Mickael : Bonjour Yann.
Yann : Bonjour.
Mickael : Merci de t’être proposé pour participer à cette émission. Est-ce que tu peux nous dire aujourd’hui de quoi tu viens nous parler ?
Yann : Oui alors, je viens, je viens vous parler de la vie d’un enfant qui grandit avec un ou des parents malades de l’alcool. C’est ce qui a été mon cas et donc je viens vous partager mon expérience, je sais qu’il y a pas mal de gens qui sont dans cette situation, il faut protéger les enfants. Et voilà, je viens témoigner. Donc j’ai quarante-six ans, l’histoire est un peu ancienne, mais je pense qu’elle peut être intéressante.
Mickael : C’est vrai que l’année dernière on avait reçu le témoignage de Baptiste, qui lui était un jeune homme concerné par la dépendance à l’alcool et qui avait été en quelques sortes sauvé par sa famille, par le cri d’alerte, l’alarme sonnée par sa mère. Et donc toi c’est un peu la situation inverse, puisque c’est tes parents qui étaient, qui ont été concernés par la dépendance, et puis finalement plus tard toi aussi. Est-ce que tu peux nous dire un peu quand et comment ça a commencé, cette consommation d’alcool ?
Yann : Oui bien sûr, en fait… Moi j’aime bien parler de malédiction, c’est un peu la malédiction familiale, il y a eu beaucoup d’alcool dans ma famille. J’ai un grand-père qui est mort d’une cirrhose, qui buvait à l’époque plusieurs litres de vin par jour, mais au début du siècle j’ai envie de dire que c’était presque normal. J’ai le premier mari de ma mère qui est décédé d’un accident de voiture causé par un chauffeur ivre. Et puis moi j’ai grandi avec ma mère qui buvait, j’ai mis beaucoup de temps avant de me rendre compte, je me rendais compte, je voyais bien que quelque chose ne tournait pas rond, son comportement n’était pas normal, elle racontait des choses bizarres, je ne savais pas si elle était mythomane, ou des fois elle chantait… C’était très curieux ! Et voilà, je voyais qu’il y avait quelque chose de bizarre, de pas normal, mais jusqu’à mes douze ans j’ai pas mis le mot alcool sur ce comportement.
Mickael : Et justement comment ce mot alcool t’es venu, comment est-ce que tu t’es rendu compte qu’il y avait un problème avec l’alcool ?
Yann : Alors, moi j’avais un frère qui avait neuf ans de plus, donc quand j’avais onze douze ans il avait quand même vingt ans. Et lui j’ai l’impression qu’il ne le voyait pas non plus. On voyait bien qu’elle avait tendance quand même à se servir des apéritifs et du vin, et qu’elle était plus enjouée, plus gaie après ses consommations, mais on n’avait pas vraiment fait le lien. Et puis est arrivé un événement où ma grand-mère nous a sortis un après-midi, et on a commencé à se moquer de ma mère en disant ah ouais, elle aime bien le vin, on plaisantait sur sa consommation et là ma grand-mère s’est vraiment énervée, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Et là, j’avais onze, douze ans et vraiment je me suis dit oui, mais c’est évident, c’est ça le problème. Et là, ça y’est, le mot était posé.
Mickael : Et à partir de ce moment là, est-ce que tu en as parlé avec ta mère, ou ça s’est passé, ça s’est passé comment ?
Yann : Non, alors moi j’ai jamais osé en parler, ça a toujours été le déni, toutes les années qui se sont suivies où finalement sa consommation s’est empirée, jusqu’à arriver dans des états d’ébriété assez impressionnants, j’ai jamais osé en parler. Quand elle était sobre, je n’osais pas lui parler, et en revanche quand elle était vraiment ivre je la traitais de tous les noms. Donc la colère sortait pendant qu’elle était saoule, mais le lendemain matin j’étais tellement gêné, peut-être pour elle aussi, que je ne lui en parlais jamais. Et évidemment insulter quelqu’un qui… Pendant la période d’alcoolisation, ça ne sert strictement à rien vu que de toute façon elle a oublié le lendemain.
Mickael : Donc ça a commencé quand tu étais très jeune, tu t’en es rendu compte au début de l’adolescence… Comment est-ce qu’on se développe en tant qu’enfant dans un contexte familial qui est miné par la dépendance ?
Yann : Il y a une peur. Pourquoi il y a une peur ? C’est que quand on est avec un parent alcoolisé, les jours où j’étais seul avec elle, c’est-à-dire le mercredi, notamment à l’adolescence, c’est qu’elle va conduire. Elle va m’emmener à des activités, dans un centre commercial, et le problème c’est qu’elle est saoule. Donc je vois bien que, qu’elle a du mal à conduire, et je suis donc sur la place passager, mort de trouille, en espérant ne pas avoir d’accident, je me souviens de très mauvais souvenirs, de coups de klaxon, pas mal de carrosserie régulièrement abimée, donc c’est la peur. Donc ça, c’est un premier sujet, c’est la peur, en disant elle fait n’importe quoi, qu’est-ce qui va m’arriver ? Et après le deuxième sujet c’est la honte, quand on va dans des rues commerçantes où les commerçants commencent à nous connaître, vous êtes avec votre mère qui titube et qui fait n’importe quoi, les gens regardent, et c’est un regard qui est extrêmement gênant, parce qu’il est entre la moquerie et l’empathie, finalement, ils doivent dire, mais qu’est-ce qu’il fait ce gosse, mais à côté de ça, tout le monde aime bien se moquer de quelqu’un qui titube, hein ! Donc c’est très très gênant, donc une espèce de mélange entre la peur et la honte.
Mickael : Et est-ce que ça a eu des répercussions aussi sur ton insertion dans le milieu scolaire ?
Yann : Alors dans le milieu scolaire pas forcément, en revanche quand est arrivée l’adolescence, quand je commençais à aller chez des copains ou quand ils voulaient venir à la maison, c’était toujours la honte. Parce que si j’allais chez des copains et que je restais le soir, dans quel état elle allait être, est-ce qu’elle allait pouvoir prendre la voiture, parce qu’il n’y avait pas trop de transports en commun là où j’étais, et venir me récupérer ? Et à l’inverse, si je faisais venir les copains à la maison, dans quel état ils allaient la retrouver ? Et le problème c’est qu’elle était vraiment très exubérante, donc quand elle avait bu elle pouvait vraiment raconter à un copain n’importe quoi, bon, un ado, ça comprend pas, il se dit bon bah la mère, sa mère elle est un petit peu folle dingue, elle est exubérante, mais pareil il met pas le mot alcool, il se dit elle est un peu fofolle, quoi. Donc boum, encore de la honte, quoi. Jusqu’à, jusqu’à finalement bah après plus tard quitter la maison.
Mickael : Et ton père dans cette histoire il en pensait quoi ? Est-ce qu’il en parlait, est-ce qu’il remarquait quelque chose ?
Yann : Alors c’est une très bonne question. Oui, mon père le savait, clairement, parce qu’il était arrivé plusieurs fois où on retrouve ma mère par terre, elle a chuté, on a été obligés de… voire même de la soigner, oui oui, il le voyait, il le voyait, il travaillait les fameux mercredis dont je parlais où j’étais avec elle, je crois qu’il ne voulait tout simplement pas le voir, en fuyant dans le travail ou ailleurs, mais il voulait surtout pas le voir. Non non. Sauf s’ils en parlaient dans la vie privée, en tout cas pour moi ils n’en parlaient pas.
Mickael : Tu nous as dit qu’avec les années, pendant ton adolescence, la consommation de ta mère s’était empirée. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur l’évolution de cette consommation et les répercussions qu’elles pouvaient avoir, bah sur la personne elle-même, comment ça se manifeste, comment est-ce qu’on peut le reconnaître.
Yann : Bien sûr ! Alors donc avant mes onze ans, quand je disais que je ne me rendais pas compte, j’ai quelques souvenirs de repas de Noël avec des plats qui finissent par terre. Donc quand même une ébriété les soirs de fête. Voilà ; avec des, avec ce genre d’accidents, mais pas plus que ça. En effet plus tard, à partir de onze douze ans, en effet les consommations ont augmenté, mais… C’était toujours de l’exubérance, mais rien de plus. Et à partir de quatorze ans, les consommations ont augmenté et ça a été de pire en pire, dans la mesure où le dimanche midi, quand on invitait des gens, elle tenait déjà plus debout au moment de faire le repas. LE pastis coulait à flots, les bouteilles de vin pareil, et l’après-midi nous on allait à la plage, elle refusait totalement de venir à la plage prétextant du ménage ou du repassage, et en fait elle se saoulait totalement le dimanche après-midi et quand on revenait de la plage bah on la retrouvait soit par terre ; soit sur le canapé. C’était vraiment de pire en pire. Et là ont commencé les chutes. C’est-à-dire, un jour elle est rentrée, elle était… pleine d’hématomes au visage. Donc la première excuse ça a été de dire qu’elle s’était fait agresser dans la rue, euh, elle nous a avoué qu’elle avait buté dans une racine, après évidemment c’étaient les arbres les responsables, mais toujours alcoolisée. Donc là il y a commencé à y avoir beaucoup de chutes, jusqu’à des chutes graves parce que quand j’avais une vingtaine d’années, donc mes parents ont divorcé entre temps, il est arrivé, certains soirs, qu’elle tombe sur le carrelage en marbre, elle s’est ouvert la tête avec pas mal de sang, donc éponger le sang, la remettre au lit, et toujours avec un scandale au moment d’appeler les secours, elle voulait vraiment pas appeler les secours. ON a vraiment peur parce qu’on se dit, mais imagine qu’il se passe quelque chose, elle veut pas que j’appelle les secours, bah elle est lourde ! Il faut quand même lui tenir la tête, éponger le sang, la remettre dans le lit en se disant j’espère qu’elle va se réveiller… Jusqu’à ce que je quitte le, la maison, où là c’était plus pour fuir, c’est à dire que je suis parti, quand j’ai eu 21 ans je suis parti six mois aux Antilles, pour fuir, clairement pour fuir, et puis deux ans après je suis parti définitivement pour fuir, euh, avec toujours dans la tête en se disant, mais si elle conduit elle peut tuer quelqu’un, mais au moins je suis pas là. J’ai même pensé à la dénoncer, pour qu’on lui retire son permis… On n’est jamais tranquille en fait, on sait, on se dit, mais qu’est-ce qui va se passer ? On attend le prochain coup de fil.
Mickael : Et est-ce que tu sais si dans le passé de ta mère il y a eu un élément déclencheur ou si ça s’est installé de manière un peu progressive, insidieuse ?
Yann : Alors moi j’ai jamais vraiment su, je… Je pense qu’il y a eu un problème d’éducation, c’était une éducation vraiment très très stricte avec énormément d’interdictions, et pendant ses études elle a découvert la cigarette et l’alcool qui ont dû l’aider finalement à sortir de cette éducation trop répressive. Et donc, bah voilà, on commence étudiant, on continue de consommer, et puis un accident de la vie, comme je disais au départ son premier mari est décédé sur la route, mon frère devait avoir sept ans. Un accident de la vie par-dessus ça… Ça va pas arranger la consommation, et puis par-dessus… Voilà, la liaison, la relation de couple avec mon père qui n’a pas consommé, tout ça ça rajoute des problèmes et ça rajoute des verres.
Mickael : C’est bien que tu parles justement du tabac aussi. Parce qu’on sait que souvent les addictions vont un peu en groupe. Est-ce que justement il y a d’autres substances auxquelles ta mère touchait ?
Yann : Plus jeune elle fumait en plus de boire. Elle a arrêté une bonne dizaine d’années, là il restait que l’alcool, et puis finalement quand je suis parti de la maison elle a recommencé à fumer, et là donc bah le cumul alcool plus tabac, donc elle a développé un cancer du palais puis un cancer de la langue. Donc ça, c’était le tabac, et puis il y a eu autre chose par-dessus qui est venu… Qui est venu on va dire assez tard, c’est les benzo. Le Xanax. Consultation chez un psychiatre où évidemment on ne parle pas d’alcool, on vient parler d’un divorce, mais surtout pas du vrai problème, déni total, ah non je bois pas. Donc elle allait chez le psychiatre pour, plutôt pour parler de son couple qui n’allait pas, et puis le psychiatre détectait une dépression, donc Xanax, antidépresseur. Donc finalement à la fin il y avait beaucoup puisqu’il y avait cigarette, xanax, antidépresseur et alcool.*
Mickael : Et finalement les effets de toutes ces substances s’ajoutent, tu l’as dit ça peut provoquer des maladies graves, mais au niveau comportemental aussi, on sait que l’alcool mélangé aux benzodiazépines ça fait dormir, beaucoup, profondément, ça peut aussi induire des comas. Est-ce que justement il y a eu un problème aussi de mélange de toutes ces substances ?
Yann : Alors les mélanges engendraient parfois des chutes, des endormissements, sur le canapé, sur le fauteuil… Moi je, même très jeune, même bien avant, je me retrouvais tout seul sur le canapé le soir parce qu’elle s’endormait très tôt. Donc il y a surtout eu des chutes, des pertes de mémoire à court terme, c’est-à-dire que le lendemain elle se souvenait pas, se souvenait pas de ce qu’il s’était passé la veille. Après j’ai envie de dire qu’avec l’accident qu’elle a eu vraiment sur la fin, de manière étonnante, la mémoire est totalement revenue. Donc c’était vraiment sous l’influence de, des benzos et de l’alcool qu’il y avait ces comportements d’amnésie, puisqu’après, après finalement, abstinence forcée, la mémoire est revenue.
Mickael : Tu nous as parlé de cet accident à plusieurs reprises, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
Yann : Oui bien sûr, donc là c’était il y a sept ans maintenant, donc ma mère revivait à nouveau toute seule. Parce qu’entre temps il y a eu plusieurs accidents, il y a eu un premier accident où on n’a jamais vraiment su la fin de l’histoire, mais elle a été ébouillantée chez elle, donc sa version c’est qu’elle prenait un bain trop chaud, ce qui évidemment ne tient pas la route, donc ce qu’on pense c’est qu’elle a dû faire chauffer de l’eau en étant saoule, et en prenant la casserole elle se l’est renversée. Donc elle a eu trois greffes de peau et suite à ces trois greffes donc elle a été dans un centre où là elle n’était pas autonome et on s’occupait d’elle. Et une fois que finalement ça s’est résolu, là elle est retournée habiter seule. Et alors là, tout est reparti encore pire qu’avant, donc plusieurs paquets de cigarettes par jour, les bières à huit degrés, il y avait un placard entier, quand elle a eu son accident donc mon frère a ouvert le placard, c’étaient des centaines de cadavres de bières à huit degrés qui étaient dans les placards chez elle. Donc elle était dans cet état et donc il y a sept ans un barbecue où au moment de manger de la viande bah la viande a pas pris le bon chemin. Donc ç aa été une fausse route, il y a eu plusieurs minutes sans oxygénation, donc elle a été un moment dans le coma. Les médecins m’appelaient, on pensait qu’elle allait pas repartir, et finalement elle s’est rétablie, aujourd’hui elle est dans une maison, elle a perdu l’usage de ses jambes, elle a perdu l’usage de quelques doigts. Donc elle est dans un fauteuil, dans une maison où elle doit manger haché jusqu’à la fin de ses jours parce qu’elle ne peut plus manger comme tout le monde, j’ai envie de dire. Alors là par contre toutes ses fonctions cognitives sont revenues, donc abstinence forcée. Il n’y a plus de tabac, y’a plus d’alcool, y’a plus rien depuis sept ans, et elle peut tenir toute une conversation, elle peut même se souvenir d’une date d’une manière assez impressionnante, comme quoi les substances n’ont pas tout effacé.
Mickael : Et à l’occasion des différentes prises en charge qu’il y a pu y avoir, comme tu dis aussi pour les greffes de peau qui ont suivi les brûlures, personne ne s’est dit à un moment dans le corps médical qu’il pouvait y avoir un problème de ce type ? Parce qu’on sait aussi quand une personne est dépendante à l’alcool, qu’elle arrête du jour au lendemain, qu’il y a des symptômes de sevrage qui peuvent être assez forts, qui peuvent aller jusqu’au décès d’ailleurs. Comment tu expliques ça ?
Yann : Alors, là pour la greffe de peau je pense qu’on en avait parlé au médecin, en tout cas pour le deuxième accident, donc le dernier, on a averti les médecins parce qu’en effet, quand elle est tombée dans le coma, on a averti de sa consommation pour éviter justement un sevrage trop brut. J’ai envie de dire, ça a été un sevrage sous coma, mais en effet les médecins… Je sais pas si elle nous mentait, peut être qu’elle nous mentait, ce que j’ai eu l’impression pendant toutes ces années, avec toutes ces consultations médicales, c’est que les médecins ne le voyaient pas. Alors peut être qu’elle nous raconte pas la vérité, hein, mais j’ai eu l’impression qu’ils ne le voyaient pas, il y a même un médecin généraliste que j’ai appelé il y a quelques années qui m’avait dit, mais qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Oui, je comprends, hein, c’est un peu la colère aussi, parce qu’il faut savoir qu’on est très très très en colère quand on est dans la situation d’enfant, en se disant, mais ils font quoi les médecins ? Alors évidemment, après quand je suis passé de, j’en parlerai plus tard, mais quand je suis passé de l’autre côté de la barrière, on comprend bien que c’est pas si facile ! Mais on a une haine quand on est enfant, on se dit, mais les autres, mais qu’est-ce qu’ils font, là ? Ils font rien ? Il l’a pas vu, mais… ? Et puis à quatorze ans je ne me voyais pas appeler un médecin en disant, mais vous voyez pas que ma mère boit ? Je me serais jamais permis !
Mickael : Tu nous as dit que ton père faisait un peu en quelque-sorte l’autruche, qu’il essayait de ne pas voir ce qu’il se passait. Est-ce que lui aussi était dans une consommation de substances ?
Yann : Alors ça a été, ça a été très tard. Ils partageaient un verre de vin à table, hein, ils prenaient un apéritif. Mais je dirais… Trop, trop forcément par rapport aux repères conseillés, bien sûr trop ! Mais sans addiction pendant un bon moment. Et après sont arrivés, sont arrivés également pour lui les benzos, donc à l’époque ça s’appelait le Rohypnol, et je voyais toujours des boites de Rohypnol chez moi, et donc le soir il prenait du Rohypnol et même si je pense qu’il buvait pas énormément, bah du coup il dormait, les deux dormaient sur le canapé et j’étais tout seul. Et plus tard, lui plus tard, mais ça a été bien plus tard, quand il avait une quarantaine d’années, lui est tombé dans l’alcool, donc il a vraiment fait une dépendance à l’alcool qui a duré une vingtaine d’années, mais je dirais que c’est de l’alcool plus tardif, autant ma mère avait commencé très tôt, lui il a commencé très tard.
Mickael : Est-ce que tu sais s’il y a eu un événement déclencheur justement de cette nouvelle consommation chez ton père ?
Yann : Je pense que c’est un problème pareil d’éducation, un problème de relation avec une mère trop autoritaire, trois enfants, deux frères, une famille au sein de laquelle il n’a pas trouvé sa place, et puis des raisons personnelles et un couple en plus qui n’a pas marché. Donc voilà.
Mickael : Et au niveau des médicaments anxiolytiques, il me semble que tes parents étaient pharmaciens ?
Yann : Oui !
Mickael : Ils avaient un accès aussi privilégié aux substances sans avoir besoin de passer par un médecin. Est-ce que tu penses que ça a joué aussi sur le cercle vicieux de l’addiction ?
Yann : Complètement ! Complètement ! Euh puisque quand j’étais petit, ça ils me le racontent, moi je n’ai pas vu, il y avait accès à l’époque aux coupe-faim, donc ils prenaient ça pour se donner de l’énergie, après ça a été interdit donc ils se servaient, hein ! Et puis après bah évidemment les benzos à volonté… Toute leur vie finalement ils ont dédramatisé le médicament, le médicament chez moi était vu comme un bonbon ! Donc on prenait du xanax comme on prenait, comme on aurait pris une chupa chups ! Et le pire c’est qu’en étant pharmaciens ils se sont faits bah évidemment une relation dans le milieu médical, notamment auprès de médecins, et aujourd’hui c’est un coup de gueule que je veux aussi passer, c’est-à-dire que je vais voir mon copain médecin, bah vas-y, prescris-moi des benzos à gogo ! Moi je vous montrerais une ordonnance de mon père, c’est à tomber par terre. Et pour, et il demande, c’est comme s’il allait au supermarché, et le copain, parce que c’est un ami, prescrit ce qu’il veut. Et voilà, je suis pas en train de dire, je sais que c’est une extrême minorité de médecins, mais ce genre de comportements est inacceptable.
Mickael : Et toi quand tu as quitté le domicile familial, il s’est passé quoi ?
Yann : Alors moi ce qu’il s’est passé c’est que pendant mon adolescence, quand j’ai eu mon permis… Alors d’abord ce que je voudrais rappeler c’est que j’ai passé la conduite accompagnée parce que ma mère était tellement seule le mercredi qu’au moins à partir de seize ans c’est moi qui conduisais, donc déjà j’étais un peu plus rassuré. Elle dormait à côté, souvent ivre, mais au moins c’était moi qui conduisais donc c’était un peu moins dangereux. À partir du moment où j’ai eu mon permis bah moi j’ai connu les soirées étudiantes très très très arrosées, donc je buvais beaucoup, mais vraiment beaucoup j’ai eu mon premier coma éthylique j’avais dix-neuf ans. Et en rentrant, donc je rentrais très souvent très tard et souvent saoul, en conduisant en plus, et j’ai jamais eu le moindre conseil ou reproche de ma mère vu qu’elle était dans une situation d’alcoolisme, elle avait tellement honte de son propre comportement qu’elle n’osait pas me faire de reproche sur le sujet. J’ai fait ma vie d’ado, ma vie étudiante en picolant tous les week-ends, en rentrant saoul, en conduisant bourré sans que jamais personne ne me dise c’est pas bien. Par la suite a commencé le monde professionnel, et moi je suis tombé dans l’addiction à l’alcool, et ça a duré vingt-cinq ans.
Mickael : On dit en général que les troubles psychiques ont un ancrage qui est à la fois biologique, psychologique et social. Typiquement est-ce que toi tu penses qu’il y a eu, bah des déterminants à la fois génétiques, des déterminants au niveau de ton éducation avec cet alcool qui a été totalement normalisé dans la famille, et aussi ce niveau social qui s’est ajouté avec les soirées étudiantes, etc. ?
Yann : Oui, bah je crois, c’est ce qu’on m’avait dit, il y avait un médecin qui m’avait dit vous êtes un cas d’école ! Je suis un cas d’école en addicto, je coche toutes les cases. En effet il y a l’hérédité, ça je suis persuadé qu’en effet c’est une vulnérabilité, ça c’est sûr. Il y a l’environnement dans lequel on grandit, moi j’ai vu de l’alcool régulièrement, j’ai vu des personnes saoules régulièrement, c’était totalement banalisé, un peu comme avec les benzos quelque part, j’ai eu de la chance de, de pas en toucher. Mais un petit peu pareil. Ensuite, démarrer trop tôt, trop tôt des ivresses, binge drinking, aujourd’hui on appelle ça le binge drinking, mais ce que je consommais à l’âge de dix-huit ans c’était impressionnant, je tenais plus debout ! Et puis donc on a parlé de l’hérédité, l’environnement, le fait de boire trop tôt, et puis je suis quelqu’un de plutôt, plutôt d’angoisser, donc ça aide, ça aide, et pour sociabiliser dans les soirées étudiantes, ça aide ! Donc on voit pour sociabiliser, parce qu’on est extrêmement angoissé, extrêmement enfermé, et ça plus ça plus ça, et ben au bout d’un moment on tombe dans l’addiction. Donc j’ai envie de dire je suis comme Monsieur Toutlemonde de l’addiction, je coche toutes les cases.
Mickael : Est-ce que ton père, ta mère ou toi même qui a eu du coup vingt-cinq ans de dépendance derrière toi en gardez des séquelles physiques, parce qu’on sait qu’il y a pas mal de choses qui peuvent se passer dans le corps après une longue consommation, des problèmes de foie, des problèmes neurologiques, psychiatriques, typiquement avec des consommations aussi importantes et aussi longues, on en garde des traces ?
Yann : Donc ma mère a priori non, d’après les derniers examens… Enfin des traces, il y a quand même u deux cancers, deux cancers donc palais et langue, j’ai envie de dire entre guillemets à part ça il n’y a pas d’autres séquelles. Mon père a pas eu de séquelle. Pour moi j’ai eu un effet, c’était juste après une première tentative d’arrêt j’avais fait des examens de foie et en effet il y avait un problème sur le foie, donc c’était une stéatose, en quatre mois d’abstinence le foie était redevenu normal. Et la deuxième et dernière fois, depuis, l’abstinence, la bonne j’espère cette fois ! Là il n’y avait rien du tout. Donc non, aujourd’hui je considère que j’ai aucun symptôme, les symptômes ils sont psychologiques, mais ils sont pas physiques.
Mickael : Donc on a parlé de ta mère qui est maintenant dans une maison pour personne âgée. Et ton père aujourd’hui il en est où ?
Yann : Donc lui il est… Moi je suis abstinent depuis trois ans, lui il doit être abstinent depuis quatre ou cinq ans. Et lui il va aux alcooliques anonymes très régulièrement. Donc au niveau médicament, je, je suis pas sur qu’il prend des somnifères, mais il prend des benzos pour dormir, ça, c’est sur. Mais au niveau de l’alcool, ça fait quatre ou cinq ans qu’il tient bon, grâce aux AA.
Mickael : Et est-ce qu’il y a eu un déclic de son côté pour dire maintenant il faut que j’arrête ?
Yann : Je saurais pas dire ce qu’il s’est passé de son côté… Il s’est mis énormément en danger, il avait un magasin, des fois la clientèle le retrouvait par terre ivre, derrière il devait faire vingt kilomètres en voiture, prendre l’autoroute complètement ivre… Je ne connais pas la, il y a peut-être eu quelque-chose que je ne sais pas.
Mickael : Et est-ce que toi, la fin de la consommation chez ton père ça a aussi motivé ton arrêt à toi ?
Yann : Oui, moi j’ai démarré un an avant… Je suis pas sûr qu’il y ait un rapport, c’est simplement que la vie n’était plus vivable… Comme il habite à 1000 km, je ne pense pas que ça ait influencé. Même si évidemment je l’enviais, hein, c’est bien de se dire ah, comment il fait !
Mickael : Et pendant ton enfance, ton adolescence, qu’est-ce que tu aurais voulu avoir comme ressource, comme soutien, comme aide, peut être comme mots de ton entourage ?
Yann : Alors peut-être ce qui aurait été bien c’est qu’à l’école, je donne un exemple, dans une visite médicale, peut être qu’on me pose la question. De moi-même j’aurais jamais abordé le sujet, j’aurais jamais été dire ma mère boit… Non. Par contre s’il y avait un infirmier ou un médecin qui me l’avait demandé, là je pense qu’on aurait peut-être pu rentrer dans un dialogue et peut-être avoir du support. Moi je crois vraiment qu’il faut aller demander aux enfants, ce genre de questions, aujourd’hui on n’en parle pas, mais l’enfant n’ira jamais de lui-même le dire. Je pense qu’il aurait peut-être fallu me tendre la perche, entre guillemets, et après euh… À l’époque, c’est vrai il n’y avait pas internet, il n’y avait rien… Est-ce qu’aujourd’hui si je me retrouvais dans la même situation, j’irais regarder sur des groupes Facebook, j’irais regarder des associations, je sais qu’il y a Alanon. En Suisse il y a pas mal de choses. JE sais pas si je le ferai, je suis pas persuadé en fait. Je crois qu’on n’y va pas de nous même, il faut qu’on nous tende la perche sur ce sujet.
Mickael : Tout à l’heure tu nous disais aussi tes interrogations quand tu étais petit de finalement pourquoi personne ne fait rien, pourquoi les médecins ne font rien ? Tu nous as dit que tu avais compris plus tard que finalement ce n’était pas si simple… Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus justement là-dessus, sur vraiment la complexité de la prise en charge ?
Yann : Bien sûr, et bien c’est tout simplement, c’est que quand on est malade de l’alcool, c’est une volonté, on est acteur de son changement, et c’est vraiment une volonté qu’on doit prendre pour soi. Et quand quelqu’un est pas prêt, quelqu’un est pas mûr, le médecin ne va pas faire de miracle, si vous ne voulez pas vous en sortir… On ne peut pas forcer quelqu’un à arrêter de boire, ça n’existe pas. IL faut que la volonté, oui, c’est une volonté de changer, mais c’est pas une volonté… J’aime pas quand on dit les addicts c’est ceux qui manquent de volonté, ça n’a rien à voir. C’est une volonté de changer, mais dire non à un verre c’est pas de la volonté, c’est le craving qui est plus fort que soi, c’est pas du tout la même chose. C’est pour ça que je n’en veux absolument pas aux médecins parce qu’ils avaient raison, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Peut-être… Peut-être qu’aujourd’hui quand même il y a plus d’orientation vers des associations. L’internet a amené pas mal de choses quand même par rapport aux ressources, je cherche une association d’entraide autour de moi, je vais sur un site, je le trouve. À l’époque on était un petit peu tous seuls.
Mickael : Ton père a donc été voir les alcooliques anonymes, c’est un mot qu’on entend relativement souvent, qui est rentré dans la culture populaire, mais on ne sait pas forcément ce qu’il y a derrière. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ce qu’on fait aux alcooliques anonymes ?
Yann : Oui bien sûr, déjà je tiens à préciser que je ne suis pas aux alcooliques anonymes, mais je suis assez passionné par ces sujets. Donc en fait les alcooliques anonymes sont nés autour des années 30, par un boursier qui s’appelait Bill Wilson et ce boursier il avait… Il était très dépendant à l’alcool et il trainait avec un de ses copains qui buvait encore plus, il a commencé à dégringoler, à dégringoler, plusieurs passages en clinique, son cas était entre guillemets désespéré. Et puis un jour son copain d’université qui était entre guillemets encore pire que lui vient le voir, et il est rasé, il est clean et il est heureux. Bill Wilson lui dit : c’est quoi ? Bah écoute c’est, je fréquente le groupe Oxford où on parle entre nous de notre maladie, et en en parlant on se soigne. Il y croit pas trop. Et un jour il va à nouveau dans une clinique, et son copain revient le voir et lui dit, mais il faut que tu te trouves une force supérieure et ça va t’aider. Et alors là, alors attention je n’y mets absolument rien de religieux, je raconte juste l’histoire telle qu’elle a été écrite ! Cette nuit-là, Bill Wilson voit une lumière blanche et arrête définitivement de boire. Donc finalement il a trouvé sa force supérieure. Et quelques mois après il va dans un congrès, et il a une subite envie de boire. Donc il descend, il prend le téléphone et il cherche des alcooliques, donc il appelle même le prêtre, il cherche des alcooliques, et il trouve un médecin qu’il va voir le lendemain et qui est malade de l’alcool, donc il va le voir et le médecin lui dit, mais de toute façon vous ne pouvez rien faire pour moi ! Et il dit je ne viens pas vous soigner vous, c’est en vous parlant que je vais me soigner moi. Finalement l’entretien qui était censé durer un quart d’heure va durer quatre heures, et à partir de là, c’est là que tout est né entre Bill et le Docteur Bob, et en fait ils vont réunir toute une communauté de malades de l’alcool, ils vont en parler, et entre eux ils se rendent compte que, en parlant à une force qui n’est pas forcément religieuse ils disent tel qu’on le conçoit, mais en en parlant, et le principe d’en parler, on se soigne soit même. Et c’est le principe finalement de la pair aidance qui était née en 1935. Et donc il y a des centaines de groupes à travers le monde, alors il y a beaucoup de moqueries, beaucoup qui disent oui, on se donne la main, on se dit le Notre Père… Moi je n’irais pas juger, ce n’est pas mon… Mais en tout cas, ça marche ! Pour beaucoup, ça marche. Il y a des, il y a plein d’autres associations, il ne faut pas faire un focus sur les alcooliques anonymes, il y en a plein d’autres en France, la liste on peut l’avoir sur le site de la Camerup, mais voilà, c’est, c’était pour la petite histoire !
Mickael : Tu as parlé de pair aidance, toi tu es aussi patient expert. Est-ce que tu peux nous dire ce dont il s’agit ? Parce que Baptiste aussi nous en a parlé, mais peut-être que tu as une expérience assez différente.
Yann : Donc euh… En fait pour être pair aidant, patient expert, il faut être, il faut avoir été, dans notre cas parce qu’on est patient expert, malade d’une addiction, avoir eu une addiction et être rétabli. Donc à partir de là moi j’ai suivi des formations, des petites formations en addicto, réalisé un stage, et puis on aide, soit dans des groupes de parole, soit dans des forums sur internet. On aide, et puis au terme de la formation on passe une petite certification. Voilà, l’idée c’est de… C’est d’être pair aidant en ayant je dirais un peu plus de connaissances sur le sujet, donc bénéficier de son expérience, son savoir expérientiel pour aider l’autre. Et on se rend compte, de quand on discute avec des patients, moi j’ai fait, pendant mon stage, un groupe de parole en hôpital de jour où le médecin m’avait dit : ils ne se sont jamais autant livrés. C’est vraiment impressionnant quand la personne est malade, qu’elle sent que dans la pièce il y a un pair, qui a vécu la même chose, qui la comprend, la parole se délivre totalement. Et j’ai eu la même chose en consultation avec un addictologue, déjà quand l’addictologue dit qu’à côté c’est un ancien malade, le patient parle ! C’est vraiment impressionnant.
Mickael : Là on est dans la prise en charge. On sait que pour éviter la prise en charge en général il faut faire de la prévention. Comment est-ce que tu regardes aujourd’hui les politiques de prévention qui sont censées lutter contre les addictions ? Qui sont menées en France ou ailleurs ?
Yann : Alors, on va me dire, on va me dire que dans d’autres pays c’est pire, mais en France je trouve que c’est assez catastrophique. On essaie quand même, les lobbys de l’alcool essaient de cibler les jeunes, on voit bien l’apparition des hard selzer il y a un peu plus d’un an, ces espèces de canettes avec les couleurs très jeunes, sympas, qui sont soi-disant bonnes pour la santé à plus de cinq degrés d’alcool… Et j’en ai vu pas mal cet été sur la plage, donc ils ont réussi leur coup. Donc on essaie vraiment de cibler les jeunes. Là, aujourd’hui c’est la mode du zéro, donc le zéro alcool… je… Évidemment c’est mieux que de l’alcool, mais c’est quand même des stratégies pour rentrer dans les familles, donc papa maman ils acceptent que, que les enfants boivent parce que c’est une zéro, et puis… petit à petit ça va dévier vers une cinq degrés. Et le plus gros problème c’est le tabou ! Moi dans l’éducation nationale j’aimerais bien qu’on aborde le sujet des addictions et qu’on parle aux enfants, est-ce que, et-ce que tu as un papa, une maman, est ce que… en restant confidentiel, mais tout ça, c’est totalement tabou ! Et je ne parle pas des publicités qui sont autour des écoles, qui sont autour des centres, des hôpitaux, des centres d’addictologie… Tout est fait pour nous faire boire en ce moment, on est en pleine foire au vin, c’est chargez 25 % sur la carte de fidélité, c’est une bouteille à -50 %, c’est les meilleures bouteilles à moins de 8 €, donc là je les connais tous. C’est totalement inadmissible ! On est incités à boire. On sait qu’il n’y a pas de consommation sans risque, c’est-à-dire que le risque de développer une maladie est présent dès le premier verre, et on voit bien que tout est fait aujourd’hui pour nous faire boire.
Mickael : Et qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui pour éviter que… des jeunes puissent ne pas répondre à ces incitations qui sont comme tu l’as dit partout, on voit sur les panneaux publicitaires, autour des écoles, dans la rue, près des hôpitaux, à la télé, dans les stades de foot… Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Yann : Bah je crois que les parents ont leur rôle à jouer, c’est-à-dire qu’il faut parler, selon moi, il faut parler du produit, mais sans le diaboliser. On ne va pas empêcher un enfant de boire de l’alcool, on ne va pas l’empêcher de fumer un joint un jour, ça, bien sûr que non ! Après… Je crois qu’il faut lui expliquer dans des mots simples ce qu’est l’addiction, et il comprendra ! Mais de ne pas… Sans parler de prohibition, de lui expliquer, attention il pourrait dévier, voilà ce qui va se passer. Mais aujourd’hui c’est totalement tabou dans les familles !
Mickael : Mais est-ce que beaucoup d’adultes eux-mêmes seraient capables de définir ce qu’est une addiction ?
Yann : Alors… Coluche disait : un alcoolique c’est quelqu’un qui boit autant que vous, mais que vous n’aimez pas. Je crois que j’ai répondu. Personne n’est alcoolique, c’est toujours le voisin qui l’est. Donc évidemment, il y a un déni ! Parce qu’il y a plusieurs choses, soit on est juste au-dessus des repères, soit on est dans la dépendance. Et puis il y a une frontière où il y a pas mal de gens qui sont entre les deux, donc…
Mickael : Justement est-ce que tu peux nous rappeler aujourd’hui quels sont les repères de santé publique France concernant l’alcool ?
Yann : Oui, c’est deux verres par jour, cinq verres par semaine et deux jours sans alcool. Mais au Canada une nouvelle étude vient de paraître, ils sont en train de revoir ces repères à la baisse et on parlerait de entre zéro et deux verres d’alcool par semaine.
Mickael : Est-ce que tu as un message à porter aujourd’hui notamment à l’attention des familles et des enfants ?
Yann : Oui, si je peux m’adresser, c’est pas évident de s’adresser, parce que je sais que le sujet est compliqué… Il y a pas mal de familles dans lesquelles il y a un conjoint, où les deux malheureusement, qui boivent, il y a des enfants… Je crois que celui, s’il y en a un qui ne boit pas, il doit penser à l’enfant d’abord. Celui qu’on doit protéger, c’est l’enfant, c’est soi-même. Je ne dis pas qu’il faut du tout laisser tomber, au contraire, hein, il faut aider celui qui consomme. Mais avant tout ça il faut protéger l’enfant et il ne faut pas le laisser dans des situations de danger, des situations de peur. L’enfant est le premier à être sauvé dans ces situations, voilà c’est ce que je voulais…
Mickael : Tu nous as dit que tu étais désormais abstinent depuis trois ans. Alors d’abord, félicitations ! Est-ce que tu peux nous dire ce que ça t’a appris, alors d’abord ces vingt-cinq années de dépendance, et finalement la sortie de cette dépendance ?
Yann : Ah bah, surtout que… La nervosité a fortement baissé, l’humeur, la dépression est totalement partie, totalement, l’alcool me rendait vraiment dépressif… C’est rapidement parti, en quelques semaines, totalement parti. Moins de nervosité, plus de dépression, plus d’obsession à se lever le matin en se disant à quelle heure je vais boire, comment je vais m’organiser au boulot pour aller boire, parce que c’est ce qui rythme notre vie, c’est quand va être le prochain verre et comment je vais m’organiser pour le boire. Non, ça c’est fini, donc je suis libre. Donc c’est génial, là-dessus j’ai envie de dire… Sans, une nouvelle fois, je veux absolument pas paraître prohibitionniste parce que c’est pas du tout mes idées, mais oui, oui pour quelqu’un qui est malade… Je sais qu’on parle de consommation contrôlée, bien sûr, qui peut fonctionner dans certains cas, mais quelqu’un qui est malade depuis très longtemps, l’abstinence c’est la meilleure chose qui puisse arriver. Et puis au moins on ne se prend pas la tête, c’est-à-dire on sait qu’on ne peut pas boire, donc on ne va pas dire oui, j’accepte un verre, je compte, je sors mon cahier, on boit pas et puis c’est tout. Donc on retrouve vraiment une vie de liberté. C’est pas du tout une punition, je me lève pas le matin en pleurant je suis abstinent… Je sais qu’il y en a beaucoup qui parlent de rétabli et qui ne veulent pas dire abstinent parce que le mot abstinent c’est la punition, bah c’est pas vrai du tout, je me sens absolument pas puni. Après, c’est là qu’on voit vraiment qu’on est dans une société de l’alcool, on est dans un monde d’alcool, on ne peut pas être invité sans qu’il y ait de l’alcool, aux pots, y’a des pots au travail, c’est de l’alcool. J’ai envie de dire que pour être normal il faudrait presque être de l’alcool. Donc la première année est difficile, je vais pas mentir, la première année est très difficile, puisqu’on passe son premier anniversaire sans alcool, on passe un premier Noël sans alcool… SI on est invité et qu’on accepte les invitations, on doit les refuser, la première fois qu’on voit des amis, il faut qu’ils comprennent ! On le dit ou on le dit pas, c’est propre à chacun… Et puis à la deuxième ou troisième invitation, c’est fini, on ne demande plus, on est catalogué, on est non buveur d’alcool et le problème est réglé. Donc j’ai envie de dire qu’au bout de trois ans c’est plutôt facile. Après, ce qu’on apprend aussi c’est qu’il faut toujours rester vigilant. Un coup de blues, un événement de la vie, et puis on sait jamais être tout seul un soir dans un mauvais coup, ou se faire proposer… On sait jamais, faut toujours être vigilant. Donc moi je reste dans l’ultra vigilance, j’espère, j’espère que cette abstinence sera jusqu’au jour de ma mort, en tout cas je me le souhaite. Mais en tout cas, ouais, c’est la liberté. Et vive la liberté !
Mickael : C’est sur ces belles paroles que l’on va conclure cet épisode. Merci beaucoup, Yann pour ce partage ! On te souhaite également que cette abstinence perdure pour le reste de ta vie et on te remercie vraiment pour ces éclairages et ce partage.
Yann : Merci à toi !