19L’Eternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l’homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l’homme.
Genèse, 2:19
Les symptômes étaient présents avant que l’Homme ne les regroupe et leur donne un nom. Autour de moi, la question du diagnostic se pose souvent. Comme si mettre une étiquette sur une personne et son comportement changeait quoi que ce soit à une relation. Si d’un côté, il peut aiguiller une prise en charge, de l’autre il peut enfermer dans une case. Aux côtés des aspects positifs du nom, il y a aussi une panoplie d’effets indésirables.
Le diagnostic en psychiatrie a une utilité
Après examen clinique, en faisant concorder les signes et symptômes de la personne en souffrance avec des tableaux diagnostiques connus, on peut – tenter de – nommer le mal dont elle souffre. C’est principalement le fait de nommer qui va déboucher sur des recommandations de prise en charge. Plusieurs points positifs à l’annonce diagnostique sont indéniables.
Le diagnostic permet de donner un cadre de compréhension et d’interprétation de symptômes, de pensées, de comportements inhabituels. Donner un nom au tableau permet, lorsque celle-ci est connue, d’expliquer une maladie, ses causes, ses conséquences, ses traitements et ses mystères.
Le diagnostic permet aussi d’orienter la personne vers une prise en charge qui a été testée auprès d’autres personnes ayant présenté avant elle-même un tableau clinique semblable. De la même manière, armés des connaissances scientifiques sur les effets classiques du traitement proposés chez d’autres personnes, les résultats du traitement proposé pourront être analysés et mis en parallèle des valeurs de référence : cela permet de contribuer à la recherche clinique et scientifique en termes d’évolution des maladies et de personnalisation des traitements.
Le diagnostic ouvrant les portes du traitement, quand il existe, permet donc, dès son annonce d’entrer dans une prise en charge a priori adaptée à ses besoins. Une prise en charge précoce est connue pour éviter d’éventuelles complications (principe de prévention secondaire).
Le diagnostic, au-delà de l’entrée dans une prise en charge thérapeutique, permet également de prétendre à l’entrée dans diverses structures spécialisées (cliniques spécialisées dans un trouble, services sociaux) ou communautaires (associations, groupes d’entraide, groupes de parole). Il existe par exemple des lignes d’écoute téléphonique spécifique à certains troubles, comme c’est le cas pour les troubles des conduites alimentaires : 0810 037 037.
Le diagnostic peut aussi lever le doute et l’inquiétude, provoqués par la présence de symptômes inexpliqués. Être dans le flou quant à sa propre situation est délétère et peut entrainer de l’anxiété, consécutive à l’apparente perte de contrôle sur ses actes.
L’utilité du diagnostic reste à nuancer
Ces effets positifs sont importants et peuvent aider de nombreuses personnes concernées et leurs proches, mais également les professionnels de santé amenés à les suivre. Ils demeurent néanmoins à nuancer sur certains aspects.
En effet, dans certains cas, des situations transitoires sans réel impact fonctionnel peuvent être interprétées comme ou extrapolées à des troubles caractérisés. Par exemple, diagnostiquer une dépression et prescrire un traitement médicamenteux à l’occasion d’un deuil non pathologique qui durerait quelques jours de plus que la moyenne. On voit bien ici que le diagnostic de dépression serait abusif et inutile. La surmédicalisation qui intervient ici est elle-même susceptible d’entrainer des conséquences négatives sur la personne : effets secondaires des traitements, suivi peu adapté, stigmatisation et auto-stigmatisation, …
Le diagnostic comme porte d’entrée dans la prise en charge peut aussi être un leurre, notamment dans les cas encore nombreux de troubles ne disposant pas d’un traitement spécifique, ou disposant d’un traitement difficilement accessible. Dans mon cas, par exemple, j’ai longtemps supposé que mes mouvements anormaux étaient le fait d’un syndrome de Gilles de la Tourette, cela dit il a fallu 13 ans avant qu’un médecin ne mette le mot de dessus. J’aurais pu penser que l’annonce finale d’un diagnostic serait une libération, or il n’en a rien été : il n’existe pas de traitement spécifique pour cette maladie protéiforme et méconnue. Les traitements médicamenteux n’ont eu aucun effet bénéfique sur moi, et certains soutiens symptomatiques tels que des interventions cognitivo-comportementales sont difficilement accessibles : peu de professionnels formés à ce trouble, inaccessibilité géographique et/ou financière des consultations de psychothérapie, délais d’attente importants… Finalement, le nom tant attendu ne me sert que dans un cadre administratif. Il aurait également pu me servir à l’occasion d’essais thérapeutiques ou d’études scientifiques en lien avec mon diagnostic, à des fins de recherche, sans bénéfice immédiat sur ma souffrance.
Si dans certains cas, nommer son trouble peut apaiser l’angoisse, dans d’autres cas, la personne ne souhaite pas obtenir de diagnostic : elle peut refuser de s’étiqueter et/ou de devoir faire part d’un diagnostic ayant mauvaise presse à des personnes peu informées ou mal intentionnées. Plutôt qu’un nom et un cadre, elles souhaitent uniquement une prise en charge de leurs symptômes. Peu importe le nom de ce qui me fait souffrir, je veux apaiser ma souffrance. Que la maladie se nomme X ou Y, cela n’a aucune importance.
Un point important en découle : le diagnostic est une interprétation de clinicien, fondée sur sa connaissance et son application des critères médicaux retrouvés dans les classifications internationales (DSM-V ou CIM-10). Ainsi, il est possible qu’un diagnostic posé à un instant t ne soit pas le bon, excluant de ce fait la personne de services de soutien dédiés aux troubles dont elle souffre au motif que le diagnostic l’enferme dans une autre case.
Le diagnostic en psychiatrie a aussi ses limites
Les professionnels sont formés aux pathologies de leur spécialité, cependant celles-ci sont nombreuses et ne sont pas des copier-coller d’un patient à l’autre. Chaque patient a son histoire, sa présentation symptomatique, son expérience de la maladie, ses biais de rappels, etc. Ainsi, les techniques à employer pour réaliser un diagnostic sont nombreuses et complexes à articuler. Au-delà des points positifs que nous avons listés plus tôt, et des nuances que l’on peut y apporter, voici quelques limites inhérentes au processus diagnostique.
Un diagnostic n’est pas une vérité absolue gravée dans le marbre : selon les pays, les cliniciens, les périodes, le diagnostic d’une même personne peut différer. Au-delà de la variabilité interpersonnelle et dans le temps, il faut également noter qu’un diagnostic en santé mentale se fonde principalement sur des éléments cliniques, rapportés par le patient lui-même, ou parfois par ses proches, ce qui induit bien évidemment des biais. Edwige nous faisait part dans son témoignage qu’elle avait été d’abord diagnostiquée avec un trouble bipolaire au début de son parcours en psychiatrie, avant d’être réorientée vers un diagnostic de trouble de la personnalité borderline. Les connaissances médicales et scientifiques évoluent également jour après jour. Ainsi, des diagnostics existants aujourd’hui pourront disparaitre dans quelques années, et inversement, des comportements aujourd’hui n’étant pas considérés comme des diagnostics psychiatriques pourront entrer dans les classifications médicales. Par ailleurs, l’approche catégorielle de la maladie mentale fonctionnant par tableau diagnostic édictés dans des manuels critiqués pour leur essentialisme se transforme très lentement en approche transdiagnostique, s’intéressant plus globalement aux mécanismes communs prenant place dans différents troubles en sortant du carcan limitatif de l’étiquette.
Les instruments diagnostiques ne sont pas parfaits : ils ont des limites théoriques et méthodologiques, pouvant mener à des faux positifs (détecter par erreur un trouble qui n’existe pas) ou des faux négatifs (ne pas détecter un trouble effectivement présent). Aussi, il est important de garder en tête qu’il existe de nombreux tests destinés à mesurer le même concept, comme les symptômes dépressifs par exemple. Or, s’il peut sembler logique que ces échelles puissent être interchangeables, car prétendant mesurer la même chose, elles ne le sont pas. Il existe par exemple des échelles de mesure de dépression spécifiquement élaborées pour les personnes souffrant de troubles schizophréniques, car dans ces troubles, il peut y avoir une confusion entre symptômes dépressifs et symptômes schizophréniques déficitaires.
Le diagnostic en psychiatrie est clinique : il n’existe pas à ce jour de tests biologiques à grande échelle permettant de diagnostiquer rapidement un trouble mental. Le trouble est alors étudié à l’aide d’entretiens avec le patient, avec ses proches, d’une étude de son passé personnel et médical, d’une évaluation fonctionnelle, de bilans neuropsychologiques et questionnaires psychiatriques. Ces batteries d’examens nécessitent beaucoup de temps de passation et d’interprétation, ce qui n’est pas disponible partout sur le territoire dans le secteur public, et peut se révéler très coûteux en secteur privé. Par exemple, les bilans neuropsychologiques chez un psychologue libéral se facturent en centaines d’euros (en raison de leur très longue durée et leur haute technicité) et ne sont pas pris en charge par l’Assurance maladie, tandis qu’ils le sont à l’hôpital.
Découlant du point précédent, des facteurs socio-culturels peuvent influencer la qualité du diagnostic. Nous avons vu par exemple dans un autre article que les hommes ont plus de mal à parler de leur mal-être psychologique et tendent ainsi à minimiser voire cacher leurs symptômes, même devant un professionnel. L’entretien clinique est nécessairement fortement biaisé, ce qui peut nuire au processus diagnostic et thérapeutique. Une baisse de libido, des troubles de l’érection, de l’éjaculation, de la lubrification peuvent être des symptômes difficilement admissibles, même face à son médecin.
Aussi, n’oublions pas qu’un diagnostic sert à nommer un processus pathologique, qui entraîne une souffrance en demande d’apaisement. Or la frontière entre le normal et le pathologique est très floue et dépend essentiellement d’une échelle individuelle. Ainsi, deux personnes présentant les mêmes symptômes pourront être l’une diagnostiquée et donc considérée officiellement malade, tandis que l’autre ne le sera pas car elle n’a jamais jugé utile d’aller consulter pour ces symptômes qui ne la font pas souffrir. Le diagnostic n’est donc pas un indicateur dichotomique : c’est un mot qui ne veut dire que ce que l’on veut bien lui faire dire.
Porter le poids du stigmate
En parlant de mot, dans nos sociétés, le diagnostic est souvent un mot lourd de sens. Les persones avec des troubles schizophréniques, par exemple, font l’objet d’une stigmatisation très importante, notamment en raison d’une méconnaissance totale de ce dont il s’agit et d’une désinformation constante sur ces troubles. Au-delà des forces et limites du diagnostic en lui-même, voyons ce que le diagnostic peut avoir comme impact sur la personne concernée.
Imaginez aller consulter un médecin pour des symptômes assez étranges mais modérés que vous pouvez ressentir depuis quelques temps et qui commencent à vous inquiéter. Vous pouvez vous attendre à obtenir un diagnostic « acceptable » et un traitement pour que tout se rétablisse. Cela dit, votre médecin vous fait passer un bilan complet et vous annonce que vous souffrez d’un trouble schizophrénique. Chose à laquelle vous ne vous seriez jamais attendu, puisque « les schizo, ce sont les « fous furieux qui tuent tout le monde ».
Un mot pas ou mal expliqué, surtout quand il fait peser le poids d’un tel stigmate, peut provoquer un véritable bouleversement émotionnel pour la personne en souffrance mais aussi pour son entourage. Au lieu d’apaiser une inquiétude, le diagnostic ici contribue à faire émerger une détresse encore plus grande, faite d’incompréhension, de désespoir, voire de peur.
La personne concernée peut ainsi être progressivement exclue de son milieu familial, amical ou professionnel en raison de l’image très négative collée à son diagnostic. En effet, la réaction de l’entourage est toujours imprévisible, notamment dans une société peu informée sur la maladie mentale, les moyens de prise en charge et les possibilités de rétablissement. Cet aspect social a un impact direct et concret sur la qualité de vie et le bien-être social de la personne diagnostiquée. Il est même dit que le poids de la stigmatisation et de l’autostigmatisation sont les plus gros facteurs de dépréciation de la qualité de vie, même supérieurs à l’impact de la maladie elle-même.
La désinsertion sociale et la perte d’emploi peuvent nuire gravement au fonctionnement psychosocial qui n’était peut-être pas fortement impacté au préalable. En effet, la perte d’un soutien social, d’une couverture d’assurance maladie, d’un salaire, d’une routine, entre autres, peuvent provoquer un bouleversement extrêmement délétère dans le quotidien de la personne, voire mener à la marginalisation ou au suicide.
Ces risques doivent être pris en considération à l’annonce d’un diagnostic qui ne doit se faire qu’accompagnée d’explications claires sur les tenants et aboutissants du diagnostic, de ce qu’il signifie, de ce qu’il recoupe, des possibilités de traitement, et de ce qu’il charrie de contre-vérités à démystifier. Des documents de psychoéducation, comme ceux proposés par Santé Psy Jeunes, sont importants à fournir au patient à sa destination et à celle de ses proches afin de permettre un dialogue apaisé entre la personne malade et son entourage. Un accompagnement psychologique et social est également le bienvenu pour aider la personne à continuer sa vie de manière optimale.
Être (son diagnostic) ou avoir (un diagnostic) ?
Avoir besoin d’appartenir à une communauté est une caractéristique commune à tous les êtres humains : nous sommes une espèce grégaire. Si l’on peut choisir de s’identifier à sa nationalité, à sa religion, à son corps de métier, on peut aussi s’identifier à son diagnostic, et ainsi à sa maladie. Si d’un côté cette identification peut aider la personne à mieux se comprendre à certains égards, il faut cela dit rester attentif.
En effet, s’identifier intégralement à son diagnostic, et ainsi ne se voir qu’à travers son identité de malade, peut donner à voir une vision restreinte de soi, se limitant aux symptômes et à leurs conséquences. Dans ce cas, l’individu n’existe plus, et s’effondre ainsi l’estime de soi. Cet anéantissement du soi nuit également à la capacité d’agir de la personne, qui peut rencontrer des difficultés à raisonner en dehors du cadre interprétatif de sa pathologie. Être uniquement son diagnostic est forcément stigmatisant : une personne souffrant d’une maladie peut aborder le chemin du rétablissement, elle sera toujours une personne. Une personne s’identifiant exclusivement à sa maladie ne peut imaginer se rétablir, puisqu’elle a perdu son individualité et son existence en tant que personne. L’isolement, voire la honte, amplifie encore les conséquences sociales des troubles contribuant au cercle vicieux de stigmatisation-autostigmatisation.
Il appartient aux professionnels de rappeler régulièrement aux patients que leur diagnostic ne les définit pas plus que leurs goûts culinaires. Il s’agit d’une des multiples facettes de l’individu. Un accompagnement psychologique peut aider à retrouver son pouvoir d’agir en travaillant sur son identification à la maladie. Une limite à cela est l’enferment du patient dans une case psychiatrique par les professionnels de santé eux-mêmes : il arrive qu’une personne avec un diagnostic psychiatrique connu qui présente des symptômes somatiques soit prise moins au sérieux et moins bien soignée, car ses plaintes seront souvent interprétées a priori à travers le prisme psychique…
Ainsi, il est nécessaire que chacun soit libre de demander ou non un diagnostic à son professionnel de santé, pour des raisons qui lui sont propres, selon ses propres désirs. Une décision ou un diagnostic ne s’imposent en aucun cas à un patient, qui est avant tout un être humain manifestant une souffrance qu’il cherche à apaiser. La priorité est rarement la quête identitaire.
Une mode récente : l’autodiagnostic
On voit de plus en plus fréquemment sur les réseaux sociaux des jeunes se diagnostiquer des troubles après avoir vu une vidéo publiée par une personne à forte communauté. Or, chercher à savoir si on « coche les cases » d’un trouble dont on ignorait l’existence quelques secondes plus tôt a des risques.
En effet, un diagnostic doit être posé par un professionnel de santé formé, à la suite de la manifestation d’une souffrance liée à des symptômes. Chercher à nommer définitivement une liste de comportements que l’on présente de manière fortuite peut mener à des refus ou retards de traitement lorsqu’un vrai trouble existe et n’est pas celui que l’on s’est autodiagnostiqué. Le faux diagnostic peut aussi mener la personne à s’automédiquer avec des substances ou des thérapeutiques inadaptées, voire dangereuses et/ou illégales, sans aucune justification scientifique ou médicale. Dans un cas comme dans l’autre, les conséquences sont négatives.
Il est également possible que la personne finisse par se définir par son auto-diagnostic, et entre dans le même cercle vicieux de stigmatisation-autostigmatisation que si elle avait un trouble caractérisé et dûment diagnostiqué – avec les limites du diagnostic qu’on a données plus haut. La personne peut développer des angoisses quant à l’évolution, comme une aggravation brutale, du trouble qu’elle pense avoir et s’infliger du stress inutile contribuant à son mal-être.
Il semble souvent que l’autodiagnostic soit utilisé dans un but communautaire, afin de se sentir appartenir à une communauté de personnes partageant un ensemble de caractéristiques communes. Or, la médiation de cette communautarisation par le biais d’un succédané hasardeux de démarche médicale nuit à la crédibilité de la prise en charge professionnelle, puisqu’une vidéo de 30 secondes publiée par un influenceur sur un réseau social permettrait d’expliquer miraculeusement des comportements.
Si de tels contenus, lorsqu’ils ne sont pas malhonnêtes ou malveillants, peuvent susciter une prise de conscience et des interrogations de certains spectateurs et les entrainer à consulter un professionnel pour leur exposer leurs questionnements, alors espérons que cela en représente la principale conséquence. Permettez-moi d’en douter.