Un podcast sur la santé mentale, pourquoi Les Maux Bleus ?

Manon Combe, pour Les Maux Bleus, un podcast sur la santé mentale

Il existe de nombreux clichés sur la santé mentale. Nous l’abordions par exemple dans notre épisode Amour, gloire et clichés avec Jean-Victor Blanc, Franchir le pas avec David Masson, mais également dans plusieurs témoignages.

Quelques clichés sur la maladie mentale

Le malade mental est nécessairement dangereux : cette croyance est alimentée par les faits divers relayés de manière sensationnaliste par certains médias peu scrupuleux prospérant sur le marketing de la peur. Pourtant, les personnes avec un trouble psychique ne sont pas plus dangereuses que les personnes sans troubles. Au contraire, elles ont plus de chances d’être discriminées, agressées physiquement ou verbalement, mais aussi de se suicider. Les personnes avec un trouble schizophrénique ont par exemple 12x plus de probabilité de s’enlever la vie que la population générale.

La maladie mentale est une simple faiblesse de caractère : on sait depuis de nombreuses années que les troubles psychiques ne sont pas dus à un manque de volonté. Il existe de nombreux facteurs pouvant déclencher et aggraver des troubles psychiques : des facteurs génétiques, biologiques, sociaux, économiques, environnementaux, etc. Ces facteurs s’influencent et leur combinaison est à même de faire émerger des symptômes psychiatriques et des troubles caractérisés.

La maladie mentale est incurable : la « folie » serait inscrite au plus profond de l’individu, comme une manière d’être au monde. Pourtant, de nombreux troubles mentaux sont transitoires et peuvent être apaisés avec un traitement adapté. En ce qui concerne les pathologies psychiatriques chroniques, si on ne sait pas à l’heure actuelle en faire disparaitre totalement les symptômes chez certains individus, il est possible de promouvoir le rétablissement : permettre aux personnes concernées de vivre et de fonctionner de manière acceptable malgré leurs troubles. Cela n’est en rien différent que de vivre avec un diabète.

Les malades mentaux sont inutiles et improductifs : ce cliché peut s’étendre à toute forme de handicap. Pourtant, la diversité des individus fait la richesse de ce monde. Aussi, beaucoup de personnes avec un trouble psychique occupent un emploi, en milieu adapté ou non. Un traitement adapté ainsi qu’un combat acharné contre les préjugés permettra d’améliorer encore les chances d’insertion des personnes avec un trouble psychique. En effet, on est face à une prophétie auto-réalisatrice, les employeurs considérant a priori que les personnes avec un trouble psychique seront moins productives et plus fréquemment absentes, ils préfèrent les discriminer feignant des motifs légaux (qualification, par exemple) entrainant de fait un taux d’inactivité deux fois plus élevé chez les personnes en situation de handicap, psychique ou autre.

La maladie mentale est un phénomène très rare : exceptionnelle, la maladie mentale ne nous concernera probablement jamais. Pourtant, on estime aujourd’hui qu’entre 20 et 25% de la population connaitra un jour un trouble psychique. Notons aussi, car on le dit trop peu, que l’abus de substance, aujourd’hui totalement banalisé, est un trouble mental : cela comprend aussi la dépendance à la nicotine ou à l’alcool… A titre d’information, 1 Français sur 3 fume régulièrement, et 1 sur 4 au quotidien.

Témoigner sur sa santé mentale

Parmi les moyens de démêler le vrai du faux, on trouve des sites d’information comme Santé Psy Jeunes, des livres explicatifs, des reportages, mais aussi des témoignages. C’est ce dernier mode que nous avons choisi avec Les Maux Bleus, afin de permettre de montrer la diversité des situations possibles mais aussi incarner et illustrer des informations données « à froid ».

Dans un premier temps, parler de son trouble psychique aide à normaliser la maladie mentale et à diminuer la stigmatisation et la honte qui y sont associés : les personnes concernées se sentent moins seules face à leur maladie, et les simples curieux peuvent se rendre compte que tout un chacun peut être touché à un moment de sa vie. Cela permet aussi de donner une vision plus positive des troubles psychiques, en promouvant l’empathie et la compréhension plutôt qu’en laissant prospérer le rejet. Des communautés d’entraide peuvent ainsi émerger de cette dynamique de partage d’expérience, comme dans le cas de groupes de parole, par exemple.

Ensuite, témoigner de sa situation peut mener d’autres personnes à suivre le mouvement. Un témoin peut être un modèle de rétablissement par exemple qui peut donner envie de suivre une prise en charge et de communiquer autour de son trouble de manière plus libre afin d’expliquer comment elle le vit, dans une optique d’amélioration des relations, plus constructives et égalitaires. Témoigner de sa situation contribue aussi à la reprise de pouvoir sur sa vie.

Enfin, témoigner permet également d’ajouter une couche qualitative et expérientielle au savoir scientifique et médical. En effet, les professionnels sont principalement formés à des situations types de troubles mentaux mais sont peu au fait du vécu de ces troubles par les principaux concernés. En apprendre plus sur cette manière de vivre et de ressentir la maladie mentale permet d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche mais aussi d’avancer vers des prises en charge plus adaptées et personnalisées.

Nous sommes cela dit bien conscient que le témoignage n’a pas forcément que des aspects bénéfiques. En effet, témoigner est un acte fort qui nécessite d’être dans de bonnes dispositions et en confiance pour le faire. Témoigner dans un cadre qui n’a pas été prévu pour cela peut causer des difficultés émotionnelles et psychologiques, voire une rechute, chez la personne partageant son expérience. Victoire Dauxerre, par exemple, nous a confié avoir connu une rechute de ses troubles du comportement alimentaire après la publication de son livre témoignage. Cela a notamment été lié à la surexposition dont elle a fait l’objet à ce moment, qui l’a confrontée pendant plusieurs mois à des reviviscences d’épisodes de souffrance. Témoigner peut donc aussi être un événement traumatisant.

La réputation même des personnes témoignant peut en pâtir, par exemple sur le plan professionnel ou même familial, renforçant l’isolement de la personne et sa souffrance.

Aussi certains médias peuvent relayer des bribes de témoignages pour mettre en avant des caractéristiques sensationnalistes ou catastrophistes d’un trouble. On le voit parfois dans certaines émissions populaires donnant à voir des personnes atteintes de troubles obsessionnels et compulsifs ou de syndrome de Gilles de la Tourette. Cela ne sert absolument pas l’objectif de déstigmatisation des personnes vivant avec ces troubles, et au contraire contribue à renforcer l’incompréhension, le rejet, la moquerie. La simplification à outrance des troubles pour n’en garder que le côté « putaclic » comme on peut dire aujourd’hui est extrêmement nuisible.

Les personnes peu sensibilisées à la maladie mentale tombant par hasard sur un témoignage de ce type pourraient également recevoir de manière négative ce type de contenu, comme une sorte d’exhibitionnisme, d’impudeur, voire de simple recherche d’attention. Cela peut contribuer également à renforcer des personnes réfractaires dans leurs conceptions négatives de la santé mentale et de ses troubles.

Des personnes concernées par un trouble de santé mentale peuvent également, en période de difficultés, recevoir de manière négative ce type de contenu. En effet, un témoignage de rétablissement peut donner l’impression à l’auditeur qu’il s’en sort moins bien, se dévaloriser, et devenir pessimiste quant à ses propres capacités de rétablissement. Aussi, certaines personnes peuvent rester insensibles à la diversité des situations et ne pas comprendre l’intérêt de témoigner de son cas non représentatif. Par identification au témoignage, l’auditeur peut également se retrouver confronté à des reviviscences d’événements ou de sensations désagréables qu’il a pu connaitre par le passé.

Il est important de noter qu’on ne doit en aucun cas forcer une personne à témoigner : il doit s’agir d’un choix libre, éclairé, et personnel, pris en conscience. Certes le témoignage peut être très utile, mais dans certains cas il faut aussi se préparer à passer outre la réception critique de son message. Or, en proie à des symptômes dépressifs par exemple, comme une dévalorisation de soi, un accueil négatif de ses propos peut être une grande souffrance. Par ailleurs, après avoir témoigné, une personne peut se sentir investie désormais d’une mission d’aide envers autrui qui peut la dépasser. Victoire Dauxerre aussi témoignait des centaines de messages qu’elle avait reçus suite à son témoignage et auxquels elle a tenu à répondre personnellement et individuellement pendant plusieurs mois.

Notre choix : le podcast

Il existe de nombreuses manières de relayer des témoignages. Notre choix s’est porté sur le podcast pour plusieurs raisons.

On y trouve des avantages inhérents au podcast per se. Un podcast est très accessible, les épisodes étant disponibles à travers le monde, de manière gratuite, en tout lieu et à tout moment. Nous avons également fait le choix, grâce à Unt’ Margaria, de proposer les retranscriptions de chaque témoignage afin de permettre aux personnes sourdes et malentendantes de bénéficier de ces précieux contenus. Les créateurs de podcasts indépendants sont aussi libres de procéder à leur guise, avec des formats non imposés, une fréquence de diffusion librement choisie, et la création d’un univers particulier.

Concernant plutôt le sujet de la santé mentale, le podcast s’écoute en général dans l’intimité, avec des écouteurs dans un moment de calme, ce qui permet également de bénéficier de ces contenus de manière confidentielle si la personne sait que son entourage le réprimerait. Un nombre plus important de personnes intéressées peuvent donc avoir accès à des ressources sur ce sujet, bien qu’on retrouve un intérêt plus important chez les femmes de moins de 40 ans (selon nos statistiques d’écoute).

Qui s’intéresse à la santé mentale ?

En lançant les Maux Bleus, nous n’avions pas d’attentes ni d’hypothèses particulières en termes d’audience ni de public. Dans les faits, nous retrouvons dans notre public :

  • Des personnes qui connaissent ou ont connu un trouble psychique au cours de leur vie et qui souhaitent entendre d’autres personnes ayant vécu la maladie, sans doute différemment, et peut-être s’inspirer de certaines stratégies employées par d’autres pour aller mieux.
  • Des professionnels de santé, des militants et des chercheurs qui peuvent se servir de ces témoignages comme des outils supplémentaires de leur cadre de leurs activités professionnelles en ajoutant des éléments de savoir expérientiel à leur pratique.
  • Des proches de personnes concernées par la maladie mentale qui souhaitent en apprendre plus sur la maladie, comprendre ses mécanismes, son vécu et changer éventuellement leur perspective pour soutenir et accompagner leur proche.
  • De simples curieux qui sont ouverts à en savoir plus sur la maladie mentale, pour leur propre désir de savoir. Ou encore des enseignants ou des journalistes qui peuvent se servir de clés de compréhension pour faire œuvre de pédagogie de manière plus efficace autour de ces sujets.

Là aussi, comme le témoignage en lui-même, le podcast a ses limites. Il s’agit d’un format diffusé de manière asynchrone : il n’y a donc pas d’interaction en direct avec les auditeurs, qui ne peuvent donc pas poser des questions supplémentaires à l’invité. La voix seule peut sembler plus impersonnelle et expressive, car elle ne permet pas d’avoir accès aux éléments de communication non-verbale laissant suggérer un vécu émotionnel particulier. Cela peut aussi dans certains cas mener à des quiproquos autour de certains propos, qui ne peuvent pas être résolus en direct et qui resteront gravés dans le marbre numérique.

Aussi, d’un point de vue technique, le podcast n’est pas à la portée de tous car il nécessite un matériel de qualité et des compétences techniques avancées pour obtenir un rendu agréable à écouter par les auditeurs. Par ailleurs, la radio et la télévision sont des moyens d’atteindre une plus large audience que le podcast, qui reste encore aujourd’hui, malgré son essor, un média « de niche », problème que nous pallions en médiatisant nos contenus sur les réseaux sociaux.

Nous espérons que Les Maux Bleus continueront d’étendre leur public pour permettre à la plus large audience de bénéficier de ces témoignages précieux, pour lesquels nous souhaitons très chaleureusement remercier nos invités. Vous trouverez le bilan d’activité du podcast en cliquant ici.

Pour approfondir sur la réception du témoignage :