Informer : suffisant pour changer le regard sur la santé mentale ?

Homme pointant du doigt.

L’information n’a jamais été aussi présente qu’aujourd’hui. On pourrait croire que cela révolutionnerait la manière de changer les regards et les comportements de personnes peu sensibilisées à un sujet. En fournissant des informations précises et factuelles sur les troubles mentaux, on peut aider à réduire les mythes, les préjugés et les fausses croyances qui alimentent la stigmatisation des personnes vivant avec un trouble psychiqe.

Pourtant, cet effet bénéfique est lent, fragile, et surtout l’information seule n’est pas suffisante. En effet, les mentalités et les comportements sont largement sous influence : motivations personnelles, pression de la société, biais cognitifs, habitudes, croyances, attitudes, besoins, expériences passées, etc. Il ne faut pas non plus oublier que l’être humain n’est pas un être rationnel froid et qu’il est très souvent soumis à ses émotions pour prendre une décision. La stigmatisation est de plus profondément enracinée dans la société et est perpétuée par des facteurs socio-culturels, historiques, politiques et institutionnels, notamment.

Les croyances et les attitudes sont des déterminants importants sur lesquels on peut agir, notamment en fournissant des informations adéquates par des canaux adaptés. Mais le changement de comportement est plus complexe, car il nécessite un véritable changement de paradigme interne, ce qui est difficile à accepter et à mettre en œuvre. L’appropriation de l’information nécessite un long chemin, parfois fastidieux et très coûteux en effort : comprendre, réfléchir, intégrer.

Comment promouvoir le changement ?

Informer et sensibiliser sont des moyens utiles pour changer les comportements, mais ils ne sont pas les seules stratégies à déployer pour obtenir un changement durable. D’autres méthodes plus « actives » peuvent être utilisées : renforcement positif du changement, ressources pratiques à s’approprier et à utiliser, désinciter financièrement ou légalement les comportements délétères, …

Dans le cas du tabagisme, par exemple, il est préférable d’orienter la personne vers une nouvelle vie libérée de la dépendance plutôt que vers un arrêt du tabac. En effet, arrêter est un acte négatif, tandis qu’un nouveau départ est quelque chose de stimulant. Des ressources pratiques et des outils sont disponibles pour aider la personne à changer son comportement tabagique : interventions cognitivo-comportementales et traitements médicamenteux au premier rang, selon les recommandations de la HAS*. Aussi, la taxation comportementale du tabac est une désincitation financière à fumer, de même que l’interdiction des braseros sur les terrasses des restaurants ou celle du tabagisme/vapotage dans des lieux publics clos, voire ouverts (parcs, plages), sont des outils légaux pour inciter les personnes à changer de comportement. Bien entendu, cet exemple du tabagisme sert d’illustration et ne peut être généralisé à tous les comportements.

*Haute Autorité de Santé : recommandations

Avoir une opinion négative et discriminatoire envers les personnes souffrant d’une maladie mentale n’est pas une maladie à soigner à l’instar d’un trouble addictif. Il s’agit cela dit d’un comportement délictuel sanctionné légalement. Si cela peut freiner les actes discriminatoires, bien qu’ils demeurent élevés (un tiers des discriminations enregistrées par le Défenseur des Droits concernent le handicap et l’état de santé), les opinions doivent être modulées à plus large échelle.

  • Une modification de l’environnement, comme le décloisonnement des structures de prise en charge psychiatrique, l’inclusion des personnes avec un handicap psychique dans les entreprises et autres lieux de sociabilisation, la modification des normes sociales, peuvent être des moyens plus concrets allant au-delà de la simple information.
  • Un engagement des médias à promouvoir une information sincère, ni sensationnaliste ni biaisée, et une réelle prise en compte par les dirigeants de la stigmatisation dans les politiques publiques sont essentielles pour changer les normes sociales.
  • L’empowerment des personnes avec un trouble psychique et leur participation active à l’élaboration des politiques et initiatives les concernant, permettent aux personnes concernées de s’affirmer et d’être représentées pour agir pour elles-mêmes, être mieux comprises dans leurs besoins, et recouvrer une citoyenneté pleine et entière dans une société souvent réfractaire à la différence. Rien sur nous sans nous.
  • L’amélioration de l’accès aux prises en charge psychiatriques et psychologiques est un point crucial, aujourd’hui problématique, menant souvent les personnes avec un trouble psychique à des difficultés importantes, pouvant provoquer un véritable handicap social.
  • Les programmes de développement des compétences psychosociales dans les écoles peuvent aider les futures générations en promouvant l’acceptation de la différence, des comportements positifs et constructifs, l’affirmation de soi, etc.

Notre mode de pensée freine le changement

L’être humain a tendance à agir suivant deux modes, un mode automatique et un mode plus réfléchi. Le premier économise du temps et de l’énergie. Les travaux de Daniel Kahneman à ce sujet sont très intéressants : nous utilisons des raccourcis et généralisations abusives pour nous décider rapidement, et ces schémas sont assez profondément ancrés à l’échelle individuelle, voire à l’échelle populationnelle.

Nous pouvons déjà mentionner le biais de confirmation, qui consiste à avoir plus de facilité à accepter les informations allant dans le sens de nos croyances et à réfuter celles allant à leur encontre.

La dissonance cognitive est un autre biais fréquent. Il s’agit de justifier et rationnaliser un comportement habituel qui va à l’encontre d’informations nouvellement apprises pour se défaire de l’inconfort provoqué par ces faits contradictoires, plutôt que de changer de comportement.

L’inertie au changement se manifeste souvent aussi par un biais de statu quo. Il est plus confortable et facile de continuer à l’identique de ses habitudes plutôt que de fournir l’énergie pour remettre en cause ses croyances et ses comportements.

Le biais d’ancrage consiste à rester durablement influencé par la première impression, consciente ou inconsciente, que l’on a eue sur un sujet. Il s’agira d’une valeur de référence pour la suite. Par exemple, une première rencontre qui se serait mal passée avec une personne souffrant d’un trouble psychique pourra entraîner une réticence durable à sociabiliser avec d’autres personnes avec une maladie mentale.

L’illusion de supériorité peut mener une personne à surestimer sa propre valeur pour ne pas avoir à s’identifier à une personne socialement jugée « inférieure ». L’image erronée du malade mental inutile et dangereux peut laisser penser à certaines personnes sans trouble psychique qu’elles sont un groupe hiérarchiquement supérieur qui ne peut se rabaisser à considérer que nous sommes tous des êtres humains égaux et différents.

Des interventions ciblées menées dès le plus jeune âge peuvent se révéler utiles pour changer les croyances et les comportements. En effet, ces biais de raisonnement sont des schémas de pensée rapide acquis au cours de la vie – même si certains sont des biais communs à l’espèce humaine. Une fois appris, il est difficile de s’en départir. Mais ce n’est pas impossible pour autant.

Les regards sur la santé mentale changent-ils ?

À la suite de plusieurs campagnes locales ou globales, encore récentes, les opinions et comportements envers les personnes souffrant d’un trouble psychique évoluent de manière favorable. Lentement, mais sûrement. L’engagement et la participation active des personnes concernées ont largement contribué à cette évolution. Citons par exemple nos amis de La Maison Perchée, ou encore de Santé Psy Jeunes, qui contribuent à leur échelle à faire évoluer les regards, les pratiques et à soutenir les personnes concernées face à l’incompréhension. Car il n’y a pas que le regard de la population à modifier, mais aussi le regard des personnes concernées sur elles-mêmes. L’auto-stigmatisation, qui consiste à intérioriser l’image négative renvoyée par la société, est un gros point de travail pour permettre aux personnes souffrant d’un trouble psychique de retrouver confiance en elles et leur rendre le pouvoir d’agir.

L’engagement de plus en plus fréquent de célébrités à parler de leur santé mentale joue actuellement un rôle important dans la réduction de la stigmatisation en parlant ouvertement de leur propre expérience de la maladie, et sensibilisant ainsi leur communauté à ces questions. Nous en parlions par exemple dans notre article sur la santé mentale des hommes, populations souvent peu enclines à évoquer le sujet de la maladie mentale. Mais nous pointions aussi les limites que le témoignage personnel peut avoir.

Dans certaines régions du monde, l’opinion change donc progressivement, ce qui entrainera nécessairement des changements de comportements. Il existe cependant peu de chiffres disponibles à ce sujet. Malgré tout, dans certains pays, la santé mentale reste un tabou absolu et la maladie mentale est sévèrement condamnée socialement. Il reste donc encore beaucoup de travail à faire pour continuer à changer les regards et les comportements en matière de santé et de maladie mentale. Cela sans compter la quantité d’informations erronées relayées, parfois maladroitement, et qui contribue à perpétuer la mésinformation. Étape par étape.