c’est revenir sur cette idée qu’on applique dans d’autres champs de la médecine, qui est la médecine personnalisée, ou individualisée, qui est de dire il n’y a pas une thérapie miracle qui marchera chez tout le monde. C’est plutôt comment agréger les meilleurs outils au bon moment pour la bonne personne ? Et faut-il les combiner ou pas avec certains psychotropes ? Parfois la personne est trop mal, trop déprimée ou trop anxieuse pour que cette thérapie soit efficace et il faudra peut-être parfois un traitement, ou une séquence de traitements, j’aime bien cette idée d’approche séquentielle du traitement parce que c’est souvent comme ça en médecine que ça marche, et on peut avoir une séquence traitement et psychothérapie différente ! On peut tout à fait imaginer la personne venant par exemple pour je disais tout à l’heure une phobie, on va faire trois séances d’exposition, de désensibilisation à sa phobie, se rendre compte qu’en réalité il y a une histoire psychotraumatique et proposer cinq à dix séances d’ICV, avec éventuellement une couverture sous traitement pendant quelque temps. Donc c’est vraiment l’idée de cette approche intégrative, couplant différentes thérapies, et n’opposant plus ! Mais ça implique aussi que les psys connaissent les différents champs et les différentes thérapies, ne les opposent plus, mais au contraire soient capables de les combiner, soient capables de prendre leur téléphone et de dire là, il faut que vous ayez cinq séances pour travailler l’affirmation de soi et faire des groupes d’exposition sociale, de travail sur les habiletés sociales, je vous envoie, je vous adresse, et vous reviendrez ensuite, on travaillera sur l’estime de soi, etc. Et je pense que ce type de démarches là qui est coupler des approches, vraiment les personnaliser au bon moment, à mon avis me semble être une voie très prometteuse en les couplant aussi avec de nouveaux outils. On parlait de la neuromodulation qui offre, on parlait peut-être aussi de ce que certains psychotropes et en particulier les psychédéliques pourraient permettre de faire à l’avenir, à mon avis ça ouvre un champ de recherche et d’espoir absolument considérable.
Mickael : Est-ce que tu peux nous en dire justement un peu plus sur ce que tu appelles la neuromodulation, c’est un mot qu’on n’a pas encore entendu dans ce podcast, qui peut ne pas forcément parler à tout le monde. Qu’est-ce que c’est ?
David : Alors en fait les neurones sont des cellules qui transmettent de l’information et qui pour transmettre ces informations vont aller d’une certaine façon stimuler d’autres cellules, d’autres neurones, il faut imaginer ça, notre cerveau, comme un réseau encore plus complexe que l’internet mondial, il y a plus de connexions entre les cellules de notre cerveau. La question s’est posée de savoir si on pouvait modifier parce qu’on sait que dans certains troubles, certaines régions, certains réseaux neuronaux, réseaux de cellules, sont dysfonctionnels, soit fonctionnent trop, soit fonctionnent pas assez. Je décris d’ailleurs dans l’ouvrage ce qu’on appelle le réseau du mode par défaut, qui est un réseau hyper important dans la compréhension de certains troubles psychiques, en particulier de nos ruminations. Et la question s’est posée de savoir si on pouvait modifier l’activité de ces neurones, l’activité, alors il y a les processus de dépolarisation pour ceux qui sont, qui se souviennent un peu de leurs années de biologie et des phénomènes membranaires ! Et en fait ceux qui se souviennent aussi de leurs études en physique se souviennent qu’il y a une loi qui dit que tout champ magnétique peut induire un courant électrique et vice versa. Du coup on utilise de grosses bobines, une sorte de bobine en huit comme ça, qui vont produire un champ magnétique extrêmement puissant, qui va permettre de modifier l’excitabilité neuronale, c’est-à-dire la façon dont nos neurones, à certains endroits de notre cerveau, on va localiser ça, précisément, certaines régions cible stratégiques, appliquées dans la dépression, appliquées dans le trouble anxieux, dans certaines addictions on essaie de le faire aussi… pour aller modifier l’activité cérébrale. L’intérêt de ces techniques de neurostimulation, c’est qu’elles sont non invasives, c’est-à-dire elles ne font pas mal, elles ne nécessitent pas d’anesthésie générale, elles, voilà… et elles existent maintenant depuis une trentaine d’années, mais je disais tout à l’heure elles se sont considérablement sophistiquées les dix dernières années avec des protocoles notamment beaucoup plus intensifs. On ne va pas faire trois séances par semaine comme on faisait, mais parfois on va faire huit séances dans la même journée de façon beaucoup plus intensive avec des résultats qui semblent tout à fait prometteurs. Et j’insiste à nouveau sur l’aspect intégratif, c’est-à-dire qu’imaginez que vous traversiez une période dépressive et qu’on aille justement grâce à ces stimulations du cerveau vous permettre de retrouver assez vite de l’énergie, de la motivation, du plaisir dans les activités du quotidien. Très bien, mais si on ne vous apprend pas en parallèle, si on ne vous donne pas des outils qui vont vous permettre de mieux réguler votre stress ou de mieux gérer vos problématiques addictives, etc., etc., vous risquez, les mêmes causes produisant les mêmes effets, de redévelopper les mêmes troubles quelques mois après. Donc l’intérêt c’est vraiment de coupler, et on a de plus en plus d’ailleurs d’études de combinaisons de stratégies, c’est pas juste la neuromodulation, ou la thérapie, ou le médicament, mais c’est coupler toutes les approches entre elles.
Mickael : Tu as parlé d’ailleurs d’une nouvelle molécule, qui n’est pas si nouvelle que ça, mais qui est nouvellement utilisée dans le traitement de la dépression, qui est la kétamine. Certains jeunes qui côtoient des milieux festifs un peu interlopes peuvent justement abuser de cette substance en soirée. Ça fait des années, des années qu’on en entend parler, moi quand j’étais étudiant en psy on en parlait déjà, il y a une dizaine d’années. Là justement ça fait depuis très récemment qu’il y a un médicament qui a été mis sur le marché avec cette substance-là. Qu’est-ce que ça apporte par rapport aux antidépresseurs classiques ?
David : Alors en effet, il y a un médicament qui est assez difficile d’accès pour les patients parce qu’il n’est accessible qu’en hospitalier actuellement, et on connait les grandes difficultés de l’hôpital, donc c’est très… malheureusement, c’est un peu un cri de détresse de dire quand même, limiter l’accès à l’innovation thérapeutique dans le domaine… Peut-être que le grand changement c’est la rapidité, le délai d’action qui est tellement plus rapide. Vous savez, les antidépresseurs, quand ils fonctionnent, chez environ un patient sur trois, c’est pas énorme ! C’est trois à six semaines, parfois huit. Là on est sur une action beaucoup plus rapide, de l’ordre de quelques jours, quelques semaines. Et puis outre le délai, la rapidité d’action, qui est quand même quelque chose d’important chez des gens qui ont des risques suicidaires, des idées suicidaires, etc. On a un deuxième aspect qui est l’efficacité dans des formes dites résistantes de dépression, chez des patients qui n’ont pas répondu, comme c’est fréquemment le cas, à deux, trois, quatre antidépresseurs et là on a un spectre d’efficacité bien plus important. Donc je parlais des paradoxes pour la recherche tout à l’heure, c’est en effet des choses qui bougent, et en même temps une grande frustration du sentiment de patients qui viennent et qui disent, beh voilà… qui pourraient potentiellement profiter des effets de cette thérapeutique ! Elle n’est pas magique non plus, il y a des patients chez qui ça ne marche pas, qui tolèrent mal, qui ont des contre-indications… Mais on a beaucoup de patients pour lesquels on aimerait pouvoir bénéficier et qui se heurtent au fond aux limites de l’accès aux soins. Ce qui est pour moi est vraiment extrêmement problématique, et dommage, et frustrant.
Mickael : On a d’autres substances qui ont fait leurs grands retours récemment après quelques décennies d’absence sur la scène scientifique, qui sont les psychédéliques. Tu en as parlé un peu tout à l’heure et dans ton livre tu parles aussi d’une expérience personnelle justement sous substances. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ce que sont les substances psychédéliques, comment est-ce qu’elles peuvent être mises à profit d’une thérapeutique en psychiatrie ?
David : Les psychédéliques ont été vraiment honnis, et interdits, et classés dans le monde entier comme substances illégales dans les années 70. Et en particulier, on était dans cette période beatnik, mais aussi guerre au Vietnam, etc., contre-culture, et donc ça a été complètement interdit. Pourtant à l’époque il y avait déjà des chercheurs… Je parle à l’extérieur du monde festif, où on fait la fête, etc., où il y a eu des drames dont on a tous entendu parler évidemment, on a un peu cette image de substances extrêmement dangereuses. Il y a eu des chercheurs à l’époque, 70/80, qui ont essayé de voir ce que ça pouvait donner, non pas avec la prise régulière, mais la prise unique, parfois répétée une ou deux fois, mais sur une année, dans la dépression sévère, chez des personnes présentant des problèmes d’alcoolémie sévère… et qui ont montré une efficacité importante. Sauf qu’ensuite ça a été interdit, déclaré illégal, et en fait la recherche sur le domaine s’est refermée, et on s’est tous dit… On a tous eu cette image de c’est dangereux, ça donne des addictions, etc., etc. Certains chercheurs ont continué, aux Pays bas, en Allemagne, en Suisse, aux États-Unis, en Angleterre plus récemment de dire, mais en même temps, les travaux qui ont été faits dans les 70/80 avaient montré des résultats tout à fait intéressants, est-ce que dans le cadre d’un travail de recherche tout à fait protocolisé on n’aurait pas intérêt à aller voir ce que ça peut donner ? En fait ce qui est intéressant, c’est pas tant l’effet des psychédéliques eux-mêmes que le fait que ça ouvre une porte, parce que plein de gens prennent des psychédéliques, dans les raves… c’est pas parce qu’on prend du LSD ou de la psilocybine en rave qu’on va guérir ses troubles de santé mentale. Ce n’est pas la prise, c’est la thérapie qui va être augmentée, qui va être potentialisée, boostée d’une certaine façon : le psychédélique ouvre une fenêtre pendant laquelle on peut probablement remodeler des choses qui auraient été beaucoup plus difficiles à remodeler autrement. Probablement parce que ça va modifier ce fameux réseau du mode par défaut tout à l’heure qui est notre façon de penser le monde, une façon stéréotypée qui est toujours un peu la même, et là ça la modifie considérablement, avec une dimension d’augmentation de l’hyperconnectivité neuronale, on parlait des petits neurones tout à l’heure, c’est un peu comme une boule à neige qu’on remuerait dans tous les sens, les patients décrivent une sorte de thérapie accélérée, comme ça, en quelques heures, voilà. On est très prudents par rapport à ça parce qu’on ne veut pas qu’il y ait des drames qui se produisent, des gens qui le feraient tous seuls, chez eux, sous LSD il y a quand même des gens qui se sont défenestrés, en ayant l’impression qu’ils peuvent voler, etc. On est très prudents. Et je le redis, c’est la psychothérapie donc le cadre, médical, psychologie, le set and settings c’est-à-dire l’environnement dans lequel c’est fait qui va être la thérapie, le psychédélique n’est que l’outil qui ouvre cette fenêtre un peu différente, sur une perception un peu différente, un peu décalée du monde, de soi, avec ce sentiment de dissolution de l’ego, ce sentiment à un moment donné que « je » n’existe pas, et c’est extrêmement précieux parce que dans la plupart des problèmes de santé mentale il y a un problème avec l’ego. Je me sens inférieur, je me sens nul, trop ceci, pas assez ça, trop maigre, trop gros… Le fait d’avoir eu pendant quelques heures ce sentiment de disparition de l’ego, ce sentiment de fusion comme ça, est un outil très précieux en thérapie parce que les gens s’en souviennent, et se souviennent de l’expérience vécue pendant des mois et des années, avec le sentiment que tout ça n’a aucune importance, et c’est très apaisant pour eux. Et puis on a eu aussi beaucoup d’idées reçues, en fait il n’y a pas de dimension addictive, le LSD, la psilocybine ne donnent pas d’adduction. Il n’y a pas de dose toxique, hormis certains cas bien précis chez les gens ayant des antécédents personnels ou familiaux de psychoses, de troubles cardiovasculaires, etc., mais ce sont globalement des substances plutôt bien tolérées. LE vrai risque c’est le manque d’encadrement, le bad trip quand on est tout seul. C’est un peu un danger d’ailleurs parce qu’aux États-Unis, j’ai regardé ça quand j’ai écrit le livre, il y a déjà des start ups qui se sont développées autour de commande ton kit à domicile et fais-le tranquillement chez toi. Avec la kétamine, avec maintenant la psilocybine, et on te montre une petite vidéo, on t’explique comment le faire, fais en sorte qu’il y ait quelqu’un à la maison, si possible pas un enfant de moins de douze ans, et je lisais les témoignages notamment d’un journaliste scientifique qui avait essayé ça et qui disait surtout son sentiment de solitude d’avoir essayé tout seul la kétamine, et ça ne donnait pas grand-chose sur son trouble anxieux le malheureux ! Et c’était intéressant ce mot solitude. En effet dans les problématiques de santé mentale, le pire, enfin, la souffrance, mais il y a souffrir et se sentir seul. Et dans cette idée de thérapie assistée par psychédéliques, j’insiste, ce qui compte c’est la thérapie et pour ça il faut qu’il y ait un thérapeute ! On ne peut pas le faire tout seul chez soi ! Etc. ! Donc surtout ne vous dites pas qu’en commandant… Déjà c’est illégal ! Et en commandant et en le faisant tout seul, c’est dangereux, ne le faites pas, mais par contre ces outils là, si la recherche continue de confirmer les données que nous avons à l’heure actuelle, a priori il devrait y avoir un premier essai, il y a des essais à l’étranger évidemment, mais à Paris, à Sainte Anne il devrait y avoir un premier essai de la psilocybine l’année prochaine. C’est dans un cadre de recherche et surtout pas chez vous à la maison.
Mickael : Toi tu parlais justement de l’expérience très humaine, finalement du cadre thérapeutique, la nécessité d’être accompagné. On voit de plus en plus des choses qui se développent aujourd’hui sur le plan numérique avec des, ce qu’ils appellent des thérapies digitales, des thérapies numériques, avec souvent l’absence de personnes humaines derrière l’écran, parce que tout se fait évidemment de manière algorythmisée. Comment est-ce que toi tu entrevois ce type de thérapies ? Est-ce que tu penses que ça peut être utile pour certains ou est-ce que ça risque de dériver ?
David : Bah c’est une question très difficile. Je… Moi je pense que ça peut, d’abord je pense que le fantasme d’un psy qui serait remplacé par une sorte de ChatGPT qui viendrait répondre aux problématiques, ça ne fonctionne pas bien. L’intelligence artificielle, c’est un oxymore ! Encore faut-il qu’on s’entende sur le terme intelligence ! Par contre, ça peut être un outil formidable d’aide et de recueil de données on va dire « naturalistiques », c’est-à-dire en situation écologique, vraies ! Votre médecin ou votre psy quand vous allez le voir, vous allez lui expliquer ce que vous êtes en train de vivre, vous allez lui donner une espèce de photographie à un temps t de la situation, mais il peut lui manquer d’une certaine façon… Parce que vous-même, parce que soi-même on a parfois peu de recul sur soi, pour comprendre ce qu’on est en train de vivre, l’interpréter, l’expliquer. Et ces outils-là peuvent permettre d’avoir un recueil d’informations très précis, et très précieux. Je disais tout à l’heure on manque d’examens complémentaires, ça peut être d’une certaine façon l’examen complémentaire manquant pour le psy de dire bah non, grâce à telle mesure, telle application on a pu mesurer à quel point vous avez pu bouger, marcher, communiquer, échanger, etc. Est-ce que pour autant ça peut se substituer à la relation humaine, évidemment non, nous sommes des êtres de lien ! Donc la réponse elle est nécessairement complexe, il y a des outils formidables et à mon avis il y a des choses à promouvoir dans le champ de la santé et de la santé mentale, vraiment. Remplacement du psy en particulier dans la situation où la personne va vraiment mal, non, parce qu’à ce moment-là on a besoin d’une réponse humaine.
Mickael : Tu as parlé à plusieurs reprises d’espoir, on a parlé aussi de l’histoire des prises en charge, histoire récente, histoire un peu plus ancienne. Quel est ton message d’espoir aujourd’hui pour les personnes qui sont en souffrance avec un trouble psychique, ou leur entourage ?
David : C’est une question importante ! Le titre de mon livre est provocateur, le mot « guérir », le mot « guérison » en médecine il pose… les médecins, on a du mal à le prononcer, on préfère le mot rémission en disant le spectre du trouble peut toujours revenir. Moi j’ai vu, même au cours de l’évolution dans ma profession, une vraie progression sur l’ambition, le niveau d’ambition thérapeutique. Je pense que quand j’ai commencé, quand j’étais interne, pour beaucoup de problèmes de santé mentale la question était la stabilisation, l’amélioration éventuelle, et puis ensuite on a vu apparaitre des critères d’ambition thérapeutique plus élevés avec la notion de rémission, voire de rémission fonctionnelle, on voulait que les gens retournent au travail, se remettent à fonctionner, aient une qualité de vie. On s’est mis à parler de rétablissement, etc. Le mot guérison, si tenté qu’on puisse le définir, moi je pense qu’il est aujourd’hui, avec des outils, on a beaucoup parlé des thérapies centrées sur les traumas, il est évident que si on vous a juste apporté une amélioration symptomatique un peu superficielle, mais qu’en réalité dans votre mémoire traumatique sont toujours inscrits des facteurs, ce sera compliqué, et la situation ne sera pas… probablement, on peut parler, moi je crois qu’il faut aujourd’hui aller vers cette ambition thérapeutique là, il ne s’agit pas non plus de dire tout et n’importe quoi, il y a des situations thérapeutiques difficiles dans lesquelles on est parfois en échec thérapeutique, c’est une réalité comme dans d’autres domaines en médecine. Mais que il faut porter l’ambition thérapeutique encore plus loin, parce que nos patients en ont besoin, ils le méritent, et que l’espoir il est là ! Il n’est pas juste d’aller un peu mieux, mais de guérir.
Mickael : Merci beaucoup David pour ce message d’espoir, et pour toutes les informations que tu nous as communiquées aujourd’hui, parce que ce sont des choses dont on entend assez rarement parler dans la presse, dans les médias, même dans nos témoignages parce que très souvent on a des personnes qui sont suivies avec des thérapies classiques, comme tu nous en as parlé, notamment en raison de la faible accessibilité aussi des nouvelles thérapeutiques qui sont souvent assez contingentées. Donc je recommande à nouveau ton dernier livre Guérir nos âmes blessées, paru chez Marabout cette année. Et on invite également les auditeurs à consulter tes anciens ouvrages qui sont aussi très intéressants.
David : Merci Mickael, vraiment je suis très honoré d’être sur ce très beau podcast, et merci pour ce que tu fais !
Mickael : Merci !