"Dès que j’ai eu le VIH, on m’a dit de ne surtout en parler à personne. Je me suis alors dit 'Toi et tous les autres, je vous emmerde : je vais le crier à la terre entière.'"

VIVRE AVEC LE VIH — On estime à 200 000 le nombre de personnes vivant avec le VIH en France. 200 000 personnes qui restent encore fortement stigmatisées, injuriées, culpabilisées, et ce plus de 40 ans après la découverte du virus. 200 000 personnes à qui on prête allègrement un mode de vie délétère, sans rien connaitre de leur histoire ni même de la transmission du virus.

Or, dans de nombreux pays occidentaux, il est depuis quelques années possible de vivre avec ce virus grâce à des traitements efficaces. La séropositivité au VIH n’est plus une condamnation à mort. Cela n’est malheureusement pas le cas dans toutes les régions du monde, posant la question de la solidarité internationale.

Pour en parler, nous recevons Nicolas, connu sur les réseaux sociaux avec son compte SuperSero, qui nous parle de sa vie avec le VIH, sans le banaliser, son combat pour un changement de regard de la société.

Bonne écoute !
Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Intervenant

Nicolas (@supersero)

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Mickael : Bonjour Nicolas !

Nicolas : Salut !

Mickael : Merci d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission. Je t’ai invité pourquoi, parce que tu es actif sur les réseaux sociaux, notamment parce que tu vis avec le VIH et tu es un activiste de ce domaine là, pour la meilleure reconnaissance des personnes qui vivent avec le VIH et pour montrer la stigmatisation qui persiste aujourd’hui. Est-ce qu’en un mot, une image, une métaphore tu pourrais résumer en fait à ta façon ce que ça fait aujourd’hui de vivre avec le VIH ?

Nicolas : Alors c’est pas mon image, je vais reprendre l’image de quelqu’un avec qui on avait échangé, qui m’avait dit avoir le VIH c’est comme être un phénix, on a l’impression qu’on brûle entièrement et on renait de ses cendres à nouveau.

Mickael : Est-ce que tu veux bien nous partager un peu de ton histoire, nous raconter en fait comment, bah comment tu as découvert en fait ta séropositivité, et comment ça s’est passé les premières années ?

Nicolas : Alors moi ça fait douze ans, bientôt treize que je suis personne vivant avec le VIH, parce qu’on dit souvent séropo, mais en fait séropositif, on peut être séropo à la grippe, donc euh… Ça s’est extrêmement passé de manière très complexe, il y a douze ans… J’étais au Canada et je me suis réveillé un matin… Et en fait je me suis effondré, j’arrivais plus à marcher. Mais vraiment j’arrivais plus du tout à marcher ! Je suis allé voir des médecins, au Canada c’est un peu compliqué, je me suis retrouvé dans une sorte de grand espace où j’ai attendu deux heures, j’ai vu un médecin dans un box qui m’a gardé deux minutes, je crois, et je suis sorti avec une ordonnance, j’en ai eu pour 150 $ de médicaments sans diagnostic, sans rien… J’ai eu mon médecin par la suite, donc français, en visio, qui m’a dit ça va pas du tout, je veux vraiment que tu rentres en France en urgence. Arrivé en France, je fais des analyses, un bilan complet au laboratoire, qui me rappelle, je sais plus quand, à l’époque, quelques jours plus tard pour me dire c’est urgent, ça demande vraiment un traitement d’urgence, va voir ton médecin. Je contacte mon médecin, j’arrive dans son cabinet, il est pas là, c’est son remplaçant qui me dit oui oui, je vous reçois en fin de journée ! Donc j’étais avec ma mère… Comme dans les années 80, on devait être arrivé vers je sais pas, 15 h, 16 h, et il nous a laissé poireauter jusqu’à 19 h, pour nous recevoir en dernier dans son cabinet, pour nous dire, dixit, effectivement c’est extrêmement grave, ça demande un traitement d’urgence, mais je ne prends pas la responsabilité de vous l’annoncer, vous attendez que votre médecin revienne de vacances dans deux semaines pour vous expliquer ce que c’est ! Donc je ne sais pas dans quel état on était, et la chance que j’ai eue c’est que j’ai eu… J’avais ma maman qui travaillait… Ma maman, c’est mignon… Qui travaillait au CHU, et j’avais un père qui avait été infecté de l’hépatite C pendant l’affaire du sang contaminé, qui est mort, maintenant, de sa pathologie chronique et très longue, on a… on connaissait plein de gens dans les hôpitaux, et par rapport au travail de ma mère. Elle a trouvé un médecin qui a bien voulu nous l’annoncer, je crois qu’il était peut être dix heures ou onze heures du soir dans un service d’ORL, un médecin ORL qui n’a rien à voir avec l’infectiologie, qui a bien voulu vous l’annoncer à onze heures du soir, dans un service éteint, de nuit, hyper glauque ! Elle elle a été vraiment géniale, hyper rassurante, dans son attitude, parce que de ce qu’elle m’a dit j’ai rien gardé, c’est comme dans les films, c’est-à-dire que tu as les oreilles qui font… c’est vraiment comme dans les films, tu as vraiment les oreilles qui font womwomwom… tu as la vue qui se dézoome comme en fish-eye et puis tu flottes, et vraiment tu es dans un film, ça y’est, on m’annonce une maladie grave, je vais mourir, tu vois ? Et par la suite, quand je suis arrivé en service d’infectiologie, ça a été pareil, hyper… Je ne sais pas si je pourrais dire traumatisant, mais ça m’a marqué, je me suis retrouvé face à trois médecins, extrêmement froids, extrêmement distants, avec un comportement de gravité, dans le regard, dans l’expression. Comment dire ? Ils avaient un comportement avec des injonctions contradictoires, quoi, c’est à dire en même temps c’était grave, en même temps c’était pas grave, et ils me disent comment vous vous sentez, bah, ça va, je sais pas trop, moi je suis très peu informé sur le VIH, je sais qu’il existe des traitements, je suis plutôt reconnaissant qu’il existe des traitements, parce que je suppose que pour qu’il existe des traitements aujourd’hui il y a des gens qui ont du en tester avant que ça fonctionne donc je suis plutôt reconnaissant, et j’avais répondu, voilà, je pense que je vais faire avec, et puis surtout je pense que ce qui va être compliqué c’est socialement ! Et même aujourd’hui je pense que j’étais assez fier de ma réponse, même aujourd’hui, je trouve qu’elle est hyper sensée, t’es resté tu vois… les pieds sur terre. Et les médecins m’ont répondu ouh là, mais c’est très grave ce que vous dites, c’est très inquiétant, il faut absolument que vous alliez voir le psychiatre. Voilà. Et suite à ça on m’a dit aussi, ouais alors, maintenant surtout n’en parlez à personne. Donc il y avait ce truc de la chape de plomb, chape de silence, et puis un truc de ouh la la il faut vraiment que vous alliez mal, vous allez trop bien, c’est pas normal d’aller bien comme ça, avec en même temps aucune information. C’est-à-dire que par la suite j’avais des informations très floues, quand je demandais à mon médecin, mais c’est grave ? Je vais mourir ? J’ai attendu six ans pour qu’on me dise que j’allais pas mourir, pendant six ans on me répondait : ça va aller. Ça veut dire quoi, ça va aller, je meurs dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans, ça veut dire quoi ça va aller ? Je… Ça veut rien dire, quoi, ça va aller ! Donc pendant des années je me suis arrêté avec ce ça va aller, mais n’en parlez à personne. Quand je montrais à mes médecins que j’allais plutôt bien on me disait ouais, vous savez c’est pas rien non plus… OK… Et quand j’allais pas bien, que je faisais psychologiquement une rechute et que j’allais mal, non, mais ça va aller… Ce que j’ai vécu en service d’infectiologie c’est très similaire à ce que j’ai vécu d’un point de vue social ou culturel, il y avait vraiment l’impression que cette pathologie elle appartenait à tout le monde sauf à moi. C’était une pathologie qui faisait partie du domaine de la prévention, donc c’était quelque chose qui était très effrayant, qui était très inquiétant. Et même quand j’en ai parlé autour de moi c’était la réaction des autres qui primait, et finalement tu te retrouves à gérer la réaction des uns et des autres, et finalement toi, comment tu le vis, qu’est-ce qu’il se passe, ça disparait complètement. T’es un séropositif et c’est tout. Alors après chacun y va de son petit plaisir. J’irais pas critiquer parce que je pense qu’ils ont eu des biais de réaction que j’aurais surement eus avec d’autres pathologies que je ne connaitrais pas, donc je vais pas jeter la pierre, mais c’était soit ah mon dieu tu vas mourir, je pleure, je te prends dans les bras, j’étais déjà enterré ! Soit c’était ah ça va, moi j’ai un oncle qui est mort du sida… C’était très bizarre, en fait la question de simplement qu’est-ce qu’il se passe, quelles informations tu as, est-ce que tu sais ce qui va se passer, est-ce que tu as des questions, comment tu te sens, pf… non. Je crois que moi j’ai mis même dix ans à oser me les poser, et à oser commencer à chercher à trouver des réponses parce que finalement tout ce que j’ai appris sur le VIH ça ne fait que trois ans que j’ai commencé à l’apprendre. Quand j’ai eu cette opportunité de m’émanciper par mes followers qui m’ont posé des questions et en fait je me suis dit que j’allais chercher les réponses.

Mickael : On sait aujourd’hui que les maladies mentales sont très stigmatisées, on pointe du doigt quelqu’un dont on sait qu’il a une schizophrénie, etc. On sait aussi que les personnes qui vivent avec le VIH sont très stigmatisées. Est-ce que ça a eu un impact, est-ce que ça a encore un impact aujourd’hui sur ta santé mentale ?

Nicolas : C’est dur ! C’est dur de répondre à cette question parce que, je veux dire, c’est un peu comme l’homosexualité, on est homosexuel, mais on a aussi nos particularités, nos fragilités. Et je pense que le VIH a tellement pris d’importance dans mon suivi médical que… j’ai pas vraiment eu trop l’occasion de me poser trop des questions sur quelles étaient mes possibles spécificités, mes sensibilités… Il y a à peine quelque temps que je découvre qu’en fait je suis TDAH et je suis TSA. Forcément que ça a un impact psychologique ! Je trouve que c’est assez proche de ce qu’il pouvait se passer avec l’homosexualité. Quand en fait tu vis dans un monde où tout le monde nie, la seule image que tu arrives à avoir de l’extérieur c’est soit que tu es une victime, soit que tu es un coupable. Parce que soit en fait, je vais parler vulgairement, tu as fait une grosse partouze en t’injectant des drogues avec des pédés, des toxicos et des trans, et c’est de ta faute, parce que bah t’es une merde, et t’es un danger du coup, donc ça serait tellement bien que tu crèves du sida. Ou alors c’est ton mari qui t’a trompé, ou tu t’es fait violer. Donc en fait tu es soit une victime soit un coupable, ça me fait vraiment penser à ni pute ni soumise, tu vois ce truc-là, et tu es dans deux extrêmes qui rassemblent les plus gros tabous qui soient, la sexualité et la mort. Donc c’est très compliqué d’arriver à savoir finalement qu’est-ce que tu vis. Mais forcément psychologiquement ça a eu un impact dévastateur, parce que tu as ce qu’on appelle des suicides longs, des personnes qui finissent par vivre tellement de stigmatisation et d’isolement social, que tu as une sorte de… J’ai du mal à dire suicide social, c’est plutôt un meurtre social, tu vois, une sorte de meurtre social qui se met en place et tu finis par te laisser mourir en arrêtant les traitements. Et je vais te dire un truc que je dis extrêmement rarement, parce que je me permettrais pas de le dire sur les réseaux parce que c’est compliqué, il faut du temps pour expliquer ça, moi j’ai toujours parlé ouvertement de ma séropositivité, j’ai toujours estimé que j’avais de la chance d’avoir des familles qui était derrière, des familles qui avaient le moyen de me payer les études, parce que j’avais… un pays où il y a les traitements. J’ai estimé avoir tellement de chance que j’en ai toujours parlé ouvertement. Et donc je me suis pris des mandales, des menaces de mort, des insultes, j’ai quasiment tout perdu, j’ai perdu tous mes amis, j’ai gardé bah mon ami d’enfance, et Louis, on a, il y a deux personnes que je suis arrivé à garder qui sont les plus importantes, bien heureusement, mais j’ai vraiment fait une remise à zéro, c’est la… Moi c’est les études qui m’ont sauvé la vie, et mes passions. Mais je rencontrais quelqu’un, j’en parlais, et toutes ces violences que je vivais… Et puis au bout de dix ans tu te dis, mais qu’est-ce qu’il se passe ? T’as trente ans, t’as plus aucune sexualité, tu as très peu d’amis, tu sors pas, tu vis rien, tu vis un enfer total, tu as l’impression d’être une sorte de raclure, de sac à sida qui mérite que la mort, et tu passes ta vie à essayer d’expliquer aux gens, seul, sans aucun retour, sans personne qui te dis c’est bien, c’est important… Moi pendant dix ans j’ai tenu seul, quoi, par ma simple conviction. Et à un moment tu te dis tu sais quoi ? J’arrête les traitements, je crève. Et ils crèvent. Et ça m’est passé deux secondes dans la tête, bah ouais, arrête les traitements, et puis baise, et puis il se passe ce qu’il se passe, et tu crèveras, tu vois. Ces deux secondes-là, je me suis resaisis en disant bah non, c’est pas possible. Pendant ces deux secondes là je suis arrivé à comprendre à quel point tu pouvais… Bah finalement te brûler et te laisser mourir à cause de cet isolement et de cette violence systémique, culturelle, médicale ! Voilà.

Mickael : C’est bien que tu rajoutes justement ce dernier mot de médical. Cette stigmatisation tu l’as rencontrée aussi dans le monde médical, parmi les médecins, les soignants ?

Nicolas : Mais je pense que tu sais que c’est la pire, non ? [rire] C’est la pire, c’est ceux qui décident ! C’est ceux qui posent les codes et les bases, bien évidemment. Il n’y a pas de violence sociale s’il n’y a pas de violence systémique plus haut, que ce soit étatique, culturelle ou médicale. C’est de là que ça part, c’est là où on a les archétypes sociaux qui se mettent en place. Après moi je te dis avec mes termes, je ne sais pas si c’est les bons termes, mais… Bien évidemment ! Moi j’ai besoin de savoir en fait qu’est-ce que je vis, quand on me dit qu’on va me menacer de porter plainte parce que je serais un violeur ou un assassin, moi j’ai besoin de savoir si je vais en pharmacie, comment savoir si… je sais pas, un quelconque truc que je vais prendre est en interaction avec mon traitement, ce que j’ai besoin de savoir c’est est-ce que je peux faire des enfants et comment, c’est quels sont mes droits ! Un truc tu vois que j’aurais adoré savoir, j’ai dit à mes infectios, mais pourquoi vous me l’avez pas dit ? Le simple fait de dire à un patient vous savez, votre séropositivité c’est votre vie privée, vous n’avez pas obligation d’en parler dans aucune circonstance, en parler c’est un coming out, ça vous appartient, vous faites comme vous voulez, si vous voulez, de la manière que vous souhaitez, et surtout la personne à qui vous en parlez elle est sous le secret de la confidence. C’est-à-dire qu’elle n’a pas le droit de le répéter. Et ça en fait j’aurais bien aimé le savoir, c’est-à-dire qu’une personne qui va le répéter et l’écrire bah je peux porter plainte, c’est mes droits. Ça, j’aurais aimé le savoir. Bah non. T’as pas tes informations primaires. Et puis on te dit vous avez des questions ? T’es gentil ! J’ai vingt et un ans ! Ça fait six, y’a quoi, deux semaines que j’ai appris que j’ai le VIH, tu crois que j’ai réfléchi à un PowerPoint de toutes les questions que je peux te poser, t’es débile ou quoi ! Enfin, débile, pardon, c’est pas bien de dire ça. Mais c’est absurde. Et finalement on te pose cette question au tout début, et puis après voilà, c’est bon, tranquille, on t’a déjà posé la question, t’avais des questions t’avais qu’à les poser, quoi ! C’est con. Je sais pas comment ça marche l’hôpital, est-ce qu’ils sont, les besoins, tout ça, j’irais pas jusque là. Mais tu sens qu’il y a un accompagnement qui est en chute libre, on l’a vu aussi avec mon père, l’accompagnement médical qui avait dix ans, quinze ans ou vingt ans, c’est plus ça tu vois aujourd’hui, c’est extrêmement court ! Moi je voyais mon infectiologue, ah charge virale indétectable, CD4 au top, merci à dans six mois, ciao ! Voilà. Mais finalement comment vous allez ? Qu’est-ce qu’il se passe, est-ce que vous avez rencontré des problématiques, est-ce que vous voulez en parler ? Mon cul ouais !

Mickael : Et au-delà de la stigmatisation, on parle de discrimination quand ça se transforme en actes. Est-ce que tu as connu toi des situations de discrimination dans le milieu professionnel, dans tes relations amicales, amoureuses, l’accès au logement… ?

Nicolas : Alors qu’est-ce que j’ai eu, bah j’ai eu déjà les lettres de menace de mort par courrier chez ma mère, sale sidaïque de merde, bon. J’ai eu les messages anonymes sur les applications de rencontre, par mail… C’était à peu près la même chose, sale sidaïque de merde, va crever, séropo de merde, t’avais qu’à mettre une capote, tu vois, sac à virus, éventuellement crève plutôt que de plomber des gens, assassin, meurtrier… Je pense que ce qui m’a le plus marqué c’est quand j’ai arrêté de sortir en boîte parce qu’une fois je sors, et on me crache à la gueule, et j’entends y’a le sidaïque qu’est là… Bon, du coup j’ai arrêté de sortir en boîte de nuit. Il y a eu surtout beaucoup, beaucoup d’amis qui ont disparu complètement, dont un qui est réapparu des années plus tard pour frapper à ma porte, j’ouvre, il est derrière, il est en train de pleurer… « Je viens d’apprendre que j’ai le VIH » et puis bon, on s’est… Je l’ai un peu accompagné, j’ai essayé de le soulager tout ça. Et puis en fin de soirée il me dit tu sais, j’ai arrêté de te voir parce qu’à l’époque je pensais vraiment que c’était de ta faute et que tu l’avais mérité… J’avais décidé d’arrêter de te voir, quoi. [Rire] et puis cinq ans plus tard tu viens frapper à ma porte… Voilà ! Et puis oui, au niveau du boulot tu sens le comportement, les gens qui veulent pas te toucher, les gens qui s’éloignent. Des IDE qui refusent de te toucher, qui mettent deux paires de gants ! Tu sais comme tu mettrais deux capotes. Qui te disent bah vous venez pour quoi ? Ça me saoule les infirmiers à chaque fois, vous venez pourquoi faire des analyses de sang ? J’ai du cholestérol, ça vous regarde pas, et vous ils sont bien vos taux de transaminase ? Ça me rend dingue ! Ce truc de nous… Je sais pas ! Demande si ça va bien, ça va bien vous avez passé une belle journée ? Demande pas pourquoi je suis là ! Je suis malade ! Bon, c’est pas vrai je suis pas malade, j’ai une infection chronique, merde. Et l’infirmière qui te dit ah vous avez le VIH ? Ah, vous faites bien de me prévenir ! Et tu sais, qui revient avec deux paires de gants, tu vois. Qu’est-ce qu’il y a eu d’autre ? J’ai tellement eu de trucs que je sais pas, là récemment j’ai eu des menaces de mort à trois heures du matin, on va te retrouver, on va t’égorger, tu vas te retrouver dans le canal… Des trucs assez violents. Voilà. Amoureusement, dans les relations, oarf… Alors t’avais soit les mecs, on est en discussion, on s’est pas encore rencontrés, le gars il l’a appris par quelqu’un d’autre, il se met à m’insulter en m’appelant au téléphone, ouais je vais porter plainte parce que t’as… Pour tentative de meurtre, tentative d’empoisonnement, on se serait vus tu aurais rien dit, j’aurais peut être bu dans ta tasse à café ! Enfin des trucs délirants, complètement délirants. Qu’est-ce que j’ai eu d’autre ? Ceux qui t’acceptaient comme tu étais ! C’est horrible ! Tu sais ! J’accepte ! On dirait Jésus Christ, j’accepte ce que tu es, mais ta gueule connard, qu’est-ce que tu… C’est moi qui capte pas, mais t’es qui ? Qu’est-ce que, t’es qui ? C’est fou ce truc de j’accepte comme tu es, j’accepte ta séropositivité, t’acceptes, mais prends là ! Prends là ! C’est complètement dingue ! J’ai quitté mon premier copain pour ça, bon, j’étais pas très gentil, parce qu’en plus on était jeunes et c’était de la maladresse de sa part, mais qui m’avait dit tu crois que c’est facile pour moi ? J’ai dit c’est très simple, je te quitte, c’est fini, comme ça c’est facile pour toi. Moi je continue avec, y’a plus d’histoire avec le VIH. J’étais un peu salaud, mais… [rire] Et ceux qui, voilà, ceux qui te font bien sentir, un peu syndrome du sauveur, je sais pas trop quoi, syndrome du bénévole, ah, vous avez vu hein ! Moi j’ai une relation avec un séropositif et je l’accepte comme il est, c’est formidable ! Ou celui qui accepte d’avoir une sexualité avec toi et qui pendant qu’il couche avec toi se retire toutes les deux minutes, elle a pas craqué la capote ? Tu vois. Alors qu’on est en train de faire l’amour, et à un moment il te regarde et il te dit tu sais que mon oncle est mort du sida ? Et toi tu es en train, les jambes en l’air, tu sais, t’es là et le mec… Tu es en train de faire l’amour, et le gars s’arrête et te regarde, tu sais que mon oncle est mort du sida ? [rire] Non, je savais pas, tu veux m’en parler ? Et finalement tu te retrouves à faire, bah le thérapeute des uns et des autres, et je pense, tu me diras si je dis une bêtise en disant ça, mais je pense que ça doit être similaire pour plein de pathologies, parce que quand tu dis ta pathologie, tous les fantasmes des uns et des autres sortent, et en fait tu finis par faire une sorte de thérapie systémique, tu sais, de… Son ressenti ! Et puis il finit par t’expliquer ce qu’il a souffert, ce qu’il a vécu, ah, il s’agit de toi, pardon, j’avais pas compris, d’accord… Et tu finis par devenir le thérapeute, thérapeute malade, parce que quand même, regarde… Et la personne peut partir en étant persuadée qu’elle a été géniale avec toi parce que quand même elle t’accepte… Bon, elle t’a juste balancé toute sa vie, et t’as juste du fermer ta gueule parce que quand même elle est bien gentille d’accepter de te parler alors que t’es un pauvre malade, tu pourrais quand même bien avoir la décence d’écouter pendant dix minutes le pourquoi de sa tante qui est morte, qui avait trucidé son chat, bon. Ouais, OK.

Mickael : Tu nous as parlé de la violence que tu peux subir, notamment verbale, les insultes, les lettres de menace. Comment est-ce que tu gères ça, comment ça t’impacte, comment tu fais pour vivre avec ?

Nicolas : Alors ça a été compliqué, ça s’est fait dans le temps. Au début je pense qu’il y avait tellement le choc de l’annonce que tu es dans un monde stratosphérique, un peu de coton, merveilleux, cauchemardesque, tu sais pas trop ce qui t’arrive. Plus rien n’a de sens, tu comprends rien, il se passe plein de trucs, c’est un brouhaha, c’est un vacarme, donc en fait tu t’arrêtes à manger, faire caca, dormir… Tu vois, ligne droite. Pendant très longtemps je pense que j’ai refusé de dire que ça me touchait. J’ai eu un effondrement au bout de peut être six ans, parce que moi pendant longtemps j’ai refusé de prendre les traitements, pour des raisons très spécifiques et en fait la manière dont mes médecins m’ont présenté le traitement en me disant avec le traitement vous contaminerez personne. Je vais prendre un traitement pour les autres ? J’ai vingt ans, je viens d’apprendre que j’ai le VIH, et je vais prendre un traitement pour les autres ? Et ça non, je prendrai un traitement pour moi quand je décide de le prendre. Et c’est pour ça que j’ai refusé de prendre un traitement pendant longtemps. J’avais aussi la possibilité, parce que j’avais une charge virale qui était très basse, les CD4 qui étaient très bons. Et c’est au bout de six ans, après une rupture amoureuse, si on peut appeler ça l’amour… Une rupture relationnelle… Que je me suis dit je vais prendre les traitements, ça sera plus simple parce que je serai pas contaminant, ce sera plus simple pour rencontrer quelqu’un. Et là j’ai décidé de le prendre. Et je sentais aussi que mon corps travaillait, j’avais les ganglions qui étaient relativement constamment gonflés, et je me suis dit aussi je vais apaiser mon corps. Et quand j’ai commencé à le prendre… Tu vois je te dis ça, mais j’ai envie de pleurer en le disant, mais ça a vraiment été la première fois où je me suis dit ça m’appartient, tu vois, c’est mon traitement, je le prends pour moi, c’est ma pathologie, c’est mon histoire. Et là je pense que j’ai chialé pendant plusieurs mois en me disant OK qu’est-ce que je vais en faire maintenant, et comment ça va se passer ? Les années qui ont suivi, je pense que j’ai commencé à être un peu en colère et me dire, mais comment ça se fait que je suis tout seul en fait ? Et me dire c’est pas normal que je sois seul et que j’aie l’impression d’être seul comme ça. Comment ça se fait qu’on m’a angoissé toute ma vie avec le VIH, et d’un coup je suis le seul séropo sur terre ? Ils sont où les autres, tu vois. Je vivais un peu ça comme mon homosexualité, quand j’avais peut être huit neuf ans, que j’ai compris que j’étais un peu attiré vers les garçons, et que je connaissais même pas le mot homosexuel, je savais même pas que ça existait. Pour moi j’étais soit une femme enfermée dans le corps d’un homme, soit j’étais atteint d’un virus très particulier, où j’étais le seul touché sur terre, je sais pas, qu’on allait inventer un syndrome à mon nom… Tu vois ? Euh, et ça ça a commencé à vraiment me questionner et à me dire, mais comment ça se fait, ce truc aussi violent, avec cet isolement aussi dingue, avec cette séparation aussi forte entre la réalité et ce que je ressens, et ce sentiment d’être seul au monde, c’est pas possible, quoi ! Alors qu’en plus j’en parlais autour de moi, et des gens ont commencé à me contacter, mais j’avais seulement des gens qui me contactaient qui venaient juste de l’apprendre, je l’avais mis sur Facebook à l’époque. Et par la suite, la violence je pense que ça m’a forgé. C’est-à-dire peut être que j’allais un peu la chercher, peut être comme, tu vois, l’homophobie, en me disant faut que je me forme. Il faut que j’apprenne à me dépasser. Il faut que j’apprenne à dépasser ma colère, il faut que j’apprenne à dépasser la colère de l’autre, il faut que j’apprenne à savoir à qui j’en veux, et pourquoi j’en veux, parce que je ovulais pas en vouloir aux gens, parce que tu sais, moi je viens d’une génération où forcément j’ai eu des parents qui forcément ont eu des comportements homophobes à leurs dépens, et que… Et que mes parents ont toujours été là, m’ont toujours soutenu, j’ai pas été mis à la porte, ni rien, mais il y avait quand même dans leurs réactions, voilà… Quelque chose très de leur temps. Donc il y a une part de moi toujours qui… tu vois, qui est souple là-dessus. Donc je voulais pas en vouloir aux gens. Mais je me suis dit il y a bien une raison, il y a bien quelqu’un, quelque chose qui est responsable de ça. Et j’ai commencé à penser à l’hôpital, qu’est-ce qu’elles font les associations, que fait l’état ? Et je me suis dit, voilà, il faut que je me confronte à cette violence pour que je puisse savoir d’où elle vienne, qu’est-ce qu’elle veut dire, c’est pas un truc qui m’a inquiété, j’ai vécu toute ma vie avec mon père qui avait l’hépatite C… Je fais un aparté, mais parce que quand tu as un père qui a une hépatite, et qu’on te dit c’est très compliqué, le sang, pas de contact… Le fait d’être homosexuel, se questionner à l’époque sur ce qu’est être un homme, associer le rasoir au risque de transmission, c’était un peu compliqué quoi ! Et quand j’avais treize ans, mon père m’a jamais appris à me raser pour ça, et à l’âge de dix onze ans j’ai pris son rasoir et je me suis dit je m’en fous, c’est mon père, j’ai l’hépatite, j’ai l’hépatite, je me suis rasé avec son rasoir, et en me disant jamais j’aurais peur de quelqu’un, jamais j’aurais peur de quelqu’un parce qu’il a une pathologie ou autre, c’est pas humain d’avoir peur de quelqu’un pour ça. Donc c’était pas quelque chose de… Quand ça m’est tombé dessus c’était pas quelque chose qui était possible pour moi, parce que j’avais répondu très tôt, c’était une évidence. Donc j’ai cherché à m’y confronter, et surtout à me dire, mais comment ça se fait que cette violence je la subis de ma propre communauté, qui est homosexuelle, qui a subi cette violence de la discrimination, mise à l’écart, des a priori, et comment ça se fait qu’on est capable de le reproduire ? Donc aussi j’ai eu une forme d’humilité parce que je me suis dit ce que ça t’apprend, c’est que tu peux vivre des discriminations, les subir, les comprendre, t’élever, et être tous aussi complètement con sur un autre sujet, quoi. Donc c’est vrai qu’en réalisant que j’avais des amis homosexuels qui étaient, je connaissais pas le mot sérophobe à l’époque, mais qui étaient discriminants, qui étaient violents, qui étaient dans l’incompréhension sur le VIH et la violence je me suis dit OK, quelles sont tes propres violences ? Et puis je les ai découvertes aussi, parce que je viens d’une époque très transphobe aussi, et que j’ai pu avoir des positionnements et des comportements qui étaient transphobes, et que petit à petit j’ai découvert que j’avais une part sombre aussi, et que moi aussi je stigmatisais, et que moi aussi je pouvais avoir des propos violents parce que c’était trop loin de ma réalité et que je me rendais pas compte. Cette violence, je pense que ça a été aussi le moyen de découvrir la mienne et d’accepter que à travers la volonté de pardonner la violence de l’autre c’était surtout pardonner sa propre violence, qu’on avait à l’intérieur. Et puis l’idée ça a été petit à petit, voilà, de savoir comment s’attaquer à cette construction systémique, quoi, finalement.

Mickael : Est-ce que c’est pour ça que tu as décidé de t’engager aussi dans cet activisme de visibilisation aussi des personnes qui vivent avec le VIH ?

Nicolas : Je sais pas ! Est-ce que c’est possible de répondre à ça, pourquoi est-ce qu’on fait les choses, j’en sais rien ! Je les fais parce que je pense que je devais le faire, mais je pense que j’avais une réponse à cette époque, je t’aurais donné une autre réponse il y a cinq ans, et je t’en donnerai une autre dans cinq ans. Je l’ai fait parce que je devais le faire. Dès que j’ai eu le VIH et qu’on m’a dit surtout n’en parlez à personne, j’ai dit je vais le dire à la terre entière, et je t’emmerde, toi et tous les autres je vous emmerde, et je vais le crier à la terre entière. Et je pense que la première chose elle a été là, elle a été à ce moment-là. Par la suite ça a été un renforcement de me dire moi j’ai de la chance d’avoir une famille qui me soutient, j’ai de la chance d’avoir une famille qui a eu les moyens de me payer des études, j’ai la chance d’avoir une famille qui m’a aidé financièrement ce qui fait que j’ai pas fini à la rue, tu vois, j’avais le minimum, mais c’était énorme ! Tu vois, les gens qui sont à la rue parce qu’ils sont homosexuels ils ont rien, donc moi j’avais de quoi dormir, de quoi me nourrir, de quoi boire… Un sens à ma vie, je pouvais étudier, je pouvais peindre, je pouvais dessiner… Mais c’est pour tout ça ! Et en fait depuis trois ans ça se renforce, forcément parce que depuis trois ans j’ai des témoignages de gens dont une partie sont morts, et que j’ai une rage, mais une rage qui est incroyable. Et ce qui est encore plus violent c’est quand je suis avec des assos qui me disent ouais quand même, vous êtes en colère. Bah oui je suis en colère, connard, j’ai rencontré une gamine de dix-neuf ans qui est séropositive et sa mère osait plus la toucher parce que… Elle nettoyait tous ses couverts à la javel, elle s’est tuée, elle avait dix-neuf ans, comment tu veux que je sois pas en colère, connard ? Et tu fais quoi pour elle ? Tu vois, je comprends pas, je suis en train de parler à un jeune, tu sais que j’ai parlé à une asso, moi j’ai plein de demandes de personnes qui sont en Afrique, qui sont dans des pays où il n’y a plus de traitement, parce qu’il y a des ruptures de soin, et des gens qui ont dix-neuf ans ou vingt ans. Et tu essaies de trouver des contacts avec des assos, qu’est-ce qu’on peut faire, quelles solutions on peut avoir ? Et des fois tu te retrouves avec des gens… Qui te dit, mais tu sais, quand même, moi aussi je reçois plein de messages des Africains, et je peux rien faire, qu’est-ce que tu veux que je fasse, bah je réponds pas. J’avais envie de lui mettre un coup de boule, comment tu peux répondre ça ? Je suis en train de parler à un mec de dix-neuf ans, il est en train de crever du sida, il a dix-neuf ans ! Le mec il te parle, tu lui réponds ! C’est pas un cochon d’Inde ! Tu vois ? C’est… C’est ta réalité, le mec te parle, il te répond, il mange, il boit ! Alors après voilà, on alimente le stéréotype de l’Africain parce que ça déshumanise, c’est loin, on sait pas trop ce que c’est, tu vois. Mais tu te retrouves avec des assos qui te disent, mais tu comprends, leur culture, on sait pas ce que c’est leur culture ! Ils ont pas de cerveau, ils réfléchissent pas, tu penses que dans leur culture ? Ça veut dire quoi ? Leur culture c’est taper du tambour, tourner autour du feu pour guérir ? T’es à l’Ouest ! T’es à l’Ouest ! Bah oui, bah ouais, le gamin il a dix-neuf ans, il est en Ouganda, tu crois quoi, il est en train de se battre pour pouvoir accéder à des trithérapies. Bah oui parce que t’as des tradipraticiens, oui tu as la prière, oui tu as Kanguka… En France aussi hein ! En France aussi t’as des gens qui te vendent des germes de blé pour te dire que tu vas guérir du cancer, en France aussi t’as des gens qui te vendent de la prière pour te dire que tu vas guérir par la prière, c’est partout ma vieille, c’est partout pareil ! Non il n’y a pas de l’homophobie culturelle, il y a des homosexuels en Afrique, c’est des êtres humains, ils existent ! C’est pas différent ! C’est ton frère, c’est ta sœur, c’est pareil ! Et ça quand t’as ces trucs de qu’est-ce que tu veux que je fasse… Bah je sais pas, bouge ton cul ! Parce que t’es censé être dans une putain d’association et t’es censé être là pour en fait aider les gens, parce que tu as réalisé normalement que c’était important, et que c’était comme ça qu’on pouvait avancer. Si t’as rien compris, t’es juste là pour dire ah moi tu sais je suis dans une association pour aider les Africains… Ta gueule. Ferme ta gueule. C’est la honte. J’ai rencontré des gens, je te jure, incroyables depuis trois ans. Et j’ai rencontré des gens dégueulasses. À leurs dépens, parce que c’est pas… En plus c’est pas directement à eux que j’en veux, c’est qu’est-ce qu’ils foutent là ? Comment on les a laissés venir ici, ces gens-là ? Là j’ai une asso qui m’a répondu on pourrait vous aider pour l’accompagnement si on est subventionnés. Ouahou. Vous me contactez pour quoi en fait, pour avoir des subventions ? Pareil, j’ai rencontré, si tu as besoin de parler, vas-y, parle, et je raconte des gens que j’ai accompagnés, qui sont morts, que j’ai connus, à qui j’ai parlé, avec qui j’ai échangé… Et qui sont morts. C’est des vrais gens, je sais pas combien il y en a qui sont morts en trois ans. C’étaient des amis, quoi. Et tu lui racontes ça, et la meuf elle dit ouh là, je t’arrête tout de suite ! Moi je suis pas psychologue, ce que tu dis c’est trop violent, c’est pas à moi de l’entendre. Voilà. Et t’es dans une asso, toi. Et je suis tellement en colère. Je suis tellement en colère de ce système associatif où encore une fois tu as des gens incroyables, et tu as des choses géniales qui se passent, mais ce que je rencontre depuis trois ans c’est un système d’entreprises où tu as des gens qui créent des entreprises, tu as des gens qui trouvent un intérêt politique, de l’autre côté des gens qui n’avaient rien d’autre à foutre, donc là on leur a proposé un poste, c’est payé, c’est mieux que rien, et puis après tu as les bénévoles qu’on exploite parce qu’ils sont là, ils savent pas pourquoi, ils veulent juste aider, et en fait on les exploite, ils savent pas ce qu’ils font, ils savent même pas de quoi ils parlent, ils sont à l’Ouest complet. Et puis tu as ce rouage formidable qui fonctionne parfaitement bien, et à côté tu dis ah les assos font un travail formidable ! Moi je te le dis, en douze ans de séropositivité, en trois ans d’activité je suis incapable de dire ce que font les associations. Ça fait trois ans que j’appelle à l’aide en disant j’ai des gens qui crèvent, j’ai besoin d’aide, j’ai besoin de soutien, j’ai besoin d’échanger, j’ai besoin de même juste prendre un café, j’ai pas besoin d’argent, je m’en fous de votre pognon ! J’ai pas besoin de pognon, je veux juste des relais, je veux juste des gens à qui je peux rediriger, je veux juste des gens à qui parler. Et bah je suis connu aussi pour ça dans le milieu, Nico tu comprends il est en colère, il faut qu’il se calme un peu, il faut qu’il aille voir le psy parce que… il prend pas assez soin de lui, il faut qu’il décroche ! Et je me retrouve avec des discours comme ça de gens qui me disent prend soin de toi ! Ouais ! Prends soin de toi, prends du temps pour toi, pense un peu à toi ! Non, aidez-moi en fait ! Et dégagez, aidez-moi ou dégagez. Mais quand tu expliques aux gens… Ça veut dire quoi prendre soin de moi ? Je fais quoi pour décrocher ? Bah je sais pas, décroche ! OK ! Les gens ils m’appellent sur Instagram, je fais quoi ? Bah tu réponds pas ! Les gens ils me contactent sur Tiktok après… Bah t’arrêtes ! Oui, mais les gens ils me contactent par mail, oui, mais les gens après ils trouvent mon numéro de téléphone, ils me contactent par SMS. Ah oui, mais coupe ! Oui, mais après ils me contactent sur Whatsapp ! Beh coupe ! Oui, mais après ils contactent des amis à moi qui me recontactent pour dire que telle personne a besoin d’aide. Et puis après j’ai des appels à trois heures du matin, en anonyme. Puis après tu es en train de dormir, tu te réveilles et tu reçois un message, je suis en train de crever, aidez-moi par pitié. T’es en train de dormir. Puis des fois tu lâches, tu sais, pendant deux jours, tu arrêtes de répondre, tu essaies de souffler, tu essaies de te reprendre. Et puis deux jours plus tard, tu apprends que telle personne qui t’a envoyé un message, à qui t’as pas répondu, est morte. Et tu me dis de décrocher ? Et après t’as le culot de me dire, mais tu comprends nous on n’a pas les moyens. Vous avez pas les moyens ? Vous êtes quinze devant moi, je suis tout seul ! Je suis tout seul ça fait trois ans, je suis seul, j’ai trente demandes par jour depuis trois ans, j’ai enterré des dizaines de personnes tout seul, sans argent, j’ai dépensé tout mon argent, j’avais trente mille euros de côté j’ai tout dépensé dans mon asso. Moi je joue ma vie, s’il faut que je grille ma carrière, s’il faut que j’aille jusqu’à ma mort, c’est le combat de ma vie, et toi t’es en train de me dire euh ah par contre là il faut qu’on arrête la conversation parce que tu comprends je coupe avec ma vie professionnelle, il faut que j’aille chercher ma gamine à l’école. D’accord. OK. C’est pas ta place, en fait, je comprends que tu coupes, c’est ta gamine, c’est ta vie, mais en fait c’est pas ta place, c’est pas ta vie, c’est pas ton combat. Va-t’en, en fait. Va-t’en.

Mickael : Du coup qu’est-ce qui fait que tu as encore envie de continuer ce combat ? Qu’est-ce qui te donne la force de continuer ?

Nicolas : Pffff, c’est plus que de l’envie, j’ai envie d’une crêpe, moi tu vois ! C’est pas une envie, c’est mon essence. Moi je suis né avec un père qui avait l’hépatite C, j’ai grandi dans ça, j’ai vécu dans la maltraitance de mon père, sociale, médicale, je viens d’une famille où on n’est jamais parti en vacance, on a fait l’accompagnement de mon père à l’hôpital, ma vie ça a été l’accompagnement de mon père, les rendez-vous chez le médecin, les quatre ou cinq fois où il est mort et qu’il a ressuscité, j’ai vécu à travers ça, et je le revis à travers le VIH donc je pense qu’il y a une grande part de moi qui demande réparation et qui… Et ça me dépasse, en fait, c’est quelque chose qui me dépasse et pourtant ça donne un sens à mon existence aussi, c’est pas de l’envie, c’est de l’incarnation, c’est dans ma chair, c’est dans ma peau. Donc c’est comme ça ! Voilà !

Mickael : Est-ce que tu as l’impression aujourd’hui que les mentalités dans la société changent par rapport au VIH, au SIDA, ou est-ce que tu as l’impression que ça stagne ?

Nicolas : Bah ça pfff… Ça change petit, doucement… Après moi j’y crois pas trop, je pense qu’on a des doxas et qu’on a en fait des règles qui sont véhiculées par une sorte de fusion entre la politique, les médias, l’économie, il y a un bon moment et un bon endroit, tu vois, qui se passe, et puis il y a une sorte d’évidence du collectif qui se met en place. Je pense pas que… Y’aura toujours des trous du cul, tu vois ! Y’a toujours des gens qui sont nazis, qui sont pour la peine de mort, ça sera, y’aura toujours des gens. Je pense que ça tourne. Le vent tourne, est-ce qu’il tourne, je sais pas ? j’ai l’impression qu’en même temps ça s’accélère et que la violence aussi s’accélère, je pense que ce qui me… Y’a des choses qui vont pouvoir être dites, y’a des choses qui vont pouvoir être entendues, et y’a des choses qui vont pouvoir se mettre en place, je pense qu’il y a une lutte qui va pouvoir être possible, par contre j’ai très peur de la manière dont on mène les luttes aussi aujourd’hui. Je vais dire un truc qui est pas très jojo et qui est pas très optimiste, je ne pense pas que la société a un moment voulu lutter contre l’homophobie. Je pense qu’à un moment aux États unis il y a eu un intérêt économique à aller chercher le pognon des couples homosexuels qui avaient pas d’enfant et qui pouvaient dépenser des thunes formidables dans des supers achats immobiliers, dans des vêtements, des fringues, des séries, des voyages, et parce qu’il y avait un intérêt économique, on a ouvert le marché et on est allés chercher le marché des personnes homosexuelles, et je pense qu’on est encore dans une société qui est dans cette économie-là, et ça va dépendre de comment on pense notre économie. Je pense qu’aujourd’hui on mène des combats en oubliant ça, et que tant qu’on n’a pas trouvé un autre modèle économique qui fonctionne différemment de ce système-là, je pense qu’il faut arriver à l’intégrer dans nos luttes, et qu’il faut arriver à dire OK, lutter contre l’homophobie, pourquoi, beh parce que ça a une fonction économique, culturelle, politique, d’accès au droit qui en fait fera du bien à l’économie française, fera du bien au droit français pour tous, fera du bien à l’accès à la santé pour tous, etc., etc., qu’il faut apprendre à élargir et dire celui que vous considérez comme invalide, comme handicapé, déviant, homosexuel, trans, j’en sais rien, je m’en fous, ça veut rien dire, je mets tous dans le même sac, mais volontairement ! Ben en fait cette spécificité là, c’est un citoyen qui a un regard très précis, très particulier sur des rouages dont il est le premier à souffrir, mais en fait si vous écoutez, et que vous arrivez à saisir cette douleur dans ce rouage-là, et qu’on arrive à le retirer, cette douleur-là, bah le rouage ira mieux pour tout le monde, ça roulera mieux ! Un exemple qui est très frappant, un pays où les droits LGBT sont pas respectés c’est les hétéros qui crèvent du sida le plus. Un pays où les droits LGBT sont respectés y’a plus de morts du sida. Tu vois dans les pays en Afrique la majorité des gens qui meurent ce sont des femmes hétérosexuelles donc c’est ça qu’il faut apprendre à dire dans nos luttes, c’est de dire on lutte par nos spécificités et dans nos souffrances, nos discriminations, mais ces discriminations vous vous rendez pas compte à quel point elles vous détruisent aussi. Lutte commune. Nous on est pas homosexuels qui luttons, ou je suis pas séropositif qui lutte, je suis un citoyen qui lutte, et dans ma spécificité à travers mon homosexualité ou ma séropositivité, qui est pas citoyenne, hein, je suis pas un séropocitoyen, je suis un citoyen ! Dans ma spécificité de sérologie positive ou d’homosexualité, je vais pouvoir pointer du doigt des incohérences, pour voir, avoir un système qui est meilleur. Tu vois quand on nous a fait chier pour le mariage pour tous en disant le mariage homo c’est débile, vous vous rendez pas compte que vous êtes en train de défendre quoi ? Le mariage qui est en lien avec l’éducation des enfants ? Parce que vous avez l’impression que les hétéros c’est le cas, chez les hétéros, vous pensez vraiment que… Ouah, le nombre de mariages, qui est en lien avec les enfants ? Majorité de femmes monoparentales et de… Réveillés ou quoi ? Ça n’a plus aucun sens le mariage et l’éducation ! Donc je sais pas, est-ce qu’on pourrait peut-être penser en contrat de parentalité, de la coparentalité, penser les choses différemment ? Bien évidemment que ça va dans le sens des droits des personnes LGBT, mais en fait c’est aussi vos droits à vous, c’est les mêmes droits pour tout le monde ! Je pense qu’il faut mener les luttes dans un intérêt commun et collectif.

Mickael : On retrouve un peu les mêmes problèmes pour les troubles psychiques, les luttes qui sont menées par des personnes qui ne sont pas forcément concernées et qui sans doute partent de bonnes intentions, mais qui souvent loupent la cible. Est-ce que tu as l’impression que les mentalités changent aujourd’hui, dans ta communauté, est-ce que toi aussi tu as changé de point de vue sur ces sujets, sur les sujets de santé mentale ?

Nicolas : C’est des questions que je me me suis toujours posé très petit, ça, j’ai toujours eu du mal avec… Et puis j’étais très en colère, j’ai toujours été très en colère, mais j’adorais la psycho et j’adorais la philo, et il y a des choses en psycho qui me terrifiaient terriblement, et à l’époque, c’était à l’époque où on parlait encore de système névrotique, système psychotique, et je comprenais pas, comment est-ce qu’on peut… Supposons qu’on est névrosé, donc en fait on a créé une grille de lecture névrotique ? Donc ça a pas de sens ! Et, enfin, tu vois je comprenais pas en fait ces choses-là. Je pense qu’on est tous queer et que ça veut rien dire être valide, c’est des gens qui se considèrent valides et qui vont pointer du doigt des invalidités, mais en fait personne ne correspond à l’idéal culturel bourgeois ou politique, ça veut rien dire, on n’est pas une culture, on est aussi vivant, et c’est ça qui est formidable c’est que cette vivance elle est malléable, elle est fluctuante, elle est dynamique, et que a contrario de ça on a une culture qui parfois se rigidifie et qui perd en souplesse et donc on a des gens qui sont résistants, et qui disent bah non nous on maintient, on va vers cet idéal-là, et tu as ceux qui disent bah non c’est, il faut gagner en flexibilité culturelle. Ce qui est un gain ! Parce que ça veut dire que s’il y a une crise on gagne en capacité… En flexibilité écologique, économique, politique. Donc je pense qu’on est tous indescriptibles. Bien sûr qu’il faut qu’on cherche à savoir ce qu’on est dans une culture et une politique, mais on le sera jamais complètement, parce que c’est culturel et politique. Mais ça fait très peur parce que ça veut dire qu’il faut accepter que le modèle qu’on avait jusqu’à présent ne marche plus, le modèle c’est-à-dire où tu avais un papa, une maman, des enfants, un salaire, deux salaires, tu partais en vacances, tout marche bien, tout fonctionne, bah ça marche pas, ça, ça pourrit tout ! On voit bien qu’on a une crise écologique monumentale et que c’est en partie, en grande partie avec ce modèle-là, donc il faut penser d’autres modèles. Mais je pense que c’est très effrayant pour beaucoup de se dire OK, mais si je suis plus qu’un papa, je suis quoi ? Je suis pas une famille telle que ça, je suis quoi ? Et on voit qu’il y a cette explosion là qui du coup amène cette grosse angoisse du wokisme ou je sais pas trop quoi, où on y fout dedans handicap, LGBT, je sais pas trop quoi, vous, là, les trucs vivants ! Bah ouais, être vivant. En fait c’est ça, c’est jusyte être vivant, c’est les choses qui bougent, qui vivent, qui sont réelles, qui sont pas des stéréotypes ambulants.

Mickael : C’est quoi les préjugés les plus fréquents que tu entends sur le VIH ou sur le SIDA ?

Nicolas : Boah c’est simple, c’est c’est de notre faute ou on est victime, tu l’as fait sans capote, t’avais qu’à te protéger, t’es un toxico, t’es une pute, tu t’es fait tourner dans les caves, t’es pédé c’est normal… Essentiellement c’est ça qui revient, c’est attaché à une mauvaise vie, c’est attaché à des comportements dangereux, c’est attaché à quelque chose d’effrayant. Essentiellement quand même c’est la faute, c’est la faute.

Mickael : Est-ce que tu peux donner quelques ressources qui sont disponibles aujourd’hui pour les personnes qui vivent avec le VIH et qui ont besoin de soutien, justement, comme tu en as parlé ?

Nicolas : Alors au niveau de l’information sur les traitements il y a action traitement qui existe, justement, ils ont une plateforme téléphonique qui est gratuite, action traitement c’est pour toute question relative à des traitements, c’est une asso qui est faite par des personnes séropositives, des patients experts, pour les personnes séropositives. En termes de droit, de sérophobie, tout ça, y’a Act up qui peut aider, qui est une des premières assos, qui étaient à la base une asso de personnes concernées. Pour les personnes issues de l’immigration, ou des personnes qui viennent d’Afrique, y’a Ikambere, je crois que c’est plutôt pour les femmes Ikambere. Après y’a aussi je crois Dessine moi un mouton qui est une asso pour les familles. Sur les réseaux sociaux il y a Andréa Mestre (@andreamestre_) qui parle de séropositivité, qui a une association en Côte d’Ivoire. Il y a Journal Positif qui est une personne positive qui parle aussi sur les réseaux. Sida info droits qui permet d’accéder à des informations sur les droits quand on est séropositif, c’est une ligne payante. Voilà.

Mickael : Et dans les ressources disponibles aussi y’a ton livre, est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

Nicolas : Ouais y’a Le petit dico des super séros, aux Éditions Kiwi, qui est partout, Fnac, Amazon, Cultura, librairie. C’est un petit dico, c’est plein de petits textes. Ça a été un challenge hyper compliqué pour moi parce qu’il faut savoir que je suis dyslexique, waouh, qu’est-ce que tu vends vachement bien ton livre ! Non le gros challenge ça a été de me dire il faut que tu écrives quelque chose, j’ai essayé, je sais pas si j’ai réussi, qui pouvait parler à une personne séropositive qui a été infectée dans les années 80, à une personne séropositive qui a été infectée dans les années 90, pas pareil, infectée en 2000, c’est pas pareil, infectée en 2010, pas pareil, infectée en 2020, pas pareil, selon si elle a vingt ans, trente ans, quarante ans, cinquante ans, soixante ans, si elle a été infectée dès la naissance, c’est pas pareil, donc j’ai essayé de prendre toutes ces données-là en compte, que ça parle aussi aux séronégatifs, aux gens qui ont peur du VIH, aux gens qui n’ont pas peur du VIH, aux accompagnants, que ça parle aussi aux médecins, aux infirmiers, aux aidants, aux associations, que ce soit en même temps politique… Donc du coup l’idéal c’est de faire plein de petits textes. Et y’a du témoignage, y’a, humblement j’ai essayé de faire un côté un peu historique pour pouvoir raconter ce qui s’est passé depuis les années 80 d’un point de vue médical, d’un point de vue associatif, je suis allé chercher surtout des témoignages, et puis y’a du un peu plus personnel. J’ai fait un travail d’écriture. Moi j’adore Roland Barthes ! J’aimerais vraiment être au niveau de Roland Barthes, mais c’est pas le cas, mais j’aime l’esprit tu vois de je fais quelque chose de précis, de concret et en même temps d’essayer d’être dans un style.

Mickael : Et dans cette ligne-là est-ce que tu aurais des conseils à donner à une personne qui vient de découvrir sa séropositivité au VIH ?

Nicolas : C’est compliqué cette question parce que ça dépend de beaucoup de choses. La première chose c’est que je pense que ce qui est le plus violent quand on apprend sa séropositivité c’est son autostigmatisation. C’est comme, je pense comme quand le handicap nous tombe dessus. C’est pas… C’est différent de l’homosexualité ou quand tu subis le racisme, parce qu’il y a quelque chose qui est de ton histoire. Le VIH ça te tombe sur le coin de la gueule, tu te réveilles pas un jour en te disant tiens, je suis noir ! VIH, oui, tu peux être sérophobe pendant trente ans et ça peut te tomber en plein milieu sur la gueule, tu peux être validiste pendant trente ans et avoir un accident et te retrouver handicapé. Et je pense que c’est ça, ce qui est très violent, c’est de l’autostigmatisation avant ce que tu va subir. Et souvent on se fait tout un monde, et j’ai l’impression que parfois ce qu’on s’imagine est parfois pire que ce qu’on peut subir, mais je le dis avec beaucoup d’humilité parce que j’ai eu la chance d’avoir une famille qui m’a, qui m’a accompagné. On va pas parler de VIH. Comment tu le vivrais si demain on t’apprend, en te disant, vous avez une pathologie, cette pathologie ne va pas réduire votre espérance de vie, elle va rien changer, vous allez pas mourir, vous allez vieillir normalement, vous pouvez avoir des enfants, vous pouvez aimer, vous pouvez boire, vous pouvez fumer… En fait vous allez vivre comme avant, mais vous avez un comprimé à prendre par jour. Comment tu le vivrais ? Tu vois enfin… Bien ! Je sais pas tu vois. Enfin c’est con ! On te dit tout va bien, tout va bien aller, bon vous avez un comprimé à prendre par jour. Alors ouais c’est à vie, enfin c’est à vie, les techniques elles évoluent, là tu as une injection tous les deux mois, t’as des labos qui nous parlent d’une injection à vie, ça avance, quoi. Mais il se passe rien, en fait ! D’un point de vue médical, il se passe rien. Alors encore une fois sans parler, parce que tu as des personnes qui ont des diagnostics tardifs, ils ont connu une phase SIDA ou tu as par contre des copathologies qui peuvent amener à des handicaps et ça c’est une autre histoire, mais dans le cas classique, si tu veux, pf. Qu’est-ce que tu vas vivre ? Ah, mon dieu, j’ai le sida, c’est ça qui te détruit ! Ah mon dieu j’ai la maladie des putes et des pédés et des trans et des toxicos et je vais crever dans d’atroces souffrances, j’ai une vie de merde, et je suis, et c’est de ma faute, et si c’est pas de ma faute c’est de la faute de l’autre, c’est ça qui est violent au début, c’est cette question de est-ce que je suis fautif ? Est-ce que l’autre est fautif ? On me l’a transmis volontairement ? Est-ce que je vais le transmettre ? Comment je vais le gérer ? Mes parents qu’est-ce qu’ils vont dire ? Le travail qu’est-ce qu’il va dire ? Mes amis qu’est-ce qu’ils vont dire ? Donc je pense qu’au début il faut se dire j’ai le temps, toutes ces questions-là, il va y avoir des réponses très claires, très précises, mais elles vont se faire dans le temps et on va se les construire nous même dans le temps, et il faut se laisser le temps, ça peut prendre trois mois comme quinze ans, et y’a aucun problème, il faut prendre le temps. Notre pathologie, notre temps, notre rythme. Mais surtout au début c’est de se poser la question, voilà, quelles sont mes autostigmatisations ? Comment dépasser cette morale-là ? Je pense qu’il faut le dire : c’est pas de ta faute. C’est pas de la faute de l’autre, personne est coupable. Si t’as envie de vivre tranquillement garde-le pour toi, si t’as envie d’éduquer les gens, éduque, si t’as envie de hurler hurle, fais ce que tu as envie, tu es légitime, c’est… Y’a tout à faire sur le VIH, on est au début, mais ce qu’il faut vraiment se dire c’est que quoi que tu décides de faire à ce moment-là on est dans une époque, encore aujourd’hui, où c’est parfaitement invisibilisé, et je mets ma vie en jeu que quoi qu’on fasse en tant que séropositif et qu’on décide de faire aujourd’hui, ça va marquer, ça va marquer et dans… Allez, je donne même pas trois quatre ans ! Je pense que si aujourd’hui on prend la fourche et on hurle, on passe pour un youyou. Dans trois ans ça sera différent. On verra les choses différemment.

Mickael : Merci Nicolas d’avoir accepté mon invitation à participer à cette émission et d’avoir partagé ton témoignage avec nous.

Nicolas : Bah non merci à toi, parce que si vous êtes pas là on nous entend pas.

Vous avez des idées suicidaires ?

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