Épisode HS1 : #NoMoreTCA

Bonjour, vous écoutez le premier hors-série des Maux Bleus à l’occasion de la journée mondiale pour les troubles des conduites alimentaires. Vous ne connaissez pas encore ma voix, je suis Alex Rocher, habituellement je compose l’habillage sonore des épisodes. Aujourd’hui, Mickael, votre hôte habituel, a choisi de passer de l’autre côté du micro pour nous livrer à son tour son témoignage personnel. A travers son récit vous découvrirez également les motivations qui le poussent aujourd’hui à vous faire entendre des histoires, des histoires de vie, des histoires qui résonnent peut être chez certains d’entre vous.

Vous écoutez Les Maux Bleus, un podcast de Place des Sciences.

Bonne écoute.

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[Musique avec citation de Coralie, épisode 1 : Tout ce qu’on peut contrôler aujourd’hui, c’est nous, notre corps, nos mots, et au bout d’un moment, en fait, quand tu veux tout contrôler, tu perds le contrôle et tu exploses.]

Alex : Bonjour Mickaël !

Mickaël : Bonjour Alex !

A : Le premier épisode du podcast était consacré aux troubles des conduites alimentaires, pourquoi avoir choisi de faire ce premier épisode ?

M : Alors, j’ai choisi d’aborder ce sujet dans le premier épisode parce que c’est un sujet qui me touche personnellement et qui de ce fait me tient beaucoup à cœur. Comme pour énormément de troubles psychiques, la société est empreinte d’énormément de clichés sur ces troubles. Et c’est pour ça que j’ai voulu un peu aller dans ce sens, pour battre en brèche ces clichés en interrogeant quelqu’un qui était vraiment concerné par le sujet, et qui était Coralie. Et Coralie nous a livré son témoignage personnel qui a pu éclairer beaucoup de personnes qui nous ont écrit par la suite pour nous dire qu’elles arrivaient enfin à mettre des mots sur ce dont elles souffraient. Et de manière plus personnelle, c’est un sujet qui, comme je l’ai, dit me touche personnellement, puisque moi-même j’ai des troubles des conduites alimentaires. J’avais vraiment envie en fait de commencer ce projet de sensibilisation à la santé mentale sur ce sujet, dont on parle souvent en fait finalement. On entend très fréquemment parler d’anorexie, de boulimie, mais sans vraiment savoir de quoi il s’agit. Donc c’est pour ça que c’était important pour moi de voir un peu plus loin que les mots qu’on utilise fréquemment et voir ce qu’ils recoupent réellement.

A : D’accord. Qu’est ce que ça a provoqué chez toi, le témoignage de Coralie ?

M : Alors le témoignage de Coralie a beaucoup résonné en moi parce que je me suis reconnu dans pas mal de choses qu’elle a dites. En fait, la première chose que ça a suscitée chez moi, c’est que je me suis senti moins seul, et c’est là que j’ai compris en fait vraiment à quoi pouvait servir ce podcast. Je m’étais dit ça en fait en lançant le projet, justement, que ça allait sensibiliser les personnes aux troubles psychiques, à la santé mentale, et que ceux qui sont concernés allaient peut être se sentir moins seuls, et aborder une prise en charge ou essayer de s’accepter. Et très concrètement, en enregistrant ce premier épisode avec Coralie, je me suis rendu compte que sur moi-même ça avait eu cet effet. Et avec les retours qu’on a eus ensuite, visiblement ça a eu pas mal d’effet sur d’autres personnes, et j’en suis très fier. Et donc j’ai vraiment énormément de gratitude envers Coralie de s’être livrée ainsi et d’avoir permis à beaucoup de personnes d’ouvrir les yeux et d’aborder de manière sereine un chemin vers le mieux-être.

A : C’est vrai qu’aujourd’hui on parle peu des troubles des conduites alimentaires au masculin. Comment toi tu l’expliques ?

M : Alors c’est vrai que quand on parle d’anorexie, de boulimie, on a immédiatement l’image d’une femme extrêmement maigre, ou d’une femme courbée au-dessus de ses toilettes en train de se faire vomir. Comme je l’ai dit, on a énormément de préjugés sur ce que sont ces troubles, mais il y a quelque chose qui est objectif et qui est réel, c’est qu’ils touchent 9 femmes pour 1 homme. Donc vraiment les troubles des conduites alimentaires sont plus fréquents, beaucoup plus fréquents chez les femmes que chez les hommes. Mais ce qu’on remarque aussi, c’est que la prévalence de ces troubles n’est pas la même selon les pays : on trouve essentiellement ces troubles dans les pays occidentaux où la nourriture est disponible en abondance, c’est beaucoup moins le cas dans les pays plus pauvres et plus défavorisés. Et comment on peut l’expliquer ? C’est essentiellement par les canons de beauté, c’est des critères culturels et sociaux qui favorisent la minceur du corps des femmes dans les pays occidentaux, avec des campagnes de pub qui mettent toujours en avant des femmes très minces, voire maigres, des mannequins toujours avec la peau sur les os, toujours plus maigres. C’est essentiellement cette image de la femme mince qui est valorisée, alors que le sujet du corps des hommes est souvent un non-sujet, on parle très peu du corps des hommes. On parle énormément du corps de la femme, des canons de beauté, de l’esthétique de la femme, alors que c’est vrai que le corps des hommes est vraiment quelque chose dont on parle très peu. Ca pourrait être un des éléments de réponse. Et d’autres éléments de réponse concerneraient peut-être également le développement personnel des jeunes hommes et des jeunes femmes qui ne se fait pas forcément de la même manière, les relations sociales ne se construisent pas forcément de la même manière. Il y a également des facteurs hormonaux qui peuvent intervenir, des facteurs génétiques également. C’est quelque chose qui est très fréquent dans les troubles psychiques et dans beaucoup d’autres pathologies, cette prévalence différente entre les sexes. Mais c’est vrai que pour les troubles des conduites alimentaires, on parle essentiellement des troubles des conduites alimentaires au féminin, et ce qui fait qu’il y a quand même 10% d’hommes parmi les personnes qui souffrent de troubles des conduites alimentaires et on a tendance à les passer sous silence. Et ça ne favorise pas forcément la reconnaissance et la prise en charge de ces troubles, donc je pense que c’est quelque chose de très important à aborder aussi, notamment à l’occasion de cette journée mondiale.

[Musique avec citation de Coralie, épisode 1 : Plus on avance dans ce genre de troubles, et plus rien ne va compter autour de nous]

A : A présent, si on se penche un peu plus sur ton cas personnel, ces troubles, comment ont-ils débuté ? Et quand ?

M : Alors, rétrospectivement, la date que j’identifie maintenant, mais dont je n’avais pas forcément conscience avant, c’est un début à l’âge de 15 ans, quand j’étais au lycée. Ma mère, à ce moment là, a eu un accident, elle a glissé sur un sol mouillé et elle s’est fracturé la colonne vertébrale. Et à ce moment-là, j’ai commencé à avoir un rapport à mon corps qui s’est modifié, j’ai commencé à avoir un rapport à l’alimentation qui s‘est modifié, je mangeais énormément le matin au petit-déjeuner. C’est vraiment venu du jour au lendemain, du souvenir que j’ai. Le midi, au lieu d’aller déjeuner à la cantine, j’allais en fait marcher pendant les 2 heures de pause plutôt que d’aller manger, et le soir quand je rentrais à la maison, en général mes parents ont toujours cuisiné des bonnes choses, et du jour au lendemain j’ai commencé à me faire mes propres repas à côté, parce que … il n’y avait pas vraiment de raison précise, mais j’ai ressenti le besoin de manger autre chose que ce que ma falille mangeait. Donc ça a commencé vraiment comme ça, par une déstructuration du rythme de mes repas, avec vraiment quasiment des accès d’hyperphagie le matin, un jeûne et une marche compensatoire à midi et le soir vraiment des repas qui étaient différents de ce que les autres personnes du foyer mangeaient. Et ça a commencé également à se manifester par une obsession par rapport à mon poids. J’ai commencé à me peser énormément, vraiment parfois plusieurs dizaines de fois par jour, je me levais parfois la nuit juste pour aller me peser en fait, pour voir si en 1 heure de sommeil je n’avais pas perdu 100 grammes par hasard. Donc c’était vraiment des choses qui étaient un peu absurdes quand on y pense maintenant, mais qui en fait à l’époque s’inscrivaient dans mon rythme quotidien, et ça s’est fait un peu naturellement comme ça, progressivement. Mais c’est vrai qu’à ce moment-là, on ne parlait pas encore d’anorexie ni de boulimie dans mon cas, c’est vraiment passé sous silence pendant plusieurs années.

A : Et justement, quelle a été l’évolution de ces troubles au fil des années ?

M : Alors pendant tout le lycée, ça a continué comme ça. Et à 18 ans, j’ai déménage à Paris pour mes études. Et il se trouve qu’au-delà des troubles des conduites alimentaires, j’ai une maladie neurologique, pour laquelle j’ai fait des examens à Paris donc en 2008. Et à l’occasion de ces examens, qui était pluridisciplinaires, avec plusieurs professionnels de santé, le terme d’anorexie a été abordé pour la première fois, et c’est vrai qu’à ce moment-là je n’y ai pas forcément prêté attention, et ça c’est vraiment quelque chose dont je me suis rendu compte assez récemment en parcourant mes dosser médicaux, mes examens médicaux, que j’ai revu en fait qu’à ce moment-là, ça avait déjà été abordé. Mais c’est quelque chose que j’ai moi-même quasiment « refoulé », parce qu’au final mon poids était stable à ce moment-là, mais stable à un niveau inférieur à ce que je devais peser pour ma taille. Mais je n’ai pas le souvenir, en tout cas aujourd’hui, d’avoir eu des conduites restrictives, mais je sais que j’ai toujours beaucoup marché. D’ailleurs mes amis, avec qui je suis toujours en contact aujourd’hui, se souviennent de longues nuits de marche avec moi, des nuits d’insomnie, des nuits de marche dans Paris. Donc on peut quand même penser rétrospectivement que j’avais quand même déjà des comportements compensatoires, qui visaient à une perte de poids. Mais c’est vrai que c’était vraiment inconscient. Puis mon poids est resté stable pendant plusieurs années, sans vraiment faire attention à mon alimentation, en tout cas j’en ai pas vraiment de souvenir. C’est ça qui est étrange, c’est que je n’’ai pas vraiment de souvenir de comportements problématiques avec mon alimentation à ce moment-là. Puis, ça a suivi son petit bout de chemin jusqu’à ce que je parte en échange aux Etats-Unis pendant quelques mois. Et pendant ces quelques mois, j’ai pris plus de 15 kg. J’avais beaucoup d’attentes en fait en réalité par rapport à cet échange universitaire, et finalement j’ai été un peu déçu, et j’ai commencé à déprimer et je pense que j’ai fait une dépression vraiment caractérisée à ce moment-là. Et ça s’est traduit, dans mon cas en tout cas, à ce moment-là par une hyperphagie. Donc vraiment je me noyais dans la nourriture. Et mon poids avait un peu augmenté avant cet échange, j’étais à 65kg, donc un poids qui est tout à fait banal pour ma taille. En rentrant de cet échange, je pesais 80 kg, donc vraiment en l’espace de quelques mois, mon poids avait augmenté de presque le tiers en fait.

Quand je suis revenu en France, j’ai commencé à faire pas mal de sport, à me restreindre au niveau alimentaire, et mon poids, du coup, s’est abaissé jusqu’aux 65 kg que je faisais avant l’échange, en fait. Et ce poids est resté stable ensuite jusqu’en 2019, sans là encore que je n’ai de souvenir de comportements compensatoires ou de restriction.

A : Qu’est-ce qu’il s’est passé en 2019 au juste ?

M : Donc en 2019, en début d’année, je suis parti en voyage en avec mon compagnon, et il se trouve qu’à ce moment-là, j’ai attrapé une intoxication alimentaire, qui m’a fait perdre pas mal de poids à ce moment-là. En l’espace d’une semaine, j’ai perdu 3-4 kg, alors que clairement je n’en avais pas besoin. J’étais à 65 kg à peu près à ce moment-là, et je n’avais ni besoin, ni envie de perdre du poids. Mais en fait quand j’ai vu sur la balance que mon poids commençait à baisser j’ai commencé à sentir une sorte de fierté, une sorte de bonheur en fait lié à ce chiffre. Puis il se trouve que le mois d’après, pas de chance, j’ai attrapé une grosse grippe, qui m’a fait perdre pas mal de poids aussi en l’espace de quelques jours. Et là encore, comme le mois précédent : de la fierté, du bonheur de voir le chiffre baisser jour après jour. Et c’est là que le cercle vicieux s’est réinstallé. Et donc du coup depuis 2019 jusqu’à fin 2020, ça a été un peu une descente aux enfers, avec pas mal d’anxiété, une dépression assez importante et une perte de poids très importante, puisque finalement, comme je l’ai dit, avant ce voyage et ce début de perte de poids, j’étais à à peu près 65 kg, et je suis arrivé en décembre 2020, donc un an et demi plus tard, à 50kg.

A : A quel moment tu as eu ce qu’on peut appeler un déclic ?

M : Alors, le déclic, très bizarrement, n’est pas du tout lié à ma maigreur, puisque c’est le mot qui convient… ce n’était même plus de la maigreur en fait, c’était de la dénutrition. Il n’est pas venu en fait parce que je me voyais très maigre, parce que je voyais mes os dans le miroir. Au contraire, en fait dans ces troubles-là, comme l’a dit Coralie aussi dans le premier épisode, on ne se voit pas tel que l’on est, en fait. Elle donnait l’exemple de la fois où elle est allé acheter des sous-vêtements avec sa cœur et elle a demandé une taille qui n’était pas du tout adaptée à ses mensurations. Et c’est là qu’elle a eu le déclic en fait, là qu’elle s’est rendue compte que la vision qu’elle avait d’elle-même était totalement faussée en fait. Et donc moi, en fait, la prise de conscience, elle ne s’est pas faite comme ça. Elle s’est faite un peu de manière paradoxale, par le fait que, quand je suis rentré de chez mes parents après Noël en décembre 2020, j’ai commencé à faire énormément de crises de boulimie. Donc ça a commencé par ce qu’on appelle du mâcher-recracher, donc c’est vraiment prendre les aliments dans sa bouche, les mâcher, puis, au lieu de les avaler, on va les recracher dans la poubelle ou dans les toilettes. Ca a commencé comme ça. Puis ensuite, ça a été des crises de plus en plus fréquentes de boulimie, mais compensées par énormément de marche : ça pouvait aller jusqu’à 30, 40, 50 km par jour. Donc j’en suis arrivé à un certain moment à faire 3-4 crises de boulimie par jour, qu’on a estimées d’ailleurs à environ 10 000 kcal la crise. Donc j’avais des journées, clairement, où j’absorbais 40 000 kcal en l’espace de quelques heures, donc ce qui est quand même assez problématique, parce que 40 000 kcal c’est l’équivalent de 3 semaines de nourriture pour une personne de corpulence normale. Et c’est comme ça que la prise de conscience s’est faite, à cause de ces crises de boulimie, parce que ce qui me posait problème, ce n’était pas du tout d’être en situation de dénutrition au départ, c’était que je prenais du poids à cause des crises que je n’arrivais plus à compenser suffisamment avec la marche. Donc la prise de conscience, c’était ça : le fait que je commençais à prendre du poids. Donc le problème que j’identifiais en fait, ce n’était pas du tout de l’anorexie, c’était de la boulimie en fait. Alors que mon problème original, c’était vraiment de me restreindre au maximum, de manger vraiment toujours à rythme très régulier, j’avais énormément d’obsessions alimentaires, je pensais à la nourriture en permanence, je rêvais de nourriture. Il y avait pas mal de symptômes qui étaient caractéristiques de l’anorexie, et la prise de conscience, elle s’est faite plus sur le versant boulimique. Et ça, ça a duré, ces crises de boulimie très fréquentes et très intenses, elles ont duré quelques mois, jusqu’au mois de février 2021, où j’ai commencé à me faire vomir, ce que je n’avais jamais fait auparavant. Et donc je faisais des crises que je vomissais ensuite, je l’ai fait plus jours de suite, mais j’en ai parlé à un ami, j’ai eu ce déclic en fait, ce réflexe, d’en parler à un ami qui, lui-même en fait avait déjà eu ce genre de comportements compensatoires, ce genre de crises de boulimie suivies de vomissements, et lui m’a incité fortement à aller consulter. Et j’ai eu la bonne idée de l’écouter. Donc je suis allé un soir après une énorme crise aux urgences, donc c’était très très très difficile, puisqu’en plus il y avait le couvre-feu à ce moment-là, donc il y avait déjà l’angoisse de se faire attraper par la police en allant chez le médecin, mais en plus j’étais très très mal parce que j’avais énormément mangé. J’avais le ventre extrêmement gonflé, extrêmement endolori, donc ça a été même compliqué juste de m’habiller pour y aller, de mettre mes chaussures, de me pencher en avant sans avoir tous les aliments qui remontent, parce que là clairement je n’avais plus envie de me faire vomir. J’avais vraiment envie d’être pris en charge parce que je ne savais absolument plus quoi faire. J’avais énormément d’idées noires à ce moment-là, parce que j’avais l’impression d’être pris dans un cercle vicieux infernal qui se finirait jamais, vraiment d’autodestruction, c’est clairement  ça, la volonté de détruire son corps, qu’on n’accepte pas. Donc j’ai eu cette bonne idée, sur ce conseil de mon ami, d’aller consulter. Et c’est là que j’ai commencé à aborder une prise en charge, et à avoir vraiment conscience du fait que j’avais clairement un problème avec l’alimentation, avec mon corps, et tout ce qui tournait autour. Donc là, à ce moment-là, la prise en charge était devenue pour moi vraiment nécessaire. Et c’est là que j’ai commencé un peu le chemin vers le mieux-être.

[Musique avec citation de Coralie, épisode 1 : quand on l’accepte, c’est le premier pas vers la guérison]

A : Tu nous parles d’un chemin vers le mieux-être, d’un chemin vers la prise en charge. Quelle est-elle, cette prise en charge ?

M : Alors pour l’instant, la prise en charge est assez légère parce qu’il y a un énorme problème d’accessibilité aux soins pour à peu près tous les troubles psychiques, qui s’explique notamment par le fait que les services publics sont totalement saturés, les consultations en libéral sont extrêmement chères, notamment en ville, et les consultations chez le psychologue ne sont pas prises en charge par l’Assurance Maladie. Donc c’est extrêmement compliqué quand on se rend compte qu’on a un trouble psychique de bénéficier d’une prise en charge pour tous ces facteurs. On a quand même de la chance d’avoir des services qui sont efficaces, quand on y a accès. Donc j’ai en parlé au départ à mon médecin généraliste, qui m’a fait une lettre d’adressage en fait dans un centre spécialisé pour les troubles des conduites alimentaires, qui est à l’hôpital Sainte-Anne. Et donc j’ai sollicité une hospitalisation d’évaluation dans ce service et j’ai eu cette hospitalisation au mois d’avril. Et c’est là qu’on a fait pas mal d’exam psychologiques, physiologiques, … vraiment, on a essayé de faire un bilan de la situation,  pour voir ce qu’on pourrait faire. Et au terme de cette hospitalisation qui a duré 2 jours, on est arrivés à une sorte de plan de prise en charge mais qui, maintenant, l’émission est diffusée le 2 juin, n’a toujours pas commencé en fait. Donc ça fait presque 2 mois, et je n’ai toujours pas eu de première consultation dans le cadre de ce parcours de soin. Donc on voit qu’il y a clairement des problèmes d’accessibilité et de délais qui peuvent être très longs. Donc ce qu’on m’a proposé c‘était premièrement une prise en charge psychothérapique, vraiment axée sur les conduites alimentaires, sur le rapport au corps  et aussi sur la gestion des émotions. Et comme je l’ai dit, je n’en ai toujours pas vu la couleur, je n’ai toujours pas été rappelé pour un premier rdv. La deuxième partie de la prise en charge, ce sera ce qu’on appelle une hospitalisation de sevrage boulimique, une hospitalisation qui dure entre 2 et 3 semaines, qui se fait du coup en milieu fermé à l’hôpital, pour éviter justement les sorties pour aller acheter de quoi faire une crise, pour éviter les sorties de marche compulsive pour éliminer ce qu’on a mangé. Aussi, pas le droit de travailler, parce ça  peut être considéré comme une sorte d’hyperactivité compensatoire… Donc, c’est vraiment une hospitalisation qui vise un peu à rééduquer son corps, à rééduquer le rapport entre son estomac et son cerveau, rééduquer un peu le rapport qu’on a avec l’alimentation et le rapport qu’on a à l’activité physique. Clairement, faire de l’activité physique, ça peut faire énormément debien, mais quand l’activité physique est pratiquée uniquement à visée de brûler des calories, ça fait surtout beaucoup de mal en fait psychologiquement, parce qu’on n’éprouve aucun plaisir à le faire, on se sent obligé de le faire, on le fait compulsivement. Vraiment, j’ai beaucoup d’espoir sur cette prise en charge, à la fois psychothérapique pour m’accepter, pour accepter mon corps, à réapprendre à manger normalement, à éprouver de la faim, à éprouver de la satiété. On verra quand ça aura commencé, mais c’est vrai que pour l’instant la prise en charge n’a pas encore débuté. J’aimerais beaucoup qu’elle débute bientôt parce que les crises se poursuivent quand même à un rythme régulier.

Et la deuxième partie de la prise en charge, on va dire qu’elle est moins institutionnelle et plus personnelle. Puisque j’arrive à « me prendre en charge » avec quelques stratégie, et notamment une stratégie d’acceptation. Maintenant, quand je fais une crise, contrairement à avant où je culpabilisais, je compensais, maintenant, je fais une crise et je me dis « t’as fait une crise, bah c’est comme ça ». Et on se rend compte que moins on y accorde d’importance, moins on lui donne de poids, et plus ces crises finalement sont moins fréquentes, et moins intenses. Je suis quand même passé en début d’année de 3-4 crises par jour à là actuellement 2 à 3 par semaine. Donc c’est quand même une bonne réduction, et puis les crises que je fais sont beaucoup moins intenses qu’avant. Donc je continue quand même à prendre du poids, et ça aussi, c’est un point important parce qu’en fait maintenant je suis content d‘être repassé au-dessus des 60 kg. Donc c’est vraiment s’accepter, accepter son corps, et clairement se débarrasser de l’obsession du chiffre du poids, qui au final est un très mauvais indicateur de santé, qui ne reflète absolument rien du tout, qui est hyper variable, qui dépend de si on a mangé trop salé, si on a bu trop d’eau, si on a une bonne élimination, si on n’est pas constipé. Enfin il y a tellement de choses qui influencent le poids, c’est vraiment un chiffre qui  n’a aucun sens en fait, pris tout seul. Il faut vraiment le prendre dans un contexte plus global, et ça on a tendance à ne pas le faire quand on a vraiment cette obsession du poids et de la minceur. Il y a aussi d’autres choses que j’essaie de mettre en place, c’est vraiment rétablir le lien social, que j’avais pas mal perdu les derniers mois, les dernières années, puisque forcément le lien social, ça passe souvent autour d’un verre, autour d’un plat au restaurant, dans un bar, donc c’est des calories en fait qui sont ingérées, des calories qu’on estime inutiles. Donc forcément ça mène à s’isoler ou à avoir des relations qui se modifient avec les autres. C’est-à-dire que les derniers mois, quand je demandais à des amis de les voir, ce n’’était pas pour les voir autour d’un repas, c’était pour les voir pour aller marcher en fait. Donc vraiment, tout tournait autour de l’élimination en fait, la combustion d’énergie. Donc vraiment rétablir ce lien social de manière normale, donc retourner boire des verres avec des amis. En plus, les terrasses ont rouvert, les restaurants également, donc vraiment également essayer de revoir mes amis dans ce cadre-là, et ça fait beaucoup de bien aussi, parce que ca permet en fait la troisième partie de ma prise en charge plus personnelle, qui est d’en parler autour de soi, puisque c’est un point très compliqué pour l’entourage. Parce que souvent ils remarquent qu’il y a quelque chose qui ne va pas, qu’il y a une modification de comportement, que le corps en fait devient de plus en plus mince, de plus en plus maigre, mais c’est vrai que les proches ne savent pas forcément comment réagir, ne savent pas quoi dire. Mais là, le fait de m’accepter, d’accepter la situation, d’en parler autour de moi, ça ouvre aussi un peu les yeux de l‘entourage, et ils arrivent enfin à mettre des mots sur ce qu’ils observaient, mais sans savoir comment réagir. Et quand on leur explique en fait par quoi on est passé, il y a souvent énormément de bienveillance en fait qui vient. Parce qu’on a souvent cette peur, de se dire « j’ai pas envie d’en parler à mon entourage, parce que c’est quand même un trouble psychique, c’est quand même assez mal vu de parler de santé mentale ; on va me prendre pour un fou ». Et au final, on se rend compte que quand on explique les choses, quand on dit aux gens vraiment comment ça se manifeste chez soi, ce qu’on ressent, vraiment les gens sont très bienveillants, très compréhensifs et très à l’écoute. Et la quatrième partie, c’est, toujours dans cette optique d’en parler autour de soi, mais du coup à plus large échelle, c’est vraiment pour moi la volonté de me sentir utile, d’où la création aussi de ce podcast en fait, pour parler de ce genre de troubles, pour parler de santé mentale, et ça c’est très important aussi à prendre ne compte, puisque dans le troubles des conduites alimentaires il y a souvent une estime de soi qui est très basse, on a souvent tendance à se déconsidérer, à se dévaloriser, et rien que le fait de s’engager dans un projet qui nous est cher et qui nous fait nous sentir utile, ça contribue aussi à renforcer l’image de soi. Et donc c’est aussi très très important d’aborder cet aspect-là, de renforcement de l’image de soi. Don c’est vraiment une prise en charge à la fois institutionnelle, qui devrait débuter prochainement, et une prise en charge plus personnelle ; mais ça, ça dépend vraiment des ressources de chacun et du niveau d’engagement dans le processus et ça c’est vraiment propre à chacun. Et si je devais donner des conseils, en tout cas si on m’en demandait, ce serait vraiment de rétablir le lien social, d’en parler autour de soi ,d’expliquer aux gens, et de trouver ce qu’on aime pour s’engager vraiment dans quelque chose qui nous fait plaisir et qui nous fait du bien.

A : Toujours au sujet de la prise en charge, est-ce que tu considères ou est-ce que tu estimes qu’il y a un ou des manques concernant cette prise en charge ?

M : Alors, comme je l’ai dit précédemment, le premier manquement que j’identifie c’est l’absence de prise en charge des consultations chez le psychologue, puisque les psychothérapies sont en général dispensées par les psychologues, dont c’est le métier. On avance petit à petit vers une meilleure reconnaissance de ces consultations, avec quelques mesures qui ont été prises récemment, notamment par les organismes complémentaires qui se sont engagés à rembourser 4 séances à hauteur de 60€ pour les adultes. Ça reste quand même très peu, puisqu’une thérapie peut durer quand même plus longtemps que 4 séances. Donc le premier manquement, c’est vraiment ce manque de reconnaissance des psychologues qui pratiquent des psychothérapies. Et le deuxième problème, c’est celui des dépassements d’honoraires, qui peuvent être vraiment exorbitants chez certains psychiatres, notamment dans les grandes villes. Typiquement quand je cherchais un psychiatre sur Doctolib à Paris, des psychiatres disponibles sans avoir besoin d’attendre 2-3 mois, c’est en moyenne 120-150€ la séance, donc c‘est vraiment quelque chose qui est hors de prix pour la plupart des personnes et a fortiori pour moi, qui étais encore étudiant l’année dernière, 150€ une consultation, c’était plus de 10% de mon salaire, donc ce n’était pas du tout possible ! Donc il y a vraiment ce problème d’accessibilité financière à une prise en charge. Et comme je l’ai dit, il y a aussi des consultations gratuites qui existent dans les CMP ou dans les hôpitaux , mais là, le problème, c’est le délai d’attente : il peut y avoir des délais de 2, 3, 4, 6 mois avant d’avoir une prise en charge. Et là, le côté négatif, c’est que dans ces structures-là, souvent on ne peut pas choisir le professionnel par qui on est pris en charge. Or on sait très bien que la prise en charge psychologique repose essentiellement sur quelque chose qu’on appelle l’alliance thérapeutique ; donc c’est vraiment une relation de confiance le patient et le professionnel, et ça peut ne pas passer, puisque c’est avant tout une relation humaine et on peut très bien tomber sur un psychiatre ou un psychologue avec qui ca ne passe pas très bien. Donc c’est vraiment aussi problématique dans ces structures-là de ne pas pouvoir choisir son professionnel, en qui on a confiance et avec qui on a envie d’avancer. Donc ça peut vraiment entraver aussi le processus de rétablissement.

Et il y a d’autres manquements qui concernent peut être moins la prise en charge mais plus la prévention. On parle très peu finalement de la réalité des troubles des conduites alimentaires, on a souvent une image d’Epinal qui est très faussée. On a tous les soirs sur toutes les chaines de télévision des promotions pour des régimes alimentaires qui sont totalement dangereux. Je ne donnerai pas de nom, mais il y en a certains qui proposent à des personnes qui sont en situation d’obésité de passer du jour en lendemain à moins de 1000 kcal par jour : c’est totalement délirant ! Moins de 1000 kcal par jour, ce n’est même pas ce qu’un nourrisson doit manger, et on propose à des personnes qui font 150 kg de passer à une ration de la moitié de l’alimentation d’un nourrisson. Et je trouve ça totalement aberrant qu’en France, aujourd’hui, on autorise encore ce genre de publicité, de promotion de tous ces régimes en fait qui ne sont fondés sur rien du tout, à part de la restriction en fait qui modifie le métabolisme sur le long terme, et fait prendre encore plus de poids en fait. Donc c’est des régimes qui sont totalement contreproductifs. Donc clairement au niveau de la prévention, je pense qu’il y a vraiment quelque chose à faire à ce niveau-là vraiment : la promotion de la minceur en permanence… on devrait plutôt promouvoir l’acceptation de soi, puisqu’on est bien plus qu’un simple chiffre, on est plus que son poids, on est plus que son corps, on est plus que sa corpulence. C’est vraiment extrêmement réducteur aussi de considérer une personne uniquement sur ces aspects-là, et tout ça, ça peut passer aussi par des campagnes de communication, puisque ce sont quand même des troubles qui sont assez fréquents, qui ont tendance à être de plus en plus fréquents, en plus depuis quelques années, et c’est pour ça que les initiatives comme celles qui a lieu aujourd’hui, la journée mondiale des troubles des conduites alimentaires est quelque chose de très important, puisque ça contribue aussi à la prévention. La sensibilisation du public a un grosse part à faire pour la prévention et notamment pour contribuer au repérage précoce puisqu’on sait que la plupart des troubles, quand ils sont pris tôt, ont plus beaucoup de chance d’aller vers le rétablissement, de manière, rapide, efficace et durable. Donc vraiment il y a pas mal de choses qui sont à améliorer et j’espère que ce sont des choses vers lesquelles on ira très prochainement puisque ça évitera quand même pas mal de souffrance, pour les personnes concernées et pour leur entourage.

A : Moi, dans ce podcast, il y a une question que j’apprécie tout particulièrement, qui est la suivante. Comment est-ce que tu te décrirais en un mot ?

M : Si je devais me décrire en un mot, je dirais peut-être un mot qui est un peu à la mode depuis l’année dernière, c’est « résilient ». Résilient, parce que les épreuves que j’ai traversées m’ont quand même causé beaucoup de souffrance, ont causé des souffrances autour de moi, des inquiétudes, ce qui en plus en retour me renvoyait une image assez négative de moi-même. Et malgré tous les affects négatifs que j’ai pu ressentir les dernières années, les idées noires, la dépression, cette volonté plus ou moins consciente de me détruire finalement avec ces comportements alimentaires qui étaient aberrants, j’ai quand même réussi à aller chercher au plus profond de moi-même les ressources pour aller de l’avant, pour essayer de sortir la tête de l’eau. Je considère, pour l’instant, y être parvenu. Je sais que la route est encore longue avant le rétablissement total, s’il est possible, ce que je crois et ce que j’espère en tout cas. Vraiment, résilient parce que je pense que je suis passé par des choses qui n’étaient pas toutes roses et j’ai réussi aujourd’hui à en faire une force et à construire quelque chose avec.

A : Et dans cette quête de résilience, est-ce que tu aurais un message d’espoir à communiquer à nos auditeurs, à ceux qui nous écoutent et qui probablement vivent des troubles similaires ?

M : Si j’avais un message à faire passer, c’est vraiment de rappeler à tout le monde que rien n’est irréversible. Des situations peuvent nous arriver, mais on peut toujours s’en sortir. Ca peut être très difficile. En allant puiser au fond de soi les ressources dont on dispose, en sollicitant son entourage dans la mesure du possible, en allant voir des professionnels dont c’est le métier, on peut vraiment arriver à un déclic, à une étincelle finalement, puisque cette flamme en fait qui nous maintient en vie, elle peut s’estomper, elle peut perdre un peu en chaleur et en lumière. C’est un peu une image que je reprends de ce que disait Coralie, comme elle disait que dans les troubles des conduites alimentaires il y a vraiment cette flamme qui s’éteint, qu’il n’y a plus rien qui rayonne en soi. Et le message d’espoir, ce serait de dire : « la plupart du temps, pour raviver un feu, raviver une flamme, il suffit d’une étincelle » et cette étincelle, j’espère qu’elle arrivera très prochainement pour tous ceux qui nous écoutent et qui sont concernés par cette situation. Donc ne perdez pas espoir et sachez que vous n’êtes pas seul.

A : Mickaël, on arrive à la fin de ce premier hors-série des Maux Bleus. Je pense que nos auditeurs seront d’accord pour se joindre à moi et te souhaiter un bon rétablissement, premièrement, mais aussi beaucoup de succès dans ce projet de podcast. Et je tenais plus personnellement à te remercier de m’inviter à participer à ce si beau projet qui, je pense, nous fait beaucoup de bien à tous. Merci d’avoir participé, Mickaël, et à très bientôt !

M : Merci Alex !